dimanche 4 décembre 2011

Une croisade contre les chrétiens d’Orient et L’Europe, c’est Byzance ?

Malgré la victorieuse défense de Constantinople contre les Arabes par Léon III et sa contre-offensive, continuée par Constantin V, dans tout le Moyen-Orient, l’empire restait d’autant plus fragile que Ravenne, conquise par les Lombards, lui avait échappé, sans parler des incursions bulgares.
La querelle iconoclaste avait laissé des traces durables : déçus que la nouvelle reconnaissance des images n’ait pas été accompagnée de vengeance, les anti-iconoclastes se révoltèrent, avec l’appui du pape, contre leur patriarche Photius, fort modéré et grand savant, mais parvenu au trône patriarcal par des méthodes douteuses, et qui n’hésita pas à entrer en voie de schisme (869-879), première fissure préludant, de fort loin, au grand schisme d’Orient.
Dans l’intervalle, sous la dynastie macédonienne qui réussit à se maintenir, par des successions régulières, pendant deux siècles, l’empire byzantin allait connaître sa plus belle période, malgré des guerres continuelles, notamment contre les Arabes et les Bulgares.
L’union religieuse avec Rome avait toujours été fragile, nous l’avons vu. La déchirure était d’autant plus sensible que les empereurs byzantins considérèrent comme une offense personnelle et un geste d’hostilité le couronnement de Charlemagne comme empereur d’Occident par le pape, le jour de Noël de l’an 800.
La rupture définitive intervint peu avant la fin de la dynastie macédonienne, en 1054 (il y aura neuf cent cinquante ans l’an prochain) quand le patriarche Michel Cérulaire décida de ne plus reconnaître l’autorité de Rome.
Les années suivantes furent catastrophiques pour Byzance : une attaque des Seldjoukides écrasa et fit prisonnier l’empereur Romain Diogène (1071), et s’assura d’une grande partie de l’Asie Mineure, ce qui provoqua une longue période d’anarchie jusqu’à l’avènement de la dynastie Comnène, qui refit de Byzance une grande puissance, malgré la perte de l’Italie du Sud et de la Dalmatie. Mais si les musulmans reculent définitivement en Espagne où les rois d’Aragon et de Castille mènent la « Reconquista » et provisoirement au Proche-Orient, conquis par les Croisés (bien qu’en 1158-1160 Manuel Ier ait réussi, malgré l’opposition du royaume latin de Jérusalem, à rétablir sa souveraineté sur Antioche), les Croisades ne sont pas dans l’ensemble favorables à Byzance, qui, comme schismatique, n’a en Occident que des ennemis ; les voies commerciales vers l’Orient ne passent plus obligatoirement par elle, mais bien par la Syrie ; bientôt l’empire perdra une bonne partie de son étendue, Chypre allant aux Lusignan, un nouvel empire bulgare, aussi hostile que le premier, se créant avec Jean Asên Ier.
Devenu, déjà, « l’homme malade », l’empire byzantin semblait promis au premier qui oserait s’y attaquer. Ce fut non pas un souverain d’Europe, mais le doge de Venise, Enrico Dandolo, qui réussit, sous prétexte de rétablir un empereur déposé, à détourner la quatrième Croisade contre Constantinople. La ville fut prise et affreusement saccagée(1) (13 avril 1204), une grande partie du butin étant rapportée à Venise, qui s’octroya également les principaux ports, la plupart des îles et une partie du territoire même de Constantinople.
Mais l’empire était si décomposé que la prise de la capitale n’impliquait pas la domination de l’ensemble du territoire : on vit une grande partie de celui-ci se constituer en royaumes indépendants, tandis que Baudouin de Flandres était élu empereur et faisait du territoire byzantin subsistant une mosaïque de principautés attribuées à des Croisés (Thessalonique, l’Achaïe, etc.). Cette situation ne devait guère durer qu’un an, en raison d’une invasion bulgare dont les ambitions étaient attisées par l’évidente faiblesse de ce qui restait de Byzance.
On put cependant croire un instant à la reconstitution de l’unité de l’Eglise, quand le clergé de Constantinople écrivit au pape Innocent III pour lui proposer sa soumission, sous des conditions fort anodines : le pape, malheureusement, crut ne pas devoir répondre et le clergé imposa un empereur, Théodore Lascaris, qui sut rétablir la situation, malgré la rivalité qui l’opposa à l’empire « latin » et à des concurrents, Michel puis Théodore Ange et, surtout, au tsar de Bulgarie Jean Asên II, qui l’écrasa en 1230 à Klokonitsa.

L’Europe, c’est Byzance ?

Constantinople ne s’étant pas défendue en 1261, la ville ne fut reprise par les Grecs que par surprise. Michel VIII Paléologue fut la souche d’une dynastie qui dura près de deux siècles.

Si le règne de Michel fut un succès bien temporaire, le déclin définitif de Byzance commença dès sa mort, en raison de la lutte qu’il fallut mener sur deux fronts, le premier à l’ouest, contre les « Latins », le second à l’est, contre les Ottomans, ou Osmanslis, à l’origine petite tribu turque d’Anatolie qui a réussi, profitant de circonstances favorables, à se constituer un domaine couvrant tout l’ouest de l’Asie mineure et une grande partie des Balkans, et aussi en conséquence des luttes pour le trône impérial et des luttes religieuses internes, plaies presque permanentes de l’Empire d’Orient, dès sa création...

Les empereurs sont alors tentés par la réconciliation avec Rome, le schisme apparaissant - sans doute à juste titre - comme une des causes essentielles de la décadence apparemment irrésistible de l’Empire. Des croisades pour desserrer le joug ottoman sont projetées et continueront de l’être, jusqu’au XVIe siècle et au-delà, dans tous les traités entre souverains chrétiens, mais elles relèvent plus de conventions que d’un véritable souci de combattre les Turcs.

Le pape, qui, lui aussi, voit, en cette période des XIVe et XVe siècles, son autorité contestée en Occident, n’est pas en mesure de les organiser, d’autant qu’il se heurte à l’aveuglement et à l’égoïsme féroce des républiques marchandes, Gênes et Venise, qui ne voient pas le danger turc et préfèrent assurer leur domination commerciale ; d’ailleurs, leurs exactions passées leur ont valu, de la part des Grecs byzantins, une haine inexpiable. Aussi quand, en 1439, l’empereur, le patriarche et une partie des évêques tentent une réconciliation avec Rome, c’est avec une incroyable violence que le peuple et la majorité du clergé s’y opposeront, tandis que la croisade, cependant organisée pour venir au secours de Constantinople, était écrasée en 1544 à Varna.

Non seulement la défaite des Serbes par les Ottomans à Kosovo en 1389 ne délivre pas Constantinople de la menace turque, mais elle place la ville et ce qui reste de l’empire à l’intérieur d’une tenaille ottomane. Celle-ci dut s’ouvrir quand les Mongols de Tamerlan battirent le sultan Bajazet à Angora en 1402, mais seulement pour vingt ans. Dès 1422, les Turcs étaient à nouveau sous les murs de Constantinople.

En 1451, Mahomet II décide que Constantinople sera sa capitale et il mettra tous les moyens pour y parvenir.

Contrairement à une légende tenace, non seulement les défenseurs de la ville ne perdirent pas leur temps à disserter sur le sexe des anges, mais ils organisèrent une défense désespérée, malgré l’absence quasi totale de tout secours venu d’Occident. Cette défense dura sept semaines mais dut céder devant un ennemi vingt fois supérieur en nombre et mieux pourvu d’artillerie. Dans le dernier combat, l’empereur, Constantin XI Dragagète, se fit courageusement tuer. Huit ans plus tard, les derniers débris de l’empire romain d’Orient tombaient aux mains des Turcs. Si la Grèce et la principauté de Serbie devaient obtenir leur indépendance en 1830 et les peuples des Balkans successivement jusqu’en 1912, Constantinople est toujours turque.

Les sultans ottomans installèrent leur capitale, véritable tête de pont en Europe, d’où ils lancèrent d’innombrables attaques contre les pays chrétiens, conquérant au passage Rhodes, Chypre et la Crète. Leur expansion fut ralentie par la victoire de Lépante en 1571 (gagnée après que le peuple catholique tout entier se fut mis en prière, récitant sans relâche le saint Rosaire), mais, un peu plus d’un siècle plus tard, ils arrivèrent sous les murs de Vienne d’où ils furent repoussés, définitivement, espérait-on.

Définitivement ? Aujourd’hui les Européens sont prêts à toutes les concessions, y compris à renier leurs origines chrétiennes, pour obtenir que la Turquie adhère à l’Union européenne. Or, en raison de sa natalité galopante, ce pays sera bientôt, s’il y adhère, le pays le plus peuplé, donc le plus représenté, de cette Union, c’est-à-dire que tôt ou tard la Turquie islamique dominera l’Europe d’origine chrétienne.

On pourrait penser que cette attitude des gouvernements européens provenait de leur soumission excessive aux désirs des Etats-Unis qui avaient promis, en récompense du soutien turc dans la guerre du Golfe de 1991, de conduire l’Europe à accepter cette adhésion. Il semble qu’il n’en soit rien, puisque les Etats-Unis n’ont pas obtenu le même soutien en 2003 et sont dorénavant beaucoup moins favorables aux souhaits des Turcs. Doit-on en conclure que l’objectif des gouvernements européens est, en fait, moins de complaire aux Etats-Unis que de détruire définitivement, par invasion intérieure, la chrétienté européenne ? On pourrait le croire quand on constate que certains seraient également favorables à l’adhésion d’Israël et des pays musulmans du Maghreb...

Tout cela fait que la date du 29 mai a, dans notre histoire, une importance considérable. Or, il n’en a été fait nulle commémoration, du moins en France, par les organismes habituellement chargés des commémorations.

Ils ne peuvent pourtant pas arguer que la prise de Constantinople par les Turcs ne concerne pas la France puisque, l’an prochain, la prise de la même ville par les Croisés en 1204 sera le prétexte de grandes commémorations.

Il est vrai que cela permettra de présenter les chrétiens croisés comme des barbares et des vandales comparés aux adeptes de l’islam, religion de paix, d’amour et de tolérance...
par Anne Merlin-Chazelas Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 296 du 19 juin 2003 et 297 du 28 juin 2003
(1) Il ne faut pas s’étonner de ces actions entre chrétiens : elles furent fréquentes, et l’on vit même, plus de trois siècles plus tard (1526-1527), l’empereur Charles Quint laisser ses lansquenets mettre à sac Rome et l’occuper près de deux ans, obligeant le pape Clément VII à se réfugier au Château Saint-Ange.

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