Malgré la victorieuse défense de Constantinople contre les
Arabes par Léon III et sa contre-offensive, continuée par Constantin V,
dans tout le Moyen-Orient, l’empire restait d’autant plus fragile que
Ravenne, conquise par les Lombards, lui avait échappé, sans parler des
incursions bulgares.
La querelle iconoclaste avait laissé des traces durables : déçus que
la nouvelle reconnaissance des images n’ait pas été accompagnée de
vengeance, les anti-iconoclastes se révoltèrent, avec l’appui du pape,
contre leur patriarche Photius, fort modéré et grand savant, mais
parvenu au trône patriarcal par des méthodes douteuses, et qui n’hésita
pas à entrer en voie de schisme (869-879), première fissure préludant,
de fort loin, au grand schisme d’Orient.
Dans l’intervalle, sous la dynastie macédonienne qui réussit à se
maintenir, par des successions régulières, pendant deux siècles,
l’empire byzantin allait connaître sa plus belle période, malgré des
guerres continuelles, notamment contre les Arabes et les Bulgares.
L’union religieuse avec Rome avait toujours été fragile, nous l’avons
vu. La déchirure était d’autant plus sensible que les empereurs
byzantins considérèrent comme une offense personnelle et un geste
d’hostilité le couronnement de Charlemagne comme empereur d’Occident par
le pape, le jour de Noël de l’an 800.
La rupture définitive intervint peu avant la fin de la dynastie
macédonienne, en 1054 (il y aura neuf cent cinquante ans l’an prochain)
quand le patriarche Michel Cérulaire décida de ne plus reconnaître
l’autorité de Rome.
Les années suivantes furent catastrophiques pour Byzance : une
attaque des Seldjoukides écrasa et fit prisonnier l’empereur Romain
Diogène (1071), et s’assura d’une grande partie de l’Asie Mineure, ce
qui provoqua une longue période d’anarchie jusqu’à l’avènement de la
dynastie Comnène, qui refit de Byzance une grande puissance, malgré la
perte de l’Italie du Sud et de la Dalmatie. Mais si les musulmans
reculent définitivement en Espagne où les rois d’Aragon et de Castille
mènent la « Reconquista » et provisoirement au Proche-Orient,
conquis par les Croisés (bien qu’en 1158-1160 Manuel Ier ait réussi,
malgré l’opposition du royaume latin de Jérusalem, à rétablir sa
souveraineté sur Antioche), les Croisades ne sont pas dans l’ensemble
favorables à Byzance, qui, comme schismatique, n’a en Occident que des
ennemis ; les voies commerciales vers l’Orient ne passent plus
obligatoirement par elle, mais bien par la Syrie ; bientôt l’empire
perdra une bonne partie de son étendue, Chypre allant aux Lusignan, un
nouvel empire bulgare, aussi hostile que le premier, se créant avec Jean
Asên Ier.
Devenu, déjà, « l’homme malade », l’empire byzantin semblait
promis au premier qui oserait s’y attaquer. Ce fut non pas un souverain
d’Europe, mais le doge de Venise, Enrico Dandolo, qui réussit, sous
prétexte de rétablir un empereur déposé, à détourner la quatrième
Croisade contre Constantinople. La ville fut prise et affreusement
saccagée(1)
(13 avril 1204), une grande partie du butin étant rapportée à Venise,
qui s’octroya également les principaux ports, la plupart des îles et une
partie du territoire même de Constantinople.
Mais l’empire était si décomposé que la prise de la capitale
n’impliquait pas la domination de l’ensemble du territoire : on vit une
grande partie de celui-ci se constituer en royaumes indépendants, tandis
que Baudouin de Flandres était élu empereur et faisait du territoire
byzantin subsistant une mosaïque de principautés attribuées à des
Croisés (Thessalonique, l’Achaïe, etc.). Cette situation ne devait guère
durer qu’un an, en raison d’une invasion bulgare dont les ambitions
étaient attisées par l’évidente faiblesse de ce qui restait de Byzance.
On put cependant croire un instant à la reconstitution de l’unité de
l’Eglise, quand le clergé de Constantinople écrivit au pape Innocent III
pour lui proposer sa soumission, sous des conditions fort anodines : le
pape, malheureusement, crut ne pas devoir répondre et le clergé imposa
un empereur, Théodore Lascaris, qui sut rétablir la situation, malgré la
rivalité qui l’opposa à l’empire « latin » et à des concurrents, Michel
puis Théodore Ange et, surtout, au tsar de Bulgarie Jean Asên II, qui
l’écrasa en 1230 à Klokonitsa.
L’Europe, c’est Byzance ?
Constantinople ne s’étant pas défendue en 1261, la ville ne
fut reprise par les Grecs que par surprise. Michel VIII Paléologue fut
la souche d’une dynastie qui dura près de deux siècles.
Si le règne de Michel fut un succès bien temporaire, le déclin
définitif de Byzance commença dès sa mort, en raison de la lutte qu’il
fallut mener sur deux fronts, le premier à l’ouest, contre les
« Latins », le second à l’est, contre les Ottomans, ou Osmanslis, à
l’origine petite tribu turque d’Anatolie qui a réussi, profitant de
circonstances favorables, à se constituer un domaine couvrant tout
l’ouest de l’Asie mineure et une grande partie des Balkans, et aussi en
conséquence des luttes pour le trône impérial et des luttes religieuses
internes, plaies presque permanentes de l’Empire d’Orient, dès sa
création...
Les empereurs sont alors tentés par la réconciliation avec Rome, le
schisme apparaissant - sans doute à juste titre - comme une des causes
essentielles de la décadence apparemment irrésistible de l’Empire. Des
croisades pour desserrer le joug ottoman sont projetées et continueront
de l’être, jusqu’au XVIe siècle et au-delà, dans tous les
traités entre souverains chrétiens, mais elles relèvent plus de
conventions que d’un véritable souci de combattre les Turcs.
Le pape, qui, lui aussi, voit, en cette période des XIVe et XVe siècles,
son autorité contestée en Occident, n’est pas en mesure de les
organiser, d’autant qu’il se heurte à l’aveuglement et à l’égoïsme
féroce des républiques marchandes, Gênes et Venise, qui ne voient pas le
danger turc et préfèrent assurer leur domination commerciale ;
d’ailleurs, leurs exactions passées leur ont valu, de la part des Grecs
byzantins, une haine inexpiable. Aussi quand, en 1439, l’empereur, le
patriarche et une partie des évêques tentent une réconciliation avec
Rome, c’est avec une incroyable violence que le peuple et la majorité du
clergé s’y opposeront, tandis que la croisade, cependant organisée pour
venir au secours de Constantinople, était écrasée en 1544 à Varna.
Non seulement la défaite des Serbes par les Ottomans à Kosovo en 1389
ne délivre pas Constantinople de la menace turque, mais elle place la
ville et ce qui reste de l’empire à l’intérieur d’une tenaille ottomane.
Celle-ci dut s’ouvrir quand les Mongols de Tamerlan battirent le sultan
Bajazet à Angora en 1402, mais seulement pour vingt ans. Dès 1422, les
Turcs étaient à nouveau sous les murs de Constantinople.
En 1451, Mahomet II décide que Constantinople sera sa capitale et il mettra tous les moyens pour y parvenir.
Contrairement à une légende tenace, non seulement les défenseurs de
la ville ne perdirent pas leur temps à disserter sur le sexe des anges,
mais ils organisèrent une défense désespérée, malgré l’absence quasi
totale de tout secours venu d’Occident. Cette défense dura sept semaines
mais dut céder devant un ennemi vingt fois supérieur en nombre et mieux
pourvu d’artillerie. Dans le dernier combat, l’empereur, Constantin XI
Dragagète, se fit courageusement tuer. Huit ans plus tard, les derniers
débris de l’empire romain d’Orient tombaient aux mains des Turcs. Si la
Grèce et la principauté de Serbie devaient obtenir leur indépendance en
1830 et les peuples des Balkans successivement jusqu’en 1912,
Constantinople est toujours turque.
Les sultans ottomans installèrent leur capitale, véritable tête de
pont en Europe, d’où ils lancèrent d’innombrables attaques contre les
pays chrétiens, conquérant au passage Rhodes, Chypre et la Crète. Leur
expansion fut ralentie par la victoire de Lépante en 1571 (gagnée après
que le peuple catholique tout entier se fut mis en prière, récitant sans
relâche le saint Rosaire), mais, un peu plus d’un siècle plus tard, ils
arrivèrent sous les murs de Vienne d’où ils furent repoussés,
définitivement, espérait-on.
Définitivement ? Aujourd’hui les Européens sont prêts à toutes les
concessions, y compris à renier leurs origines chrétiennes, pour obtenir
que la Turquie adhère à l’Union européenne. Or, en raison de sa
natalité galopante, ce pays sera bientôt, s’il y adhère, le pays le plus
peuplé, donc le plus représenté, de cette Union, c’est-à-dire que tôt
ou tard la Turquie islamique dominera l’Europe d’origine chrétienne.
On pourrait penser que cette attitude des gouvernements européens
provenait de leur soumission excessive aux désirs des Etats-Unis qui
avaient promis, en récompense du soutien turc dans la guerre du Golfe de
1991, de conduire l’Europe à accepter cette adhésion. Il semble qu’il
n’en soit rien, puisque les Etats-Unis n’ont pas obtenu le même soutien
en 2003 et sont dorénavant beaucoup moins favorables aux souhaits des
Turcs. Doit-on en conclure que l’objectif des gouvernements européens
est, en fait, moins de complaire aux Etats-Unis que de détruire
définitivement, par invasion intérieure, la chrétienté européenne ? On
pourrait le croire quand on constate que certains seraient également
favorables à l’adhésion d’Israël et des pays musulmans du Maghreb...
Tout cela fait que la date du 29 mai a, dans notre histoire, une
importance considérable. Or, il n’en a été fait nulle commémoration, du
moins en France, par les organismes habituellement chargés des
commémorations.
Ils ne peuvent pourtant pas arguer que la prise de Constantinople par
les Turcs ne concerne pas la France puisque, l’an prochain, la prise de
la même ville par les Croisés en 1204 sera le prétexte de grandes
commémorations.
Il est vrai que cela permettra de présenter les chrétiens croisés
comme des barbares et des vandales comparés aux adeptes de l’islam,
religion de paix, d’amour et de tolérance...
par Anne Merlin-Chazelas Le Libre Journal de la France Courtoise - n° 296 du 19 juin 2003 et n° 297 du 28 juin 2003
(1) Il
ne faut pas s’étonner de ces actions entre chrétiens : elles furent
fréquentes, et l’on vit même, plus de trois siècles plus tard
(1526-1527), l’empereur Charles Quint laisser ses lansquenets mettre à
sac Rome et l’occuper près de deux ans, obligeant le pape Clément VII à
se réfugier au Château Saint-Ange.
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