mardi 20 décembre 2011

Le procès des crimes communistes khmers rouges en phase terminale


111217aNous avons fait état, ici, à plusieurs reprises des interminables dysfonctionnements du procès des Khmers rouges. Il traînait depuis 1979, à la fois pour des raisons juridiques et par la volonté évidente de l'actuel maître du pays.

Premier ministre depuis 1985, Hun Sen, en effet, homme lige des Vietnamiens, s'est constamment employé à saboter toute exploration de cette abominable expérience à laquelle il avait participé avant de se rallier lui-même aux communistes rivaux de Hanoï.

Les familles des victimes du régime marxiste cambodgien sont supposées participer au procès, en qualité de , parties civiles. L'une d'entre elles constatait le 20 novembre : "Ieng Sary dit qu’il ne va pas parler. Seul Khieu Samphan dit qu’il va parler. Moi je dis que ceux qui savent ne parlent pas et ceux qui parlent vont dire qu’ils ne savent pas. Donc je n’attends pas grand-chose de ce procès."

Cet automne, la procédure est entrée cependant, 32 ans après la chute du régime, en phase décisive.
En effet, les audiences du procès dit numéro 2, celui des dirigeants du régime, a commencé le 22 novembre. Vous n'en avez guère entendu parler par les gros médias. Par conséquent, la plupart des gens qui croient savoir utiliser l'internet, comme ils ne font en général que relayer ou commenter les mensonges officiels, ne l'ont pas répercuté sur leurs blogues, réseaux sociaux et autres courriels de transferts.

On doit donc rendre hommage à Mme Anne-Claude Porée, journaliste française basée au Cambodge, qui relate jour après jour les audiences. (1)⇓

Le personnage le plus important se révèle depuis plusieurs jours en l'ancien "frère numéro 2" Nun Chea, principal survivant de ce parti et de ce gouvernement, en qualité de secrétaire général adjoint, le secrétaire général Pol Pot rôtissant en enfer depuis 1996.
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Le procès précédent, celui du tortionnaire Douch avait d'ailleurs laissé une impression de malaise. Les crimes et le rôle de ce personnage ne sauraient être minimisés. Kaing Guek Eav, dit "Douch" se trouvait à la tête d'un centre particulièrement abominable de la répression communiste à Phomh Penh. Ancien lycée, Tuol Sleng avait été transformé sous sa direction en prison S-21. Y furent torturées et assassinées 15 000 personnes. Il a été érigé depuis en mémorial du génocide. Au moment où nous écrivons le verdict d'appel n'est pas encore connu. L'accusé encourt depuis 2010 une condamnation à 35 ans de prison, tombée plus de 30 ans après les faits. Il pourrait presque faire figure, sinon de "lampiste", du moins d'exécutant. De plus "converti au christianisme dans les années 1990, il a plusieurs fois demandé pardon aux rares survivants et aux familles des victimes, demandant même à être condamné 'à la peine la plus stricte'." De la sorte "il a donné l'image d'un homme prisonnier d'une doctrine, incapable de dire non. Et, surtout, [il] a refusé d'endosser un rôle politique au sein du régime de Pol Pot (1975-1979), se réfugiant derrière la peur d'être abattu pour justifier son zèle." (2)⇓

Au contraire Nuon Chea ne peut se prévaloir, quant à lui, ni d'aucune obéissance aux ordres ni d'aucune larme de crocodile. À peine prétendra-t-il ignorer certaines décisions bureaucratiques. Il s'emploie en bon militant à réécrire l'Histoire au bénéfice de son Utopie meurtrière, utilisant les faiblesses de la procédure et du tribunal.

Nuon Chea apparaît certes aujourd'hui comme un vieillard. Il sait d'ailleurs parfaitement jouer sur sa faiblesse lors de certains échanges de questions. Ses "je suis fatigué", "j'ai mal à la tête" sont perçus comme des signes d'épuisement.

Mais, alors que d'autres accusés, comme Ieng Sary, sont manifestement hors circuit, si l'ancienne "première dame du régime" Ieng Thirith est devenue officiellement folle, l'ancien secrétaire général adjoint se révèle à la fois un redoutable manœuvrier et un propagandiste. Il se montre en réalité infatigable.

Sa dialectique démoniaque vaut le détour. Il se présente aujourd'hui comme une manière de souverainiste cambodgien. Tout le mal vient et n'a cessé de venir, à l'entendre, des Vietnamiens. Et quand il repère des bonzes dans l'auditoire il feint de souligner la parenté entre marxisme et bouddhisme, sur fond de compassion bien sûr.

Oublié le traitement des moines adeptes du Bouddha pendant la période de références ! On pense ici à la tentative incroyable de "récupération" de l'orthodoxie par les anciens du KGB en Russie, courant de "nostalgie stalinienne" contre lequel Patriarcat de Moscou se voit obligé de mettre en garde, ce qui prouve à tout le moins que cette manipulation existe (3)⇓.

Quels méfaits Nun Chea impute-t-il aux Vietnamiens ?

Le Vietnamien Ho Chi Minh avait en effet instauré en 1930 un parti communiste indochinois sur le modèle du parti communiste chinois. Or ce PCI envisageait, à terme, une fédération avec le Laos et le Cambodge, alors protectorats français. Or, jusque dans les années 1950, affirme Nuon Chea, le parti ne comptait aucun Khmer dans ses rangs. Son explication ne manque pas de radicalité : "La principale raison en était que les Khmers n’aimaient pas les Vietnamiens." Bonjour l'Internationalisme et l'amitié entre les peuples.

Nuon Chea poursuit son écriture de l'Histoire :
"Pendant la période de 1960 à 1979, le Vietnam a employé tous les moyens possibles pour détruire la révolution cambodgienne et entraver le développement du Cambodge et de sa démocratie, y compris pour ce qui est de l’organisation du parti, et ce secrètement, depuis l’échelon supérieur jusqu’au plus bas échelon il a donc mené une opposition au parti communiste kampuchéen et a mis en place un réseau secret au sein du PCK en vue de l’avenir.

"Le Vietnam est un pays expansionniste qui a pour doctrine de vouloir dominer des pays plus faibles et plus petits. Le Vietnam applique une doctrine d’invasion, d’expansion, d’accaparement de territoire et d’extermination, le Vietnam était avide de pouvoir dans ses propres intérêts notamment économiques."

Conclusion de l’ex-bras droit de Pol Pot : le Vietnam est le principal facteur qui a semé la confusion au Cambodge entre 1975 et 1979.

À la fin des années 1950, le parti communiste khmer (appelé alors parti révolutionnaire du peuple khmer) s'employa donc à définir sa ligne stratégique et politique pour pouvoir être indépendant.

"Moi, Nuon Chea, et Pol Pot avons accepté les recommandations [du fondateur] Tou Samouth." L’assassinat de celui-ci en 1962 avait cependant porté un coup dur au Parti des travailleurs du Kampuchea (le PRPK a changé de nom en 1960) et c’est alors que Pol Pot en devient le numéro 1. Nuon Chea continuant comme le numéro 2 du PCK, le nom de parti communiste du Kampuchea ayant été adopté en 1966. En 1967 est alors fondée l’armée révolutionnaire du Kampuchea et celle-ci passe à l'offensive par l'attaque du poste de Bay Ram le 17 janvier 1968.

Or, cette lutte armée est conçue comme moyen de survie, de se protéger. Car Pol Pot, Nun Chea et leurs hommes sont convaincus que sinon ils seront eux-mêmes éliminés.

Ils vivent dans la paranoïa sectaire classique des révolutionnaires. Nul n'a mieux décrit ce phénomène que Dostoïevski dans "les Possédés". Le titre russe est "Les Démons". Ce roman fondamental est basé sur deux événements bien réels : l'affaire de l'assassinat de l'étudiant Ivanov par le groupe de Netchaïev en 1869 et le spectacle des crimes commis au nom de la Commune de Paris de 1871. Le génie maléfique de Lénine et Staline en Union soviétique n'a fait que continuer et amplifier une forme de dictature démentielle inaugurée en Europe au XVIe siècle par les anabaptistes de Münzer (4)⇓.

On doit aussi remarquer d'abord que l'entrée en clandestinité des Khmers rouges en 1967-1968 précède le coup d'État des maréchaux Lon Nol et Sirik Matak de 1970 souvent présenté comme cause de cette tactique de guerilla. D'autre part cette stratégie contrevenait clairement au mot d'ordre de lutte parlementaire inauguré par Khrouchtchev en 1956.

Quand Nuon Chea prend la parole, il affirme encore une ligne politique. Son procès est transformé en une tribune perverse que l'attitude de certains magistrats encourage. Il plante le drapeau d'une incroyable opération de blanchiment et d'impunité morale, une fois de plus au profit de l'entreprise de Lénine. (5)⇓

Anne-Claude Porée s'inquiétait dans sa recension du 6 décembre de ce qu'elle appelle “effet Nuon Chea”: car l'ancien Frère Numéro 2 "s’exprime comme un chef. Il impressionne le public parce qu’il n’a pas peur de répondre." Marque du fanatisme, cette attitude est rendue possible et efficace en très grande partie grâce à l'attitude de la juge anglaise Silvia Cartwright qui, pour d'obscures raisons, lui a laissé développer toute sa rhétorique sans lui poser les questions qui fâchent.

Cette complaisance lamentable ne peut pas, ici, être passée sous silence.
JG Malliarakis  http://www.insolent.fr/
Apostilles :
  1. Sa chronique est consultable en ligne. On peut en recevoir gracieusement les mises à jour.
  2. cf. à ce sujet "L'inaudible repentance de Douch" publié par Nord Eclair le 29 mars 2011..
  3. cf. Dépêche Interfax du 29 octobre 2011  : "Peut-on rester admirateur de Staline  ?": "Le métropolite Hilarion de Volokholamsk, président du département des relations extérieures du Patriarcat de Moscou, a vigoureusement condamné les orthodoxes qui se livrent à l’apologie du stalinisme, la qualifiant de blasphème..."
  4. cf. "C'est chez les anabaptistes du XVIe siècle, et non ailleurs, que le communisme et le socialisme trouvent leurs véritables antécédents pratiques. Le moment est arrivé de dérouler le tableau de la tragique histoire de ces fanatiques." Alfred Sudre "L'Histoire du communisme avant Marx" ed. Trident 2010 page 99.
  5. cf. à propos de la permanence de celle-ci les travaux de Jules Monnerot.

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