Lire,
écrire et compter sont les trois rudiments élémentaires enseignés dans
les petites écoles de l’Ancien Régime, qui ont vu naître la pédagogie
moderne (utilisation des images, du jeu comme moyen d’apprentissage).
Si le catéchisme, la prière et les leçons de civilité tenaient la
première place dans ces petites écoles, la lecture et l’écriture
n’étaient pas oubliées.
L’école est alors à
la charge de l’Église, et tenue soit par un maître – voire une
maîtresse – nommé par le curé de la paroisse avec la communauté des
habitants, soit par une congrégation enseignante, soit quelquefois par
le curé lui-même. Dans les campagnes, les habitats destinés
spécifiquement à l’éducation des enfants sont extrêmement rares, la
communauté décidant de se lancer dans cette coûteuse entreprise devant
obtenir l’accord de l’intendant qui menait enquête sur le besoin
scolaire. De ce fait, la salle de classe est installée dans le logement
du maître (dans la grande majorité des paroisses), parfois dans une
grange ou sous le porche de l’église. Rappelons enfin qu’une infime
minorité des élèves scolarisés dans ces petites écoles accèdent au
collège : la petite école n’est pas une passerelle, et d’ailleurs bon
nombre d’enfants la quittent avant la fin de l’apprentissage.
I. L’encadrement des élèves
Tenir sa classe n’est
pas chose aisée sous l’Ancien Régime, d’autant qu’il n’est pas
exceptionnel que le maître d’école ait plus de cent élèves, tous
niveaux confondus, à gérer ! À une certaine anarchie qui caractérise
les petites écoles du XVIe se substitue une discipline de fer à partir
du XVIIe. L’espace est quadrillé : les élèves sont classés en fonction
de leur niveau, avec un espace pour les nouveaux, et un pour les
cancres (le « banc d’infamie » avec le bonnet d’âne ou un âne peint).
Garçons et filles sont séparés dans deux salles différentes, parfois
simplement sur des bancs différents.
L’enfant est constamment surveillé. Le pédagogue Jacques de Batencour, dans l’Escole paroissiale
(1654), va jusqu’à conseiller au maître, si sa chambre est au-dessus
de la classe, d’installer un treillis de bois d’où il pourra observer
les écoliers sans être vu. Mais le maître à surtout recours à des
relais pour la surveillance puisqu’il ne peut pas surveiller seul ce
qui peut être une centaine d’élèves. Batencour conseille au maître de
déléguer la surveillance à deux observateurs qui noteront sur un bout
de papier le nom des enfants indisciplinés : ceux qui parlent, ceux qui
poussent les autres, ceux qui ne sont pas dans le rang. Ces deux
observateurs doivent être choisis parmi « les plus fidèles et les plus avisés ». À chaque coin de l’école, un admoniteur doit annoncer tout haut le nom
des élèves qui parlent, n’écrivent pas ou badinent, le maître pouvant
alors punir. Deux intendants sélectionnés parmi « les plus grands, les plus zélés et affectionnés à l’école » ont la surveillance de tous les autres officiers.
Jean-Baptiste de La Salle (auteur de la Conduite des écoles chrétiennes,
1706) reprend la hiérarchie politique romaine antique mise en place
par les Jésuites dans leurs collèges avec les titres d’empereur,
censeur, préteur, consul, prince des décurions, maîtres des
prodécurions, sénateurs, décurions et prodécurions. L’unité de travail
est le banc, chaque officier ayant en charge l’un des bancs ; les
officiers supérieurs font réciter les officiers inférieurs. Cette
structure pyramidale est une manière de tenir la classe et de
récompenser les meilleurs élèves par l’octroi de titres qui devaient
les rendre fiers !
Carte tirée de L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle (R. Chartier, D. Julia, M.-M. Compère ; cf. sources), p. 17.
La France scolaire du baron Dupin :
Le baron Charles Dupin réalisa la première carte du tissu scolaire en
France, plus précisément de la fréquentation scolaire (1826). Il y voit
deux France : une France du Nord-Est instruite et une France du Sud et
de l’Ouest « obscure » séparées par une ligne reliant Saint-Malo à
Genève. Cette démarcation est valable sous l’Ancien Régime, le nombre
d’individus sachant, à la fin du XVIIe et au XVIIIe, signer dans les
registres paroissiaux (seul moyen pour les historiens d’évaluer
l’alphabétisation des Français) étant plus élevé au Nord de la ligne
Saint-Malo – Genève. En 1827, Dupin publie les Forces productives et commerciales de la France où il établit un lien direct de cause à effet entre l’instruction des masses et le développement économique, contre l’avis des philosophes des Lumières.
La France du Nord-Est abrite alors les régions les plus riches et
industrieuses tandis que les régions où le tissu scolaire est le moins
dense sont souvent pauvres et mal-payantes (Bretagne, Massif central,
Loire,…).
II. Lire
Abécédaire provençal du début du XVIIIe.
L’apprentissage de la
lecture est l’activité essentielle des petites écoles et la seule que
certains enfants connaîtront : ils ne resteront pas assez longtemps
pour apprendre à écrire. Cet apprentissage dure normalement trois ans. L’Escole paroissiale
de Jacques de Batencour indique un apprentissage divisé en plusieurs
étapes. D’abord, il faut enseigner aux enfants à connaître les lettres ;
puis leur apprendre à assembler ces lettres pour former des syllabes
et enfin épeler les syllabes pour en faire des mots. Jean-Baptiste de
La Salle quant à lui décrit pas moins de neuf degrés dans
l’apprentissage : successivement « Carte d’alphabet » (2 mois), « Carte
des syllabes » (1 mois), « le Syllabaire » (5 mois), « Épellation dans
le 1er livre » (3 mois), « Épellation et lecture dans le 2e livre » (3
mois), « Lecture seule dans le 2e livre » (3 mois), « Lecture dans le
3e livre » (6 mois), « Lecture en latin dans le Psautier » (6 mois) et
« Lecture dans la Civilité » (2 mois).
L’épellation fait l’objet de débats. Les pédagogues Arnauld et Lancelot écrivent dans la Grammaire générale et raisonnée
de 1660 qu’il vaut mieux apprendre aux élèves les lettres par leur
prononciation. Cette méthode gagne rapidement du terrain face à la
précédente. Les Frères Tabourin dans les classes qu’ils ouvrent au début
du XVIIIe nomment les consonnes en y ajoutant seulement un « e » muet
et non un « é » (par exemple « be » au lieu de « bé », « me » au lieu
de « ém »).
III. Écrire
L’apprentissage de
l’écriture suppose un certain matériel : du papier, de l’encre (mise
dans des cornets de plombs fixés sur la table) et un canif et deux
plumes d’oie apportés par l’élève. La taille de la plume est déjà un
exercice en soi que l’auteur de l’article consacré à ce sujet dans l’Encyclopédie
décrit avec détail. L’élève doit apprendre à bien positionner son
corps : ni trop penché, ni trop droit avec le bras gauche posé à l’aise
sur la table. Jean-Baptiste de La Salle écrit que le maître doit
mettre lui même l’écolier dans la bonne posture et chaque membre au bon
endroit. L’élève doit enfin apprendre à bien tenir la plume. Pour leur
apprendre à bien la tenir, Jean-Baptiste de La Salle propose de
substituer au départ à la plume un bâton de même grosseur avec des
crans marquant l’endroit où poser les doigts. L’élève apprend d’abord à
former certaines lettres : les lettres C, O, I, F, M pour La Salle.
Après ces rudiments, l’écolier apprend les notions de hauteur, largeur
et pente des écritures, la distance des lettres et des lignes.
Le maître ne doit
faire remarquer à l’élève que deux ou trois fautes à la fois, même s’il
en a fait davantage sans quoi il serait embrouillé « comme un estomac à qui on donne trop de viandes »
(La Salle) : l’élève oublierait tout dans sa confusion. Certaines
techniques conseillées par les pédagogues aident à l’apprentissage comme
l’utilisation de transparents ou de papiers rayés par ligne et par
largeur que l’on place sous la feuille.
IV. Débats pédagogiques et évolution de l’enseignement
● Enseigner le latin ou la langue vulgaire ?
Jusqu’à la fin du
XVIIe siècle, la première langue apprise n’est pas le français mais le
latin ! Plusieurs arguments sont avancés à cela : le latin permet de
répondre aux offices et de lire l’Écriture et l’on pense que
l’apprentissage du latin est plus facile que celui du français, le
latin étant à la base du français. D’autre part, un grand nombre
d’élèves pratiquent, hors de l’école, les parlers patoisants, qui sont
d’une extrême diversité, pouvant varier d’un village à l’autre. Il
paraît donc plus judicieux d’apprendre la langue de l’Église, langue
universelle et stable.
Saint Jean-Baptiste
de La Salle provoque à la fin du XVIIe de vifs débats lorsqu’il propose
d’enseigner d’abord à lire la langue maternelle. La Salle renverse
l’argument de la facilité en estimant qu’il est plus motivant pour des
élèves d’apprendre à lire dans leur langue usuelle qu’en une langue
qu’ils ne comprennent pas tout de suite. À cet argument, il ajoute que
le latin est vite oublié et d’aucune utilité dans la vie future sauf
pour quelques exceptions. La Salle fait publier sans permission un
syllabaire français en 1698, le premier du genre si l’on excepte les
ABC calvinistes et l’Alphabet francoys, latin et grec de Jean
Behourt paru en 1620 et resté sans réédition. Si l’apprentissage dans
la langue vernaculaire progresse, certaines écoles continuent
d’enseigner l’apprentissage en latin jusqu’à la fin du XVIIIe siècle.
● Enseigner le français plutôt que le patois ?
Au XVIIIe siècle,
l’idée fait son chemin chez une fraction des pédagogues d’enseigner le
français plutôt que le patois local. Après tout, la langue française
stabilisée n’est-elle pas la langue de la législation, des rapports et
des injonctions des autorités provinciales dont on doit prendre
connaissance ? Ne paraît-il pas anormal que le français soit davantage
maîtrisé par les élites européennes que par les Français eux-mêmes ?
Dans son testament
pédagogique de 1752, un vieux régent du Praz (Savoie), qui a enseigné
pendant 48 ans, conseille à ses collègues d’apprendre à leurs élèves à «
parler français, qui est la langue dont on se sert canoniquement et
civilement dans ce pays, et qui s’étend dans presque toutes les
contrées du monde, outre que la chose la plus essentielle est que les
instructions qui se font dans l’église et ailleurs se font en cette
langue ; on la pratique en se confessant et lorsque l’on est obligé de
parler à un juge, à un intendant et à toutes personnes dont on est
obligé de se servir de cette langue générale pour se faire entendre. ».
L’apprentissage du
français tend à se répandre dans les provinces où l’on parle
majoritairement un patois même s’il semble rester largement minoritaire
à la veille de la Révolution.
● Apprendre en jouant (XVIIIe siècle)
À partir du XVIIIe
siècle, les pédagogues insèrent du jeu dans les méthodes
d’apprentissage. Les enfants peuvent avoir à disposition des lettres
découpées, peintes sur des cartes ou gravées sur des boules pour former
des syllabes en s’amusant. En 1773, le baron de Bouis propose une
méthode où il associe lettres et couleurs et lui donne le titre
révélateur de Méthode récréative pour apprendre à lire aux enfants sans qu’ils y pensent. « On peut nommer cette méthode syllabaire joyeux puisque l’enfant est toujours gai ». L’abbé Berthaud propose dans le Quadrille des enfans
publié en 1744 d’associer les sons à des images montrant des objets
courants. L’enfant apprend à nommer le son avec l’objet qui lui est lié :
le son « i » est associé à l’objet « lit », « une » à la lune, « in »
au moulin, « cau » à l’abricot. Ces associations de son et d’images se
trouvent sur 84 figures coloriées groupées sur des planches insérées
dans un livre mais peuvent être aussi découpées et collées. Dans les
éditions tardives, ces 84 cartes se présentent sous la forme de fiches
mobiles à placer dans des boîtes à compartiments. L’appel à l’image,
jugé susceptible d’éveiller l’intérêt de l’écolier, se répand rapidement
et est promis à un bel avenir.
Roti-cochon ou méthode très-facile pour bien apprendre les enfans à lire en latin & en francois (vers 1680 ?) :
Le Rôti-cochon,
peut-être plus célèbre aujourd’hui qu’en son temps (du fait de ses
rééditions successives à partir de 1890), est représentatif de cette
vague de livres illustrés du XVIIIe, conçus pour accroître l’intérêt de
l’élève.
V. Compter
Compter est la
dernière étape de l’apprentissage scolaire et nombre d’enfants quittent
l’école avant d’apprendre les rudiments du calcul (on n’apprend pas à
compter en même temps que l’on apprend à lire ou écrire, mais après).
Dans les écoles des Frères des écoles chrétiennes, on apprend
successivement l’addition pendant deux mois, la soustraction deux
autres mois, la multiplication durant trois mois et la division pendant
quatre mois. L’apprentissage des quatre opérations de base est
complété par celui de la règle de trois, de la preuve par neuf et des
fractions. Cet enseignement n’est néanmoins par présent partout : bon
nombre de maîtres ne savent pas aller au-delà de l’addition.
On ne dissocie jamais
l’aspect utilitaire : on apprend à compter en livres, sols et deniers
et on repère l’intérêt de chaque opération pour chaque profession.
Parfois, dans des manuels plus développés, s’ajoutent des règles de
conversion des mesures de capacité, ou pour les futurs commerçants le
calcul de l’intérêt des sommes prêtées.
Sources :
CHARTIER, Roger ; JULIA, Dominique ; COMPÈRE, Marie-Madeleine. L’éducation en France du XVIe au XVIIIe siècle. Société d’édition d’enseignement supérieur, 1976.
GROSPERRIN, Bernard. Les petites écoles sous l’Ancien Régime. Ouest France, 1984.
LEBRUN, François ; VENARD, Marc ; QUÉNIART, Jean. Histoire de l’enseignement et de l’éducation. 2 – 1480-1789. Perrin, 2003.
Gallica (le Rôti-cochon)
http://www.fdesouche.com/
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire