Enclenchée
dès le début du XVIIe siècle, la Réforme tridentine ne parvient à son
aboutissement qu’à la toute fin du XVIIe siècle et au XVIIIe siècle. Le
clergé séculier atteint sa période de maturité et l’idéal du « saint
prêtre » du concile de Trente prend véritablement forme. Jamais le
clergé ne fut d’aussi bonne qualité et la christianisation aussi forte
qu’au XVIIIe siècle.
I. Profil des curés
Les prêtres sont
généralement issus du milieu urbain : 40 à 50 % des prêtres du royaume
(sur un échantillon d’une trentaine de diocèses bien connus) sont nés
en ville. A Reims en 1773-1774, 50,5 % des curés viennent des villes ;
dans le diocèse de Toulouse, 55 % du clergé est issu des villes (alors
que la population urbaine représente 41 % de la population du diocèse).
Au niveau national, certaines régions sont exportatrices comme la
Bretagne et l’Auvergne, d’autres déficitaires comme Bordeaux (en 1772,
un tiers des curés sont extra-diocésains, venant de 41 diocèses de
France voire d’Irlande) ou Lyon.
L’intérêt de la
noblesse et de la haute bourgeoisie pour les cures décline au XVIIIe
siècle : ce sont les marchands, petits et moyens officiers (titulaires
d’un office), artisans aisés et gros laboureurs qui fournissent le gros
des bataillons. Les prêtres du XVIIIe ont donc globalement des
origines plus modestes que leurs prédécesseurs.
Les curés sont mieux
formés. Au milieu du XVIIe siècle, les prêtres ignorants sont courants :
la visite pastorale du diocèse de Lyon de 1613-1614 signale plusieurs
curés « qui ne savent pas la forme de l’absolution ni des autres sacrements, ayant même peine à lire ».
A Rodez au début du XVIe, l’évêque François d’Estaing constate que de
nombreux candidats à la fonction confondent les sacrements et les
commandements de l’Église ! Ce niveau déplorable n’est plus qu’un
lointain souvenir au XVIIIe siècle. Vers 1750, 42 % des prêtres du
diocèse de Reims, 64 % de ceux de Bordeaux sont gradués (diplômés) à
l’Université. Les collèges des Jésuites ou des autres congrégations
religieuses (Oratoriens, Dominicains, Doctrinaires,…) fournissent aussi
un bagage intellectuel loin d’être négligeable pour l’exercice du
ministère sacré (la rhétorique et les lettres).
Le séminaire finit
par se répandre (tardivement) dans tous les diocèses de France. En
1698, une déclaration royale rappelle cette prescription tridentine aux
évêques négligents. Au milieu du XVIIIe siècle, presque tous les
diocèses sont dotés d’un séminaire. Les lazaristes sont ceux qui en
tiennent le plus grand nombre (56), suivis par les jésuites (32), les
sulpiciens (20), les oratoriens (14), les doctrinaires (14) et les
eudistes (13).
II. La réputation légendaire des curés
Je
ne sais si, à tout prendre, et malgré les vices éclatants de
quelques-uns de ses membres, il y eut jamais dans le monde un clergé
plus remarquable que le clergé catholique de France au moment où la
Révolution l’a surpris ; plus éclairé, plus national, moins retranché
dans les seules vertus privées, mieux pourvu de vertus publiques, et en
même temps de plus de foi : la persécution l’a bien montré. J’ai
commencé l’étude de l’ancienne société, plein de préjugés contre lui,
je l’ai finie, plein de respect. » – Alexis de Tocqueville (L’ancien régime et la Révolution).
Au XVIIIe, les
prêtres jouissent d’une image très positive tant auprès de leurs
paroissiens que des élites intellectuelles. La proportion de prêtres
dont la conduite est critiquée par la hiérarchie diminue dans tous les
diocèses de France : 5 % dans le diocèse de la Rochelle vers 1724
(contre 10 à 25 % vers 1648) ; 3,7 % dans le diocèse de Toulouse en
1763. Lors des siècles précédents, les prêtres absents étaient monnaie
courante (deux tiers de non-résidents dans le diocèse de Rodez dans les
années 1518-1528 ; 55 % dans le diocèse de Toulouse au milieu du XVIe ;
77 % dans le diocèse de Limoges en 1560 !) ; de même, un certain
nombre de prêtres étaient condamnés pour ivrognerie, coups et blessures
ou concubinage : ces cas sont devenus exceptionnels. Le prêtre du
XVIIIe siècle devient un modèle, et est généralement apprécié par ses
paroissiens.
Enraciné dans sa
paroisse (la moitié environ des clercs sont à la tête d’une paroisse
depuis plus de 10 ans), le curé tisse de solides liens d’affection avec
ses fidèles. Protecteur de la communauté, visitant les malades et les
femmes enceintes, conseillant ses fidèles dans les affaires courantes,
éducateurs de leurs enfants, il est, comme l’écrit Restif de La
Bretonne « l’arbitre des différends, le consolateur et le secoureur des malades ».
III. La gestion de la paroisse
Un Prêtre catéchisant des jeunes Filles, Pierre Antoine Baudouin (1763).
Gérer une communauté de fidèles n’est pas aisé, comme le témoigne Mgr. de Beauvais en 1781 : «
C’est une multitude composée de toutes les conditions, de tous les
esprits, de tous les caractères qu’il faut réunir dans les principes
d’un même culte et d’une même foi ; c’est la discipline des mœurs qu’il
faut maintenir, non seulement dans l’ordre public, mais dans
l’intérieur des familles, mais dans le secret des âmes qui échappent à
la surveillance des lois […] ce sont des riches dont il faut
ménager la délicatesse et des pauvres dont il faut supporter les
murmures ; ce sont des esprits simples et superstitieux qu’il faut
éclairer, ou des esprits superbes dont il faut réprimer le faux savoir ;
ce sont des caractères froids et indifférents qu’il faut exciter ou
bien des zélateurs inquiets qu’il faut contenir ; ce sont des âmes
dégradées qu’il faut retirer du désordre de l’iniquité ou des âmes pures
et sublimes dont il faut suivre et diriger l’essor dans les régions
supérieures de la perfection ».
Le prêtre doit être à
l’écoute de tous ses paroissiens et les surveiller, il vérifie les
nourrices et les sages-femmes de sa paroisse dont il contrôle le
sérieux et la bonne moralité ; il est aussi un relai de l’autorité
royale dont il lit les déclarations lors de la messe dominicale ; il
renseigne les officiers royaux ; il consigne les baptêmes, mariages et
sépultures dans les registres de la paroisse.
Dans les périodes
calamiteuses (catastrophes naturelles), il peut demander un allègement
des prélèvements fiscaux ; lors des épidémies, il organise la
résistance en délivrant des certificats de sortie, choisit le lieu où
enterrer les morts contagieux et réconforte ses paroissiens. Enfin,
lorsque des conflits éclatent au sein de sa communauté (rivalités,
violences, vols), c’est généralement lui que l’on vient trouver pour
l’arbitrage plutôt que la justice royale.
IV. L’« œuvre sociale » des curés
● L’action charitable
Les contemporains sont unanimes pour saluer l’action charitable des curés. «
Je connais plusieurs de ces bons curés de campagne, qui, malgré
l’extrême médiocrité de leur prébende, trouvent le moyen de faire
infiniment plus de bien que des millionnaires même généreux : leur
charité active, industrieuse sait créer mille ressources. Les uns savent
préparer des remèdes simples aux malades qu’ils consolent, et
s’opposent aux prestiges des charlatans ; les autres, livrés aux travaux
de l’agriculture, la perfectionnent par leurs exemples » écrit ainsi Louis-Sébastien Mercier (Mon bonnet de nuit,
1784). Le frère de Restif de La Bretonne, curé de Courgis, nourrit à
ses frais durant l’hiver 1749 tous les pauvres de sa paroisse sinistrée
par l’incendie de 149 maisons.
A partir du XVIIe
siècle, la charité tend à s’organiser avec la création de bureaux de
charité. Gérés par le(s) curé(s) (et éventuellement l’évêque) et des
habitants, alimenté par les aumônes, les offrandes, les quêtes à
domicile et à l’église, ils distribuent des produits de première
nécessité (pain, lait, linge, bois, médicaments,… plus rarement de
l’argent) aux « pauvres honteux » ou aux malades. Les individus adonnés
au vice et à la débauche, ou ceux qui n’envoient pas leurs enfants à
l’école ou au catéchisme, sont exclus de ces distributions.
Les curés ne font
évidemment pas face seuls à la misère de la paroisse. Les congrégations
charitables et hospitalières jouent un grand rôle. Les évêques
eux-mêmes ne doivent pas être oubliés, un grand nombre d’entre eux
s’illustrant par leur dévouement, tel Mgr de Belsunce (1671-1755),
évêque de Marseille, qui s’illustre lors de la grande peste de 1720 en
allant au chevet des malades ou lors de cérémonies spectaculaires comme
l’exorcisation de l’épidémie du haut du clocher des Accoules.
● Les petites écoles
L’action éducatrice
de l’Église se poursuit au XVIIIe siècle, malgré les critiques
naissantes des élites (dont les philosophes des Lumières). cette
mission de l’Église est prise très au sérieux comme en témoignent de
nombreux articles de statuts synodaux : « Il est du devoir des curés
et vicaires de prendre soin de l’instruction des enfants de leur
paroisse et de leur apprendre non seulement les points fondamentaux de
notre foi, mais encore, autant qu’il peut se faire, à lire et à écrire,
afin qu’ils soient en état de chanter les louanges de Dieu […] C’est pourquoi nous leur enjoignons de tenir eux-mêmes ou de faire tenir de petites écoles » (statuts synodaux de Coutances, 1682). «
Les curés doivent employer tous leurs soins afin qu’il y ait dans
leurs paroisses des maîtres sages, savants, vertueux et appliqués.
Jamais nous n’aurons d’estime et de confiance pour un curé que nous
trouverons négligent sur cette parti essentielle de son devoir. » (statuts synodaux de Toul, 1717).
Quand le curé
lui-même n’est pas en charge de la petite école de la paroisse, le
maître (ou la maîtresse) d’école est placé sous son étroit contrôle.
Les enfants apprennent les rudiments de la religion, les bonnes
manières, la lecture, l’écriture et le calcul (pour ceux qui restent
jusqu’au bout). En fonction des moyens, les enfants sont rassemblés
dans une salle, au domicile du maître, dans une grange ou sous le
porche de l’église. L’enseignement n’est pas toujours aisé car tous les
niveaux se confondent, et il n’est pas rare que les effectifs
dépassent 100 élèves…
Là encore, les
congrégations enseignantes assurent une bonne part de l’enseignement,
avec comme figure emblématique Jean-Baptiste de La Salle (1651-1719),
fondateur des Frères des Écoles Chrétiennes.
Auteur : Aetius http://www.fdesouche.com/
Sources :
AUDISIO, Gabriel. Les Français d’hier, tome 2 : Des croyants, XVe au XIXe siècle. Armand Colin, 1997.
DEREGNAUCOURT G., POTON D. La vie religieuse en France aux XVIe-XVIIe-XVIIIe siècles. Ophrys, 2002.
LOUPÈS, Philippe. La vie religieuse en France au XVIIIe siècle. SEDES, 1995.
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