On
trouve dans les déclarations de 1789 et de 1948 des articles qui sont
l'aboutissement d'une tradition de jurisprudence. Ce que nous
condamnons, c'est la fausse conception de l'homme dans laquelle ces
articles se trouvent insérés et qui a inspiré quelques autres articles
réellement condamnables.
L'exemple d'une
déclaration des droits avait été donné dès 1778 par les auteurs de la
Déclaration d'indépendance des États-Unis, mais au moins désignaient-ils
Dieu comme l'auteur des droits inaliénables. Les Constituants français
de 1789, eux, se sont contentés dans le préambule de placer leur
déclaration « en présence et sous les auspices de l'Être suprême », ce qui ne les engageait à rien…
Libres et égaux…
L'article 1er est sot : « Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.
» Maurras l'a fait remarquer : l'homme laissé libre, donc seul, en
venant au monde n'aurait aucune chance de vivre. La naissance est un
beau spectacle d'autorité nécessaire et d'inégalité protectrice.
D'ailleurs, liberté et égalité sont un couple impossible : là où la
liberté est illimitée, les forts écrasent les faibles ; là où l'égalité
règne, il faut obliger tout le monde à passer sous la même toise…
La déclaration de 1948 corrige très légèrement cette conception abstraite de l'individu. Elle remplace « hommes » par « êtres humains » (art. 1). Ils ont donc un être et ne sont plus de simples atomes, ils ont une « dignité inhérente à tous les membres de la famille humaine » (préambule). Mais leurs « droits égaux et inaliénables
» sont, dans l'énoncé, juxtaposés à cette dignité ; ils ne sont pas
explicitement fondés en elle. Donc on est toujours dans l'individualisme
comme en 1789.
Le conflit institutionnalisé
L'article 2 de 1789 est un brûlot : « Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'homme.
» C'est du pur Rousseau : chacun est sur terre pour y chercher sa
satisfaction personnelle, il ne doit obéir qu'à lui-même, donc ne se
lier à la société que dans la mesure où il y trouve son intérêt, selon
les termes d'un “contrat social”. Les droits dits « de l'homme et du citoyen
» doivent être compris comme ceux du citoyen en tant qu'homme, non ceux
de l'homme en tant que citoyen. Car “l'Homme”, dans la nation, n'est
plus héritier (débiteur), mais créancier (sujet de droits).
Le rôle de l'État
devient alors de conserver à tous cette possibilité pour chacun de ne
vivre que pour et selon soi. Il sort ainsi de sa mission traditionnelle
qui est de gérer le bien commun par-dessus les biens particuliers, et
toute question politique ou sociale se trouve posée en termes de droits,
donc dans un climat conflictuel. Résultat : des lobbies peuvent
s'organiser pour paralyser l'État. Sans compter qu'une société où tout
est droits voit se multiplier les déprimés, les aigris, les névrosés,
ceux pour qui toute malchance est une injustice. Allons plus loin :
comment une société fondée sur le droit de vivre chacun pour soi
peut-elle faire comprendre aux immigrés que s'intégrer à une nation,
cela se mérite ?
Vient ensuite (toujours en 1789) la liste des « droits
». D'abord la liberté, posée sans complément, donc comme un absolu.
C'est oublier que la liberté ne vaut que par l'usage que l'on en fait.
De cet oubli découle la mise sur le même plan de « toutes les opinions ». (« Mêmes religieuses », précise l'article 10, comme si la religion n'était rien de plus qu'une opinion !… La Terreur n'était pas loin.)
Suivent, entre autres droits, la liberté de parler et d'imprimer, puis la propriété, tous droits mieux garantis par le Décalogue (Tu ne mentiras pas, tu ne voleras pas...)
que par une déclaration qui en est la caricature. Déclarer la propriété
comme un droit absolu, et non par rapport au bien commun, donc sans
responsabilités sociales, est source de graves conflits.
La liberté selon la
déclaration de 1948 est apparemment plus réaliste. Elle parle des droits
de la famille (art. 16), du droit des parents de choisir le genre
d'éducation pour leurs enfants (art. 26), mais ce même article dit que
l'éducation doit former au respect des Droits de l'Homme, ce qui n'est
pas une garantie contre une école étatique imposant son idéologie.
Quant à la liberté de religion et de culte, fondée sur le droit individuel, elle est plus celle de « changer de religion
» (art. 18) que celle de rester ferme dans sa foi envers et contre
tout. Cet article peut aussi bien être invoqué pour réclamer la liberté
du culte que pour obliger un peuple à renoncer à toute référence
religieuse. On comprend pourquoi les États communistes n'ont jamais eu
de difficulté à adopter les fameux Droits de l'Homme…
Le lit d'Hitler
Signalons en outre que la déclaration de 1948 énonce le « droit à la vie
» (art. 3), juste avec le droit à la liberté et à la sûreté de la
personne, mais là encore dans un contexte individualiste, ledit droit à
la vie peut tout aussi bien servir à défendre l'enfant à naître qu'à
ériger la vie elle-même en un droit dont on peut user à sa guise, voire
en décidant pour soi-même ou pour les autres à partir de quand la vie
commence ou cesse de mériter d'être vécue. Quand le droit à la vie est
égal au droit à la liberté, donc fermé à toute référence transcendante,
la qualité de la vie prend le pas sur le sens de la vie, et cette vie
n'est plus protégée réellement contre l'avortement, l'euthanasie, et
toute forme d'eugénisme.
Venons-en à l'article 3 de la déclaration de 1789 : « Le
principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation.
Nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane
expressément. » Un chef-d'oeuvre d'abstraction démentielle.
Attention, ce texte n'a rien de “souverainiste” : quand le peuple est
souverain, la nation n'est pas comprise comme la communauté historique
de destin, elle est le peuple en corps dressé face au roi qui en août
1789 n'en était déjà plus la tête. De la très rousseauiste « volonté
générale » (art. 6) massifiée, tout doit “émaner”.
Alors, tout reposant
sur l'individu, il faut détruire ou affaiblir les organismes naturels
(familles, paroisses, corporations, provinces qui encadraient
l'individu) pour ne plus laisser subsister que l'État, centralisateur à
outrance, seul habilité à définir la liberté. Cela afin que chacun,
n'ayant plus de lien particulier, puisse être “vertueux” et se fondre
dans la volonté générale. Déconnecté des forces vives où il puisait sa
sève, le citoyen a dès lors vocation à être interchangeable, et bientôt
“mondialisé”.
Le joug collectif
Écrasant ainsi les
individus concrets sous le joug d'une entité collective, cet article 3 a
été dès 1792 une machine de guerre contre tout pouvoir ne venant pas
d'en-bas (le roi, les prêtres, les nobles, les pères de famille).
L'article 6 allait dans le même sens en accordant les dignités à des citoyens « sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents
» : comme aucune transcendance n'est plus reconnue pour juger des
critères de la “vertu” ou de la pureté de tel individu ou groupe, cela
peut déboucher sur une espèce de république des purs ou des génies,
voire sur le culte du surhomme et de la race supérieure, comme sur
toutes formes de populicides. Car la “volonté générale” peut facilement
devenir celle des purs, de ceux qui se sont le plus dépouillés
d'eux-mêmes pour coller à l'idéologie du moment. Des bourreaux de la
Vendée à Hitler, les Droits de l'Homme ont déjà une morbide postérité.
La déclaration de 1948 se contente de remplacer « volonté générale » par « volonté du peuple
» (art. 21), et de préciser qu'il faut des élections libres… Elle ne
corrige rien de fondamental. Disons même qu'elle sacralise à outrance
les Droits de l'Homme, devenus « la conscience de l'humanité », « l'idéal commun à atteindre par tous les peuples » (préambule) . Donc une super-religion qui n'a rien d'une chance pour l'avenir du monde…
MICHEL FROMENTOUX L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 4 au 17 décembre 2008
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