Au
cœur des plus vifs combats politiques, Charles Maurras, né en 1868 à
Martigues, demeura amoureux de sa ville natale. Sa réflexion sur les
libertés locales orienta sa réflexion politique vers la monarchie.
Quand on prononce le
nom de Maurras, surgit en général l'image d'un penseur politique durci
au feu des polémique, d'un dialecticien redoutable qui appuyait ses
développements sur une logique droite et sobre comme ces cyprès qui
faisaient s'écrier Mistral : « Eh ! bien, Provençaux cet arbre, Dieu l'a fait exprès pour vous. ».
Mais Charles Maurras
ne fut pas seulement cela : c'était un poète et un amoureux de la
littérature - il suffit, pour le vérifier, de relire Les Amants de
Venise -, d'autant plus imprégné de culture grecque et latine qu'il
tenait à cette double civilisation par toutes ses fibres intellectuelles
et par toute sa sensibilité méditerranéenne - « Je suis Romain, par tout le positif de mon être... »
Ce poète-là trouva des accents magnifiques et délicats pour chanter les « trente beautés » de son pays natal (Li Trento bèuta dou Martegue) :
« La première
beauté de mon Martigues, c'est l'Étang de Berre, qui, le matin, blanchit
et qui le soir s'azuré, quand je regarde de ma maison : l'Étang qui, de
ses mille langues vertes, lèche amoureusement le sable des calanques et
ronge les rochers où l'on pêche le rouget.
« La seconde,
c'est l'étang de Garante, qui le rejoint à la grand'mer. Les tartanes et
les autres barques y font gonfler leurs larges voiles aux angelots
joufflus.
« La troisième, ce
sont nos collines nues, qui se gonflent comme mamelles et qu'embaume
l'arôme chaud des thyms, des fenouils, des romarins et des sarriettes.
« La quatrième, ses champs de pierres plantés d'oliviers, où vient l'odeur du sel, dans la brise.
« La cinquième,
cette petite chapelle de la Bonne Mère, si haut perchée, sur laquelle un
boulet anglais est venu s'aplatir, - qui sait quand ? - et que les
ex-voto des pauvres gens étoilent comme des fleurs d'amour.
« La sixième, nous avons le mistral pour balayeur municipal. »
Faute de place, nous
laisserons à nos lecteurs le soin de découvrir les autres dans l'œuvre
du Martégal. Amoureux de sa Provence, Maurras a appartenu au félibrige,
un mouvement culturel fondé en 1854 par sept poètes - Frédéric Mistral,
Joseph Roumanille, Théodore Aubanel, Jean Brunet, Paul Giéra, Alphonse
Tavan et Anselme Mathieu -, pour travailler à la renaissance du
provençal. Mirèio (Mireille), publié par Mistral en 1859, valut à celui-ci d'être qualifié par Lamartine, à qui l'œuvre était dédiée, de « vrai poète homérique ». L'influence du félibrige sur le penseur monarchiste fut telle que même le chant de guerre des camelots du roi, La France bouge, est tiré d'une chanson écrite en 1870 par le félibre Paul Arène pour ses soldats provençaux, Le Midi bouge :
« Une ! Deux !
Le Midi bouge,
Tout est rouge :
Une ! Deux !
Nous nous foutons bien d'eux. »
Le Midi bouge,
Tout est rouge :
Une ! Deux !
Nous nous foutons bien d'eux. »
Nation, région, famille ne font qu'un
Il ne faut pas non
plus oublier qu'après une période de nihilisme, sans doute liée à la
perte de l'ouïe et à celle de la foi qu'il ne devait retrouver qu'à son
dernier soupir, le jeune Maurras fut félibre avant de devenir
monarchiste. L'amour de la patrie provençale le conduisit à celui de la
France et au nationalisme, la nation lui apparaissant comme « le plus vaste des cercles de communauté sociale qui, au temporel, soit solide et complet
». Et, poursuivant sa réflexion, il en conclut finalement à la
nécessité de restaurer une monarchie traditionnelle, héréditaire,
antiparlementaire et… décentralisée, le régime monarchique étant seul
assez fort pour restaurer les libertés françaises, sans risquer de
désunir l'ensemble.
Pour Maurras, « qui veut réaliser le programme nationaliste doit commencer par une ébauche de fédération. » La nation ne saurait donc étouffer les particularismes locaux : il exècre « ce
débordement d'un État centralisé et centralisateur [qui] nous inspire
une horreur véritable : nous ne concevons pas de pire ennemi. »
Mais il avertit à l'inverse : « Certains nationalistes confondaient fédéralisme avec séparatisme, qui signifie tout le contraire. »
Paul Bourget, à la même époque, professe de même que « nation, région, famille ne font qu'un. Ce qui enrichit ou appauvrit l'un, enrichit ou appauvrit l'autre. »
Dans le « discours préliminaire » à la réédition en 1924 de sa célèbre Enquête sur la monarchie, publiée pour la première fois en 1900, Maurras écrit : « C'est
par la conscience et l'amour de nos plus humbles commencements engagés
dans la paroisse, la petite ville, le quartier de la grande ville, que
peuvent et doivent renaître la conscience et l'amour du composé national
entier. Le patriotisme à la Déroulède doit être étoffé d'un patriotisme
à la Barres. D'heureux progrès ont été faits en France sous les yeux de
notre génération dans le sens de cette reviviscence. Le patriotisme
français se perdait dans l'abstraction juridique et la bureaucratie
chère aux démocraties. Mistral et le félibrige, les barrésiens de l'Est,
ceux de l'Ouest, notamment le groupe breton avec Le Goffic et ses amis,
ont retrouvé la substance concrète qui fait l'aliment et le stimulant
de toute dialectique nationale lorsque, partie d'un point quelconque du
temps ou de l'espace, de l'histoire ou du territoire, elle aboutit à la
capitale, à l'État. »
L'autorité en haut,
les libertés en bas - et en bonne place, les libertés locales. Il n'est
plus question ici de poésie, mais de politique et de « décentralisation » - un « très méchant mot » pour désigner « une très belle chose ». Peut-être eût-il été plus poétique en provençal ?
Hervé Bizien monde & vie . 17 septembre 2011
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