Oui,
ce fut une véritable guerre qui coûta la vie à 200 000 Blancs et à 300
000 Bleus. Oui, ce fut une véritable guerre, dont, au début, les faux
retournées étaient l'arme unique pour les paysans de 600 paroisses qui
se soulevèrent spontanément et appelèrent leurs “messieurs” à l'aide.
« L'Ouest, a dit Romier, est l'imagination de la France.
» Aux premières heures de la Révolution, comme dans l'ensemble du pays,
l'Ouest souhaitait des réformes, et les catholiques de ces régions y
étaient si favorables que leurs curés, délégués aux États généraux,
furent les premiers à quitter l'ordre du Clergé pour se joindre au Tiers
État et à former la Constituante.
Mais survint le 12 juillet 1790 la loi scélérate votée par l'Assemblée nationale constituante et qui devait tout changer : la Constitution civile du clergé
destinée à remplacer le Concordat de 1516 et instaurant les prêtres
jureurs : des intrus devaient remplacer les « bons prêtres » qui se
cachèrent. Il n'y eut plus de baptêmes, plus de mariages religieux
qu'auprès des « bons prêtres », dans les bois, dans les maisons amies
qui les recevaient. Louis XVI, emprisonné, fut compris dans cette colère
et la guerre « pro Deo et Rege » s'esquissa. Les Vendéens se
soulevèrent, appelant leurs maîtres, pour garder leurs prêtres ; et si
le roi ne les préoccupait guère auparavant, le roi malheureux, le petit
Dauphin, la reine, tous devaient être défendus. Ce fut donc une guerre
sainte et, ainsi que le dit saint Thomas : « Le nom de martyrs peut
être décerné même aux soldats qui ont succombé en combattant les ennemis
du Christ et qui, jusqu'au dernier soupir, ont conservé cette ardeur de
foi chrétienne qui leur fit prendre les armes. » Bien des chouans ont, en effet, leur procès en cours à Rome où ils attendent leur béatification.
Du 10 mars 1793 au 29
mars 1796 - pour ne parler que de la première “chouannerie” car, en
vérité, cela dura jusqu'en 1815 -, il y eut 110 combats importants.
Rien ne put endiguer
cette grande et sainte colère, même le sinistre Carrier qui, à Nantes,
parlant de ses pontons en Loire, les appelait « le grand verre des calotins », « la baignoire nationale » ou bien encore le « château d'eau
». Il y expédia, du 22 décembre 1793 au 5 janvier 1794 : 2 150
personnes, dont 400 enfants. Une femme accoucha sur l'un de ces bateaux
et y périt. Les enfants, habituellement, étaient noyés dans les
excréments humains des diverses prisons, notamment l'Entrepôt, de
sinistre mémoire. Les mariages républicains distrayaient ces messieurs :
un prêtre, une religieuse, nus, attachés dos à dos ensemble, partaient
pour ne plus revenir. C'est à 90 prêtres que revint l'honneur
d'inaugurer les fameux pontons, le 16 novembre 1793 : le premier
s'appelait la Gloire.
Les hommes qui devinrent les chefs de la Vendée n'étaient pas tous des aristocrates : Cathelineau, « le saint de l'Anjou
», était maçon, père de 11 enfants ; Bonchamp, sous-lieutenant à 18 ans
; Charette fit 11 campagnes en dix ans de marine avant de devenir le
chef de la Vendée. « Je jure, avait-il dit, de ne revenir ici que mort ou victorieux.
» Il ne revint pas, mais son nom demeure. Il eut l'honneur d'être
fusillé à Nantes en ce temps où la guillotine était le plus en faveur.
La Rochejacquelin était sous-lieutenant à 13 ans ; à 17 ans, ses paysans
en firent leur chef ; il n'avait que 21 ans lorsqu'il fut tué.
Stofflet, Lorrain, était garde-chasse : il fut un chef aimé, lui aussi,
mais son nom semblait impossible à prononcer par les siens qui le
surnommèrent “Mistouflef ; d'Elbée, le général de la Providence,
mourant, demanda, comme Bonchamp le fit, la grâce des prisonniers ;
Lescure avait voulu émigrer, mais dissuadé par Marie-Antoinette, il
rallia la Grande Cause.
Louis Chaigne, dans son livre La Vendée, écrit : « Pudique
et mesuré, le paysage vendéen ne se livre que peu à peu. Il faut les
feux de l'été pour l'aidera révéler sa force, sa grâce, sa vérité, ses
nuances. L'habitant demeure insaisissable à qui ne sait pas mériter sa
confiance. Le Vendéen, fils de Celtes, ne se donne pas, il se confie. »
À Dieu s'étaient confiés ces hommes, car ils savaient que selon ce qu'a dit saint Paul, « ce qui est considéré comme folie aux yeux du monde, est sagesse au regard de Dieu ».
Les Vendéens ne
voulaient pas la guerre civile ; c'est contraints par les lois édictées à
Paris, les exactions commises, qu'ils se battirent. Bonchamp ne
disait-il pas : « Les guerres civiles ne donnent pas la gloire
humaine, mais en réalité, sur le plan éternel le seul qui compte, ils
ont tout gagné ? »
En fait, cette «
victoire des vaincus » ne fut-elle pas le coup d'arrêt porté à la
révolution antichrétienne et le retour de la liberté religieuse ? Et si
c'est grâce au sacrifice de la Vendée que la France en jouit encore, il
ne faut pas manquer de le répéter, car la liberté est une utopie, et la
liberté religieuse n'aurait guère besoin de beaucoup d'aides pour
disparaître au nom de cette liberté même.
Le pape avait
stigmatisé les lois antireligieuses le 24 mars 1790 avant de condamner
par deux brefs (du 10 mars puis du 12 avril 1791) la Constitution civile
du clergé.
Et si, le 14 mars
1793, se soulevèrent les 600 paroisses dont je parlais tout à l'heure,
la première de toutes fut Saint-Florent. Et ce ne fut pas par répulsion
du service militaire puisque Napoléon lui-même a dit qu'« il n'y avait pas plus braves soldats que les Vendéens ».
Et le républicain Edgar Quinet, en qui l'on ne saurait voir un sympathisant de la Vendée, écrivit dans « La Révolution » : « La
guerre de Vendée fut une guerre religieuse. Cela donna un tel
désavantage aux républicains qu'en dépit de leur héroïsme, ils
arrivèrent à ce résultat étrange tout vainqueurs qu'ils étaient, ils
revinrent à la religion des vaincus ; c'est ce qu'ils furent obligés
d'appeler : triomphe et pacification. La Terreur n'a pu réduire les
Vendéens, elle n'a pu même obtenir une trêve. La pacification n'est
devenue réelle que lorsqu'on a accordé aux Vendéens et aux chouans ce
qu'ils demandaient, l'ancien régime de la religion. »
L'on a parlé de la
cruauté des Vendéens, en omettant de signaler les atrocités des colonnes
infernales. Or, il y eut bien maints Oradours en Vendée, en commençant
par celui des Lucs-sur-Boulogne le 28 février 1794. Le curé Voyneau, âgé
de 70 ans, s'est avancé au-devant de la colonne Cordelier, il supplie
d'épargner ses paroissiens. Dans le chemin de la Malnaye, on lui arrache
la langue et le cœur. La population s'est réfugiée dans l'église, elle y
est massacrée, puis on abat le clocher à coups de canon : 569 morts,
dont 109 enfants de moins de 12 ans.
Parlerons-nous du
nommé Poiron, qui se faisait des colliers des oreilles coupées aux
Vendéens et, de temps en temps, les faisait griller pour les manger en
se donnant en spectacle ?
Ou du
chirurgien-major Péquel, fondateur à Angers d'une tannerie de peaux
humaines ? Le manchonnier Prudhomme put ainsi confectionner 32 culottes
en peau de Vendéens que portèrent des officiers républicains.
Les Vendéens avaient
la foi, une foi simple mais vive, inébranlable, et c'est parce qu'ils
avaient la foi qu'ils ont agi comme ils l'ont fait. La guerre de Vendée
n'a rien de semblable aux révolutions ou aux complots modernes : c'est
la guerre d'un peuple lassé d'une oppression qui s'attaque aux libertés
les plus chères du service de Dieu.
Pour illustrer cette
foi, je citerai quelques anecdotes : le curé de
Saint-Hilaire-de-Mortagne, avant de partir en déportation, dit à ses
paroissiens : « Chaque dimanche, autant que je le pourrai, je dirai la messe à cette même heure pour vous.
» Chaque dimanche, les paroissiens se réunirent dans l'église, malgré
les scellés mis par les gendarmes. Les paysans, à l'heure de la messe,
font sonner les cloches. La gendarmerie accourt et le brigadier demande :
« Que faites-vous là ? - Nous sommes à la messe, rétorque l'un d'eux. Notre curé nous a promis, en partant, qu'il dirait la messe pour nous chaque dimanche, là où il serait. - Imbécile, reprend le brigadier, votre curé est à cent lieues d'ici et vous croyez assister à la messe ! - La prière, reprend le paysan, fait beaucoup plus de cent lieues, elle monte de la terre au ciel. »
Parmi les victimes du
Champ des Martyrs d'Avrillé (2 200 victimes du 12 janvier au 16 avril
1794), où l'on compte les généraux des Essarts et Donnissan, le fermier
Desvallois disait : « C'est bon pour mon champ, ça va le fumer. » Mme de Saillant demanda à l'exécuteur, en tendant un collier d'or qu'elle portait sur elle : « Je vous donne ceci à condition que vous fusilliez mes deux filles avant moi et que je puisse les soutenir jusqu'au bout. » Quand elle les vit alignées devant la fosse, elle s'écria : « À tout à l'heure, mes petites filles bien aimées ! Chez le Bon Dieu ! »
À Nueil, les Bleus
descendent les cloches de l'église, les mettant sur des chariots, mais
un groupe de paroissiens intercepte les chariots, tuent les ravisseurs,
cachent les cloches dans la rivière ; elles seront replacées dans le
clocher en 1807.
Après l'échec de
Fontenay, le 15 mai 1793, les paysans exposés aux coups de l'ennemi
s'arrêtent devant un calvaire ; Lescure, qui connaît bien ses hommes,
dit à un officier qui veut intervenir : « Laissez-les, ils se battront mieux ensuite. »
N'est-ce pas aussi pour ces Vendéens que Charles Péguy a écrit : « Heureux ceux qui sont morts pour les cités charnelles / Car elles sont le corps de la Cité de Dieu » ?
Le capitaine Pierre
Martin, officier dans les troupes du marquis de Coislin, quitta le 65e
en garnison (en partie) à Savenay, et rejoignit le 30 juin 1815 les
troupes de Coislin, lors de la deuxième chouannerie. Le capitaine Martin
n'est autre que le grand-père de sainte Thérèse de l'Enfant Jésus. Et
l'on comprend mieux que Pierre l'Ermite ait pu écrire : « Si l'on pressait la terre de la Vendée comme une éponge, on en verrait sourdre le sang des martyrs. »
Carrier avait déclaré : « Nous ferons un cimetière de la France plutôt que de ne pas la régénérer à notre manière.
» De fait, la loi du 22 prairial ôtait aux accusés les défenseurs,
supprimait l'audition des témoins, les juges ayant même - déjà ! - le
droit d'arrêter les débats en se déclarant suffisamment informés.
Toutefois, rien ne put faire varier dans leurs idées ces fiers soldats.
Les Vendéens n'ont
jamais failli à l'appel de la France ; la religion rétablie, ils se sont
battus chaque fois qu'on le leur a demandé. Pas une famille de l'Ouest
qui ne pleure un disparu de la Grande Guerre.
Ainsi, en septembre
1914, la fière attitude du bataillon de Beaufort à la charge des
baïonnettes pour reprendre le château de Mondement ! Fervent catholique,
le commandant, qui connaît les sentiments religieux de ses hommes,
invite, avant la charge, le Père Gaillard à donner une suprême
absolution. Tous les soldats, dissimulés dans les bois, s'agenouillent.
L'ordre impératif d'attaquer est donné par le général Humbert. Beaufort,
très calme, met ses gants blancs, saisit le bâton qu'il a coutume de
porter et commande d'une voix forte : « En avant, mes enfants, pour la France, chargez ! »
Il est tué d'une balle au front. Est tué également le capitaine
Secondât de Montesquieu. Et, le 10 juin 1916, au fort de Douaumont où la
bataille fait rage, ce sont les régiments de Maine-et-Loire, des
Deux-Sèvres, de Bretagne, qui formèrent les IXe et XIe corps d'armée.
En juin 1926, à
Londres, déjà, un grand chef militaire - non pas celui que vous croyez
mais le Maréchal Pétain, s'exprimait en ces termes : « Sur le champ
de bataille de Verdun, des baïonnettes dépassent le sol, plantées sur
des fusils que des cadavres tiennent encore. Elles marquent les
tranchées où se sont fait hacher des bataillons de la Vendée, une des
vieilles provinces religieuses de la France. Les hommes qui se battirent
là, soumis à un bombardement effroyable, restèrent stoïquement à leur
poste et attendirent la mort en priant à haute voix comme les martyrs.
La plupart furent tués ou enterrés vivants par les obus. Les baïonnettes
qui hérissent leurs tranchées, devenues leurs tombeaux, disent assez
leur obstination farouche, faite de la conscience d'un grand devoir et
de la résignation habituelle aux travailleurs de la terre. Les nôtres
avaient juré que l'ennemi ne passerait pas ; il n'est pas passé. »
Citer les faits
d'armes des descendants des “rebelles” dans les guerres successives
menées par la France serait bien long, nous n'avons, hélas ! que trop de
choix. Mais pouvons-nous oublier l'allocution prononcée, le 12 juillet
1957, à Cherchell, par le général Bernachot, pour la promotion
Cathelineau - le petit-fils du général vendéen, assassiné en Algérie par
le FLN où il citait entre autres : « Pasteur disait : “J'ai la foi du paysan vendéen. Si j'avais étudié davantage, j'aurais la foi de la paysanne vendéenne. ” » Cathelineau avait la foi comme on l'a en Vendée, il l'avait vigoureuse, granitique, à la manière de ceux de là-bas.
« Dieu, disait Bossuet, est celui qui règne dans les deux et qui relève les empires.
» Le malheur de nos temps actuels est précisément le laïcisme qui
prétend organiser le monde sans Dieu, sinon contre Dieu. Les mauvais
anges ont travaillé à mettre debout un monde laïciste et même athée, une
contre-Église : la Révolution avait marqué une étape importante de leur
tentative ; ils se sont servis et se servent toujours de certains
instruments privilégiés, comme les doctrines aberrantes et les
institutions perverties. Le cri de guerre des Vendéens au combat était
“Rembarre”, qui veut dire « Barre le chemin ! » Ne doit-il pas être
aujourd'hui le mot d'ordre de tous ceux qui s'opposent à la chute de
notre civilisation et à la ruine de notre pays ?
Gisèle BAZAN. Écrits de Paris juillet 2010
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