mardi 6 septembre 2011

De la Perse à l’Inde : les commandos allemands au Proche et au Moyen Orient de 1914 à 1945


Les études historiques se rapportant aux trente ans de guerres européennes au cours du 20ème siècle se limitent trop souvent à des batailles spectaculaires ou à des bombardements meurtriers, qui firent énormément de victimes civiles, comme Hiroshima ou Dresde. Les aventures héroïques de soldats allemands sur des fronts lointains et exotiques ne sont guère évoquées, surtout dans le cadre de l’historiographie imposée par les vainqueurs. La raison de ce silence tient à un simple fait d’histoire: les puissances coloniales, et surtout l’Angleterre, ont exploité les peuples de continents tout entiers et y ont souvent mobilisé les indigènes pour les enrôler dans des régiments à leur service.
L’historiographie dominante, téléguidée par les officines anglo-saxonnes, veut faire oublier les années sombres de l’Empire britannique, ou en atténuer le souvenir douloureux, notamment en valorisant le combat de cet officier anglais du nom de Thomas Edward Lawrence, mieux connu sous le nom de “Lawrence d’Arabie”. Cet officier homosexuel a mené au combat les tribus bédouines de Fayçal I qui cherchaient à obtenir leur indépendance vis-à-vis de l’Empire ottoman. Il fallait, pour les services anglais, que cette indépendance advienne mais seulement dans l’intérêt de Londres. Le 1 octobre 1918, Damas tombe aux mains des rebelles arabes et, plus tard dans la même journée, les forces britanniques entrent à leur tour dans la capitale syrienne. Mais les Arabes étaient déjà trahis depuis deux ans, par l’effet des accords secrets entre l’Anglais Sykes et le Français Picot. L’ensemble du territoire arabe de la Méditerranée au Golfe avait été partagé entre zones françaises et zones anglaises, si bien que les deux grandes puissances coloniales pouvaient tranquillement exploiter les réserves pétrolières et contrôler les régions stratégiques du Proche Orient. La liberté que Lawrence avait promise aux Arabes ne se concrétisa jamais, par la volonté des militaires britanniques.
Beaucoup de tribus de la région, soucieuse de se donner cette liberté promise puis refusée, entrèrent en rébellion contre le pouvoir oppressant des puissances coloniales. La volonté de se détacher de l’Angleterre secoua les esprits de la Méditerranée orientale jusqu’aux Indes, tout en soulevant une formidable vague de sympathie pour l’Allemagne. Les rebelles voulaient obtenir un soutien de la puissance centre-européenne, qui leur permettrait de se débarrasser du joug britannique. Ainsi, pendant la première guerre mondiale, le consul d’Allemagne en Perse, Wilhelm Wassmuss (1880-1931), fut un véritable espoir pour les indépendantistes iraniens, qui cherchaient à se dégager du double étau russe et anglais. L’historien anglais Christopher Sykes a surnommé Wassmuss le “Lawrence allemand” dans ses recherches fouillées sur les Allemands qui aidèrent les Perses et les Afghans dans leur lutte pour leur liberté nationale.
Fin 1915, début 1916, le Feld-Maréchal von der Goltz, commandant en chef des forces armées de Mésopotamie et de Perse, entre dans la ville iranienne de Kermanshah. Les Perses s’attendaient à voir entrer des unités allemandes bien armées, mais le Feld-Maréchal n’entre dans la ville qu’avec deux automobiles. Pendant ce temps, le Comte von Kanitz avait constitué un front contre les Anglais qui avançaient en Perse centrale. Les forces qui meublaient ce front étaient composées de gendarmes iraniens, de mudjahiddins islamiques, de mercenaires, de guerriers tribaux (des Loures et des Bachtiars) et de Kurdes. La mission militaire germano-perse se composait de trente officiers sous le commandement du Colonel Bopp. Le gouvernement de Teheran cultivait une indubitable sympathie pour les Allemands : l’Angleterre se trouvait dès lors dans une situation difficile. Lorsque la Turquie ottomane entra en guerre, un corps expéditionnaire britannique, sous le commandement de Sir Percy Cox, occupa Bassorah et Kourna. La Perse se déclara neutre mais, malgré cela, les Anglais continuèrent à progresser en territoire perse, pour s’assurer l’exploitation des oléoducs de Karoun, entre Mouhammera et Ahwas.
Les tribus des régions méridionales de la Perse étaient toutefois fascinées par Wassmuss, le consul allemand de Boushir, originaire de Goslar. Wassmuss traversa le Louristan, région également appelée “Poucht-i-Kouh” (= “Derrière les montagnes”), où vivaient des tribus éprises de liberté, celles des Lours. En 1916, Wassmuss fait imprimer le journal “Neda i Haqq” (“la Voix du droit”) à Borasdjan, “pour éclairer et éveiller l’idée nationale persane”. Wassmuss travailla d’arrache-pied pour influencer le peuple iranien. Son journal en appelait à la résistance nationale et prêchait la révolte contre l’ennemi qui pénétrait dans le pays. Wassmuss fut ainsi le seul à pouvoir unir les tribus toujours rivales et à leur donner cohérence dans les opérations. “Les chefs religieux distribuèrent des directives écrites stipulant qu’il était légal de tuer tous ceux qui coopéraient avec les Anglais”. Mais tous les efforts de Wassmuss furent vains : il n’y avait aucune planification et la révolte échoua, littéralement elle implosa. Elle est venue trop tard : dès le début de l’année 1918, les troupes britanniques avaient occupé la majeure partie du territoire perse, en dépit de la neutralité officielle qu’avait proclamée le pays pour demeurer en dehors du conflit.
Pendant la seconde guerre mondiale, les Alliés ne s’intéressaient qu’au pétrole, qu’à assurer leur prédominance économique en Iran, et ne se souciaient guère de lutter contre l’idée nationale persane. Rien n’a changé sur ce chapitre aujourd’hui : les Occidentaux ne cherchent que des avantages économiques. Toujours pendant le second conflit mondial, près d’un million d’hommes, épris de liberté, se sont rangés aux côtés de la Wehrmacht allemande, dans l’espoir de libérer leur pays de la tutelle des puissances coloniales occidentales : parmi eux, on compte les Indiens de la Légion “Asad Hindi”, les troupes recrutées par le Mufti de Jérusalem, les combattants issus des tribus du Caucase et quelques nationalistes iraniens. Ces derniers ont également apporté leur soutien à une opération osée, et sans espoir, que l’on avait baptisée “Amina”. Elle avait été planifiée par l’Abwehr de l’Amiral Canaris et devait être menée à bien par des soldats de la fameuse division “Brandenburg”.
L’objectif était de détruire la raffinerie de pétrole d’Abadan afin d’interrompre l’approvisionnement en carburant de la flotte britannique du Proche Orient. Mais les troupes britanniques et soviétiques sont entrées dans le Sud et dans le Nord de l’Iran, le 25 août 1941 et l’opération prévue par Canaris n’a pas pu avoir lieu. Plusieurs unités iraniennes résistèrent âprement mais dès le 28 août, elles ont dû capituler. Mais la lutte clandestine s’est poursuivie : début 1942, l’Abwehr allemande engage cent soldats indiens, qu’elle a bien entraînés, pour faire diversion dans l’Est de l’Iran. Les autres théâtres d’opération, très exigeants en hommes et en matériels, et l’éloignement considérable du front persan ont empêché toute intervention directe des Allemands. Les ressortissants allemands qui se trouvaient encore en Perse, après l’entrée des troupes britanniques et soviétiques, ont courageusement continué à soutenir les efforts des résistants iraniens. Il faut surtout rappeler les activités légendaires de Bernhard Schulze-Holthus, qu’il a déployées auprès des tribus guerrières des Kashgaï. Il était le conseiller du chef tribal Nazir Khan, qui refusait de payer des impôts à Teheran. Le rejet de la présence britannique conduisit donc à cette alliance germano-perse. Après plusieurs défaites, qui coûtèrent beaucoup de vies au gouvernement central iranien, celui-ci conclut un armistice avec Nazir Khan. Ce traité promettait l’autonomie aux Kashgaïs et leur fournissait des armes. En 1943, Nazir Khan revient de son exil allemand. Les Britanniques l’arrêtent et l’échangent en 1944 contre Schulze-Holthus.
De nos jours encore, les régions du monde qui ont fait partie de l’Empire britannique sont des foyers de turbulences, surtout au Proche Orient. La question est ouverte: à quand la prochaine attaque contre le “méchant Iran”, que décideront bien entendu les “bonnes” puissances nucléaires ?
(article paru dans “zur Zeit”, Vienne, n°44/2010; http://www.zurzeit.at ).

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