Le duc de Marlborough et le prince Eugène à la bataille de Taisnières.
La guerre de Succession d’Espagne, guerre que Louis XIV n’a pas voulue mais qu’il est contraint de mener, débute en 1702. Une grande alliance se forme en 1701 regroupant l’Angleterre, la Hollande, le Saint Empire, le Portugal, puis la Savoie-Piémont. De son côté la France a montré lors de la guerre de la ligue d’Augsbourg qu’elle pouvait tenir tête seule à l’Europe coalisée, néanmoins cette fois-ci elle est alliée à la Bavière et à l’Espagne où règne Philippe V, petit-fils de Louis XIV.
Par rapport à la guerre de la ligue d’Augsbourg, la situation a changé : l’Angleterre et la Hollande se sont rendus maîtres des mers, la famine de 1693-1694 a fait perdre à la France près d’un million et demi d’âmes, l’empereur du Saint-Empire peut désormais consacrer toutes ses forces à la lutte contre le Roi-Soleil puisque l’empire ottoman a reconnu sa défaite en 1699 (traité de Carlovitz).
I. 1709 : la France au bord de l’effondrement
Jusqu’en 1704, la France parvient à tenir tête aux Alliés : Boufflers empêche les Anglo-Hollandais de s’emparer de la Belgique, Vendôme tient le prince Eugène en respect en Italie, Villars inflige aux Autrichiens la défaite d’Hoechstaedt en 1703.
En 1704 débute la série des catastrophes qui vont mener la France à la situation dramatique de 1709. A Blenheim, le 13 août, John Churchill, duc de Marlborough (ancêtre de Winston Churchill), et le prince Eugène écrasent Tallard, Marsin et le duc de Bavière : les Français perdent 38 000 hommes (prisonniers inclus) et tous leurs canons contre 12 000 hommes pour l’ennemi. Le 23 mai 1706, Villeroy subit une nette défaite à Ramillies contre Marlborough : les Français perdent 15 000 hommes contre seulement 4000 pour les Alliés. La Belgique est perdue, et Vendôme est rappelée d’Italie pour rétablir la situation. Il est remplacé par Marsin auquel le prince Eugène inflige une défaite à Turin le 7 septembre 1706 : les Français perdent 9000 hommes contre 3000 pour les Impériaux. En 1708, une tentative du duc de Bourgogne et de Vendôme pour reprendre la Belgique se solde par la défaite d’Audenarde contre Marlborough : les Français perdent 16 000 hommes contre 7000 pour les Alliés. Le moral de l’armée française est au plus bas, et les désertions se multiplient.
En Espagne, Philippe V, après avoir perdu ses possessions d’Italie, doit faire face aux Impériaux, Piémontais et Autrichiens qui s’emparent d’une partie de la côte méditerranéenne et occupent Madrid en juin 1706. Louis XIV doit envoyer des troupes pour soutenir son petit-fils.
Après Ramillies, Louis XIV a tenté de négocier une paix mais les conditions qui lui sont imposées sont inacceptables. Au fil des années, le roi consent à des concessions de plus en plus grandes mais les Alliés, confiants en la victoire finale, posent des conditions de plus en plus dures.
En 1709, le Nord de la France est envahi, pour la première fois depuis le début du règne. Un malheur n’arrivant jamais seul, la France subit en 1709 l’un des plus rudes hivers qu’elle n’ait jamais connue : les températures passent fréquemment en-dessous de – 20°c. 24 000 Parisiens seraient morts de froid. Les « blés d’hiver » (froment, seigle) sont perdus, et les « blés de printemps » (orge, avoine) sont gâtés par des pluies exceptionnelles, provoquant une famine.
II. L’appel du 12 juin
En 1709, Louis XIV est prêt à presque toutes les concessions, constatant qu’il a perdu la guerre. Laissant de côté tout amour-propre, il ne cherche à garder que Lille et Strasbourg et à obtenir pour Philippe V une compensation comme Naples et la Sicile. La coalition présente au Roi-Soleil ses conditions : l’abandon de Lille, Strasbourg, Maubeuge, Kehl, Landau, Brisach, Furnes, Ypres, Menin, Condé, Tournai et le démantèlement de Dunkerque. La Hollande réclame le rétablissement de l’édit de Nantes pour les protestants français. Il faut également céder Terre-Neuve à l’Angleterre et interdire tout commerce avec les Espagnols. Louis XIV doit contraindre Philippe V à abandonner son trône sans compensation, si besoin par la force armée. Louis XIV ne peut se résoudre à l’idée de faire la guerre à son petit-fils et repousse ces conditions humiliantes.
Le maréchal de Villars.
Mais le pays est épuisé. Événement inédit, le roi décide de présenter à son peuple la situation. Le 12 juin 1709, il fait lire aux Français par les gouverneurs, intendants de province et les évêques un texte qui sera également imprimé et affiché. Il y présente les concessions faites, les demandes des Alliés et le déshonneur qu’aurait la France à s’y soumettre : « Mais quoique ma tendresse pour mes peuples ne soit pas moins vive que celle que j’ai pour mes propres enfants, quoique je partage tous les maux que la guerre fait souffrir à des sujets si fidèles et que j’aie fait voir à toute l’Europe, je suis persuadé qu’ils s’opposeraient eux-mêmes à la recevoir [la paix] à des conditions également contraires à la justice et à l’honneur du nom FRANÇAIS. » (en majuscule dans le texte).
L’appel ne tombe pas dans l’oreille de sourds : les grands du royaume apportent leur vaisselle d’or et d’argent à la Monnaie pour y être fondue (Louis XIV fait de même), les gouverneurs et intendants font tout leur possible pour assurer l’approvisionnement, et un grand nombre de volontaires (issus du peuple) s’engagent dans l’armée. Louis XIV confie le commandement d’une armée au maréchal de Villars, brillant général et homme populaire auprès des soldats mais méprisé au sein de la Cour (considéré comme un parvenu car issu de la petite noblesse) qui donne de sa personne sur le champ de bataille (il a déjà été blessé 14 fois !). Le roi lui adjoint Boufflers.
III. La bataille de Malplaquet
Vue et représentation de la bataille de Mons ou de Malplaquet donnée le 11 septembre 1709.
● Vers la bataille
L’armée de Marlborough et du prince Eugène s’élève à 100 000 hommes. Les deux hommes décident d’assiéger Tournai, aux fortifications redoutables, dont la citadelle bat la chamade le 3 septembre. Entre temps, Surville est prise le 28 juillet par les Alliés. Après la chute de Tournai, Villars se prépare à la bataille que le roi avait jusque-là déconseillé, la jugeant périlleuse. Louis XIV écrit au maréchal : « Si Mons devait suivre le sort de Tournai, notre cause est ruinée ; vous devez secourir la garnison par tout moyen en votre pouvoir ; le coût n’a pas d’importance ; le salut de la France est en jeu ». Du fait de la situation de la France, Villars est l’homme qui peut perdre la guerre en un après-midi.
Les Français creusent des lignes de défense et des fortifications. Villars dispose de 60 000 fantassins, de 15 000 et 20 000 cavaliers et de 60 canons ; Marlborough et Eugène totalisent 70 000 fantassins, 25 000 à 30 000 cavaliers et 100 canons. Villars commande la gauche française, Boufflers la droite.
Villars a tiré la leçon des précédentes défaites face à Marlborough : il sait que celui-ci attaque d’abord les flancs pour dégarnir le centre ennemi avant de l’enfoncer. L’armée française s’ancre à gauche dans le bois de Sars, à droite dans le bois des Lanières. Le terrain découvert au centre peut être balayé par trois feux défensifs : si Marlborough utilise sa tactique préférée, le prix à payer sera lourd.
● L’affrontement
Disposition des troupes en début de matinée. Les troupes alliées sont plus denses.
Vers 7h15, les premiers coups de canon sont donnés des deux côtés. L’infanterie française en souffre peu mais la cavalerie française, non abritée, doit essuyer stoïquement une canonnade qui « allait comme une mousqueterie » (La Frézelière). Les canons français n’obtiennent que peu de résultats. Les Alliés regroupent leurs fantassins en colonnes.
C’est sur le bois de Sars, sur la gauche française, que Marlborough et le prince Eugène portent leurs premiers efforts (vers 8h). Les Français résistent bien mais finissent par reculer. Le combat y est très confus. Une demi-heure après l’assaut sur la gauche, les Alliés attaquent la droite française de Boufflers (entre 8h30 et 9h). Le combat y est très intense et les morts s’accumulent, surtout du côté des Alliés : 5000 Hollandais perdent la vie dans l’assaut face à 20 pièces d’artillerie française. « Je n’ai vu nulle part en un si petit espace un nombre si considérable de morts. Ils étaient […] entassés jusqu’à deux et trois l’un sur l’autre » (Des Bournays). Le prince d’Orange qui mène l’attaque se retire. A 10h, les deux flancs français sont redevenus calmes et les Alliés amènent des renforts pour préparer un nouvel assaut. La droite alliée relance l’assaut sur la gauche française de Villars ; ce dernier, préoccupé, décide de retirer 12 bataillons de son centre pour renforcer la gauche. Voyant cela, Marlborough avertit Orkney de préparer la cavalerie à une charge décisive contre le centre français.
Villars décide de mener une contre-attaque pour déloger les Alliés du bois de Sars. Il mène l’assaut en tête mais un coup de mousquet le blesse au genou. Il essaye de commander encore mais s’évanouit et est transporté hors du champ de bataille. La contre-attaque française s’enlise de ce fait.
Le moment décisif arrive à 13h30, lorsque la cavalerie alliée décide d’enfoncer le centre français, conformément à la tactique favorite de Marlborough. L’infanterie alliée qui est sur les flancs français se retire. Boufflers, qui a pris le commandement général, prévient cette attaque en conduisant personnellement les cavaliers de la Maison du roi et de la Gendarmerie dans une charge contre les cavaliers ennemis. La droite française est à nouveau attaquée mais cette-fois une partie des fantassins français cèdent et fuient. D’autre part, l’artillerie française manque de munitions.
Au niveau de la charge de cavalerie, les Français se battent héroïquement. Le marquis de Quincy témoigne : « Les Gardes du Roy arrivèrent et ne furent pas plutôt formés qu’ils tombèrent avec toute la vigueur possible sur la première ligne des ennemis. Ils la renversèrent malgré les mouvements que se donnèrent les princes de Hesse et d’Auvergne qui étaient à leur tête. Les Gardes du Roy tombèrent avec la même vigueur sur la seconde ligne qu’ils enfoncèrent aussi bien que la troisième et la quatrième, et ils n’eurent que la peine de tuer les plus mal montés. » Chez l’ennemi, Schulenberg ne contredit pas le témoignage français. Les escadrons se reforment et charges et contre-charges se succèdent.
Voyant qu’il est impossible de rompre le front ennemi, Boufflers, qui a déjà chargé six fois, décide de battre en retraite (vers 15h). Les Français se retirent en très bon ordre au son du tambour avec leurs drapeaux, emportant 65 pièces d’artillerie. Les Alliés sont trop éprouvés pour poursuivre. Le jour même, Marlborough écrit dans une lettre : « Les Français se sont défendus dans cette action mieux que dans aucune autre bataille à laquelle j’ai assisté » Le duc anglais aurait dit à Schulenberg un mois après la bataille : « Avouez que les Français ont été heureux ce jour là ».
Boufflers écrit dans la soirée : « Sire, la suite des malheurs arrivés depuis quelques années aux armes de Votre Majesté avait tellement humilié la nation française que l’on n’osait quasi plus s’avouer Français. J’ose assurer Sire que le nom français n’a jamais été plus estimé ni plus craint qu’il l’est présentement dans toute l’armée des alliés. » L’intendant Bernières écrira le 25 au ministre de la Guerre : « Ce que je trouve heureux dans l’action du 11 de ce mois, c’est que du moins la nation qui était presque déshonorée et perdue de réputation dans l’esprit des ennemis, qui croyaient qu’ils n’avaient qu’à se présenter pour nous intimider et nous battre, la nation dis-je, leur a fait connaître que c’étaient les mêmes Français qui n’ont cédé qu’un petit terrain au plus grand nombre. »
Les Français déplorent 11 000 tués et blessés et seulement 500 prisonniers ; les Alliés laissent quant à eux 21 000 hommes (tués ou blessés) dans la bataille, soit un quart de leurs forces. Si la bataille prend la forme d’une défaite pour les Français dans la mesure où ce sont eux qui ont dû abandonner le champ de bataille, il s’agit en réalité une victoire stratégique : l’armée des Alliés a été saignée et la route de Paris est barrée. Villars dit au roi : « Si Dieu nous fait la grâce de perdre une autre bataille semblable, Votre Majesté peut être sûre de la destruction de ses ennemis. ». Malplaquet est la bataille la plus meurtrière de toutes les guerres de Louis XIV. La Gazette de France écrit qu’ « en plus d’un siècle, il n’y a pas eu un seul événement aussi meurtrier et aussi intense. » Malplaquet est aussi la dernière bataille de Marlborough, qui tombe en disgrâce auprès de la reine Anne.
Le duc de Marlborough à la bataille de Malplaquet.
IV. Le dénouement de la guerre de Succession d’Espagne
La guerre se poursuit encore 4 ans et le maréchal de Villars y est l’agent du redressement français. Une conférence de paix se tient à Gertruydenberg (Provinces-Unies), de mars à juillet 1710, mais les Alliés n’en démordent pas : Philippe V doit quitter le trône d’Espagne. Rien ne sort des négociations. En 1710, Marlborough et le prince Eugène percent la « ceinture de fer » de Vauban sur 80 kilomètres. La même année, Philippe V parvient à redresser la situation en Espagne ; Vendôme y remporte la victoire – chèrement acquise – de Starhemberg (10 décembre). A la suite de cette dernière victoire, les positions des Alliés changent lors des négociations.
Le 24 juillet 1712, le maréchal de Villars remporte une victoire à Denain sur le prince Eugène et Arnold Joost van Keppel ; la France y perd 2100 hommes, les Alliés 6500. Il s’agit de la dernière bataille significative de la guerre. Le 21 août, l’Angleterre se retire du conflit en signant un armistice. Dans le même temps, à la conférence d’Utrecht, Louis XIV accepte que son petit-fils Philippe V renonce à occuper simultanément les trônes de France et d’Espagne.
En avril 1713, les négociations aboutissent à des traités de paix formels, dans lesquels Louis XIV cède à l’Angleterre des concessions coloniales (l’Acadie, la baie d’Hudson et de Terre-Neuve) et reconnaît la reine Anne comme représentante légitime. En France, Louis XIV perd la Savoie et Nice occupés pendant la guerre (rendus à Victor-Amédée II) mais gagne la ville d’Orange sur le Rhône. L’année suivante à Rastadt, il obtient également Landau mais autorise Charles VI de Habsbourg à prendre les Pays-Bas espagnols. Le traité définitif avec le Saint-Empire est ratifié à Baden le 7 septembre 1714. 1,2 million d’hommes ont trouvé la mort dans la guerre pour les seuls soldats, tous pays confondus.
Marlbrouck [Marlborough] s’en va t’en guerre fait référence à Malplaquet, où l’on a un moment cru que Marlborough a trouvé la mort alors qu’il ne fut que blessé. Il fut composé par les Français à la suite de la bataille ; de chant de guerre il devint comptine pour enfants dans la seconde moitié du XVIIIe.
Sources :
CORVISIER, André. La bataille de Malplaquet 1709. L’effondrement de la France évité. Ed. Economica, 1997.
LYNN, John A. Les guerres de Louis XIV. 1667-1714. Perrin, 2010.
http://www.fdesouche.com/
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