vendredi 1 avril 2011

Pie XII : un grand pape, un pape méconnu, un pape calomnié

La promotion de Pie XII au titre de vénérable ouvrant la possibilité de sa béatification a provoqué une tempête médiatique au sujet de son attitude pendant la guerre (notons que son procès de béatification a été ouvert par Jean XXIII). C'est pour nous une occasion d'apprendre à le connaître et à le découvrir car, en fin de compte, cette grande personnalité est le plus souvent méconnue. Sa vie est pourtant d'une très grande richesse et ne peut se résumer à son attitude pendant la guerre, même si cette période en constitue une partie très importante. Il nous faut donc, en premier lieu, résumer et retracer les grandes étapes de cette vie. Ensuite, avant de voir quelle fût son attitude pendant la Shoah, nous ferons un rapide tour d'horizon sur l'attitude de l'Eglise et des papes au cours de l'Histoire.
La vie de Pie XII
Eugenio Pacelli est né à Rome le 2 mars 1876. Il meurt à Castel Gandolfo le 9 octobre 1958. Il fait partie d'une noblesse d'Eglise très liée au Saint-Siège depuis le XIXème siècle et toujours d'une fidélité absolue envers la papauté. Citons, parmi d'autres, son grand-père qui a été secrétaire à l'intérieur sous le pontificat de Pie XI, il a été un des fondateurs de l'Osservatore Romano. On pourrait aussi citer son père, un de ses frères et d'autres, aussi bien du côté paternel que maternel.
Eugenio Pacelli fait ses études au Lycée Visconti.
En 1894, il entame ses études de philosophie à l'Université romaine de la Sapienza. Il rejoint l'Institut Apollinare de l'Université Pontificale du Latran en 1899 où il obtient 3 licences (théologie, droit civil, droit canonique).
S'il n'avait pas choisi le sacerdoce. sa voie était toute tracée pour qu'il fasse une carrière de juriste au Vatican. Et donc, il sera ordonné prêtre le 2 avril 1899.
En 1904, il est nommé secrétaire pour la Commission pour la codification du droit canonique. Il devient également camérier secret, ce qui prouve qu'il avait la confiance du pape. Il publie une étude sur la Personnalité et la territorialité des lois, spécialement dans le droit canonique et publie un livre blanc sur les rapports des Eglises et de l'Etat en France. Il enseigne à l'Académie des nobles ecclésiastiques, vivier de la curie romaine. En 1905, il est promu prélat domestique. En 1911, il devient sous secrétaire des Affaires ecclésiastiques extraordinaires. En 1912, Pie X le nomme secrétaire adjoint puis secrétaire le 1er février 1914. Il conserve ce poste sous le règne de Benoît XV et assume alors la tâche de promouvoir la politique du pape pour la Première Guerre mondiale. En particulier, il tente de dissuader l'Italie d'entrer en guerre.
Le 20 avril 1917, il est nommé nonce apostolique en Bavière (Munich est alors l'unique représentation pontificale de l'Empire allemand). Trois jours plus tard, le nouvel évêque est nommé archevêque in partibus de Sardes. Il est sacré évêque dans la chapelle Sixtine des mains de Benoît XV, le 13 mai 1917, le jour même des apparitions de la Vierge à Fatima.




Le 23 avril 1920, une nonciature en Allemagne est née, Pacelli y est transféré. Parallèlement, il négocie plusieurs concordats avec différents pays (Lettonie, Bavière, Pologne, Roumanie).
En 1929, il signe un concordat avec la Prusse, est élevé à la dignité de cardinal avec le titre de cardinal-prêtre de Saints Jean et Paul et nommé secrétaire d'Etat. Il devient le principal collaborateur de Pie XI.
La même année, il écrit au sujet de Hitler : “ou bien je me trompe vraiment beaucoup ou bien tout cela ne se terminera pas bien. Cet être-là est entièrement possédé de lui-même : tout ce qu'il dit et écrit porte l'empreinte de son égoïsme ; c'est un homme à enjamber les cadavres et à fouler aux pieds tout ce qui est en travers de son chemin - je n'arrive pas à comprendre que tant de gens en Allemagne, même parmi les meilleurs ne voient pas cela ou du moins ne tirent aucune leçon de ce qu'il écrit et dit. Qui parmi ces gens a seulement lu ce livre à faire dresser les cheveux sur la tête qu'est Mein Kampf ?
En tant que secrétaire d'Etat, le cardinal Pacelli conduit des négociations et signe de nombreux concordats (avec entre autres, l'Autriche, la Yougoslavie, le Portugal).
Après plusieurs tentatives de négociations, il signe un concordat en Allemagne avec Franz von Papen, représentant du nouveau chancelier du Reich, Adolf Hitler. L'Allemagne nazie, ne respectant pas le concordat, le cardinal Pacelli envoie 55 notes de protestation au gouvernement allemand de 1933 à 1939.
En mars 1937, il rédige avec le cardinal-archevêque de Munich, Michael von Faulhaber, le texte de l'encyclique Mit Brennender Sorge (Avec un souci brûlant) qui renouvelle ces protestations et condamne la domination de la race et le paganisme. Le texte est lu en chaire dans les églises d'Allemagne. Des centaines d'arrestation suivent mais le concordat n'est pas dénoncé, il est toujours en vigueur aujourd'hui.
En 1939, à la suite de l'approbation de l'Anschluss par l'épiscopat autrichien et à la demande du pape Pie XI, Pacelli demande au cardinal Innitzer, archevêque de Vienne de rédiger une déclaration prenant position contre l'annexion. Le 6 mai, ce dernier s'exécute, écrivant dans l'Osservatore Romano au nom de tous les évêques d'Autriche : “la déclaration solennelle des évêques autrichiens […] n'avait pas pour but d'être une approbation de quelque chose qui est incompatible avec la loi de Dieu “, et que les gestes de sympathie de l'épiscopat autrichien à l'égard du régime hitlérien n'avaient pas été concertée avec Rome”.
Le pape Pie XI avait laissé entendre qu'il aurait aimé avoir pour successeur le cardinal Pacelli. Ce dernier est élu pape le 2 mars 1939, au troisième tout de scrutin et choisit le nom de règne de Pie XII, en continuité avec le règne précédent.
Au cours de ses dix-neuf années de pontificat, Pie XII a promulgué quarante-et-une encycliques.
Il faudrait un livre pour en parler. Il faudrait également tout un volume pour parler de ses positions sur les grands sujets du moment qui préfigurent l'évolution actuelle : la réforme liturgique, la condition féminine, la souffrance, la bioéthique, la théorie du big bang, etc… En 1953-1954, il a mis fin à l'expérience des prêtres ouvriers.
Soulignons que Pie XII s'est beaucoup préoccupé des églises locales et a soutenu les églises locales fondées récemment, notamment en Afrique. Il a été le premier pape à ordonner des évêques d'origine africaine. Il a aussi contribué à l'internationalisation de la Curie romaine et du Sacré Collège en nommant une majorité de cardinaux non italiens. Fait notoire de son pontificat, il a proclamé le dogme de l'Assomption de la Vierge Marie en 1950. Cette initiative fait suite à un siècle d'intense réflexion théologique. Elle confirme officiellement la célébration du mystère de l'Assomption présente depuis des siècles dans l'Eglise. Elle clôture l'année jubilaire de 1950 et est accompagnée de célébrations importantes.
Ce dogme se définit ainsi : n'ayant commis aucun péché, Marie est directement montée au Paradis à sa mort avec son âme et aussi avec son corps. En effet, étant épargnée par le péché originel (c'est le dogme de l'Immaculée Conception définie en 1854), rien n'oblige son enveloppe charnelle à attendre la résurrection des morts et la fin des temps. “Nous affirmons, Nous déclarons et Nous définissons comme un dogme divinement révélé que l'Immaculée Mère de Dieu, Marie toujours vierge, après avoir achevé le cours de sa vie terrestre, a été élevée corps et âme à la vie céleste” (Pie XII, Constitution apostolique Munificentissimus Deus, 1er novembre 1950).
En proclamant le dogme de l'Assomption, Pie XII a exercé, après consultation des évêques du monde entier son infaillibilité pontificale. C'est la seule fois depuis la proclamation du dogme de l'infaillibilité pontificale en 1870 lors du Concile de Vatican I, qu'un pape a défini une définition dogmatique couverte par son infaillibilité.
Comme son prédécesseur, il use de la radio. C'est ainsi qu'il adresse cinq messages radio durant la guerre et qu'il sera le premier pape à utiliser la télévision le 23 décembre 1950 pour y annoncer la découverte de la tombe de saint Pierre, retrouvée exactement à l'aplomb de la coupole de Michel - Ange, sous l'autel majeur. Il sera d'ailleurs filmé de façon régulière (et même victime d'une image volée sur son lit de mort). La fin de la guerre permet la pénétration du communisme en Europe de l'Est. Le 1er juillet 1949, le Saint Office excommunie globalement les catholiques adeptes ou militants du communisme. En effet, l'idéologie communiste qui s'était toujours déclarée athée, matérialiste et anticléricale, avait déjà fait l'objet d'un condamnation en 1937.
L'année 1950 voit une activité intense avec la proclamation du dogme de l'Assomption. Sa santé décline à partir de 1954, il continue néanmoins de s'exprimer sur des sujets les plus variés. On sait également qu'il a eu des visions.
L'attitude de l'Eglise vis-à-vis des juifs au cours de l'Histoire : les papes protecteurs des Juifs
Sur cette question, nous avons beaucoup de choses à découvrir à l'encontre des idées reçues.
C'est avec le Pape Grégoire 1er (590-604) qu'est instituée la tradition de protéger les Juifs. Il publia un décret historique affirmant que les Juifs “ne doivent subir aucune violation de leurs droits…
Nous interdisons d'avilir les Juifs. Nous les autorisons à vivre en tant que Romains et à avoir les pleins droits sur leurs biens”. A sa suite l'édit pontifical du Pape Calixte II (1119-1124) assura aux Juifs européens la protection contre les persécutions de leurs voisins chrétiens ou quand ils tombaient aux mains des croisés. Créant un solide précédant, Calixte promit aux Juifs “le bouclier de Notre protection”. Il condamna les attaques physiques contre les Juifs, s'opposa aux baptêmes forcés et interdit la destruction de leurs synagogues et de leurs cimetières. Cette initiative fut réitérée au moins vingt-deux fois par des papes successifs entre les XIIème et XVème siècle… Et il en fut ainsi jusqu'au XXème siècle; il faut rappeler les paroles de Pie XI du 6 septembre 1938 : “l'antisémitisme est inacceptable : spirituellement, nous sommes tous des sémites”.
On peut affirmer que beaucoup de papes ont été judéophiles et entretenaient d'excellentes relations avec les Juifs, notamment à la Renaissance. Alexandre VI (1492 - 1503), considéré par les historiens comme le pire des pontifes, fut très favorable aux Juifs : sous son règne, la population des Juifs de Rome fut presque doublée, avec l'arrivée de ceux qui fuyaient l'Inquisition instaurée par les cours d'Espagne et du Portugal. De même, Paul III, “merveilleusement favorable aux Juifs”, incitait ceux qui étaient expulsés des autres pays à s'installer en Italie. Plus tard, il accepta les marranes (des Juifs qui avaient feint de se convertir pour éviter les persécutions) en leur promettant protection contre l'Inquisition espagnole. On pourrait encore citer bien d'autres faits et anecdotes. En Avignon et dans le Comtat venaissin qui ont appartenu aux papes du XIIIème siècle jusqu'en 1791 (et qui sont alors devenus le département du Vaucluse), il y avait beaucoup de Juifs qui à différentes occasions étaient persécutés par les souverains, notamment par le roi de France et allaient s'y réfugier. Dans l'ensemble, les Juifs comtadins étaient bien traités, d'ailleurs, on les appelait les Juifs du pape. Il y avait 4 communautés : Avignon, Carpentras, Cavaillon et l'Isle sur la Sorgue. A Carpentras, on trouve la plus vieille synagogue de France en service édifiée en 1361 avec l'accord de l'évêque, Jean Roger de Beaufort. Six ans plus tard, ce dernier octroyait aux Juifs carpentrassiens le droit d'avoir leur cimetière.
Fait complètement ignoré, Pie XII s'inscrit dans cette lignée de papes judéophiles. Sa famille avait beaucoup d'amis juifs. Parmi les nombreux amis juifs du jeune Eugenio Pacelli, il y eut notamment le descendant d'une ancienne famille juive, Fernando Mendes, qu'il fréquenta avec ses camarades juifs. C'est ainsi qu'il a été le premier pape dont on sait qu'il a participé à un repas du sabbat dans une maison juive.
Et cela continue bien entendu avec les papes suivants, jusqu'à notre pape Benoît XVI : certains avaient prédit que la procédure de béatification de Pie XII pourrait freiner le dialogue judéo-chrétien. Bien, au contraire, lors de son discours à la Synagogue de Rome, le 17 janvier 2010, Benoît XVI a été chaleureusement applaudi à dix reprises. Parmi les défenseurs de Pie XII, on trouve Bernard Henri Levy, qui présente Pie XII comme un bouc émissaire, victime de la “désinformation”. Il parle de lui comme de l'auteur d'un des manifestes antinazis les plus fermes et les plus éloquents et s'étonne qu'on l'accuse d'être silencieux alors qu'on ne fait aucun reproche aux chefs d'Etat de l'époque qui disposaient d'armées. Il dénonce par ailleurs la désinformation à l'égard de Benoît XVI.
Le mieux est de citer Cecil Roth, titulaire de la prestigieuse chaire d'Histoire juive à l'Université d'Oxford de 1939 à 1964, qui réfute les accusations trompeuses des détracteurs de la papauté : il montre qu'à l'époque où sévissait un antisémitisme sauvage, les papes, à Rome, étaient souvent les seules autorités au monde à élever la voix pour défendre et soutenir les Juifs. “Parmi toutes les dynasties d'Europe,”, souligne-t-il, “non seulement la papauté se refusait à persécuter les Juifs […] mais tout au long des siècles, les papes ont été leurs seuls protecteurs […]. La vérité c'est que les papes et l'Eglise catholique, depuis ses tout débuts, n'ont jamais été responsables d'aucune persécution physique de Juifs. Parmi les capitales du monde, Rome est la seule où ne se sont jamais produites d'atrocités contre les Juifs. Et nous, les Juifs, nous devons leur en être reconnaissants”.
Pie XII et les Juifs, le rôle de Pie XII pendant la guerre
Après la guerre et jusqu'à sa mort, Pie XII fut universellement loué pour son action en faveur des Juifs.
Dès 1940, Albert Einstein, lui-même réfugié juif qui avait fui l'Allemagne nazie, rendit hommage au “courage” moral de Pie XII et de l'Eglise catholique qui s'attaquèrent aux “attaques d'Hitler” contre la liberté : “lorsque la révolution nazie survint en Allemagne, c'est sur les universités que je comptais pour défendre la liberté, dont j'étais moi-même un amoureux, car je savais qu'elles avaient toujours mis en avant leur attachement à la cause de la vérité ; mais, non, les universités furent immédiatement réduites au silence. Alors, je me tournais vers les grands éditeurs de journaux, dont les éditoriaux enflammés des jours passés avaient proclamé leur amour de la liberté ; mais eux aussi, en quelques courtes semaines et comme les universités furent réduits au silence. Dans la campagne entreprise par Hitler pour faire disparaître la vérité, seule l'Eglise catholique se tenait carrément en travers du chemin. Je ne m'étais jamais spécialement intéressé à l'Eglise auparavant, mais maintenant je ressens pour elle grande affection et admiration, parce qu'elle seule a eu le courage et la persévérance de se poser en défenseur de la vérité intellectuelle et de la liberté morale. Je suis donc forcé d'avouer que, maintenant, c'est sans réserve que je fais l'éloge de ce qu'autrefois je dédaignais”.
A sa mort, l'hommage fut unanime. Golda Meir, Ministre des Affaires Etrangères d'Israël déclara : “Nous partageons la grande douleur de l'humanité […]. A l'heure où un terrible martyre s'abattît sur notre peuple, pendant la décennie de la terreur nazie, s'éleva la voix du pape pour les victimes. Notre époque se trouva enrichie par cette voix qui, avec véhémence, parlait des grandes vérités morales en dominant le tumulte des conflits quotidiens. Nous portons le deuil d'un grand serviteur de la paix”.
Depuis cette époque, des polémiques sur le silence du pape Pie XII pendant la guerre se sont déchaînées. Que s'est-il donc passé ? Nous allons essayer d'y voir clair. En fait, une campagne contre le pape a été orchestrée, dès la fin de la guerre par les Soviétiques, à cause de la condamnation du communisme. Cette campagne trouva un écho étonnant avec la sortie en 1963, d'une pièce de théâtre médiocre, le Vicaire, écrite par une jeune écrivain allemand, Rolf Hochhuth, ancien membre des jeunesses hitlériennes, condamné à plusieurs reprises pour négationisme. L'auteur y accuse calomnieusement le cardinal Pacelli devenu le pape Pie XII d'avoir collaboré avec les nazis, d'être un pontife froid et avare, coupable de lâcheté en ayant gardé un silence inexcusable pendant que les Juifs d'Europe se faisaient massacrer par les nazis. L'oeuvre est une fiction, dénuée de fondement historique qui déclencha une tempête de controverses. Le mythe du pape d'Hitler atteignit Hollywood avec la sortie en 2002 d'un film de Costa Gravas, Amen, qui s'inspire de la pièce de Rolf Hochhuth. Nous ne nous étendrons pas plus sur ces calomnies mais nous reprendrons certains faits indiscutables qui permettent d'établir et de rétablir la vérité. Lorsqu'Adolf Hitler arrive au pouvoir en Allemagne, cela faisait déjà près de 5 ans que le Saint-Siège avait condamné l'antisémitisme en termes exprès. Puis le 14 mars 1937, le pape Pie IX publie la lettre encyclique Mit Brennender Sorge concernant la situation dans le Reich. Il y invite à la tolérance pour toutes les communautés ethniques, dénonce la persécution et les camps de concentration, ainsi que les intrigues visant dès le début à une guerre d'extermination. C'est clair et net. Nous avons vu que le principal rédacteur de ce document n'est autre que le cardinal Pacelli. Les démocraties occidentales semblent ne pas s'en soucier : plus d'un an après, ils sont toujours à faire des concessions à Hitler, notamment à la fameuse conférence de Munich (1938). Peu après, le 9 novembre 1938, les Nazis organisent la “Nuit de Cristal” au cours de laquelle quelque 30.000 juifs sont arrêtés, leurs synagogues, maisons ou magasins pillées ou incendiées. On ignore le plus souvent que le grand rabbin de Bavière était parvenu à sauver les objets précieux de la synagogue grâce à la voiture du cardinal Pacelli mise à sa disposition pour les mettre l'abri. Ainsi, le 24 novembre 1938, le journal des S.S. écrit que le cardinal eugenio Pacelli s'est allié ” à la cause de l'internationale juive et franc-maçonne”. Hitler estime quant à lui que le Vatican est “le pire foyer de résistance à ses plans”. Qui donc, parmi les pays et les hommes politiques pourrait se vanter d'avoir reçu un tel compliment ? Le 10 janvier 1939, le cardinal Pacelli adresse une lettre à ses confrères des Etats-Unis et du Canda pour attirer leur attention sur le sort des savants et professeurs juifs chassés d'Allemagne et que l'administration américaine refusait jusqu'alors de recevoir dans les universités. Devenu pape sous le nom de Pie XII, sa première encyclique Summi Pontificatus (20 octobre 1939), implorait que l'on fasse la paix, mentionnait et rejetait expressément le nazisme. Publiée seulement quelques semaines après le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, l'encyclique déclare que dans l'Eglise catholique, il n'y a “ni gentil, ni juif, ni circonsis, ni incirconsis” ce qui constitue clairement un rejet de l'antisémitisme nazi. Ce fut largement reconnu comme tel, spécialement par les nazis. Le New York Times accueillit l'encyclique, avec un gros titre à la Une, le 28 octobre 1939 : “le pape condamne les dictateurs, le racisme et ceux qui violent les traités”. Un avion largua 88 000 exemplaires de l'encyclique sur différentes régions de l'Allemagne dans le but d'éveiller des sentiments anti-nazis. Il entame une intense activité diplomatique, pastorale et humanitaire. Le Vatican se trouve alors entouré par l'état fasciste dirigé par Mussolini. Pendant toute la durée de la guerre, l'administration papale sera surveillée par la police italienne puis par l'armée allemande d'occupation. L'intégrité territoriale de la cité du Vatican est respectée, mais les allées et venues des ambassadeurs accrédités et des journalistes sont surveillées. Fascistes et nazis savent que c'est par là surtout que les messages peuvent tromper leur surveillance. Pie XII a toutefois un autre moyen de se faire entendre : la radio du Vatican. Mais lorsqu'à la fin de 1939, il dénonce déjà les atrocités commises en Pologne, la réaction des Nazis est d'une telle violence que les évêques de ce pays supplient le pape de ne plus s'indigner de cette façon. Bientôt la radio du Vatican sera brouillée comme celle de Londres, en guise de représailles. Cependant Pie XII continue de contrecarrer Hitler tout en modérant ses propos. C'est ainsi que dans son messe radiodiffusé de Noël 1941, Pie XII condamne l'oppression ouverte ou dissimulée des particularités culturelles et linguistiques des minorités nationales” ainsi que “l'entrave et le resserrement de leurs capacités naturelles” avec la limitation ou l'abolition de leur fécondité naturelle”. Moins d'un mois après, soit le 20 janvier 1942, les Nazis décident de mettre en oeuvre la “solution finale” (extermination complète des juifs). Le même thème de la paix revient dans le message radiodiffusé de Noël 1942. En date du 2 juin 1943, Pie XII tient un discours devant le collège des cardinaux et y exprime sa sollicitude envers ceux, qui à cause de leur race ou de leur nationalité, sont “livrés à des mesures d'extermination” dont il voudrait fustiger toute l'ignominie par le détail en des termes plus forts, ainsi qu'il ressort des 124 lettres écrites aux évêques allemands pendant la guerre. Il fait cependant remarquer que “toute parole de notre part à l'autorité compétente, toute allusion publique doivent être sérieusement mesurées, dans l'intérêt même des victimes, afin de ne pas rendre leur situation plus grave et plus insupportable”. Il faut dire que les évêques hollandais en avaient fait l'expérience en juillet 1942 après avoir protesté contre la persécution des Juifs : aussitôt les Nazis organisèrent une fouille minutieuse des monastères et des couvents. Dans tout le pays, il en résulte une fouille minutieuse des monastères et des couvents et une rafle de très nombreux Juifs cachés là. Mais l'indignation l'emporte parfois sur la prudence malgré les résolutions prises et les conseils donnés à autrui. C'est ainsi, par exemple, que Radio Vatican déclare le 26 juin 1943 que “Quiconque établit une distinction entre les Juifs et les autres hommes est un infidèle et se trouve en contradiction avec les commandements de Dieu; La paix dans le monde, l'ordre et la justice seront toujours compromis tant que les hommes pratiquent des discriminations”. Le New York Time cite et acte ce message dans son tirage du jour suivant. Et encore, devant les atrocités toujours plus nombreuses commises par la Gestapo et les S.S., le pape laisse l'Osservatore Romano exprimer l'indignation universelle dans son numéro du 25 octobre 1943. Aussitôt, les Allemands font saisir le journal dans les kiosques et menacent de reprendre les perquisitions dans les monastères pour y débusquer les Juifs cachés. En outre, le commandant des S.S de Rome ordonne au chef de la communauté israélite de fournir 50 kg d'or dans les 24 heures sous peine de déportation immédiate de 200 autres Juifs. (une grande rafle ayant déjà eu lieu le 16 octobre 1943). La collecte n'ayant réuni que 35 kg d'or, le grand rabbin de Rome reçoit du pape Pie XII les 15 kg manquants. Pie XII n'avait pas attendu ce jour-là pour agir en faveur des Juifs. il organisait avec l'aide du Clergé de Rome et d'ailleurs, des réseaux pour faire échapper les Juifs des griffes des Nazis par différentes filières. Ils pouvaient ensuite gagner des pays neutres ou faisant partie de la conférence des Alliés. Il organise des réseaux secrets, en collaboration avec la Croix Rouge pour venir en aide aux prisonniers. (Déjà, pendant la guerre précédente, lorsqu'il était nonce à Munich, il allait visiter les prisonniers et tentait de leur porter secours). Pendant l'occupation de Rome par les nazis, le pape donna des instructions aux couvents pour qu'ils lèvent la clôture et accueillent des Juifs. Il y en eut dans la cité du Vatican. Et trois mille Juifs d'un coup trouvèrent refuge dans le résidence d'été du pape à Castel Gandolfo. Il n'existe aucun autre site dans toute l'Europe occupée où autant de Juifs furent hébergés et sur une aussi longue période qu'à Castel Gandolfo. Les Juifs cachés là étaient approvisionnés en nourriture kasher et des enfants Juifs sont nés dans les appartements privés de Pie XII, transformés provisoirement en service d'obstétrique. Il faut savoir que les Juifs de Rome sont profondément reconnaissants envers Pie XII de les avoir protégés à Castel Gandolfo et ailleurs. On peut aisément comprendre qu'après la guerre, le grand rabbin de Rome (1881-1956), se soit converti à la religion catholique avec sa femme et sa fille et ait le 13 février 1945, pris le nom de baptême d'Eugenio en hommage au pape. N'est-ce pas un témoignage explicite et magnifique Ce n'est pas seulement un hommage à Pie XII, c'est aussi et surtout une preuve du rayonnement personnel de ce dernier qui a amené un grand rabbin à découvrir et à connaître Jésus-Christ. Le pourcentage des Juifs qui survécurent dans les territoires occupés par les nazis est beaucoup plus élevée dans des pays catholiques comme l'Italie ou la Belgique que dans les pays non catholiques. Il est indiscutable que dans les nations catholiques où le pape et ses représentants diplomatiques avaient quelque influence politique, notamment la Hongrie, la Roumanie, la Slovaquie et la Croatie. Pie XII réussit à arrêter la déportation massive et le massacre des Juifs organisés par des gouvernements fantoches aux ordres des nazis. Malgré les efforts du Vatican, 437 000 Juifs de Hongrie furent déportés. Pie XII envoya un télégramme à l'Amiral Horthy, régent de Hongrie qui n'était pas catholique mais qui, en réponse, prit des mesures immédiates pour arrêter toutes déportations de Juifs Hongrois. Grâce à l'action de l'amiral Horthy, en réponse au télégramme du pape, 170 000 Juifs furent sauvés d'une déportation imminente à Auschwitz.
A la sortie de la guerre, nombreux furent les Juifs et les organisations juives qui rendirent hommage au pape et lui exprimèrent leur reconnaissance. Albert Einstein, déjà cité, savant de renommée mondiale, mêle sa voix au concert de louanges et d'hommages qui montent vers le Vatican en déclarant que “l'Eglise catholique a été la seule à élever la voix contre l'assaut mené par Hitler contre la liberté”.
Au décès de Pie XII, de nombreux messages de condoléances affluent vers le Vatican. Nous avons déjà cité Golda Meir et il y en eut plein d'autres. Et ensuite ? Le 13 décembre 1963, est publié dans le journal français le Monde, une déclaration de Pinchas E. Lapide, ancien consul d'Israël à Milan : il affirme ne pas comprendre le pourquoi de cet acharnement contre le défunt Pie XII qui ne “disposait ni de divisions blindées, ni de flotte aérienne, alors que Staline, Roosevelt et Churchill, qui en commandaient, n'ont jamais voulu s'en servir pour désorganiser le réseau ferroviaire qui menait aux chambres à gaz”. Il précise que “le pape personnellement, le Saint-Siège et toute l'Eglise catholique ont sauvé de 150.000 à 400.000 Juifs d'une mort certaine. Le même Juif éminent fait paraître à Paris en 1967 un livre, Rome et les Juifs, où il publie le résultat d'enquêtes approfondies menées dans toute l'Europe, dans les archives de Jérusalem et auprès des Juifs survivants. Il aboutit au chiffre de 700 000 à 860.000 Juifs sauvés grâce au Pape Pie XII.
Dans une recension de ce livre, la Jewish Chronicle estime que la démonstration de Pinchas E. Lapide est concluante. Dès lors, la même publication critique se demande : “Pie XII et l'Eglise auraient-ils pu faire mieux ?” Ce n'est pas évident : aux Pays-Bas, où l'épiscopat avait élevé davantage la voix pour protester contre la persécution des Juifs par les Nazis, le taux de déportation vers les camps de la mort fut le plus élevé de tous les pays européens : 79% ! Ce n'est pas à son débit de paroles mais en considération de ses actes que l'on apprécie un homme et ce qui l'inspire. On peut penser et estimer que les discours de Pie XII n'auraient eu aucune action sur le cerveau d''un fou, bien au contraire, comme on l'a vu en Hollande.
Quelles leçons en tirer ?
Le rabbin et professeur David Dalin affirme que Pie XII devrait être reconnu comme “Juste des Nations”, comme bien d'autres non Juifs qui ont aidé les Juifs pendant la guerre. Ce ne serait que justice. Il est d'ailleurs étonnant que les plus grands défenseurs du pape soient des Juifs et que beaucoup de chrétiens ignorent l'histoire de Pie XII et hésitent à le défendre.
La question de sa béatification devra être décidée par l'Eglise. C'est une affaire interne à l'Eglise, comme le dit Serge Klarsfeld qui reconnaît les gestes discrets et efficaces de Pie XII. C'est tout à fait indépendant de l'appréciation historique sur le rôle du pape pendant la guerre, d'autant qu'il reste encore des archives non publiées. Nous pouvons espérer que cet article amènera le lecteur à se faire une opinion personnelle en approfondissant sa connaissance de Pie XII, et en étudiant également bien des aspects qui n'ont pu être abordés ici : sa pastorale, son enseignement, sa foi, sa spiritualité, ses encycliques. En tout cas, il est pour nous un exemple à suivre. La Shoah n'est pas le seul génocide de l'Histoire. Durant le XXème siècle et aujourd'hui encore, il y a des génocides. Il y a et il y a eu plus de martyrs chrétiens au XX et XXIème siècle que dans toute l'histoire de l'Eglise.
Nous devrions nous dépenser sans compter pour aider tous ces personnes qui sont persécutées. Ce que le cardinal Pacelli a écrit en 1929 au sujet de l'aveuglement des meilleurs au sujet d'Hitler reste toujours d'actualité et nous devrions en tirer les leçons pour ne pas rester aveugles sur les événements d'aujourd'hui. Chacun de nous, en conscience et dans son for intérieur, ne devrait-il pas se poser la question : ne suis-je pas bien silencieux ?
Pour en savoir plus, on peut lire entre autres :
Pie XII et la Seconde Guerre Mondiale, d'après les archives inédites du Vatican, par Pierre Blet, s.j.
Pie XII et les Juifs, le mythe du Pape d'Hitler, par David Dalin

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