lundi 4 avril 2011

ERNEST PSICHARI : L’ÂME FRANÇAISE

Le 22 août 1914, à Rossignol, le lieutenant Psichari porta le commandant Chérier, blessé à la jambe, au poste de secours. A peine l’avait-il déposé, qu’une fois revenu sur la route, une balle l’atteignit à la tempe. Le lieutenant Psichari s’écroulait, le chapelet fermement tenu entre ses mains. Eut-il rêvé sa mort idéale qu’il ne l’aurait pas imaginé autrement. Ce militaire exemplaire achevait une existence fulgurante qu’il n’avait cessée de confondre avec l’héroïsme et le sens du sacrifice. Il avait révélé dans ses écrits son désir de mourir pour la patrie. Il devint très vite le porte-étendard de sa génération, celle née des affres et du bouillonnement de la fin du siècle ; sa mort marqua définitivement son entrée dans le patrimoine littéraire et historique français.
 
Petit-fils d’Ernest Renan, Psichari vécut dès l’enfance dans un milieu voué à la vie intellectuelle. L’héritage familial orienta naturellement ses goûts vers la littérature, la philosophie et l’histoire. « A la table familiale, vaste et très accueillante, Ernest tenait une place importante. Il était rare que la conversation s’attaquât au récit des menus événements de la journée, on n’avait pas fini le potage qu’un sujet plus ample était déjà posé et qu’Ernest s’y mouvait avec facilité. La littérature d’abord, plus tard la philosophie et la politique étaient son champ d’action. » (Henriette Psichari) Rattaché à la « haute bourgeoisie intellectuelle parisienne » (Frédérique Neau-Dufour), Psichari entame et obtient une licence de Lettres en 1903. Vint le défi dreyfusard auquel sa famille et des proches comme Jean Jaurès, Anatole France ou Jacques Maritain participèrent. Sa jeunesse sera fortement imprégnée de cet engagement dreyfusard et c’est naturellement que le jeune Psichari adhère au socialisme jaurésien et s’engage dans le mouvement des Universités populaires. Ainsi grandit-il dans l’univers qui allait modeler la gauche intellectuelle du vingtième siècle. Ses premiers écrits révèleront d’ailleurs combien le souvenir de ses années de formation était vivace : ils seront empreints d’un humanisme fièrement proclamé et traduiront l’atmosphère agnostique qui baignait ses jeunes années.
Sa jeunesse privilégiée, Ernest Psichari allait s’en dépêtrer pour se forger un destin. Pour celui qui avait les aspirations d’un jeune homme de son temps, il devint invraisemblable de se satisfaire de l’inaction douillette des « sommités de la France républicaine de l’époque », c’est-à-dire tous ces visages de la gauche intellectuelle qui l’avaient vu grandir. Dans une lettre à Henry Bordeaux, Psichari résumait par une formule saisissante son entreprise future : « prendre contre son père le parti de ses pères. » Plus loin, il ajoutait : « Une, deux générations peuvent oublier la loi, se rendre coupables de tous les abandons, de toutes les ingratitudes. Mais il faut bien, à l’heure marquée, que la chaîne soit reprise et que la petite lampe vacillante brille de nouveau dans la maison. » Psichari pensait déjà foi patriotique, salut de la France, salut de la civilisation. La mue de Psichari ne pouvait alors se faire que par cette subite orientation : la vocation militaire. Voilà Psichari, artilleur de vingt ans, en route vers le Congo et la Mauritanie, ayant choisi le métier des armes par idéal, et pourtant en pleine détresse…Il faut être honnête : le jeune Psichari, s’il donne soudainement à sa vie une orientation militaire, patriotique et bientôt mystique en partant pour l’Afrique, c’est autant par sincérité que par nécessité d’y trouver « un refuge », comme le confiera plus tard sa sœur Henriette Psichari. Le jeune Ernest, accablé par un profond désarroi sentimental, est dévasté. Sa sœur parlera d’ « effondrement. » Il est en effet tombé amoureux de Jeanne Maritain (la sœur de son ami philosophe Jacques Maritain) qui, elle, n’éprouve pour lui qu’une tendre amitié. « Vertige de malheur », « mélancolie qui s’empare de lui chaque jour davantage », autant de formulations sans ambiguïtés utilisées par sa sœur pour rendre compte de l’état de son frère. On comprend alors mieux son brusque engagement militaire. L’Afrique est aussi son échappatoire.
Dès ses premiers jours à la caserne, avant même le départ pour l’Afrique, Psichari comprit à quel point l’armée était sa vocation. Les accents patriotiques de sa trajectoire nouvelle n’avaient rien d’un simulacre. L’idéal éprouvé instinctivement par Psichari trouvait son prolongement dans le pragmatisme et la discipline quotidienne de l’armée. L’écriture découle alors naturellement. Ses premiers récits lui sont inspirés par son expérience mauritanienne : Terres de soleil et de sommeil en 1908. En 1913, il publie L’Appel des armes, réquisitoire contre l’humanisme pacifiste qui est selon lui la source de l’abaissement national, du déclin moral français. Il y brocarde ces antimilitaristes qui salissent l’honneur de l’Armée française et célèbre avec audace « la mystique du métier militaire. » Son Appel des armes est dédié à Charles Péguy (pour qui Psichari était son « disciple préféré ») : « A celui dont l’esprit m’accompagnait dans les solitudes de l’Afrique, à cet autre solitaire en qui vit aujourd’hui l’âme de la France et dont l’œuvre a courbé d’amour notre jeunesse, à notre maître, Charles Péguy, ce livre de notre grandeur et de notre misère. » De plus en plus galvanisé par le sens du devoir, Psichari forge son idéal d’héroïsme et de dévouement. « Je voudrais que l’on méditât sur l’aventure de ce garçon de vingt-cinq ans qui, abandonnant ses études de Sorbonne, partit à deux reprises pour mener une action française dans la brousse africaine, pour donner à la France un empire » écrit Henri Massis. Ernest Psichari se découvre des affinités intellectuelles avec Charles Maurras et soutient l’Action française. Très vite, Psichari est porté au pinacle par la droite intellectuelle. On salue son engagement, son courage ; on partage ses aspirations morales, on est séduit par sa personnalité. Ainsi reçoit-il les soutiens et encouragements de Maurice Barrès ou de Paul Claudel, ainsi que des monarchistes comme Henri Massis et Paul Bourget (qui préfacera son Voyage du Centurion). « Nous trouvions à méditer sur l’aventure de cet officier, fils d’intellectuels (…) qui réalisait tout ce que nous souhaitions de posséder : goût de l’action, désir du rêve…C’est ainsi qu’il nous avait restitué le sens des vertus et de la gloire des armes. » (Henri Massis, Vie d’Ernest Psichari)
Sa conversion au catholicisme achève d’en faire une figure de proue de la droite intellectuelle. On découvre son cheminement, cette force nouvelle qui l’étreint à travers la lecture de son troisième livre : Le voyage du centurion, publié à titre posthume en 1916. C’est l’œuvre qui éclaire le mieux sa vie. Elle est une transposition de son évolution spirituelle et de son expérience coloniale en Afrique. Le héros incertain et incrédule du début, Maxence, laisse peu à peu place à un homme grisé de solitude et d’action. On y observe comment l’impact du désert et de la méditation fait d’un homme moribond et haineux (envers lui-même, envers sa patrie), sans repères de par son éducation trop aride, – absorption d’une culture vaste et certaine mais sans spiritualité – un homme profondément pieux, heureux, apaisé. On voit comment le héros, en quête de certitudes intellectuelles véritables, se tourne vers la foi catholique. Cette histoire est une allégorie : Maxence, jeune officier parti en Afrique pour servir la France, irrigué du flot pacifiste et humaniste de son père, instituteur, socialiste exalté et farouchement laïque, est peu à peu séduit et convaincu par l’idée du devoir, du sacrifice, de l’ordre. « A vingt ans, Maxence errait sans conviction dans les jardins empoisonnés du vice, mais en malade, et poursuivi par d’obscurs remords, troublé devant la malignité du mensonge, chargé de l’affreuse dérision d’une vie engagée dans le désordre des pensées et des sentiments. Son père s’était trompé : Maxence avait une âme. Il était né pour croire, et pour aimer et pour espérer. » (Le voyage du centurion) Ce livre, qui eût une forte influence sur Mauriac et de Gaulle, magnétise par sa prose chantante et harmonieuse ; on ne peut lire qu’avec une attention extrême la confession de ce « moine-soldat » qui « marche sous le double airain de la solitude et du silence. » Le désert lui impose une vie austère, le somme de recouvrir ses instincts que l’habitude de paresse ou d’indifférence a malmené, l’assomme de silence et de solitude. Chaque jour est une épreuve inédite. Il y a l’assaut du soleil, le redoutable vent du désert, la faim et la soif qui tenaillent. Loin des sociétés tapageuses, le héros appréhende peu à peu ce nouveau territoire, fait de la nature une possibilité de recueillement infini. Il mène une vie ascétique qui finira bientôt par le combler, et fait de Dieu l’unique destinataire de ses doutes, de ses ruminations, de ses exaltations : « Seul et invisible témoin de mes sanglots et de mes regrets, ah! écoutez la voix de mes larmes. » Ce livre, qui comme le confiera Psichari, « n’aura été qu’une longue prière », c’est aussi la confession de son amour pour la France, une longue plaidoirie pour sa grandeur, un tonitruant appel à lui être fidèle. Maxence-Psichari prie moins pour son salut que pour celui de la France. Sa première prière, c’est d’ailleurs la France qui l’a suscitée. C’est en pensant à l’armée qu’il a pour la première fois pensé à Dieu.  « Si je sers loyalement l’Eglise et sa fille aînée la France, n’aurai-je pas fait tout mon devoir ? » C’est la France qui sécrète son envie de Dieu. « Sa vie ne fut qu’une lutte spirituelle, un combat d’âme, mais ce combat était celui-là même qui se livrait dans l’âme de toute une race. Retracer son histoire qui est la préfiguration de la nôtre, c’est prendre un exemplaire sublime parmi les innombrables vies qui se sont sacrifiées pour la France et pour Dieu. (…) Ce jeune homme ivre de sacrifice, la France chrétienne peut l’invoquer dans ses prières: il n’a vécu que pour elle, il lui avait voué son esprit et son coeur; il lui a donné sa chair juvénile. Ce héros grave et tendre, qui vit dans la Lumière qu’il avait douloureusement désirée, ne cessera point de nous être fraternel. » (Henri Massis, Vie d’Ernest Psichari)
La vie d’Ernest Psichari fut une longue lutte spirituelle. Différentes figures intellectuelles de son époque se sont réclamées de sa pensée, de l’humaniste chrétien Jacques Maritain à Barrès ou Maurras. Psichari demeure un des personnages les plus étonnants de son temps, aux filiations intellectuelles variées. Ses écrits furent une contribution essentielle à l’histoire coloniale française et ont contribué à forger « le mythe du désert. » Ce jeune homme « plein de sang » (Péguy) était emblématique d’une jeunesse enfiévrée qu’attisèrent les passions du début du vingtième siècle. Par devoir et par patriotisme, par droiture et par piété, cette âme coruscante est allée « à la guerre comme à une croisade », alliant le don de soi à Dieu et à la France avec le combat pour la liberté. Sa mort au champ d’honneur le consacra définitivement. On en fit un héros national qu’il convient de saluer aujourd’hui encore.
« Notre génération, — celle de ceux qui ont commencé leur vie d’homme avec le siècle — est importante. C’est en elle que sont venus tous les espoirs, et nous le savons. C’est d’elle que dépend le salut de la France, donc celui du monde et de la civilisation. Tout se joue sur nos têtes. Il me semble que les jeunes sentent obscurément qu’ils verront de grandes choses, que de grandes choses se feront par eux. Ils ne seront pas des amateurs ni des sceptiques. Ils ne seront pas des touristes à travers la vie. Ils savent ce qu’on attend d’eux. »
« L’écrit est une ancre de salut dans le flux incessant des choses et comporte une immortalité qu’il est doux de donner à ses sentiments. »
Alexandre Le Dinh
Source : avenirfrance.fr
http://www.renaissances-populaires.fr

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