Son nom lui a joué  des tours. C’est en effet peu flatteur d’être  qualifié de  «machiavélique». On voit aussitôt se dessiner un soupçon de  violence  madrée et de fourberie. Et pourtant ce qui avait conduit  Machiavel à  écrire le plus célèbre et le plus scandaleux de ses essais,  Le Prince,  était le souci de sa patrie, l’Italie. En son temps, dans les  premières  années du XVIe siècle, il était d’ailleurs bien le seul à se  soucier  de cette entité géographique. On était alors pour Naples, Gènes,  Rome,  Florence, Milan ou Venise, mais personne ne pensait à l’Italie.  Il  faudra pour cela attendre encore trois bons siècles. Ce qui prouve   qu’il ne faut jamais désespérer de rien. Les prophètes prêchent toujours   dans le désert des esprits avant que leurs rêves ne rencontrent   l’attente imprévisible des peuples.
Né   à Florence en 1469, mort en 1527, Nicolas Machiavel (portrait) était   une sorte de haut fonctionnaire et de diplomate. Ses missions   l’initièrent à la grande politique de son temps. Ce qu’il y apprit fit   souffrir son patriotisme, l’incitant à réfléchir sur l’art de conduire   les affaires publiques. La vie l’avait placé à l’école de   bouleversements majeurs. Il avait 23 ans quand mourut Laurent le   Magnifique en 1492. La même année, Alexandre VI Borgia devint pape. D’un   de ses fils, César (en ce temps-là, les papes n’étaient pas toujours   chastes), il fit provisoirement un très jeune cardinal, puis un duc de   Valentinois grâce au roi de France. Ce César, que tenaillait une   terrible ambition, ne sera jamais regardant sur les moyens. En dépit de   ses échecs, sa fougue fascina Machiavel.
Mais j’anticipe. En  1494, survint un événement immense qui allait  bouleverser pour  longtemps l’Italie. Charles VIII, jeune et ambitieux  roi de France,  effectua sa fameuse « descente », autrement dit une  tentative de  conquête qui bouscula l’équilibre de la péninsule. Après  avoir été bien  reçu à Florence, Rome et Naples, Charles VIII rencontra  ensuite des  résistances et dut se replier, laissant un joli chaos. Ce  n’était pas  fini. Son cousin et successeur, Louis XII, récidiva en 1500,  cette fois  pour plus longtemps, en attendant que survienne François  Ier.  Entre-temps, Florence avait sombré dans la guerre civile et  l’Italie  avait été dévastée par des condottières avides de butin.
Atterré, Machiavel  observait les dégâts. Il s’indignait de  l’impuissance des Italiens. De  ses réflexions naquit Le Prince, célèbre  traité politique écrit à la  faveur d’une disgrâce. L’argumentation,  d’une logique imparable, vise à  obtenir l’adhésion du lecteur. La  méthode est historique. Elle repose  sur la confrontation entre le passé  et le présent. Machiavel dit sa  conviction que les hommes et les choses  ne changent pas. Il continue à  parler aux Européens que nous sommes.
À la façon des  Anciens – ses modèles – il croit que la Fortune (le  hasard), figurée  par une femme en équilibre sur une roue instable,  arbitre la moitié des  actions humaines. Mais elle laisse, dit-il,  l’autre moitié gouvernée  par la virtus (qualité virile d’audace et  d’énergie). Aux hommes  d’action qu’il appelle de ses vœux, Machiavel  enseigne les moyens de  bien gouverner. Symbolisée par le lion, la force  est le premier de ces  moyens pour conquérir ou maintenir un Etat. Mais  il faut y adjoindre la  ruse du renard. En réalité, il faut être à la  fois lion et renard. «  Il faut être renard pour éviter les pièges et  lion pour effrayer les  loups » (Le Prince, ch. 18). D’où l’éloge,  dépourvu de tout préjugé  moral, qu’il fait du pape Alexandre VI Borgia  qui « ne fit jamais autre  chose, ne pensa jamais à autre chose qu’à  tromper les gens et trouva  toujours matière à pouvoir le faire » (Le  Prince, ch. 18). Cependant,  c’est dans le fils de ce curieux pape, César  Borgia, que Machiavel  voyait l’incarnation du Prince selon ses vœux,  capable « de vaincre ou  par force ou par ruse » (Ibid. ch. 7).
Mis   à l’Index, accusé d’impiété et d’athéisme, Machiavel avait en réalité   vis-à-vis de la religion une attitude complexe. Certainement pas dévot,   il se plie cependant aux usages. Dans son Discours sur la première   décade de Tite-Live, tirant les enseignements de l’histoire antique, il   s’interroge sur la religion qui conviendrait le mieux à la bonne santé   de l’Etat : « Notre religion a placé le bien suprême dans l’humilité et   le mépris des choses humaines. L’autre [la religion romaine] le  plaçait  dans la grandeur d’âme, la force du corps et toutes les autres  choses  aptes à rendre les hommes forts. Si notre religion exige que  l’on ait de  la force, elle veut que l’on soit plus apte à la souffrance  qu’à des  choses fortes. Cette façon de vivre semble donc avoir  affaibli le monde  et l’avoir donné en proie aux scélérats »  (Discours, livre II, ch. 2).  Machiavel ne se risque pas à une réflexion  religieuse, mais seulement à  une réflexion politique sur la religion,  concluant cependant : « Je  préfère ma patrie à mon âme ».
Dominique Venner     http://fr.novopress.info/
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