Dessinée par les pamphlétaires huguenots, l'image déformée de Henri II, et plus encore celle de son épouse, n'ont cessé d'être véhiculées par les historiens hostiles à la monarchie. Leur réhabilitation reste difficile.
Né en 1519, puîné de François Ier et de Claude de France, Henri, duc d'Orléans, n'était pas appelé à régner. La mort soudaine de son frère changea la donne. Au grand dam du roi… Il n'aimait guère ce fils et, si, en 1526, devoir, en échange de sa propre liberté, livrer en otage à Charles Quint le dauphin, « trésor de la France », lui avait brisé le coeur, y joindre le duc d'Orléans lui avait moins coûté. De cette longue captivité espagnole, où son aîné contracta la tuberculose qui l'emporta prématurément, Henri rapporta un caractère introverti, peu fait pour l'aider à conquérir l'affection paternelle.
Fin manoeuvrier, vrai capétien
Didier Le Fur, son dernier biographe, le met d'emblée en évidence : Henri n'aurait pas dû régner. On s'était gardé de l'y préparer, dans la crainte ordinaire du tort causé au roi par ses cadets. Pis encore : la propagande royale, si active chez les derniers Valois, l'avait superbement ignoré dès sa naissance, tandis qu'à grand renfort de prophéties, elle prédisait à un dauphin qui n'atteignit pas ses vingt ans un avenir impérial…
Le Fur ne cultive pas l'anecdote et le travail remarquablement fouillé qu'il propose est avant tout un portrait du roi, non de l'homme derrière la fonction. Quelle image Henri II veut-il renvoyer de lui-même ? Quel rôle joue-t-il ? Quelles ambitions incarne-t-il ? Très vite, se dessinent, entre l'avenir que François Ier croyait avoir tracé, les objectifs qu'il avait fixés, et ceux de Henri II, une rupture, un refus de toute continuation du programme paternel. Évident dès les premières heures du règne, en 1547, avec le renvoi immédiat de la coterie de la duchesse d'Étampes, favorite du monarque défunt, et le rappel du connétable de Montmorency, jadis disgracié, le changement l'est bien davantage quand Henri marque son désintérêt pour les possessions italiennes, longue chimère de ses prédécesseurs. Plus réaliste, il se fixe d'autres priorités : reprise de Calais sur l'Anglais, consolidation des frontières de l'Est par la conquête des Trois Évêchés.
Bilan considérable aux yeux de la postérité, mais invisible pour les contemporains. Eux ne virent que la lourde défaite de Saint-Quentin en août 1557, l'humiliation infligée par Philippe II lors du traité du Cateau-Cambrésis, qui soulignait le renoncement aux conquêtes italiennes. C'est oublier que, dans l'esprit du roi, ce n'était qu'une trêve ; seule sa mort accidentelle, en 1559, la rendit définitive.
Le Fur démonte la mise en scène du pouvoir royal, son rapport à l'opinion publique, la perception de la politique par ceux qui comptent, en France et à l'étranger, les changements apportés par l'imprimerie et la diffusion des idées ou des critiques. Face à cette modernité en marche, Henri II se révèle fin manoeuvrier et vrai Capétien, conscient des intérêts de la France.
Cela l'amène à prendre contre les Réformés, qui menacent l'unité du royaume, des mesures sévères. Ils ne le lui pardonneront pas, présentant sa disparition comme une manifestation de la justice divine.
Le plus étonnant étant qu'ils voient alors en la reine, contre laquelle ils s'acharneront ensuite, leur alliée la meilleure…
Mission impossible
Catherine de Médicis ne partage pas, en effet, l'opinion de son mari quant aux mérites d'une répression ; faire des martyrs lui paraît, à raison, une erreur. Autant qu'elle le pourra, elle tentera, pendant quarante années de pouvoir direct ou indirect, de l'éviter. Jean-François Solnon, auteur d'une très remarquable réhabilitation d'Henri III (Perrin), s'est aussi intéressé à sa mère, et a tenté de dégager une image de la Régente qui ne soit pas la caricature surgie des attaques protestantes et ligueuses, puis des auteurs des Lumières et enfin des fantasmes romantiques. Tâche ardue. Lorsque tant de scories sont venues recouvrir la mémoire d'un personnage historique, que tant de mensonges ont été ressassés à son propos, jusqu'à s'imposer comme une vérité intangible, il est presque vain d'essayer de rétablir la réalité. Figure archétypale de la mauvaise reine, étrangère, ambitieuse, criminelle, l'Italienne a servi les intérêts de trop d'ennemis de la monarchie. Revenir sur son portrait entraînerait de dangereuses remises en cause des idées reçues. C'est tout à l'honneur de Solnon d'avoir accepté cette mission impossible et de proposer de Catherine un portrait équilibré, honnête, juste.
Pour la paix civile
S'il est attentif aux sentiments de son héroïne, conscient que le fait d'être orpheline à l'âge d'une semaine, otage des factions florentines, menacée de mort par les ennemis des Médicis, puis, en tant que leur seule héritière légitime, objet de convoitises matrimoniales peu désintéressées, pèse lourd dans la construction d'une personnalité, Solnon constate aussi combien l'adolescente maîtrise déjà les pires situations. Intelligente, courageuse, pragmatique, elle sait, parce qu'elle est une fille et, à ce titre, ne dispose ni de la force ni de la violence comme moyens de défense, biaiser, ruser, accommoder, afin de survivre, voire de triompher. Cette stratégie féminine sera interprétée par une historiographie masculine comme la preuve d'une duplicité monstrueuse, quand elle n'est qu'une nécessité. Solnon le comprend.
Il faut replacer le rôle de Catherine, veuve à quarante ans d'un homme qu'elle avait adoré quoiqu'il lui eût imposé sa liaison avec Diane de Poitiers, dans le contexte du temps. Aux velléités des Grands de profiter de l'extrême jeunesse du roi pour s'imposer aux affaires s'ajouta la crise religieuse, les principaux rivaux, Guise d'un côté, Bourbons et Montmorency de l'autre, s'étant divisés en catholiques inconditionnels et protestants politiques, factions entre lesquelles nul arrangement n'était possible. L'incontestable grandeur de Catherine aura été d'essayer de sauver la paix civile, ne consentant à la violence que lorsque toute conciliation devenait irréaliste. Soumise aux menaces de l'Espagne, et aux plaintes de Rome, il lui fallut du caractère pour imposer sa vision du bien du royaume. Le principal reproche qui lui fût fait est d'avoir refusé d'entrer dans les querelles particulières pour ne songer qu'à l'intérêt commun : position intenable face à des factions emportées par leurs passions…
Partis pris
La parution d'une nouvelle biographie de la reine, signée Jean- Pierre Poirier, marque les limites d'un travail de réhabilitation universitaire. S'adressant au grand public, l'auteur ne va pas à l'encontre de ses partis pris. Puisque tant d'historiens ont instruit à charge contre Catherine, pourquoi plaider sa cause ? Voici donc, utilisées contre elle, les anecdotes graveleuses, les accusations de luxure et de sadisme, même si nul ne sait si Brantôme, en les relatant, parlait de la reine ; son goût supposé pour les sciences occultes et les poisons, son absence prétendue de discernement dans les affaires, l'inexistence de « son programme politique », son manque de sérieux dans l'étude des dossiers, sa responsabilité dans la préparation de la Saint-Barthélemy, tous points dont Solnon a démontré l'inanité.
Certes, Jean-Pierre Poirier le reconnaît, Catherine eut le mérite de séparer le temporel du spirituel, elle a anticipé sur « les valeurs républicaines »… Mais elle ignorait tout des mouvements économiques ; pis encore, elle ne s'y intéressait pas ! Son oeuvre de mécène, ambitieuse, n'a pas survécu aux drames des temps : et qu'importe qu'on ne puisse l'en tenir responsable ! Enfin, elle aurait considéré la France comme un bien de famille qu'il fallait à tout prix conserver à ses fils. Mais n'est-ce pas le rôle d'une reine régente, et l'un des intérêts essentiels d'un système qui soustrait le pouvoir aux ambitions personnelles des compétiteurs ? En cela, Catherine fut exemplaire. Reste que notre époque peine toujours davantage à le comprendre.
ANNE BERNET L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 1er au 14 octobre 2009
* Didier Le Fur : Henri II ; Tallandier, 625 p., 30 s.
* Jean-François Solnon : Catherine de Médicis ; Perrin, 450 p., 23 s.
* Jean-Pierre Poirier : Catherine de Médicis ; Pygmalion, 450 p., 24,50 s.
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