En 1956, voilà 50 ans, se déroulait la crise de Suez. Un anniversaire qui n’a pas échappé à Louis Chagnon.
Il y a 50 ans, le 29 octobre 1956, Israël déclenchait le plan «Quadesh», des parachutistes israéliens sautaient sur les passes de Mitla dans le Sinaï, tandis que d’autres pénétraient en Égypte et s’emparaient du poste de Kuntilla. Le lendemain, les gouvernements français et britannique lançaient un ultimatum demandant aux belligérants de se retirer à 10 miles du canal, en cas de refus, les forces franco-britanniques interviendraient pour veiller au respect des termes de l’ultimatum. Le 5 novembre, les parachutistes français et britanniques sautaient sur Port-Saïd et Port-Fouad; ainsi débutait l’opération militaire qui constituait l’aboutissement de la crise déclenchée par la nationalisation du canal de Suez, le 26 juillet, par Gamal Abdel Nasser.
Ce dernier, décidé à devenir le «chef de la nation arabe», menait une politique ostensiblement anti-israélienne et déclarait ouvertement «qu’il était prêt à commettre un génocide de plus de trois millions d’hommes au Moyen-Orient». Israël était régulièrement victime d’attaques de fedayins sur ses frontières jordanienne et égyptienne, faisant de nombreuses victimes civiles. Nasser se devait également de porter un coup sévère aux impérialistes occidentaux. Motifs économiques et politiques s’interpénétraient.
Le motif officiel invoqué par Nasser pour nationaliser le canal était le besoin de financement de la construction du barrage d’Assouan après le refus américain de l’assumer. Cela lui donnait le contrôle total sur le trafic maritime du canal dont le trafic pétrolier vital pour l’Europe et ainsi la nationalisation du canal lui donnait un moyen de pression considérable et augmentait par là le poids international de l’Égypte. Les revenus tirés du trafic maritime du canal pouvaient permettre également de financer le renforcement de l’armée égyptienne que Nasser avait engagé.
Nasser, déçu par les Etats-Unis, s’était tourné vers l’URSS qui lui fournit, outre des armes légères, des chasseurs «MIG» et des bombardiers «Iliouchine» en 1955. Ces appareils faisaient porter sur la population israélienne une menace que le gouvernement de Ben Gourion ne pouvait tolérer. Celui-ci interprétait le renforcement de l’armée égyptienne comme le signe d’une attaque imminente sur Israël. Pour se défendre, Israël ne pouvait acheter des armes selon sa volonté en vertu du contrôle sur les ventes d’armes au Proche-Orient que pratiquait une commission tripartite comprenant la France, les États-Unis et la Grande-Bretagne. Ces deux derniers états étaient hostiles à l’Etat hébreux. En fait, cette commission servit aux Anglo-Saxons à contrôler les ventes d’armes de la France. Par contre, la Grande-Bretagne et les États-Unis pouvaient vendre des armes à l’Iran et à l’Irak par l’entremise du pacte de Bagdad dont ces pays étaient membres. L’URSS n’était tenue par aucun engagement et l’équilibre des forces penchait en faveur des pays arabes. Les Israéliens se tournèrent vers le seul pays pouvant les aider, la France, qui leur répondit favorablement et leur fournit des armes conventionnelles. Mais le brusque renforcement de l’aviation égyptienne remettait la sécurité d’Israël en cause. La France livra à Israël des avions de type «Ouragan» et des avions à réaction les plus modernes qu’elle possédait à l’époque, des «Mystère IV» dont les premiers atterrirent le 11 avril 1956 au milieu d’une émotion indescriptible.
Cette étroite collaboration entre la France et Israël permit à la France d’introduire Israël dans l’affaire de Suez et c’est elle qui proposa le scénario qui fut mis en action fin octobre 1956. L’attaque israélienne devait être le prétexte à l’intervention franco-britannique.
L’objectif de la France n’était pas de rétablir un contrôle international sur le canal de Suez mais de faire tomber Nasser qui soutenait activement les rebelles algériens du FLN en fournissant des armes, quelquefois achetées à la France. Des soldats français se faisaient tuer par des armes françaises vendues à l’Égypte par la France elle-même. La solution de la guerre d’Algérie passait par Suez, d’après le gouvernement de Guy Mollet. Il y eut incontestablement une surévaluation du rôle de Nasser dans l’affaire algérienne.
L’objectif des Britanniques restait de rétablir un contrôle international sur le canal. La nationalisation du canal avait remis en cause la libre circulation des navires, garantie par l’article 1 de son statut juridique établi en 1888: « Le canal maritime de Suez sera toujours libre et ouvert en temps de guerre comme en temps de paix, à tout navire de commerce ou de guerre, sans distinction de pavillon ». La Grande-Bretagne considérait que laisser le contrôle du canal entre les mains d’une seule puissance, qui pourrait l’utiliser dans un but de politique nationale, était dangereux et qu’il y avait une menace pour ses intérêts économiques. En 1955, le tiers du trafic maritime sur le canal était britannique, rien ne pourrait empêcher Nasser d’interdire le trafic britannique sur le canal comme il le faisait pour les navires israéliens.
L’offensive militaire israélienne et franco-britannique fut une réussite complète: en quelques heures, l’armée égyptienne fut vaincue malgré les rodomontades de Nasser. Mais les États-Unis et l’URSS n’entendaient pas laisser les franco-britanniques intervenir librement sur la scène internationale. Les États-Unis firent pression sur la Grande-Bretagne, en menaçant la livre sterling, les Américains pouvaient mettre à genoux l’économie britannique et c’est ce qu’ils commencèrent à faire. Les Britanniques durent rapidement plier et se soumettre à la volonté des États-Unis. La France ne pouvant pas rester seule face aux États-Unis et à l’URSS fut obligée d’arrêter son offensive en Égypte.
Si les menaces de l’URSS d’employer toutes les formes possibles d’action contre la France et la Grande-Bretagne, y compris la force nucléaire, n’étaient pas sérieuses, elle furent cependant proférées dans un but diplomatique, l’objectif des Soviétiques était de diviser le bloc occidental et ils y réussirent. La France, voyant que les États-Unis ne soutenaient pas ses alliés, considéra qu’ils n’étaient plus sûrs et que rien ne garantissait leur intervention en cas d’agression soviétique sur l’Europe de l’Ouest, cette attitude encouragea les gouvernements français successifs à poursuivre plus que jamais le programme nucléaire militaire national. Les Britanniques quant à eux adoptèrent une position diamétralement opposée et appliquent depuis lors une collaboration internationale très étroite avec les Américains et même inféodée à l’Oncle Sam.
En 1956, les États-Unis et l’URSS furent d’accord pour écarter les deux principales puissances européennes des grands théâtres d’opérations internationaux, la confrontation Est-Ouest ne tolérait pas l’existence d’électrons libres.
Aujourd’hui, les choses sont complètement différentes. Après la disparition de l’URSS, les États-Unis pensaient pouvoir jouer le rôle d’unique superpuissance sans entrave et intervenir sur n’importe quel point du globe, sans adversaire à leur hauteur. Les faits se sont évertués à démontrer que cela leur était impossible, affaiblis par leur échec en Irak et par leur enlisement en Afghanistan, ils ne sont plus capables d’opérer seuls et on voit mal les Marines débarquer à Beyrouth comme en 1958. Loin de négliger leurs alliés, les États-Unis sont désormais devenus quémandeurs de leur soutien. Les récents événements au Liban démontrent que le monde a besoin d’une France militairement puissante et le maintien de crédits budgétaires en conséquence pour la Défense est devenu un impératif.
Louis Chagnon pour LibertyVox
Louis Chagnon est chargé de recherche au S.H.D
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