Combien sont-ils à se souvenir de cet après-midi de mars ? En ce lieu. c’est coutume : ciel bleu et lumière vive. Douceur de l’air. Parfums de jasmin descendus des collines. Et ces teintes orangées qui donnent à Alger des éclats de peinture flamande.
Qui se soudent vraiment de cet après-midi de mars ?
Le 26 mars de l’année 1962. Ce n’était pas chose exceptionnelle qu’une foule jeune et bruyante, poussant devant elle huit années de colères et de souffrances nées de mille trahisons, s’étirât dans le labyrinthe pavé dont elle connaissait bien les méandres, laissant libre cours à l’expression de ses fureurs.
Alger, pendant huit ans, ne fut qu’une gigantesque soupape. Alternativement ouverte ou fermée par les salauds parisiens manipulant la douleur des hommes au gré de leurs calculs. La journaleuserie charognarde y construisit sa fortune. Tous ceux qui aujourd’hui pontifient et moralisent du haut de leurs sinécures médiatiques y firent leurs classes. Planqués par dizaines à Radio Alger, privilégiés du bled, micro-rapetissés dans leur trou de souris de l’AFP et hôtels avoisinants d’où ils inondaient la France - « De notre envoyé spécial » - de grands reportages aussi mâââles que bombastiques. Lorsque Lartéguy et de Sédouy rapportaient à Paris-Presse l’expression la plus bravache de leurs expériences aventureuses au pays des fermes brûlées et des petits colons barricadés au fond du bled, entre Cherchell et Ténès, ils omettaient un détail : un escadron de gendarmes mobiles assurait à leur équipée une sécurité sans surprise.
Et la France bâillonnée, chloroformée, déjà étouffée par la mafia politico-médiatique aujourd’hui à l’apogée de sa malfaisance, apprenait, inconsciemment, les prémices orwelliens de la société totalitaire qui allait définitivement emporter « le peuple le plus intelligent de la terre ». Se mettaient en ordre de marche les éléments constitutifs de la terrifiante entreprise télévisuelle d’investissement des cerveaux.
S’organisait autour de l’imposture démocratique l’euthanasie de la sagesse et du bon sens.
On préparait pour trente ans les estomacs au sacrifice de l’esprit.
Et le serpent de chair glissait vers la Grande Poste d’Alger où il avait rendez-vous avec la lâcheté républicaine.
Une lâcheté au demeurant déjà bien aiguisée. Depuis trois jours, en effet, l’armée française affamait le quartier de Bab el Oued. Depuis trois jours, les mercenaires du Pouvoir, ivres de haine et d’alcool, pillaient et cassaient méthodiquement, appartement après appartement, tout ce qui restait de pauvres trésors et d’honneur au petit peuple martyr d’Alger. Depuis trois jours, les criminels de guerre de la glorieuse aviation gaulliste mitraillaient balcons et fenêtres, au nom de la République en danger. Et dans le sang des enfants pieds-noirs se forgeaient les alibis des zintellectuels-de-gôche qui ont depuis longtemps tracé une ligne sanguinolente entre bonnes et méchantes victimes.
Lorsque l’immense foule arrivée des quartiers sud et est, tentant de rejoindre Bab el Oued pour lui porter sa fièvre solidaire, s’enfila dans le goulet d’étranglement de la rue d’Isly, certains, plus lucides, comprirent que le piège se refermait sur eux.
Trop tard.
Les hommes en armes qui bouchaient toutes les issues étaient des Arabes. Ils brandissaient nerveusement leurs mitraillettes et, le regard fixe, le teint cireux, à l’évidence, n’attendaient qu’un signal.
Il vint des terrasses des immeubles alentour. Quelques coups de feu tirés par des barbouzes asiatiques, avant-gardes des futures hordes de boat-people qui, quinze ans plus tard, allaient sur ordre bolchevique coloniser l’Occident.
Et la fusillade crépita dans un vacarme de fin du monde.
En quatre minutes la guerre d’Algérie prit fin. Cent trente années d’histoire dynamitées. Un million de destinées en agonie.
Quatre-vingts morts. Deux cents blessés. Mais la plus grande déchirure fut morale. La France venait d’en faire la preuve : elle était prête aux plus grands crimes pour en finir avec les pieds-noirs. D’un seul coup, les nerfs de tout un peuple allaient craquer.
Sous les lambris des ministères parisiens, les gaulcheviques respiraient enfin. On rendait grâces à la fermeté de Debré et de Frey, au courage de Messmer, à l’astuce de ce Charles Pasqua, maître-d’oeuvre de l’opération. (Tchalien ?)
De Gaulle était enfin débarrassé de la chienlit nationaliste : il allait pouvoir livrer la France aux employeurs de son futur premier ministre. Georges Pompidou.
Sans doute l’affaire n’était-elle pas entièrement achevée.
Restait encore l’effort conjugué de l’armée française et du FLN afin de mater les maquis de l’Ouarsenis. Et la livraison par la France au FLN des maquisards pieds-noirs dont pas un ne survécut.
Restaient les milliers de garçons et de filles, saignés à blanc, chaulés ou jetés dans les bordels de l’Armée nationale populaire.
Restait le martyre des harkis abandonnés à la barbarie arabe.
Restaient les massacrés d’Oran, le 5 juillet, sous l’oeil impavide des troupes du brav’ général Katz.
Restait l’assassinat de Roger Degueldre, de Bobby Dovacar, de Claude Piegts, fusillés par une "justice" de gangsters.
Restait ce petit matin de Thiais - 11 mars 1963 : un tumulus à peine refermé sur le corps de Jean-Marie Bastien-Thiry auprès duquel se recueillaient trois hommes au bord des larmes : Claude Joubert, Pierre Durand, Jean-Marie Le Pen.
Mais enfin, grâce au monstrueux massacre de la rue d’Isly, la République voyait le bout du tunnel.
Le gaullo-bolchevisme, le socialisme, les zintellectuels-de-gôche retrouvaient leur arrogance d’antan. Avant que la menace d’un nationalisme retrouvé ne fasse chanceler leur monde d’impostures, de rapines et de crimes.
Ils allaient vite tourner la page. Laver aux grands jets de l’Histoire truquée la marée sanglante qui rougissait les marches de la Grande Poste. Et retourner à leurs petits soucis. Leurs petits Biafrais, Bengalis, Sahéliens, Hutus, Tutsis. Ils avaient les mains libres pour s’attaquer aux Rhodésiens, aux Afrikaners, aux colonels grecs, aux généraux argentins. En somme aux derniers Blancs encore debout...
26 mars 1962. C’est le jour où ils ont assassiné mon peuple.
Je garde au fond de moi l’image du docteur Jean Massonat, encore agenouillé sur un blessé et qu’une balle figera en plein sacerdoce. Je garde aussi présent le regard interrompu de notre Jacqueline Cazayous, l’athlète enjouée, la fille fierté de notre adolescence, avec cet incroyable patronyme qui rappelait Bruat et les faubourgs impertinents de la grande ville. Et Fiflaous et Double-Tchatche.
Je garde pour l’éternité l’insupportable vision de cet entassement de corps de ma race secoués par la mitraille.
Il faudra mille ans pour que notre mémoire éponge sa haine.
Il faudra mille ans pour que cette haine des gaulcheviques puisse enfin se transformer en mépris.
par Gilbert Montchanin Le Libre Journal de la France Courtoise - du 29 mars 1997
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