lundi 6 décembre 2010

Le mythe du Maccarthysme 1ère partie

Le mythe du maccarthysme ne repose sur aucune réalité historique. Il s’agit d’une des plus belles réussites de la propagande politique moderne. Mis en œuvre avec maestria par l’appareil international du parti communiste soviétique, ce mythe a permis d’éluder les véritables motifs de l’épuration des communistes du cinéma hollywoodien et, surtout, de cacher que ce sont les choix tactiques des communistes américains qui sont à l’origine de leur perte.
Suite aux récents travaux des historiens américains, il est aujourd’hui possible d’éclairer le problème que posait le communisme aux États-Unis au début des années cinquante, durant la période connue sous le nom de maccarthysme.
La vision de la condamnation des fameux « Dix de Hollywood », symbole d’une folle répression anticommuniste, doit être désormais complètement revue et corrigée. L’étude objective et dépassionnée de ce sujet dévoile ainsi non seulement le rôle, mais aussi la stratégie du parti communiste américain pas aussi innocent que veulent bien le faire croire certains cinéastes français s’étant intéressés au sujet. Incontestablement, il est trop simple d’imputer la lutte anticommuniste des Américains à quelques délires mystiques ou paranoïaques.
L’allié objectif
« De Stettin sur la Baltique à Trieste sur l’Adriatique, un rideau de fer est descendu sur tout le continent, autorisant des États policiers à dominer l’Europe de l’Est ». Par cette phrase prononcée lors de son fameux discours de Fulton en mars 1946, Churchill, alors ex-premier ministre du Royaume-Uni, marque la fin de l’espoir d’une grande entente entre l’URSS et les Etats-unis. Dans la grande stratégie communiste, les Américains ont servi, pour reprendre la célèbre formule de Lénine, « d’alliés objectifs » de l’Union soviétique. L’allié objectif étant un partenaire avec lequel, pour des raisons de stratégie politique, on accepte un pacte momentané contre un adversaire commun, en l’occurrence le national-socialisme. Ainsi, au lendemain d’une guerre sans merci contre le Troisième Reich et le Japon, l’Amérique trouve en l’allié favori de son défunt président Roosevelt, un ennemi plus redoutable à lui seul que toutes les forces de l’Axe réunies… Triste ironie du sort qui donne raison à Patton et infirme le jugement optimiste de Roosevelt : pire peut-être que l’Allemagne, il existe le meurtrier régime soviétique, frère ennemi et jumeau matérialiste du capitalisme.
La marque d’un conflit eschatologique mondial
Dès 1945, et même un peu avant, le mythe de l’alliance entre communisme et capitalisme se révèle impossible. Ainsi que le prévoyait déjà Tocqueville en 1835, les deux géants se partagent le monde sous les yeux d’une Europe qui n’est plus guère qu’un enjeu, et non plus une pièce majeure sur l’échiquier des relations internationales.
Le monde entier doit prendre position pour ou contre l’un de ces modèles politiques. Et il va sans dire qu’outre les influences extérieures et les conjonctures politiques variées, les états concernés connaissent par le biais des partis communistes locaux, des influences intérieures non négligeables.
Dans un climat de peur panique d’une troisième guerre mondiale qui promet d’être bien plus meurtrière que la précédente, du fait de l’arme atomique désormais présente dans les deux camps, commence un conflit, certes feutré et se déroulant par pays interposés, mais qui n’en possède pas moins une dimension véritablement eschatologique, au sens où il n'engage rien moins qu’un changement radical de civilisation.
Les partis communistes locaux
Aux Etats-Unis, le parti communiste américain (CPUSA : Communist Party of the United States of America) a, à partir de 1941 (rupture du pacte germano-soviétique), activement participé à la lutte contre son allié objectif de la veille : le nazisme. Cette lutte s’est notamment manifestée par des activités de propagande cinématographique à partir des studios de Hollywood, le tout avec la bénédiction de la Maison Blanche.
Il importe ici de revenir sur l’importance du rôle joué par les partis communistes locaux dans l’instauration des régimes soviétiques en Europe et partout dans le monde. De même, il est indispensable de souligner leur indéfectible fidélité au maître du Kremlin, et ce même contre leur propre patrie. L’action des communistes polonais est désormais parfaitement connue, de même que celle des communistes grecs contre les partisans royalistes. L’importance prise en France par le PCF de Maurice Thorez, revenu de Moscou gracié de sa désertion du premier septembre 1939, ainsi que les grèves générales qui ne tarderont pas à survenir en France dans le but de nuire au plan Marshall, sont elles aussi révélatrices d’un climat politique tendu à l’intérieur des pays démocratiques.
Au vu du contexte international, tristement célèbre sous le nom de « Guerre froide », ainsi que de l’attitude du CPUSA de 1939 à 1941, puis de 1941 à fin 1945, le gouvernement américain appuyé par l’opinion publique hésite à accorder sa confiance à un parti dont on peut croire, à juste titre d’ailleurs, que sa fidélité va plus à Moscou qu’à Washington.
Le CPUSA et le HCUA : le rôle du sénateur Mac Carthy
Une légitime méfiance s’installe donc aux Etats-Unis vis-à-vis du CPUSA, soupçonné d’activités anti-américaines. Des commissions d’enquête vont s’intéresser de près aux personnes dont l’appartenance au CPUSA est connue. Ces commissions sont connues sous le nom de HCUA (House Committee on Un-American Activities). Leur rôle culminera et s’achèvera avec l’apparition sous les sunlights hollywoodiens d’un sénateur dont le nom symbolise aujourd’hui ce qui n’est ne réalité qu’un fantasme : son nom : Joseph MacCarthy.
MacCarthy, Gilles de Rais ou épouvantail médiatique ?
Ce nom, qu’on ne peut prononcer en France sans un frisson d’horreur, est depuis toujours associé avec des termes appartenant au champ lexical de l’ésotérisme, de la magie ou de la thérapie psychiatrique.
« Ils ont trouvé un truc qui s’appelle le maccarthysme et qui leur est bien utile du fait que McCarthy s’est conduit comme un imbécile. Chaque fois qu’il y a une liste noire ou une allusion à des gens mis dans l’incapacité de travailler, on appelle ça le maccarthysme. McCarthy était un crétin. » (John Lee Mahin).
Joseph McCarthy apparaît sur la scène politique américaine en 1950. Il est alors le jeune sénateur de l’état du Wisconsin. Le personnage est austère. Il parle froidement, sur ton monocorde. Avec son air sérieux et méthodique, il sait persuader l’opinion du bien fondé de ses accusations les plus brutales. Son fameux discours de Wheeling en Virginie le fait passer aux premiers rangs de l’actualité américaine, même s’il ne fait que dénoncer ce qu’on déjà dit de personnalités comme Whittaker Chambers ou Elisabeth Bentley trois ans plus tôt. Il fulmine par exemple contre le péril rouge au sein du département d’Etat. Il ira plus loin encore, peut-être pas sans raison, mais très maladroitement, en accusant l’US Army, et certains de ses généraux en particulier, de tolérer des communistes à des postes importants. Cette erreur marque le début de son rapide déclin sur le devant de la scène, et les auditions US Army-McCarthy, diffusées par ABC en avril-mai 1954 finissent par le déconsidérer auprès du grand public. Le 2 décembre 1954, un vote de censure du Sénat met un terme à sa carrière politique. McCarthy n’aurait pas été capable de justifier une transaction financière ; il était de plus accusé d’avoir fait obstruction au déroulement normal des débats. Plus probablement, les véhémentes accusations du sénateur auraient lassé jusqu’à ses propres collègues. Ajoutons à cela les attaques contre l’armée… A l’apogée de sa popularité en 1952, il est finalement considéré comme un « handicap majeur pour l’anticommunisme ». Il cesse de diriger la sous-commission sénatoriale d’enquête sur l’infiltration communiste dans l’administration dont il avait la charge depuis 1951.
A partir de cette éphémère carrière et de cette influence politique nulle ou presque, toute une mythologie va se développer sur le nom du sénateur, et s’inscrire dans l’imaginaire des médias. Il convient aujourd’hui de remettre au point un certain nombre d’erreurs.
D’abord, McCarthy n’a jamais approché, de près ou de loin, l’industrie du cinéma à Hollywood, tout au moins pas avant 1951.
Son rôle dans l’enquête puis l’exécution des époux Rosenberg est inexistant, même si tout le monde récite cette erreur depuis quarante ans, tant il est vrai qu’un mensonge répété mille fois devient finalement une vérité !
Il n’eut jamais le pouvoir quasi dictatorial qu’on lui prête volontiers, cette fable ayant pour fondement la médiatisation massive dont il fut l’objet pendant un certain temps, ainsi que la reprise et l’amplification de ce mythe par les communistes, qui voyaient là le moyen de faire passer leurs militants pour les persécutés d’un régime « fasciste » et totalitaire.
Enfin, impossible au sens politique, de parler de « maccarthysme » comme on parlerait de stalinisme, puisque le sénateur ne fut jamais le chef d’un parti, ni même l’organisateur d’un programme précis.
Le communisme aux Etats Unis
Les plus célèbres épisodes de la période dite du « Maccarthysme » concernent bien sûr la condamnation puis l’exécution des époux Rosenberg en 1953, mais encore les audiences par le HCUA des scénaristes hollywoodiens, en 1947 puis en 1951. Le plus spectaculaire étant surtout leur condamnation suite à une attitude et une défense suicidaires. Si le cas des Rosenberg, dont la culpabilité est aujourd’hui établie de façon incontestable, bien que toujours très largement ignorée du grand public, reste anecdotique, le cas des scénaristes de Hollywood est lui parfaitement représentatif de la situation que connaît le pays entier face à la question communiste.
Il est intéressant d’étudier le rôle exact du CPUSA, ainsi que la portée réelle de la réaction américaine. Il est surtout fondamental d’étudier la stratégie de ce parti face au gouvernement, ainsi que les motifs de sa condamnation tant par l’opinion populaire que par la justice.
D’une moustache, l’autre…
En 1945, le monde entier découvre les crocs de Staline, cachés jusqu’alors derrière la débonnaire moustache du « Petit père des Peuples ». La mise au pas de la Pologne et de toute l’Europe de l’Est, la mise à mort de la Tchécoslovaquie, la guerre civile en Grèce, opposant les partisans communistes aux résistants royalistes, le dépècement de l’Allemagne, le terrible bras de fer immédiatement engagé par le blocus de Berlin, l’inquiétante victoire de Mao en Chine, les multiples guerres civiles ainsi que l’ombre menaçante sur les deux camps, d’une arme terrible, capable d’éradiquer toute vie change radicalement la vision quelque peu angélique que pouvait avoir l’opinion américaine du sympathique bolchevique luttant pour la paix et la liberté… La Guerre froide vient de commencer.
Elle se joue sur deux théâtres.
Le premier ne concerne rien moins que la planète entière, à travers les affrontements masqués, et par pions interposés des deux grands marionnettistes vainqueurs de la Seconde Guerre mondiale.
Idiots inutiles ou minorité agissante ?
Le second touche la politique intérieure de l’ensemble des pays concernés par le choix entre communisme et capitalisme, où il faut prendre garde à la redoutable efficacité des partis communistes locaux. Parmi ces Etats, les Etats Unis. Et ce, même si des historiens nient cette assertion, arguant de la trop faible importance du CPUSA, de son isolation totale au sein de la population américaine, des multiples difficultés des communistes américains à se faire entendre et accepter de l’opinion. Ils poussent même, selon Jean-Paul Török, jusqu’à invoquer « le rudimentaire idéalisme des militants, l’irréalité de leurs certitudes et, sans le dire ouvertement, leur conjecturale stupidité » ! Ces historiens, proches des positions communistes, nient même que les marxistes hollywoodiens aient pu avoir l’intelligence d’infiltrer de la propagande soviétique dans l’élaboration des films, afin d’en modifier le contenu !
Des révisionnistes du communisme
Le but de ces « révisionnistes » est, bien sûr, de dédouaner les communistes américains de toute volonté de nuire à leur patrie, mais, surtout d’avancer que la menace interne n’a jamais existé, et qu’elle n’est que le fruit de conspirateurs, destinée à abuser les gogos.
A l’intérieur du pays, on regarde d’un autre œil ces gens qui soutiennent encore le régime marxiste, et notamment, une partie de cette industrie du cinéma et du monde médiatique, « qui avaient fait de Broadway et de Hollywood, modernes Sodome et Gomorrhe, deux capitales de la subversion ». En effet, durant la période du New Deal, puis au cours de la Seconde Guerre mondiale, il est incontestable que le petit monde de Hollywood a soutenu le régime soviétique, parfois même avec la bénédiction du président Roosevelt. D’où ces propos quelque peu inamicaux tenus par exemple par le républicain J. Parnell Thomas dès 1940 : « La subversion en Amérique a fleuri sous le New Deal ; le plus sûr moyen de la déraciner est de se débarrasser du New Deal », ou encore par Sam Wood, visant directement le président : « Il faut virer cet infirme de la Maison Blanche » !
Plus grave pour la politique de Roosevelt, est la confirmation de ces propos par un rapport de la Chambre de commerce tiré à six cent mille exemplaires (Communist infiltration in the United States : Its nature and how to Combat it, 1946), et dénonçant la politique du New Deal « qui a frayé la voix à l’idéologie communiste ».
Du rôle des Barbares et des termites
L’attitude des Américains vis-à-vis des communistes peut encore se mesurer aux demandes des représentants de l’industrie dans le Waldorf Astoria Statement. Ces derniers réclament tout de même aux politiciens de « promulguer des lois qui permettent de se débarrasser des éléments subversifs et déloyaux… » C’est encore l’homélie du pasteur Billy Graham devant le Sénat, n’attaquant rien moins que « les barbares qui frappent à nos portes à l’extérieur et les termites moraux à l’intérieur ».
Enfin, le souhait du peuple américain de contrer ce qui apparaissait comme une menace communiste est confirmé par les urnes en 1946, où les Américains portent au Congrès une écrasante majorité de conservateurs.
A Hollywood même, la petite existence de l’industrie cinématographique est elle aussi perturbée par les événements.
Le New Deal dans la Cité du rêve
Hollywood constitue en soi une véritable petite société autarcique, relativement indépendante vis-à-vis du gouvernement et qui entend bien le rester.
Ce monde du cinéma est régi par un code définissant une véritable éthique de l’industrie cinématographique : le code Hays, daté de mars 1930. Le prosélytisme politique est interdit. Les attaques prenant pour cible les minorités ethniques, religieuses ou sociales le sont également. Le seul but du cinéma américain est de distraire le public, de lui offrir du rêve.
Vers la fin des années trente, le gouvernement tente d’infléchir avec quelque succès cette ligne de conduite. Qui plus est, ce dernier essaie également de contraindre l’empire hollywoodien à séparer la production et l’exploitation des films, ainsi qu’à abandonner le circuit des salles de projection. Ceci en vertu d’une loi anti-trust, mais également dans le but de briser les pratiques monopolistiques de cette industrie. La victoire du gouvernement est perçue à Hollywood comme une manifestation du marxisme imprégnant le New Deal, et constitue selon eux une violation du capitalisme et de la libre entreprise.
Pire, cela pourrait être assimilé à une volonté de diriger le cinéma et de l’employer à des fins contraires au code de conduite en vigueur à Hollywood. Un cinéma de service public en quelque sorte, voire une entreprise « collectivisée », pour reprendre le vocabulaire en vogue alors.
Les communistes à Hollywood !
Avant tout, il est légitime de comprendre pourquoi les communistes tentent d’infiltrer le temple du capitalisme américain. Les raisons sont diverses, mais il est possible d’en privilégier quatre.
La première concerne le prestige qu’apportent ceux que Staline appelle les « idiots utiles » : les intellectuels, les célébrités en quête d’une noble cause à défendre. Outre leur renom, ces personnes apportent non seulement leur intelligence, leur respectabilité, mais également leur argent.
Voila justement l’objet de la seconde raison qui pousse les communistes à investir Hollywood : les membres du parti versaient une cotisation de 10 % sur un salaire mensuel de 4000 dollars. Ainsi, la section de Hollywood du CPUSA versait
1,5 million de dollars par an aux caisses du parti (approximativement 50 millions de francs actuels : 8000 fois le salaire normal d’un prolétaire de base employé à Hollywood). Ceci sans compter les fonds récoltés par les diverses associations satellites du parti. L’ensemble de ces revenus constituait vraisemblablement la moitié des ressources du CPUSA à l’époque !
Un autre aspect de l’intérêt communiste pour les millionnaires de Hollywood relève d’un domaine plus idéologique et stratégique : il s’agit d’avoir une mainmise sur le formidable moyen de propagande que constitue l’industrie du cinéma, en tant que vecteur d’une culture de masse.
Enfin, le quatrième motif n’est autre que le parachèvement de la présence du parti communiste dans tous les secteurs d’activité de la société américaine.
L’importance fondamentale des minorités actives
La première cellule du parti est créée à Hollywood pendant l’été 1937. La section connaît son apogée durant la guerre avec un nombre d’adhérents estimé à trois cents selon les chiffres du FBI. A ce chiffre, il faut ajouter le concours d’approximativement deux mille sympathisants, et quatre mille personnes contrôlées plus ou moins consciemment par les associations satellites du parti. Ces chiffres, qui sont qualifiés de dérisoires par les révisionnistes, ne doivent en réalité surtout pas être minorés. Ils constituent, ainsi que le savent parfaitement les historiens qui tentent de désamorcer ce fait, ce que Lénine appelait une « minorité active ». C’est avec ce genre de petits groupes plus ou moins clandestins que se sont effectuées les révolutions marxistes dans le monde entier, à commencer par la Russie elle-même.
En 1938, malgré la vive réticence des « moguls » (dirigeants hollywoodiens), et notamment de Louis B. Mayer, directeur de la MGM, les premiers films de propagande voient le jour. Ils dénoncent le « péril fasciste » en Europe, malgré la neutralité politique et la volonté isolationniste des Américains. Etrangement, dès 1939, les films anti-allemands cessent, sans que pour autant, les historiens révisionnistes y voient la moindre relation de cause à effet avec le pacte germano-soviétique. Jusqu’en 1941, les films de propagande s’interrompent, avant de reprendre à partir du déclenchement en Europe de l’opération Barbarossa.
Toujours est-il que le CPUSA ne fait là que soutenir l’effort de guerre « au service de la patrie et de la lutte antifasciste ». Le tout reste de savoir à quel pays appartiennent ces ardents patriotes.
En 1945, les choses changent. Ainsi que le dit J.-P. Török, « les Hollywoodiens qui revenaient de la guerre ne reconnurent pas leur usine à rêves. Le royaume du charme et du divertissement était en pleine révolution. Dans la plupart des studios, la gauche radicale exerçait son influence et des équipes composées de rouges et de libéraux régissaient la production (…) On aurait cru, à les entendre, que la guerre n’était pas finie. Ils ne parlaient que d’antifascisme, de lutte aux côtés des masses… »
Des scénaristes, comme Adrian Scott ou Edward Dmytryk, lancent des films sur l’antisémitisme et la discrimination raciale. De son côté, Elie Kazan enchaîne avec la dénonciation des tares de la société américaine, la corruption judiciaire et politique, le racisme et même l’antisémitisme.
Sur le plan interne à Hollywood, la Screen Writers Guild est devenue le syndicat unique, auquel doivent adhérer même les opposants, sous peine de perdre leur emploi. Le communiste Donald Trumbo y fait régner sa loi, ainsi que partout ailleurs à Hollywood. Il envisage également de créer une structure nouvelle : l’American Authors Authority (AAA). Celle ci permettrait à ses membres de ne plus vendre, mais de louer leurs œuvres aux producteurs… Et donc de leur offrir la possibilité de contrôler plus encore le contenu de leurs films.
Pour les Américains, au vu du contexte national et surtout mondial, cette prise en main des structures dirigeantes de Hollywood par les communistes est vécue comme une véritable invasion, prélude à une révolution de l’industrie du cinéma. Et nul besoin d’être grand clerc pour comprendre la place que pourraient avoir pris les films de propagande dans la tentative de révolution marxiste aux Etats-Unis.
Il ne faut jamais oublier le contexte international qui entoure cette crise hollywoodienne, même si les grandes crises de la guerre froide ne sont pas encore d’actualité. Pour les Américains, le risque est cependant réel. Il y a danger.
Le péril rouge au quotidien, ou la violence banale
Les grèves à caractère politique qui perturbent tout le territoire américain de 1945 à 1946 le confirment s’il en était encore besoin. Comme d’habitude, le microcosme hollywoodien reproduit à son échelle la crise qui touche le pays entier.
Herbert K. Sorrell, syndicaliste communiste connu pour avoir organisé une grève aux studios Walt Disney en 1941, déclenche les hostilités dès mars 1945. Il réclame la reconnaissance par les dirigeants de l’industrie, de la CSU (Conference of Studio Union, directement aux ordres de Moscou par le biais de la World Federation of Trade Unions), comme seule représentante des décorateurs de plateau. C’est une déclaration de guerre pour la IATSE, syndicat apolitique du petit personnel de l’industrie hollywoodienne. Rapidement la grève se répand dans toutes les compagnies et tourne à l’affrontement ouvert entre les syndicats rivaux, suite à la mise en place de piquets de grèves communistes destinés à empêcher les membres de l’IATSE d’aller au travail. De violentes batailles éclatent, et se poursuivent jusqu’en 1946.
William Green, président de l’American Federation of Labor, dénonce le caractère subversif des « tentatives concertées et répétées des responsables communistes et du CIO dont le but est de s’emparer de l’industrie du film aux dépens de l’AFL ».
Au niveau national, la réaction populaire est identique : il faut rétablir l’ordre dans la société, et préserver la liberté et la paix sociale. Aux élections législatives de novembre 1946, les démocrates sont battus. Leur stratégie d’alliance avec les communistes est dénoncée et condamnée.
A Hollywood comme ailleurs, des mesures de reprise en main sont appliquées contre le danger communiste. Les militants du PC n’ont plus le droit de siéger à la direction d’une organisation syndicale.
Ce danger écarté, il ne reste qu’à débusquer et affronter le communisme où il se cache encore.
C’est « l’Alliance pour la préservation des idéaux américains » (MPAPAI) qui va jouer dans cette affaire le rôle déterminant. Dès sa fondation en 1944, l’Alliance dresse des listes de communistes et surveille les éventuelles menées anti-américaines au sein des studios hollywoodiens. Elle estime très justement que « toute œuvre qui tendait par son contenu à autre chose qu’au pur et simple divertissement était suspecte de subversion » Toute la difficulté résidant dans la preuve de subversion à apporter. Or, les films sont remarquablement montés, et la propagande distillée, si elle est bien connue aujourd’hui, reste pour l’époque difficile à prouver.
En 1947, la MPAPAI profite de l’effet négatif des récentes grèves sur l’opinion publique pour relancer une demande d’enquête dans les milieux hollywoodiens auprès du HCUA, désormais constitué en Commission permanente. Son président J. Parnell Thomas, soutenu par le Congrès, et fort de la prise de conscience du danger communiste jusqu’au sein des studios, peut maintenant lancer une offensive contre les marxistes de Hollywood.
Qu’est ce que le HCUA ?
Ainsi que le dit fort justement l’historien J.-P. Török, « la commission d’enquête sur les activités anti-américaines (HCUA) n’est pas un avatar de l’Inquisition, de la chambre ardente, voire de la Gestapo ». Ce n’est même pas un tribunal. Il ne s’agit que d’une commission parlementaire, dont le travail est d’enquêter sur une question précise, puis de donner un avis à l’Assemblée, qui décidera alors de la marche à suivre et de la législation à adopter. Son champ d’action, même en cette époque troublée, ne se limite nullement aux seuls problèmes posés par le communisme ; et son attitude dure et impitoyable est la même face à tous les témoins, importants ou non, marxistes ou non.
Elle peut faire comparaître qui elle entend, sans distinction de rang ou d’importance, et jusqu’au président lui même… Les témoins, car il ne s’agit nullement d’accusés, sont tenus de prêter serment, et de répondre clairement et directement aux questions posées. La procédure est donc simple.
Et contre ceux qui refuseraient de comparaître, de répondre aux questions, ou qui se parjureraient, le HCUA peut utiliser « l’outrage au Congrès », arme terrible dont dispose la Commission.
La seule façon de rejeter légalement l’interrogatoire consiste à se réfugier derrière le Cinquième Amendement : « nul ne pourra, dans une affaire criminelle être contraint de témoigner contre lui-même ». Ce qui revient à s’accuser implicitement.
Les audiences du HCUA se déroulent dans une ambiance typiquement américaine, de par leur démesure et leur côté attractif : séances publiques, filmées et retransmises en direct par les télévisions, dans des salles bondées de spectateurs bruyants, rieurs et agités. Partout, la présence obsédante et permanente de journalistes et de photographes, écoutant et mitraillant tous azimuts de leurs objectifs. Cette particularité médiatique permet, au moindre faux pas du témoin, sinon de le condamner, du moins de le discréditer aux yeux du public, qui n’hésite pas à conspuer ou à applaudir selon les réponses des témoins. Il prend ainsi une part active à la démocratie et à la justice du pays.
Au niveau de sa composition en 1947, le HCUA comptait un président (Parnell Thomas), quatre représentants républicains et quatre démocrates.
Une procédure sérieuse
En mai-juin 1947, le HCUA tient des audiences préliminaires où la MPAPAI tient à apporter tout son soutien, en communiquant une liste de films « contenant une dose appréciable de propagande communiste », ou en apportant divers témoignages sur les menées anti-américaines des communistes dans l’industrie du cinéma. Suite à ces audiences préliminaires, Parnell Thomas put produire une première liste de dix-neuf noms de personnes soupçonnées. Les audiences officielles auront lieu à Washington, le 20 octobre 1947.
Le 21 septembre, quarante-trois Hollywoodiens sont appelés à témoigner devant le HCUA. Ces témoins se divisent en deux clans antagonistes : d’un côté, les « témoins amicaux », au nombre de vingt-quatre, anti-communistes et généralement membres de la MPAPAI ; de l’autre, les « témoins inamicaux », fortement soupçonnés d’appartenir au CPUSA et d’avoir des activités anti-patriotiques. Tous scénaristes ou réalisateurs, à l’exception d’un producteur et d’un comédien, ces témoins passeront à la postérité médiatique sous le nom des « Dix-neuf de Hollywood ».
Les communistes se vendent bien !
Cependant, même avec le soutien de la MPAPAI, la réussite de l’entreprise du HCUA peut sembler bien incertaine, et les quatre mois d’attente jusqu’au mois d’octobre peuvent avoir une importance décisive sur la décision finale.
Le premier coup d’arrêt à la mission du HCUA est donné par la réaction des « moguls ». Comme d’habitude, ceux-ci réagissent mal aux incursions du gouvernement dans leurs affaires. Ils refusent notamment de s’engager à ne pas employer de communistes dans leur industrie. Non pas pour des raisons de liberté politique, mais plus prosaïquement parce que les films de ces derniers se vendent bien ! Et puis, cela permettait de se débarrasser une fois pour toutes de ces encombrants agents du gouvernement.
Ainsi, quel que soit le résultat de l’enquête, les communistes sont sûrs de conserver leurs emplois à Hollywood et de ne pas être inquiétés. On notera là une certaine différence avec les procédés soviétiques.
Cette période d’attente est également mise à profit pour tenter de discréditer les membres du HCUA, en les faisant passer pour un ramassis de réactionnaires fanatiques et de paranoïaques bornés, et « il faut bien l’avouer ». Peut-être un peu stupides, et très certainement incompétents ! Mais surtout, ce serait là l’occasion pour ces politiciens, de briller en s’attaquant aux vedettes hollywoodiennes.
Seul problème : les « vedettes » sont des scénaristes inconnus, et pas des célébrités. Par ailleurs, les répercussions médiatiques autour de cette affaire sont indépendantes du sujet même, puisque toutes les grandes enquêtes du Congrès connaissent cette mise en scène à grand spectacle. http://aventuresdelhistoire.blogspot.com/

Aucun commentaire: