La fête de la Fédération, loin de marquer la naissance de la nation française, a érigé le volontarisme individualiste contre la nation historique et organique forgée au long des âges par les Capétiens.
En 1790, le roi fut pourtant acclamé, mais Louis XVI manqua l'occasion de réaffirmer son pouvoir.
Voici bientôt revenir le 14 juillet. On va nous répéter que la fête nationale commémore la fête dite de la Fédération, et non la prise de la Bastille de l'année précédente…
Qu'importe ! La date est tout aussi affligeante. Les constituants affichèrent bien mauvais goût à vouloir marquer du signe de la “Fraternité” le premier anniversaire des exactions bestiales d'une racaille ivre qui avait enfoncé une porte ouverte - car la Bastille s'était donnée -, et qui n'avait rien accompli d'utile en délivrant sept prisonniers entretenus aux frais du roi dans une forteresse déjà promise à la démolition…
De l'illusion de la fédération…
En 1790, la réconciliation n'était pas en route : la preuve en est que le 12 juillet, l'Assemblée constituante avait jeté la France dans la guerre civile en votant la Constitution civile du clergé. Depuis le printemps, les émeutes se multipliaient (Vannes, Toulouse, Toulon, Montauban…). On se battait pour le prix du pain. On revoyait des massacres entre catholiques et protestants…
Dans l'armée, c'était la débandade, les comités de soldats, encouragés par les clubs, prêchaient l'insoumission ; au printemps, plus de vingt corps de troupes s'étaient insurgés.
On s'étripait aussi en élisant les directeurs de départements ou de districts prévus par la réorganisation administrative votée en décembre 1789, et les nouveaux élus se comportaient comme des puissances indépendantes, s'acharnant notamment contre les chefs militaires, comme à Marseille où le chevalier de Bausset, major du fort Saint-Jean, venait d'être décapité par la populace… Paris, pour sa part, ne reçut son statut qu'en juin : division en quarante-huit sections formées d'un nombre égal de citoyens “actifs” et obtenant chacune le droit de réunion. Autant dire : quarante-huit nouveaux moteurs de la Révolution ! Dans ces conditions, attirer à Paris des foules de provinciaux au nom de la “Fraternité”, cela relevait du bourrage de crânes. Proposée par la commune de Paris, le 5 juin, la fête de la Fédération avait été décidée par décret de l'Assemblée nationale constituante le 9 juin et fixée au 14 juillet.
Il s'agissait de “fédérer” les gardes nationales nées à Paris et en province dans la fièvre de l'été 1789 à l'instigation de bourgeois-gribouilles avides de profiter du chamboulement révolutionnaire tout en se prémunissant contre les excès… Les fédérations locales naissaient : 50 000 délégués à Lyon le 30 mai, presque autant à Lille le 6 juin, puis à Strasbourg le 13, à Besançon le 16, à Rouen le 29. Partout embrassades rousseauistes, larmes de joie, transports “patriotiques” de citoyens persuadés que leurs déclamations faisaient enfin naître la France !
… à la Fédération des illusions
À Paris, sur l'esplanade du Champ de Mars, on avait prévu le plus grandiose. Il fallait “chauffer” au maximum les participants, mais on voulait aussi en imposer au roi en dressant face à lui la Nation en un seul corps, puisant sa souveraineté en elle-même dans le libre et fraternel consentement de ses membres…
Dès fin juin, plus de douze mille ouvriers trimaient pour tracer une vallée dominée de chaque côté par des talus de gradins. Ce fut très vite la panique, car l'on ne pourrait pas finir à temps ! Alors on battit le rappel des volontaires : hommes, femmes, enfants, même des religieux, tous bravant le mauvais temps en chantant le Ça ira d'un petit chanteur des rues nommé Ladré qui venait d'inventer des paroles sur un air de contredanse qu'aimait même Marie-Antoinette…
Arrivés dès le 12, les délégués des gardes nationales (un pour cent gardes) se logèrent tant bien que mal chez l'habitant et furent copieusement caressés dans les clubs, notamment celui des Jacobins. Le 14, dès le lever du jour, les abords de l'École militaire et des Invalides étaient noirs de monde. Le défilé commença à midi et demi, passant sous un arc de triomphe où l'on avait inscrit : « Nous ne vous craindrons plus / Subalternes tyrans / Vous qui nous opprimez / Sous cent noms différents. » En somme, plus besoin d'autorités ! Dans le cortège, outre les représentants des gardes, les élus et les électeurs de Paris, les élèves militaires, les troupes de ligne… et les inévitables “héros” de la Bastille dont l'Histoire ne dit pas s'ils s'étaient lavé les mains. Le roi arriva à trois heures. Aussitôt les bannières vinrent entourer “l'autel de la Patrie” où, sous une pluie torrentielle, commença la messe. L'officiant était Charles-Maurice de Talleyrand-Périgord, évêque d'Autun, le “diable boiteux” très à l'aise au milieu de cette mascarade. Au cours de la messe, il aurait dit à l'oreille du servant, son protégé l'abbé Louis (le futur ministre des Finances de Louis XVIII…) : « Surtout ne me regardez pas trop, vous me feriez rire. » Il est vrai qu'il devait y avoir de quoi…
L'occasion manquée
La pluie cessa à la fin de la messe quand Talleyrand bénit le drapeau tricolore. Éclatèrent alors chants et salves d'artillerie. Le marquis de La Fayette, qui depuis les journées d'octobre se voyait en maire du palais, dégaina son épée et prononça le serment fédératif : « Nous jurons d'être à jamais fidèles à la nation, à la loi et au roi, de maintenir de tout notre pouvoir la constitution décrétée par l'Assemblée nationale et acceptée par le roi […] de demeurer unis à tous les Français par les liens indissolubles de la Fraternité. » Toute la foule reprit ces paroles en choeur. Puis Louis XVI, qui s'était ennuyé ferme pendant la cérémonie, prononça, sans quitter sa place, le serment de respecter la constitution.
Il se produisit alors un fait que les organisateurs de la fête n'avait pas prévu : le roi fut longuement ovationné par la foule ! On avait tout entrepris pour qu'il n'eût pas le rôle principal et pour endoctriner les fédérés, et voilà qu'au seul son de sa voix, se scellait à nouveau le pacte millénaire entre les Français et le Capétien ! Ces provinciaux qui, presque tous, voyaient le roi pour la première fois, oubliaient déjà ce qu'on leur avait dit du “tyran”. Les révolutionnaires tremblèrent et crurent voir s'anéantir tout leur travail en quelques minutes. Quelques jours après on pouvait même lire dans le Courrier de Provence : « L'idolâtrie pour la monarchie se répand avec la force la plus violente et l'on a semblé oublier les restaurateurs de la liberté française… » Quant à Barnave, alors pilier du club des Jacobins, il devait avouer quelques années plus tard (lorsqu'il essaierait de sauver la reine) : « Si le roi avait su profiter de la Fédération, nous étions perdus. »
Hélas, Louis XVI n'en profita nullement. « Tous ces témoignages d'attachement et de respect, écrit Pierre Gaxotte, loin d'inciter le roi à préparer une réaction, le confirmèrent au contraire dans sa politique de ménagements et de temporisation. Roi constitutionnel, entouré de l'amour de ses sujets, il attendait dans une expectative affable que les circonstances fissent apparaître la nécessité d'un pouvoir fort. » Toujours ce refus de gêner le “bonheur” de son peuple… Les révolutionnaires ne lui en surent aucun gré. Au contraire, effrayés de le voir si populaire, ils l'empêchèrent dès le lendemain de visiter les provinces françaises, lui interdisant par décret de s'éloigner de plus de vingt lieues de l'Assemblée ! Et la Révolution reprit son visage de haine et de ruines…
Le Pacte à renouer…
Le 14 juillet 1790, naissance de la nation française ? Fuyons ce mensonge. Ce fut au contraire le jour de la rupture avec la nation historique, forgée au cours des âges par la lignée capétienne, unie dans une communauté de destin, dans la conjonction des forces de la terre, du sang et du coeur. Ces forces, les idéologues voulaient les étouffer au nom d'une autre idée de la nation : celle d'un ensemble d'individus unifiés par les seules forces du consentement individuel. En somme, comme a dit Maurras, « une pyramide qui repose sur sa pointe » ! Au Champ de Mars, on avait forcé une société naturelle, organique et historique à devenir un agrégat libre et volontaire. « Présenter cela comme un achèvement et, en d'autres termes, un progrès, dit encore Maurras, est une erreur grossière. Il n'y a pas de recul plus patent. Il n'y a pas de régression plus caractérisée. Car si je suis français parce que je le veux, en vertu d'une simple aliénation de mon “moi” à la France, le droit révolutionnaire m'apprend qu'il me suffira de cesser de vouloir l'être pour cesser de l'être… En ramenant l'adhésion et l'assentiment des patriotes à un champ mental et moral si étroit, qu'a donc fait et voulu et dû faire du patriotisme français la Révolution ? L'abaisser. »
Puisse le souvenir de l'occasion manquée par Louis XVI il y a cent vingt ans inspirer les participants au colloque sur la Fédération de ce 25 juin, en présence du prince Jean duc de Vendôme. Après tant d'années de constitutions écrites idéalistes, il serait temps de revenir à la véritable fédération des communautés françaises sous l'autorité d'âge en âge du fédérateur né, indépendant des idéologies : le roi.
Michel Fromentoux L’ACTION FRANÇAISE 2000 du 17 au 30 juin 2010
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