Le 19 juillet 711, à l'issue d'une bataille de sept jours, les troupes du roi wisigoth Roderic (Rodrigue) sont défaites, sur le Rio Guadalete, par les Maures arrivés du Maghreb sous le commandement du Berbère Tariq (qui a laissé son nom au Djebel Tariq-Gibraltar).
Pendant deux siècles le royaume wisigothique s'était avéré le plus brillant des États germaniques nés sur les ruines de l'empire romain, dont il avait repris intelligemment à son compte et intégré l'héritage culturel. Mais, au début du VIIIe siècle, ce royaume était fragilisé par une crise profonde. La famine et des épidémies de peste sapaient le moral des populations, tandis que les luttes entre clans nobiliaires rivaux créaient une dangereuse instabilité politique. Le roi Witiza avait voulu, au cours de son règne, apaiser les tensions en indemnisant les aristocrates victimes, au cours du règne précédent, de l'exil ou de la confiscation de leurs biens. Mais à sa mort ses frères, voyant le Senatus (assemblée des plus grands personnages laïcs et ecclésiastiques du royaume) désigner comme nouveau roi le duc de la Bétique, Rodrigue, firent reconnaître comme souverain, par l'aristocratie du nord-est de la Péninsule, leur neveu Agila. L'un des chefs du parti qui soutenait Agila, le comte Julien, prit contact avec les musulmans du Maroc pour leur demander leur appui. Gouverneur de Ceuta, il savait que le chef du Maghreb, Musa ben Nusayr, convoitait l'Espagne depuis longtemps (on est alors au cœur de la période qui marque la seconde vague des conquêtes musulmanes, sous le califat d'al-Walid). Des chroniques des IXe et Xe siècles assurent que Julien voulait se venger du roi Rodrigue, qui aurait déshonoré sa fille...
Dans la nuit du 27 au 28 avril 711, Tariq ben Ziyad, gouverneur de Tanger, fait passer le détroit à une troupe de 7 000 hommes, essentiellement des Berbères (les Arabes ne sont qu'une centaine dans cette première armée d'invasion). Rodrigue, qui combattait dans le Nord une révolte de Basques et de Cantabres, accourt pour faire face aux envahisseurs. Mais, au cours de la bataille décisive, le 19 juillet, il est trahi par les fils de Witiza, qui passent à l'ennemi avec leur clientèle et leur armée d'esclaves. Tué, son corps ne fut pas retrouvé et seuls son cheval blanc et son manteau brodé d'or, symboles de la royauté, tombèrent aux mains des Maures. Il restait à récupérer le trésor royal conservé à Tolède, qui se rendit sans résister (l'archevêque Oppas collabora, ouvertement et immédiatement, avec les musulmans).
Les Maures étendirent en quelques années leur domination sur la plus grande partie de l'Espagne, semant au passage destructions, rapines, meurtres et viols. Mais leur conquête fut facilitée par la collaboration que leur fournit une partie de la population. Pour conserver leurs biens, beaucoup de nobles ont choisi d'être des renégats. Ainsi, contre leur renonciation formelle à toute prétention au trône, les fils de Witiza, Akhila, Ardabast et Olmund ont pu conserver le patrimoine foncier considérable des anciens rois wisigoths. De même leurs partisans ont choisi de profiter de l'occasion pour s'emparer des biens des fidèles de Rodrigue. Le comte Cassius, un hispano-romain qui gouvernait les régions de Borja et de Tarazona, se convertit à l'islam et fut ainsi à l'origine de la lignée des Banu Qasi, qui devaient gouverner pendant plusieurs siècles le bassin de l'Ebre. Quant au comte wisigoth Théodemir, gouverneur de la Murcie, il put conserver son poste en se soumettant aux envahisseurs et en leur payant tribut. Un autre précieux concours fut apporté aux Maures par les communautés juives, qui gardaient une forte rancune à l'égard d'un royaume wisigoth qui avait pris, dans le cadre des conciles de Tolède, des mesures drastiques à leur égard (entre autres, le VIIIe concile, convoqué en 653 par le roi Réceswinthe, rappela que le souverain devait défendre la foi catholique contre « la perfidie des juifs », tandis que le XIIe concile, convoqué en 681 par le roi Ervige, déclarait avoir pour but « d'extirper la peste judaïque, qui renaît sans cesse »).
Une fois le royaume wisigoth disparu, son souvenir nourrit dans les esprits de la population européenne de l'Espagne la nostalgie d'un ordre conforme à ses traditions. Mais aussi l'espérance d'une Reconquista qui, partie des bastions d'une résistance tenace basée dans le nord de la péninsule, devait finalement rejeter les Maures en Afrique. Au prix de luttes qui durèrent presque huit siècles...
Pierre VIAL. Rivarol du 20 juillet au 2 septembre 2010
Pendant deux siècles le royaume wisigothique s'était avéré le plus brillant des États germaniques nés sur les ruines de l'empire romain, dont il avait repris intelligemment à son compte et intégré l'héritage culturel. Mais, au début du VIIIe siècle, ce royaume était fragilisé par une crise profonde. La famine et des épidémies de peste sapaient le moral des populations, tandis que les luttes entre clans nobiliaires rivaux créaient une dangereuse instabilité politique. Le roi Witiza avait voulu, au cours de son règne, apaiser les tensions en indemnisant les aristocrates victimes, au cours du règne précédent, de l'exil ou de la confiscation de leurs biens. Mais à sa mort ses frères, voyant le Senatus (assemblée des plus grands personnages laïcs et ecclésiastiques du royaume) désigner comme nouveau roi le duc de la Bétique, Rodrigue, firent reconnaître comme souverain, par l'aristocratie du nord-est de la Péninsule, leur neveu Agila. L'un des chefs du parti qui soutenait Agila, le comte Julien, prit contact avec les musulmans du Maroc pour leur demander leur appui. Gouverneur de Ceuta, il savait que le chef du Maghreb, Musa ben Nusayr, convoitait l'Espagne depuis longtemps (on est alors au cœur de la période qui marque la seconde vague des conquêtes musulmanes, sous le califat d'al-Walid). Des chroniques des IXe et Xe siècles assurent que Julien voulait se venger du roi Rodrigue, qui aurait déshonoré sa fille...
Dans la nuit du 27 au 28 avril 711, Tariq ben Ziyad, gouverneur de Tanger, fait passer le détroit à une troupe de 7 000 hommes, essentiellement des Berbères (les Arabes ne sont qu'une centaine dans cette première armée d'invasion). Rodrigue, qui combattait dans le Nord une révolte de Basques et de Cantabres, accourt pour faire face aux envahisseurs. Mais, au cours de la bataille décisive, le 19 juillet, il est trahi par les fils de Witiza, qui passent à l'ennemi avec leur clientèle et leur armée d'esclaves. Tué, son corps ne fut pas retrouvé et seuls son cheval blanc et son manteau brodé d'or, symboles de la royauté, tombèrent aux mains des Maures. Il restait à récupérer le trésor royal conservé à Tolède, qui se rendit sans résister (l'archevêque Oppas collabora, ouvertement et immédiatement, avec les musulmans).
Les Maures étendirent en quelques années leur domination sur la plus grande partie de l'Espagne, semant au passage destructions, rapines, meurtres et viols. Mais leur conquête fut facilitée par la collaboration que leur fournit une partie de la population. Pour conserver leurs biens, beaucoup de nobles ont choisi d'être des renégats. Ainsi, contre leur renonciation formelle à toute prétention au trône, les fils de Witiza, Akhila, Ardabast et Olmund ont pu conserver le patrimoine foncier considérable des anciens rois wisigoths. De même leurs partisans ont choisi de profiter de l'occasion pour s'emparer des biens des fidèles de Rodrigue. Le comte Cassius, un hispano-romain qui gouvernait les régions de Borja et de Tarazona, se convertit à l'islam et fut ainsi à l'origine de la lignée des Banu Qasi, qui devaient gouverner pendant plusieurs siècles le bassin de l'Ebre. Quant au comte wisigoth Théodemir, gouverneur de la Murcie, il put conserver son poste en se soumettant aux envahisseurs et en leur payant tribut. Un autre précieux concours fut apporté aux Maures par les communautés juives, qui gardaient une forte rancune à l'égard d'un royaume wisigoth qui avait pris, dans le cadre des conciles de Tolède, des mesures drastiques à leur égard (entre autres, le VIIIe concile, convoqué en 653 par le roi Réceswinthe, rappela que le souverain devait défendre la foi catholique contre « la perfidie des juifs », tandis que le XIIe concile, convoqué en 681 par le roi Ervige, déclarait avoir pour but « d'extirper la peste judaïque, qui renaît sans cesse »).
Une fois le royaume wisigoth disparu, son souvenir nourrit dans les esprits de la population européenne de l'Espagne la nostalgie d'un ordre conforme à ses traditions. Mais aussi l'espérance d'une Reconquista qui, partie des bastions d'une résistance tenace basée dans le nord de la péninsule, devait finalement rejeter les Maures en Afrique. Au prix de luttes qui durèrent presque huit siècles...
Pierre VIAL. Rivarol du 20 juillet au 2 septembre 2010
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