L’histoire au sens scientifique a été un peu dure avec Marx. Il me semble que comme Balzac, Zola ou Tocqueville, l’auteur du Capital mérite une relecture qui expliquerait bien des "nouveautés" du temps présent, déjà si présentes aux siècles écoulés. C’est ainsi que l’endettement fantastique des nations, les politiques d’immigration ou l’exubérance irrationnelle des marchés, comme disait ce bon Alan Greenspan, sont ainsi complètement connues et analysées par le grand économiste, historien et aussi journaliste.
Concernant l’endettement, qui menace actuellement de ruiner l’Europe ou l’Amérique, Marx écrit ceci (le Capital, Huitième section, chapitre 31) : « Le système du Crédit public, c’est-à-dire de dette publique, envahit l’Europe définitivement pendant l’époque manufacturière. Il n’ y a donc pas à s’étonner de la doctrine moderne que plus un peuple s’endette, plus il s’enrichit. Le crédit public, voilà le credo du capital. » On comprend dès lors pourquoi nos gouvernements occidentaux se précipitent pour nous rendre dépendants des marchés. D’autant que cette politique crée une nouvelle race de profiteurs. Marx ajoute : « La dette publique a donné le branle aux sociétés par actions, aux opérations aléatoires, à l’agiotage, en somme aux jeux de bourse et à la bancocratie moderne [...] Bolingbroke décrit l’apparition soudaine de cette engeance de bancocrates, financiers, rentiers, courtiers, agents de change, brasseurs d’affaires et loups-cerviers. »
Cette obsession maniaque de l’endettement encourage la mondialisation et l’interdépendance des nations : « Avec les dettes publiques naquit un système de crédit international »... avec à chaque fois un pays capitaliste qui prête à une future puissance : Marx évoque Venise, la Hollande, l’Angleterre, les États-Unis... auxquels on pourrait ajouter depuis le Japon d’après 1945 et la Chine de l’après-maoïsme. Et elle encourage aussi la surcharge d’impôts, causée par l’accumulation des dettes contractées par les gouvernements... On a vu que la hausse des impôts dans le Sarkostan décidée à la fin de l’été avait pour but de rassurer les marchés, et que les impôts n’ont baissé ni sous Reagan, Blair ou Thatcher, bien au contraire, et ce même si leur application est différente (les canons plutôt que le beurre social pour les néocons). Marx rappelle le rôle pédagogique d’une forte fiscalité, appliquée avec toujours plus de fermeté dans nos démocraties : « La fiscalité moderne renferme donc en soi un germe de progression automatique. La surcharge des taxes n’est pas un incident, mais le principe... de Witt a exalté l’impôt comme le plus propre à rendre le salarié soumis, frugal, industrieux... et exténué ». Je précise que de Witt en question est le fameux stathouder du grand siècle hollandais. On voit que le politiquement correct qui tend depuis vingt ans à limiter toutes nos libertés ou tous nos vices a de belles origines. Le système est de plus en plus inflexible, si la flexibilité est devenue la norme du salarié.
Vers la même époque, Marx dénonçait l’immigration d’ouvriers... belges en direction de l’Angleterre pour tenter de maintenir à flot une grève locale pour la journée de 9 heures. Aujourd’hui, 150 ans, on y revient, à la journée de neuf heures, et l’on va arriver à la retraite à 70 ans (en attendant mieux). Et si on sait que les enfants ne travaillent plus, on sait que les "investisseurs" Chinois à leur tour tentent de trouver moins cher que leurs propres ouvriers, au Sri Lanka, en Afrique ou ailleurs.
J’ai voulu citer Marx, d’une manière documentaire et non politique pour cette raison : à partir du moment où l’on feint de découvrir ou de dénoncer un problème qui est là depuis toujours, c’est qu’on ne veut pas le traiter. Rien de nouveau sous le sommeil. C’est ainsi que ceux qui dénoncent l’endettement, les excès des marchés, ou l’immigration sans remonter à leur source se moquent du monde. Je reprendrai Marx dans un prochain écrit pour une autre raison : la baisse de notre niveau de vie depuis quarante ou cinquante ans.
par Nicolas Bonnal L'après Libre Journal 17 septembre 2010
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