5 000 personnes se sont pressées lors du premier week-end de juin pour visiter à Angers le temple de Mithra découvert récemment et exceptionnellement ouvert au public pour deux jours. Un succès de curiosité qui ne s'est pas démenti depuis dans la presse régionale ou archéologique. Il faut dire que les vestiges du culte mithraïque sont rares, notamment dans l'ancienne Gaule romaine.
Les plus belles découvertes ne sont pas forcément les plus spectaculaires. Ainsi de ces modestes 70 m² qui viennent d'être dégagés sur un chantier de fouilles préventives ouvert au cœur d'Angers, sur le site de l'ancienne clinique Saint-Louis, bientôt transformée en immeuble locatif. La découverte, qualifiée d”'exceptionnelle” par l'archéologue et historien Christian Goudineau, du Collège de France, est celle d'un petit temple du début du IIIe siècle après J .-C. Seule une dizaine de tels lieux dédiés à ce culte ont jusqu'à présent été identifiés sur le territoire français actuel. Il est remarquable de trouver un mithraeum dans le Maine-et-Loire, car cela suggère que de riches membres de l'élite pratiquant le mithraïsme, marchands ou fonctionnaires, avaient introduit ce culte dans l'ouest des Gaules. Ce mithraeum était installé au cœur d'un quartier urbain huppé, comme en témoignent les deux domus et le système de voirie partiellement dégagés par les archéologues de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap) sur les quelque 4 600 m² du chantier. En outre, les fouilles montrent que cette partie d'Angers était déjà occupée, ce dont on doutait, sous l'empereur Auguste, au tout début de l'ère chrétienne. Mithra a été sans doute le dieu rival du christianisme le plus résistant. Il est certes un dieu oriental qui a participé à un métissage du panthéon romain fort éloigné des dieux primordiaux de l'Urbs. Mais contrairement à tant d'autres divinités sémitiques ou égyptiennes, Mithra était un dieu aryen. Son culte s'exerçait initialement dans des grottes naturelles (pour rappeler celle où Mithra tua le taureau, symbole du mal d'où jaillit cependant la vie, force vitale destructrice et créatrice), ce qui explique que l'on construisait des temples exigus et sans fenêtres, à l'image d'une caverne.
Le mithraeum d'Angers ne fait pas exception : il consistait en une petite salle rectangulaire enfoncée dans le sol, où l'on pénétrait après avoir revêtu les habits rituels dans une antichambre. Au fond, au-dessus d'un podium, un bas-relief représentait sans doute l'histoire du dieu. Des restes de colonnes ou d'autels attestent de la présence probable d'autres éléments, telles des statues.
« Le mithraïsme est un culte initiatique marqué par le secret qui n'a pas laissé de documentation écrite. Nous n'en savons que peu de choses, soit par l'iconographie, soit par les écrits que nous ont laissés des auteurs qui lui étaient en général assez hostiles. » Le nom de Mithra est cité dans l'Avesta, l'ensemble des textes sacrés de l'antique religion iranienne. Les plus anciens d'entre eux datent vraisemblablement de l'an mil avant notre ère. Mais le succès de ce dieu oriental dans l'Empire romain ne remonterait selon Plutarque qu'au 1er siècle avant J.-C : après la campagne menée par Pompée contre les pirates de Cilicie (sud-est de l'Asie mineure), son culte fut importé à Rome par les légionnaires, parfois fervents adeptes du culte de ce dieu solaire et martial, qui conquit aussi une partie de l'administration impériale. De fait, les vestiges des temples dédiés à Mithra sont souvent découverts non loin des casernes - dans les vallées du Rhin et du Danube notamment. Le mithraïsme connaît son apogée dans l'Empire romain aux IIe et IIIe siècles, sous une forme romanisée, sans doute éloignée de sa version iranienne. explique encore Christian Goudineau.
Né près d'une source et d'une pierre sacrée, déjà coiffé du bonnet phrygien, Mithra aurait donc rencontré et tué le taureau primordial, acte fondateur de la vitalité-virilité du monde, mais il était aussi le dieu de l'accord cosmique. Étant lumière, il devient par syncrétisme avec d'autres cultes solaires le « soleil invaincu » - sol invictus. Son culte faillit sous Aurélien devenir le culte officiel de l'empire mais il sera fort heureusement supplanté par le christianisme sous Théodose, même si Julien l'apostat (lire Benoist-Méchin) ou « l'usurpateur Eugène » tentèrent de le restaurer.
Ce qui explique son échec c'est son élitisme, son “machisme”, dirait-on aujourd'hui, et son culte du secret. Religion réservée à une élite masculine, il ne pouvait prétendre atteindre l'universalité chrétienne. Le sacrifice de Jésus était évidemment d'une autre force et d'une autre authenticité que celui d'un taureau.
Mithra sera ensuite coupé de ses racines géographiques par les événements historiques. Culte de mystère et d'initiation aux origines orientales et même pré-franc-maçonnerie pour nombre de ses détracteurs actuels, le mithraïsme allait décliner, encore qu'il fût longtemps pratiqué secrètement.
Mithra en Perse a survécu dans le zoroastrisme mais comme un dieu parmi les autres, et non plus le dieu premier d'un monothéisme solaire. Le temple d'Angers prouve cependant la vitalité dans la Gaule romaine, comme dans tout l'empire, du dieu aryen et tauroctone dont la fête, principale était fixée… un 25 décembre.
Pierre BOISGUILBERT. Rivarol du 16 juin 2010
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