De tous les philosophes des Lumières - avec Rousseau, qui fait bande à part - Voltaire est le plus connu. Mais le connaît-on si bien que cela ? Il y a loin de la légende à la réalité.
« L'autre jour, au fond d'un vallon / Un serpent piqua Jean Fréron; / Que pensez-vous qu'il arriva ? / Ce fut le serpent qui creva. » Pauvre Elie (et non pas Jean) Fréron ! «Coupable» de défendre avec courtoisie et brio, dans son « Année littéraire », la religion catholique et la monarchie, il fut la cible des attaques répétées des Philosophes, et de Voltaire au premier chef. Leurs menées aboutirent à faire plusieurs fois suspendre la parution de « l'Année littéraire », le journal de Fréron, et valurent à celui-ci plusieurs séjours à la Bastille et au For-l'Evêque. Sa feuille fut finalement interdite en 1775 par le garde des Sceaux Miromesnil, et Fréron mourut l'année suivante. Je pense a lui lorsqu'il m'arrive de lire la vertueuse déclaration, d'ailleurs apocryphe, que l'on prête à Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire. »
Quelle blague ! Rarement «philosophe» aura montré une telle puissance de haine envers ses adversaires, une haine qui ne tenait pas seulement à la divergence d'idées, mais à l'orgueil et à la vanité incommensurables de l'homme de Ferney. Malheur à qui le froissait : l'audacieux pouvait s'estimer heureux s'il ne faisait que les frais de sa causticité. Xavier Martin a raconté, dans son « Voltaire méconnu » (1), l'opiniâtreté que mit ce prétendu défenseur de la liberté de conscience à faire emprisonner le protestant La Beaumelle, par lui qualifié de « misérable échappé des Cévennes »; ou comment il tenta de faire condamner à mort Jean-Jacques Rousseau à Genève, en forgeant de toutes pièces dans l'œuvre du « promeneur solitaire », des blasphèmes odieux. Voltaire faussaire ? Mme de Grafigny, qui le connaissait bien, écrivait qu'il peut se montrer « plus fanatique que tous les fanatiques qu'il hait ».
C'est cette même force de haine qu'il déploie dans ses attaques contre le catholicisme. Dans Candide, résumé de toutes ses oeuvres selon Flaubert, il réussit une satire équivoque de la Théodicée de Leibniz, des abus de la religion, des amours monastiques, de la barbarie du code pénal,etc.
L'ironie et la moquerie appuyant l'idée, font les délices de la société insouciante et légère qui peuple les salons du XVIIIe siècle. « Combien a-t-il fait de personnages différents pour nous instruire ? » disait Mably. « Ne paraissant presque jamais sous son nom, tantôt c'est un théologien, un philosophe, un chinois, un aumônier du Roi de Prusse, un indien, un athée, un déiste; que n'est-il pas ? Il écrit pour tous les esprits, et même pour ceux qui sont plus touchés d'une plaisanterie ou d'un quolibet que d'une raison. » S'il prend la défense d'un Calas, victime d'une injustice, ce n'est pas tant par bonté d'âme que pour saper les institutions et attaquer l'Eglise. Mais alors même qu'il voue les juges à l'opprobre public, il n'ignore pas, comme il l'avoue en 1768, qu'ils « ont été trompés par de faux indices »(1). Quant aux Calas, il les traite de « protestants imbéciles » ...
Ce grand ami de l'humanité, initié comme Benjamin Franklin à la loge des Neuf Sœurs, partage en réalité avec les autres philosophes (2) le même mépris des hommes, qu'il considère comme « des petits rouages de la grande machine », et particulièrement du peuple : « Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être », écrit-il. Encore admet-il que le commun des Français appartient à la même espèce que lui.
Réfutant la Genèse, les philosophes nient que tous les hommes soient nés d'un seul couple. En conséquence, « La race des nègres est une espèce d'hommes différente de la nôtre », écrit Voltaire dans son « Essai sur les mœurs et l'esprit des nations ». Ce constat pseudo scientifique s'accompagne d'une classification des espèces humaines : « Les albinos sont au-dessous des nègres pour la force du corps et de l'entendement, et la nature les a peut-être placés après les nègres et les Hottentots au-dessus des singes, comme un des degrés qui descendent de l'homme à l'animal. » On ne s'étonnera pas que des opinions aussi «scientifiques» l'aient conduit à investir dans la traite négrière, comme Diderot et Raynal.
Les Lumières conduisent au racisme dans toutes ses composantes, y compris antisémite. Voltaire se fait d'autant plus vindicatif à l'égard des Juifs qu'à travers eux, c'est encore l'Eglise qu'il vise en réalité : « Vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour les peuples qui les tolèrent et les enrichissent », lit-on dans le Dictionnaire philosophique. Ce qui faisait dire au cardinal Lustiger, cité par Jean Sévillia dans son « Historiquement correct »: « Voltaire n'était pas chrétien et je crois que l'antisémitisme de Hitler relève de l' antisémitisme des Lumières et non d'un antisémitisme chrétien. »
On se pince lorsque les «philosophes» placent au-dessus de tout la «raison» - à laquelle les révolutionnaires, leurs disciples fidèles, voueront un culte véritable, faisant son Temple dans Notre-Dame de Paris. Leur raison ressemble à leur science : critiquant les travaux de Buffon sur la formation des roches sédimentaires, Voltaire pour lui répondre reproduit les expériences de Spallanzani sur les limaces ... et en tire, raconte Gaxotte(3), un pamphlet contre les moines, « Les colimaçons du R.P. L'Escarbotier » : « Il est certain que les colimaçons dureront plus que tous nos ordres religieux, car il est clair que, si on avait coupé la tête à tous les capucins et à tous les carmes, ils ne pourraient plus recevoir de novices, au lieu qu'une limace à qui on a coupé le cou reprend une nouvelle tête au bout d'un mois ... ». Robespierre, hélas, prendra ces «expériences» au sérieux ...
On comprend au bout de tout cela que notre Education nationale inscrive Voltaire au programme. Incarnation des Lumières, n'est-il pas pour nos enfants un modèle de Tolérance et de libéralisme ? Son ami Diderot l'appelait « l'Antéchrist ».
G. de Villefollet monde & vie . 5 juin 2010
1. Xavier Martin, Voltaire méconnu; Aspects cachés de l'humanisme des Lumières, ed. DMM, Bouère, 2006.
2. Dans son livre Historiquement correct (ed. Perrin), Jean Sévillia rapporte que Philipon de La Madeleine souhaitait que l'usage de l'écriture soit interdit aux enfants du peuple ...
3. Pierre Gaxotte, La Révolution française
« L'autre jour, au fond d'un vallon / Un serpent piqua Jean Fréron; / Que pensez-vous qu'il arriva ? / Ce fut le serpent qui creva. » Pauvre Elie (et non pas Jean) Fréron ! «Coupable» de défendre avec courtoisie et brio, dans son « Année littéraire », la religion catholique et la monarchie, il fut la cible des attaques répétées des Philosophes, et de Voltaire au premier chef. Leurs menées aboutirent à faire plusieurs fois suspendre la parution de « l'Année littéraire », le journal de Fréron, et valurent à celui-ci plusieurs séjours à la Bastille et au For-l'Evêque. Sa feuille fut finalement interdite en 1775 par le garde des Sceaux Miromesnil, et Fréron mourut l'année suivante. Je pense a lui lorsqu'il m'arrive de lire la vertueuse déclaration, d'ailleurs apocryphe, que l'on prête à Voltaire : « Je ne suis pas d'accord avec ce que vous dites, mais je me battrai jusqu'au bout pour que vous puissiez le dire. »
Quelle blague ! Rarement «philosophe» aura montré une telle puissance de haine envers ses adversaires, une haine qui ne tenait pas seulement à la divergence d'idées, mais à l'orgueil et à la vanité incommensurables de l'homme de Ferney. Malheur à qui le froissait : l'audacieux pouvait s'estimer heureux s'il ne faisait que les frais de sa causticité. Xavier Martin a raconté, dans son « Voltaire méconnu » (1), l'opiniâtreté que mit ce prétendu défenseur de la liberté de conscience à faire emprisonner le protestant La Beaumelle, par lui qualifié de « misérable échappé des Cévennes »; ou comment il tenta de faire condamner à mort Jean-Jacques Rousseau à Genève, en forgeant de toutes pièces dans l'œuvre du « promeneur solitaire », des blasphèmes odieux. Voltaire faussaire ? Mme de Grafigny, qui le connaissait bien, écrivait qu'il peut se montrer « plus fanatique que tous les fanatiques qu'il hait ».
C'est cette même force de haine qu'il déploie dans ses attaques contre le catholicisme. Dans Candide, résumé de toutes ses oeuvres selon Flaubert, il réussit une satire équivoque de la Théodicée de Leibniz, des abus de la religion, des amours monastiques, de la barbarie du code pénal,etc.
L'ironie et la moquerie appuyant l'idée, font les délices de la société insouciante et légère qui peuple les salons du XVIIIe siècle. « Combien a-t-il fait de personnages différents pour nous instruire ? » disait Mably. « Ne paraissant presque jamais sous son nom, tantôt c'est un théologien, un philosophe, un chinois, un aumônier du Roi de Prusse, un indien, un athée, un déiste; que n'est-il pas ? Il écrit pour tous les esprits, et même pour ceux qui sont plus touchés d'une plaisanterie ou d'un quolibet que d'une raison. » S'il prend la défense d'un Calas, victime d'une injustice, ce n'est pas tant par bonté d'âme que pour saper les institutions et attaquer l'Eglise. Mais alors même qu'il voue les juges à l'opprobre public, il n'ignore pas, comme il l'avoue en 1768, qu'ils « ont été trompés par de faux indices »(1). Quant aux Calas, il les traite de « protestants imbéciles » ...
Ce grand ami de l'humanité, initié comme Benjamin Franklin à la loge des Neuf Sœurs, partage en réalité avec les autres philosophes (2) le même mépris des hommes, qu'il considère comme « des petits rouages de la grande machine », et particulièrement du peuple : « Il est à propos que le peuple soit guidé, et non pas qu'il soit instruit, il n'est pas digne de l'être », écrit-il. Encore admet-il que le commun des Français appartient à la même espèce que lui.
Réfutant la Genèse, les philosophes nient que tous les hommes soient nés d'un seul couple. En conséquence, « La race des nègres est une espèce d'hommes différente de la nôtre », écrit Voltaire dans son « Essai sur les mœurs et l'esprit des nations ». Ce constat pseudo scientifique s'accompagne d'une classification des espèces humaines : « Les albinos sont au-dessous des nègres pour la force du corps et de l'entendement, et la nature les a peut-être placés après les nègres et les Hottentots au-dessus des singes, comme un des degrés qui descendent de l'homme à l'animal. » On ne s'étonnera pas que des opinions aussi «scientifiques» l'aient conduit à investir dans la traite négrière, comme Diderot et Raynal.
Les Lumières conduisent au racisme dans toutes ses composantes, y compris antisémite. Voltaire se fait d'autant plus vindicatif à l'égard des Juifs qu'à travers eux, c'est encore l'Eglise qu'il vise en réalité : « Vous ne trouverez en eux qu'un peuple ignorant et barbare, qui joint depuis longtemps la plus sordide avarice à la plus détestable superstition et à la plus invincible haine pour les peuples qui les tolèrent et les enrichissent », lit-on dans le Dictionnaire philosophique. Ce qui faisait dire au cardinal Lustiger, cité par Jean Sévillia dans son « Historiquement correct »: « Voltaire n'était pas chrétien et je crois que l'antisémitisme de Hitler relève de l' antisémitisme des Lumières et non d'un antisémitisme chrétien. »
On se pince lorsque les «philosophes» placent au-dessus de tout la «raison» - à laquelle les révolutionnaires, leurs disciples fidèles, voueront un culte véritable, faisant son Temple dans Notre-Dame de Paris. Leur raison ressemble à leur science : critiquant les travaux de Buffon sur la formation des roches sédimentaires, Voltaire pour lui répondre reproduit les expériences de Spallanzani sur les limaces ... et en tire, raconte Gaxotte(3), un pamphlet contre les moines, « Les colimaçons du R.P. L'Escarbotier » : « Il est certain que les colimaçons dureront plus que tous nos ordres religieux, car il est clair que, si on avait coupé la tête à tous les capucins et à tous les carmes, ils ne pourraient plus recevoir de novices, au lieu qu'une limace à qui on a coupé le cou reprend une nouvelle tête au bout d'un mois ... ». Robespierre, hélas, prendra ces «expériences» au sérieux ...
On comprend au bout de tout cela que notre Education nationale inscrive Voltaire au programme. Incarnation des Lumières, n'est-il pas pour nos enfants un modèle de Tolérance et de libéralisme ? Son ami Diderot l'appelait « l'Antéchrist ».
G. de Villefollet monde & vie . 5 juin 2010
1. Xavier Martin, Voltaire méconnu; Aspects cachés de l'humanisme des Lumières, ed. DMM, Bouère, 2006.
2. Dans son livre Historiquement correct (ed. Perrin), Jean Sévillia rapporte que Philipon de La Madeleine souhaitait que l'usage de l'écriture soit interdit aux enfants du peuple ...
3. Pierre Gaxotte, La Révolution française
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