mercredi 25 novembre 2009

L’Afrique en partie responsable de ses frontières


Si l’Afrique est aujourd’hui divisée en plus de 50 Etats, les responsabilités de ce fait n’incombent pas aux seuls colonisateurs ; ceux-là avaient, au contraire, créé de vastes ensembles territoriaux : Est africain britannique ou encore, dans le domaine français, l’AEF et l’AOF.
Parmi ces ensembles territoriaux, certains étaient naturellement plus favorisés que d’autres au point de vue économique et c’est pourquoi la France eut l’intention de bien répartir les richesses, les potentialités, afin que tous puissent en profiter.
En 1958, en Afrique noire française, seuls trois pays avaient une balance commerciale excédentaire. Car ils étaient exportateurs de bois, de café et de cacao. Il s’agissait du Gabon, du Cameroun et de la Côte-d’Ivoire. L’indépendance approchant, la France eut l’intention de constituer des ensembles économiques et politiques autour de ces pôles de relative prospérité. Paris proposa alors de regrouper les trois territoires les plus riches avec d’autres, moins bien dotés. Le projet n’eut pas de suite, car les territoires les plus favorisés ne voulurent pas que des régions sans ressources dépendissent de leurs richesses et c’est en partie pourquoi l’Afrique de l’Ouest est aujourd’hui balkanisée.
En outre, à l’époque coloniale, l’existence d’immenses ensembles géographiques unis sous la même administration avait permis de désenclaver l’Afrique centrale et l’Afrique sahélienne. L’exemple du Mali illustre parfaitement cette idée. Le Mali est aujourd’hui étranglé par un enclavement géographique et politique qui lui interdit tout développement en raison des insolubles problèmes de transport et de frontières douanières qui l’assaillent. Toutes ses importations et toutes ses exportations se font en effet par la route, en direction des ports de la façade maritime africaine. Des milliers de kilomètres doivent donc être parcourus et plusieurs frontières franchies, d’où des coûts que l’économie nationale ne peut supporter.
Avant 1960, la situation était totalement différente, car, placé au carrefour de sept territoires relevant d’une seule autorité, l’autorité française, le Mali n’était pas un cul-de-sac comme aujourd’hui, mais une plaque tournante essentielle de l’Ouest africain. Comme bien d’autres pays africains, le Mali a été tué, non par la colonisation, mais par l’indépendance.
Avec l’AOF et l’AEF, la France avait constitué des ensembles viables subdivisés en territoires administrativement autonomes.
Ces derniers n’avaient pas vocation à devenir des "Etats". Et pourtant, l’autonomie administrative accordée par la "loi-cadre" de 1956 fut comprise par les dirigeants africains locaux comme l’encouragement à la balkanisation. Alors que l’autonomie, puis l’indépendance auraient dû être accordées aux fédérations, c’est à leurs composantes qu’elles le furent. Mais la constitution de vastes ensembles régionaux, ou, plus encore, le panafricanisme, n’auraient pas fait disparaître un problème ethnique qui n’aurait été qu’élargi aux limites d’Etats gigantesques encore plus ingérables que les actuels.
De plus, c’est l’OUA et non l’Europe qui, en 1963, décréta que les frontières étaient fixées une fois pour toutes. Le raisonnement des chefs d’Etat africains était que, compte tenu de la fragilité de leurs pays, véritables mosaïques ethniques, toute "retouche" provoquerait des réactions en cascade avec, pour horizon, l’anarchie et la guerre généralisée. C’est pourquoi les sécessions du Katanga et du Biafra furent noyées dans le sang et avec la bénédiction des organisations.
par Bernard Lugan
(22 février 1995)

Texte publié dans Le Libre Journal n°60.

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