Les frères Kaczynski, respectivement Premier ministre et président de la République de Pologne, ont subi un échec : leur loi sur la décommunisation du pays a été invalidée par la Cour constitutionnelle. Essentiellement à cause de leurs méthodes et parce que le processus d'épuration semble avoir atteint ses limites.
La Cour constitutionnelle polonaise a partiellement invalidé, le 12 mai dernier, la loi de décommunisation défendue par les frères Kaczynski. Leur campagne contre les anciens agents communistes avançait jusqu'alors tambour battant. Le 17 avril dernier, le déclenchement de l'offensive a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Premier accusé : le général Wojciech Jaruzelski, ancien secrétaire général du Parti communiste, qui exerça une dictature sur la Pologne entre 1981 et 1989. Il est accusé de « crime communiste » pour avoir instauré la loi martiale, dans le but de briser - sans succès - le syndicat Solidarité. A 83 ans, il encourt 10 ans de prison.
Même s'il n'est pas certain qu'il empêcha une invasion de son pays par l'Union soviétique, qui a toujours privilégié des solutions polono-polonaises pour éviter les rebellions d'une nation nombreuse et prompte au soulèvement, Jaruzelski, malgré son orthodoxie communiste semble avoir été un patriote. Sa rencontre avec Jean-Paul II en juin 1983, sur laquelle l'ancien dictateur lèvera bientôt le voile, dans le cadre de la béatification du Saint Père, débouche un mois plus tard sur la levée de la loi martiale. A la fin de l'année, le Parlement vote une amnistie pour les dissidents. De toute évidence, les deux hommes ont trouvé un terrain d'entente dans l'intérêt supérieur de la Pologne. Reste à savoir si Jaruzelski, qui n'était pas un ange mais un politicien communiste rompu aux manœuvres et aux rapports de force, a délibérément travaillé en accord avec le pape ou s'il savait le camp socialiste vaincu d'avance.
Jugé et disculpé en 1996 par des accusateurs complaisants, ce n'est qu'aujourd'hui que le général se souvient des persécutions qu'il a fait endurer aux résistants : « cette période a été un cauchemar [ ... ] J'étais sous la pression de forces internes et externes. Je souffre encore aujourd'hui, je présente mes excuses à ceux qui ont souffert injustement, à ceux qui ont pu être arrêtés injustement, je présente mes excuses à toutes les victimes ».
Jaruzelski, traître ou patriote ?
Mais les frères Kaczynski n'ont cure des excuses du vieux tyran et ne souhaitent pas le faire bénéficier de circonstance atténuantes et encore moins d'une prescription. Le fait qu'ils n'entendent pas limiter la décommunisation au procès symbolique de Jaruzelski va précipiter leur défaite. Selon eux, « il faut rayer de l'espace public les criminels et les traîtres à la patrie ». Et c'est peut-être par leur intransigeance qu'ils feront échouer ce qui aurait pu devenir une sorte de procès de Nuremberg symbolique du communisme attendu par des millions de personnes. Le jour même de la mise en accusation de Jaruzelski, ce sont 700 000 Polonais, âgés de 35 ans et plus, exerçant des responsabilités, qui recevaient un questionnaire de deux pages, à retourner avant le 15 mai à l'Institut du souvenir national (IPN), dépositaire des archives de la Sécurité d'Etat, l'équivalent du KGB en Pologne.
Une loi, votée le 15 mars, les obligeait à répondre - sous peine de licenciement et d'une interdiction d'exercer leur profession durant dix ans à une question délicate : « avez-vous collaboré secrètement et sciemment avec les anciens services de sécurité polonais ? »
Aucune sanction n'est prévue pour ceux qui avoueront une collaboration. En revanche, leur nom sera publié sur le site internet de l'IPN. Plusieurs médias publics ont aussitôt fait savoir qu'ils évinceraient les anciens agents et collaborateurs. Jusqu'alors, la décommunisation ne concernait que 30 000 personnes. En vertu d'une loi de 1997, seuls les parlementaires, les ministres, les magistrats et les hauts fonctionnaires étaient obligés d'avouer leur collaboration avec les communistes. C'est pourquoi la nouvelle loi est fortement contestée, y compris par les dissidents anticommunistes.
Une déclaration obligatoire de loyauté
Le journal Gazeta Wyborcza, ancien organe clandestin, a décidé de boycotter l'enquête. Il reproche aux Kaczynski de vouloir englober trop de gens, trop longtemps après la fin de l'ère socialiste. La loi amalgame en outre les véritables agents avec les milliers de quidams contraints d'informer la Sécurité d'Etat sous peine de persécutions envers eux ou leur famille. Pour l'ancien résistant Wojciech Mazowiecki, « signer une telle déclaration, sous la menace d'une interdiction de travailler, est aussi humiliant que d'avoir été contraint par la police communiste de signer une déclaration de loyauté ! » Le 23 avril, Bronislaw Geremek, ancien chef de la diplomatie polonaise, membre dirigeant de Solidarité et grande figure de l'opposition anticommuniste, perdait son mandat de député au Parlement européen pour avoir refusé de répondre à l'enquête.
Les méthodes brutales adoptées par les frères Kaczynski sont également au coeur de la contestation. Au nom d'une légitime condamnation du passé communiste, les jumeaux sont accusés d'adopter des méthodes soviétiques. Craignant une invalidation de leur loi, ils ont fait effectuer des recherches dans les archives de l'lPN, pour trouver des éléments permettant de faire pression sur les juges de la Cour constitutionnelle, chargée de statuer sur la légalité des lois.
Ce qui n'a pas empêché l'invalidation de plusieurs articles du texte, déclarés anticonstitutionnels, notamment ceux concernant la publication des noms sur Internet. Toutefois, même si elle doit être révisée, la loi n'est pas irrecevable. Selon Janusz Kurtyka, directeur de l'IPN, « la Pologne en a besoin, car notre pays n'a pas achevé son processus de sortie de la période communiste et de ses conséquences à long terme ».
Patrick Cousteau monde et vie. 9 juin 2007
La Cour constitutionnelle polonaise a partiellement invalidé, le 12 mai dernier, la loi de décommunisation défendue par les frères Kaczynski. Leur campagne contre les anciens agents communistes avançait jusqu'alors tambour battant. Le 17 avril dernier, le déclenchement de l'offensive a fait l'effet d'un coup de tonnerre. Premier accusé : le général Wojciech Jaruzelski, ancien secrétaire général du Parti communiste, qui exerça une dictature sur la Pologne entre 1981 et 1989. Il est accusé de « crime communiste » pour avoir instauré la loi martiale, dans le but de briser - sans succès - le syndicat Solidarité. A 83 ans, il encourt 10 ans de prison.
Même s'il n'est pas certain qu'il empêcha une invasion de son pays par l'Union soviétique, qui a toujours privilégié des solutions polono-polonaises pour éviter les rebellions d'une nation nombreuse et prompte au soulèvement, Jaruzelski, malgré son orthodoxie communiste semble avoir été un patriote. Sa rencontre avec Jean-Paul II en juin 1983, sur laquelle l'ancien dictateur lèvera bientôt le voile, dans le cadre de la béatification du Saint Père, débouche un mois plus tard sur la levée de la loi martiale. A la fin de l'année, le Parlement vote une amnistie pour les dissidents. De toute évidence, les deux hommes ont trouvé un terrain d'entente dans l'intérêt supérieur de la Pologne. Reste à savoir si Jaruzelski, qui n'était pas un ange mais un politicien communiste rompu aux manœuvres et aux rapports de force, a délibérément travaillé en accord avec le pape ou s'il savait le camp socialiste vaincu d'avance.
Jugé et disculpé en 1996 par des accusateurs complaisants, ce n'est qu'aujourd'hui que le général se souvient des persécutions qu'il a fait endurer aux résistants : « cette période a été un cauchemar [ ... ] J'étais sous la pression de forces internes et externes. Je souffre encore aujourd'hui, je présente mes excuses à ceux qui ont souffert injustement, à ceux qui ont pu être arrêtés injustement, je présente mes excuses à toutes les victimes ».
Jaruzelski, traître ou patriote ?
Mais les frères Kaczynski n'ont cure des excuses du vieux tyran et ne souhaitent pas le faire bénéficier de circonstance atténuantes et encore moins d'une prescription. Le fait qu'ils n'entendent pas limiter la décommunisation au procès symbolique de Jaruzelski va précipiter leur défaite. Selon eux, « il faut rayer de l'espace public les criminels et les traîtres à la patrie ». Et c'est peut-être par leur intransigeance qu'ils feront échouer ce qui aurait pu devenir une sorte de procès de Nuremberg symbolique du communisme attendu par des millions de personnes. Le jour même de la mise en accusation de Jaruzelski, ce sont 700 000 Polonais, âgés de 35 ans et plus, exerçant des responsabilités, qui recevaient un questionnaire de deux pages, à retourner avant le 15 mai à l'Institut du souvenir national (IPN), dépositaire des archives de la Sécurité d'Etat, l'équivalent du KGB en Pologne.
Une loi, votée le 15 mars, les obligeait à répondre - sous peine de licenciement et d'une interdiction d'exercer leur profession durant dix ans à une question délicate : « avez-vous collaboré secrètement et sciemment avec les anciens services de sécurité polonais ? »
Aucune sanction n'est prévue pour ceux qui avoueront une collaboration. En revanche, leur nom sera publié sur le site internet de l'IPN. Plusieurs médias publics ont aussitôt fait savoir qu'ils évinceraient les anciens agents et collaborateurs. Jusqu'alors, la décommunisation ne concernait que 30 000 personnes. En vertu d'une loi de 1997, seuls les parlementaires, les ministres, les magistrats et les hauts fonctionnaires étaient obligés d'avouer leur collaboration avec les communistes. C'est pourquoi la nouvelle loi est fortement contestée, y compris par les dissidents anticommunistes.
Une déclaration obligatoire de loyauté
Le journal Gazeta Wyborcza, ancien organe clandestin, a décidé de boycotter l'enquête. Il reproche aux Kaczynski de vouloir englober trop de gens, trop longtemps après la fin de l'ère socialiste. La loi amalgame en outre les véritables agents avec les milliers de quidams contraints d'informer la Sécurité d'Etat sous peine de persécutions envers eux ou leur famille. Pour l'ancien résistant Wojciech Mazowiecki, « signer une telle déclaration, sous la menace d'une interdiction de travailler, est aussi humiliant que d'avoir été contraint par la police communiste de signer une déclaration de loyauté ! » Le 23 avril, Bronislaw Geremek, ancien chef de la diplomatie polonaise, membre dirigeant de Solidarité et grande figure de l'opposition anticommuniste, perdait son mandat de député au Parlement européen pour avoir refusé de répondre à l'enquête.
Les méthodes brutales adoptées par les frères Kaczynski sont également au coeur de la contestation. Au nom d'une légitime condamnation du passé communiste, les jumeaux sont accusés d'adopter des méthodes soviétiques. Craignant une invalidation de leur loi, ils ont fait effectuer des recherches dans les archives de l'lPN, pour trouver des éléments permettant de faire pression sur les juges de la Cour constitutionnelle, chargée de statuer sur la légalité des lois.
Ce qui n'a pas empêché l'invalidation de plusieurs articles du texte, déclarés anticonstitutionnels, notamment ceux concernant la publication des noms sur Internet. Toutefois, même si elle doit être révisée, la loi n'est pas irrecevable. Selon Janusz Kurtyka, directeur de l'IPN, « la Pologne en a besoin, car notre pays n'a pas achevé son processus de sortie de la période communiste et de ses conséquences à long terme ».
Patrick Cousteau monde et vie. 9 juin 2007
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