Depuis des siècles, l'histoire de l'Église fait, elle aussi, l'objet de manipulations. L'une des illustrations les plus récentes en est donnée par la légende noire d'un Pie XII complice, par son silence, de la déportation des Juifs.
Voilà tout juste cinquante ans, s'éteignait Pie XII. Golda Meir, ministre des Affaires Étrangères d'Israël, saluait alors la mémoire d'Eugenio Pacelli, « grand serviteur de la paix » : « Pendant la décennie de terreur nazie, quand notre peuple a subi un martyre terrible, la voix du pape s'est élevée pour condamner les persécuteurs », affirmait-elle. Le lendemain, Elio Toaff, Grand Rabbin de Rome, déclarait lui aussi : « Les juifs se souviendront toujours de ce que l'Église catholique a fait pour eux sur l'ordre du Pape au moment des persécutions raciales ». Treize ans auparavant, Israële Zolli, à l'époque Grand Rabbin de Rome, s'était converti au catholicisme en choisissant le prénom d'Eugène, en hommage à Pie XII. Et les gestes de reconnaissance à l'égard du pape, de la part du monde juif, étaient alors légion.
Tout bascule en 1963, lorsque le dramaturge allemand Rolf Hochhuth publie sa pièce, Le Vicaire. La légende noire du pape nazi est lancée. Elle prendra de l'ampleur avec la publication, en 1999, du Pape d'Hitler, du journaliste anglais John Cornwell (accessoirement frère du maître du roman d'espionnage, John Le Carrée), puis avec Amen, l'adaptation cinématographique de l'œuvre de Hochhuth par Costa Gavras en 2002. Dans une société a-culturée, où le scandale fait office de marketing, Amen endosse l'habit de l'œuvre historique, au service d'un devoir de mémoire de masse. Le Pape y apparaît attentiste, voire complaisant à l'égard du régime national-socialiste. Silence complet sur l'encyclique Mit brennender Sorge (Avec une vive inquiétude) de 1936, condamnant l'idéologie hitlérienne et dont Pacelli fut le principal artisan. Le discours de Noël 1942 est réduit à sa plus simple expression. Pourtant, alors qu'aujourd'hui les détracteurs de l'Église n'y voient qu'une allusion ambiguë aux souffrances du peuple juif, le Bureau central de la Sécurité du Reich à Berlin saisit parfaitement le poids du discours délivré à l'époque par le Vatican :
« D'une manière qui n'a pas de précédent, le pape a désavoué le national-socialisme et le nouvel ordre européen, écrit-il alors à ses représentants à travers l'Europe occupée. Il y accuse virtuellement le peuple allemand d'injustice envers les Juifs et se fait le porte-parole des criminels de guerre juifs. » Quant à l'action personnelle du pape en faveur des juifs traqués dans Rome occupée par les troupes allemandes, le film de Gavras demeure tout aussi évasif.
Effet médiatique contre science historique
Peu importe, dès lors, que les remarquables travaux du père Blet, un jésuite qui a dépouillé les archives vaticanes, aient montré l'inanité des accusations portées contre Pie XII ; peu importe aussi qu'il ait été le seul chef d'État au monde à lancer un cri d'alarme dans ce fameux discours de Noël. Peu importe enfin que le souci de ne pas ajouter encore aux persécutions subies par les Juifs, mais aussi par les catholiques polonais, lui ait imposé une certaine prudence - le pape tirant la leçon des dénonciations énergiques - du traitement réservé aux juifs par les clergés catholique et protestants aux Pays-Bas, qui provoqua la déportation des Juifs convertis au catholicisme ... L'effet médiatique l'emporte sur la science historique. Nous savons depuis 2007, par les confessions d'un ancien général du KGB, le Roumain Ion Pacepa, que l'Union soviétique est à l'origine de la légende noire qui pèse aujourd'hui sur la personne d'un Pape qui combattit avec une même ardeur nazisme et communisme. « Calomniez, il en restera toujours une trace » : les efforts de Benoît XVI, qui tente courageusement de faire aboutir le procès en béatification de son prédécesseur, ou le remarquable travail historique du grand rabbin de New York, David Dalin, qui réclame en vain la distinction de « juste parmi les Nations » pour Pie XII, n'y font rien. Aujourd'hui comme sous Khrouchtchev, il faut un bouc émissaire qui permette de faire taire cette Église catholique qui gêne un Occident avachi dans le matérialisme, coupable de nombreuses complaisances à l'égard du Communisme et qui, pour se refaire une vertu, n'en finit pas de pourfendre une idéologie nazie morte voilà plus de soixante ans, et qui ne renaît que dans son imaginaire. Chaque époque a les combats qu'elle mérite.
Camille Séchan, Monde & Vie du 22 novembre 2008.
Voilà tout juste cinquante ans, s'éteignait Pie XII. Golda Meir, ministre des Affaires Étrangères d'Israël, saluait alors la mémoire d'Eugenio Pacelli, « grand serviteur de la paix » : « Pendant la décennie de terreur nazie, quand notre peuple a subi un martyre terrible, la voix du pape s'est élevée pour condamner les persécuteurs », affirmait-elle. Le lendemain, Elio Toaff, Grand Rabbin de Rome, déclarait lui aussi : « Les juifs se souviendront toujours de ce que l'Église catholique a fait pour eux sur l'ordre du Pape au moment des persécutions raciales ». Treize ans auparavant, Israële Zolli, à l'époque Grand Rabbin de Rome, s'était converti au catholicisme en choisissant le prénom d'Eugène, en hommage à Pie XII. Et les gestes de reconnaissance à l'égard du pape, de la part du monde juif, étaient alors légion.
Tout bascule en 1963, lorsque le dramaturge allemand Rolf Hochhuth publie sa pièce, Le Vicaire. La légende noire du pape nazi est lancée. Elle prendra de l'ampleur avec la publication, en 1999, du Pape d'Hitler, du journaliste anglais John Cornwell (accessoirement frère du maître du roman d'espionnage, John Le Carrée), puis avec Amen, l'adaptation cinématographique de l'œuvre de Hochhuth par Costa Gavras en 2002. Dans une société a-culturée, où le scandale fait office de marketing, Amen endosse l'habit de l'œuvre historique, au service d'un devoir de mémoire de masse. Le Pape y apparaît attentiste, voire complaisant à l'égard du régime national-socialiste. Silence complet sur l'encyclique Mit brennender Sorge (Avec une vive inquiétude) de 1936, condamnant l'idéologie hitlérienne et dont Pacelli fut le principal artisan. Le discours de Noël 1942 est réduit à sa plus simple expression. Pourtant, alors qu'aujourd'hui les détracteurs de l'Église n'y voient qu'une allusion ambiguë aux souffrances du peuple juif, le Bureau central de la Sécurité du Reich à Berlin saisit parfaitement le poids du discours délivré à l'époque par le Vatican :
« D'une manière qui n'a pas de précédent, le pape a désavoué le national-socialisme et le nouvel ordre européen, écrit-il alors à ses représentants à travers l'Europe occupée. Il y accuse virtuellement le peuple allemand d'injustice envers les Juifs et se fait le porte-parole des criminels de guerre juifs. » Quant à l'action personnelle du pape en faveur des juifs traqués dans Rome occupée par les troupes allemandes, le film de Gavras demeure tout aussi évasif.
Effet médiatique contre science historique
Peu importe, dès lors, que les remarquables travaux du père Blet, un jésuite qui a dépouillé les archives vaticanes, aient montré l'inanité des accusations portées contre Pie XII ; peu importe aussi qu'il ait été le seul chef d'État au monde à lancer un cri d'alarme dans ce fameux discours de Noël. Peu importe enfin que le souci de ne pas ajouter encore aux persécutions subies par les Juifs, mais aussi par les catholiques polonais, lui ait imposé une certaine prudence - le pape tirant la leçon des dénonciations énergiques - du traitement réservé aux juifs par les clergés catholique et protestants aux Pays-Bas, qui provoqua la déportation des Juifs convertis au catholicisme ... L'effet médiatique l'emporte sur la science historique. Nous savons depuis 2007, par les confessions d'un ancien général du KGB, le Roumain Ion Pacepa, que l'Union soviétique est à l'origine de la légende noire qui pèse aujourd'hui sur la personne d'un Pape qui combattit avec une même ardeur nazisme et communisme. « Calomniez, il en restera toujours une trace » : les efforts de Benoît XVI, qui tente courageusement de faire aboutir le procès en béatification de son prédécesseur, ou le remarquable travail historique du grand rabbin de New York, David Dalin, qui réclame en vain la distinction de « juste parmi les Nations » pour Pie XII, n'y font rien. Aujourd'hui comme sous Khrouchtchev, il faut un bouc émissaire qui permette de faire taire cette Église catholique qui gêne un Occident avachi dans le matérialisme, coupable de nombreuses complaisances à l'égard du Communisme et qui, pour se refaire une vertu, n'en finit pas de pourfendre une idéologie nazie morte voilà plus de soixante ans, et qui ne renaît que dans son imaginaire. Chaque époque a les combats qu'elle mérite.
Camille Séchan, Monde & Vie du 22 novembre 2008.
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