En ce 27 septembre 1805 la pluie tombe à torrents sur le Rhin. Il est cinq heures du matin. Le pont de Kehl est ébranlé par la marche d'une troupe d'où monte de temps en temps, porté par les accents de toutes les régions de France, le cri de "Vive l'Empereur !". Il fait froid et les rafales de vent semblent unir en un même tourbillon l'eau qui tombe des nuages bas et celle qui monte du fleuve, sous forme de brouillards pénétrants : Impavide, Napoléon regarde passer devant lui les hommes de sa garde, dont les bonnets à poil, en peau d'ours, défient la colère du ciel. Les hommes marchent d'un bon pas. Il s'agit de tenir la cadence fixée par l'Empereur à sa grande Armée : 3,9 kilomètres à l'heure, quelles que soient les intempéries.
Max Gallo, auteur d'un Napoléon qui ne manque pas d'intérêt (4 volumes, Robert Laffont), décrit la scène : « Napoléon se tient droit sur son cheval. Il ne sent pas la pluie qui glisse sur le chapeau déjà imbibé d'eau, déformé, et sur la redingote devenue lourde. C'est ainsi qu'on commande aux hommes qui vont mourir, en demeurant à leur côté. Il reste sur le pont, immobile plusieurs heures durant. Il faut qu'on le voie, que chaque soldat sache que l'Empereur était là. Et qu'il va conduire la campagne. »
Fantastique coup de poker. Après la rupture de la paix d'Amiens par l'Angleterre, qui refusait d'évacuer Malte - clef de la route méditerranéenne vers l'Egypte - Napoléon avait repris à son compte le projet déjà agité sous le Directoire : débarquer en Angleterre. En 1798, la tentative menée en Irlande par le général Humbert, qui misait sur le vieil antagoniste anglo-irlandais, avait échoué faute de moyens. Napoléon veut frapper de façon plus directe : débarquer à Douvres avec deux cent mille hommes puis marcher sur Londres. Pour cela, il faut avoir la maîtrise de la Manche pendant une dizaine d'heures. Donc éloigner le gros de cette flotte de guerre qui est la force de l'Angleterre.
C'est la mission assignée aux amiraux Ganteaume (escadre de Brest) et Villeneuve (escadre de Toulon) : faire voile vers les Antilles, où ils seront rejoints par les navires français venus de Rochefort et par les alliés espagnols de Cadix et de Ferrol, pour attirer derrière eux les Anglais inquiets de ces mouvements. Mais le rendez-vous antillais est manqué par manque de coordination. De plus les Anglais ne sont pas dupes et leur amirauté sait bien que tout va se jouer en Manche : « Si l'ennemi est maître du canal, l'Angleterre est perdue. »
Napoléon a beaucoup misé sur l'invasion de l'Angleterre. Il a réuni au camp de Boulogne la meilleure armée du monde, la sienne. Il a participé lui-même aux manœuvres d'embarquement sur les canonnières en prenant tous les risques face à une mer difficile. Il sait qu'on peut tout demander à des hommes lorsqu'on risque tout soi-même, avec eux et comme eux. Mais, lorsqu'il apprend que Villeneuve s'est réfugié à Cadix, Napoléon laisse parler son génie : il renverse toute sa stratégie pour faire face aux Autrichiens et aux Russes qui, dopés par l'or anglais, mobilisent contre lui. Et il lance vers l'Est son armée, à marches forcées. Il faut frapper comme la foudre. « Soldats, dit l'ordre du jour du 30 septembre, votre Empereur est au milieu de vous. »
Deux mois plus tard, ce sera Austerlitz.
P. V National Hebdo du 24 au 30 septembre 1998
Max Gallo, auteur d'un Napoléon qui ne manque pas d'intérêt (4 volumes, Robert Laffont), décrit la scène : « Napoléon se tient droit sur son cheval. Il ne sent pas la pluie qui glisse sur le chapeau déjà imbibé d'eau, déformé, et sur la redingote devenue lourde. C'est ainsi qu'on commande aux hommes qui vont mourir, en demeurant à leur côté. Il reste sur le pont, immobile plusieurs heures durant. Il faut qu'on le voie, que chaque soldat sache que l'Empereur était là. Et qu'il va conduire la campagne. »
Fantastique coup de poker. Après la rupture de la paix d'Amiens par l'Angleterre, qui refusait d'évacuer Malte - clef de la route méditerranéenne vers l'Egypte - Napoléon avait repris à son compte le projet déjà agité sous le Directoire : débarquer en Angleterre. En 1798, la tentative menée en Irlande par le général Humbert, qui misait sur le vieil antagoniste anglo-irlandais, avait échoué faute de moyens. Napoléon veut frapper de façon plus directe : débarquer à Douvres avec deux cent mille hommes puis marcher sur Londres. Pour cela, il faut avoir la maîtrise de la Manche pendant une dizaine d'heures. Donc éloigner le gros de cette flotte de guerre qui est la force de l'Angleterre.
C'est la mission assignée aux amiraux Ganteaume (escadre de Brest) et Villeneuve (escadre de Toulon) : faire voile vers les Antilles, où ils seront rejoints par les navires français venus de Rochefort et par les alliés espagnols de Cadix et de Ferrol, pour attirer derrière eux les Anglais inquiets de ces mouvements. Mais le rendez-vous antillais est manqué par manque de coordination. De plus les Anglais ne sont pas dupes et leur amirauté sait bien que tout va se jouer en Manche : « Si l'ennemi est maître du canal, l'Angleterre est perdue. »
Napoléon a beaucoup misé sur l'invasion de l'Angleterre. Il a réuni au camp de Boulogne la meilleure armée du monde, la sienne. Il a participé lui-même aux manœuvres d'embarquement sur les canonnières en prenant tous les risques face à une mer difficile. Il sait qu'on peut tout demander à des hommes lorsqu'on risque tout soi-même, avec eux et comme eux. Mais, lorsqu'il apprend que Villeneuve s'est réfugié à Cadix, Napoléon laisse parler son génie : il renverse toute sa stratégie pour faire face aux Autrichiens et aux Russes qui, dopés par l'or anglais, mobilisent contre lui. Et il lance vers l'Est son armée, à marches forcées. Il faut frapper comme la foudre. « Soldats, dit l'ordre du jour du 30 septembre, votre Empereur est au milieu de vous. »
Deux mois plus tard, ce sera Austerlitz.
P. V National Hebdo du 24 au 30 septembre 1998
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