dimanche 8 février 2009

Honorer d'Estienne d'Orves plutôt que Guy Môquet


L'hommage rendu aux résistants tombés pour libérer le sol de la patrie ? Quel Français pourrait ne pas s'y associer ? Encore faudrait-il ne pas cautionner les mythes forgés par le parti communiste. En choisissant de faire de Guy Môquet une icône, Nicolas Sarkozy s'est fourvoyé. Et entraîne la jeunesse française dans une grave erreur «mémorielle».
Cela restera la première décision de Nicolas Sarkozy en tant que président de la République. La dernière lettre écrite par Guy Môquet, avant son exécution, sera lue chaque année dans les lycées français. Lettre bouleversante rédigé par un garçon de dix-sept ans qui n'a plus que quelques heures à vivre : « Ma petite maman chérie, mon tout petit frère adoré, mon petit papa aimé, Je vais mourir ! Ce que je vous demande, toi, en particulier ma petite maman, c'est d'être courageuse. Je le suis et je veux l'être autant que ceux qui sont passés avant moi. Certes, j'aurais voulu vivre. Mais ce que je souhaite de tout mon cœur, c'est que ma mort serve à quelque chose. [ ... ]17 ans et demi. Ma vie a été courte ! [ ... ] Maman, ce que je te demande, ce que je veux que tu me promettes, c'est d'être courageuse et de surmonter ta peine. Je ne peux pas en mettre davantage. Je vous quitte tous, toutes, toi Maman, Serge, Papa, je vous embrasse de tout mon cœur d'enfant. Courage ! Votre Guy qui vous aime. »
Communiste et résistant, ça n'allait pas de pair
Guy Môquet repose dans l'au-delà depuis le 22 octobre 1941. Ignorant l'histoire de France, Nicolas Sarkozy aurait mieux fait de ne pas troubler sa quiétude éternelle. Cela aillait évité de rappeler une vérité qui ne correspond pas à l'hagiographie officielle. Guy Môquet n'a jamais été résistant. Il était communiste. Et contrairement à la légende entretenue depuis 1945, les deux termes n'ont pas toujours été synonymes. Le 23 août 1939, l'Allemagne de Hitler et l'Urss de Staline signent un pacte de non-agression. Le Parti communiste français s'aligne sur le grand frère soviétique. L'Allemagne nazi cesse d'être l'ennemie. La collusion est telle que le 26 septembre, le conseil des ministres, présidé par Edouard Daladier, prononce la dissolution du parti après avoir, le 27 août, suspendu tous ses journaux. Le 6 octobre, Maurice Thorez, secrétaire général du parti, déserte pour rejoindre Moscou. Quatre jours plus tard, Prosper Môquet, député communiste du XVIIe arrondissement de Paris, et père de Guy, est arrêté avant d'être, l'année suivante, déchu de son mandat et envoyé dans un camp de prisonniers en Algérie.
Le 9 janvier 1940, alors que les soldats français sont mobilisés, la Chambre des députés, présidée par Lévy-Alphandéry, se lève pour leur rendre hommage. Les quatre députés communistes présents restent assis. L'émotion est intense. Les plus choqués sont les socialistes qui, sous les ordres de Max Lejeune, se jettent sur eux et les expulsent de la chambre sans ménagement. Le PCF n'en continue pas moins sa propagande contre ce qu'il appelle « la guerre impérialiste » à l'égard de l'Allemagne. Dans les usines d'armement, il encourage le sabotage du matériel militaire que de nombreux soldats français paieront de leur vie au cours de la campagne de France. Après l'entrée des Allemands à Paris le 14 juin, l'appareil clandestin du parti entreprend des démarches auprès des forces d'occupation pour que «L'Humanité» soit autorisée à reparaître. Mais la police française, qui traque les communistes depuis le début de la guerre, intervient et fait échouer le projet.
C'est dans ce contexte de connivence entre le PCF et l'occupant nazi que Guy Môquet, lycéen au lycée Carnot et militant des jeunesses communistes, est arrêté le 13 octobre 1940 au métro Gare de l'Est par des policiers français. Emprisonné à Fresnes, puis à Clairvaux, il est transféré au camp de Châteaubriant en Loire-Atlantique, où sont détenus d'autres militants communistes. Guy Môquet n'a donc pas été arrêté pour faits de Résistance, mais pour avoir suivi, avec toute la naïveté d'un garçon de son âge, la position de trahison et de collaboration du PCF. C'est ce dernier, n'en déplaise à Marie-George Buffet, qui l'a conduit au poteau d'exécution.
Les premiers résistants étaient de droite
Le 22 juin 1941, l'Allemagne attaque l'Union soviétique. Le PCF, qui ne détermine pas sa ligne politique en fonction des intérêts français mais uniquement par rapport au pays des Soviets, se décide enfin à entrer dans la Résistance. Cela fait près d'un an que les premiers réseaux se sont constitués avec hommes et des femmes issus, pour la plupart, des rangs de la droite ou de l'extrême droite. En fait de résistance, celle du PCF consiste essentiellement en des assassinats destinés à enclencher le cycle infernal des représailles. C'est ainsi que le 20 octobre, Karl Hotz, commandant des troupes d'occupation de la Loire-inférieure, est exécuté à Nantes par trois jeunes communistes. Les Allemands ripostent en exigeant que des otages leur soient livrés. Le ministre de l'Intérieur, Pierre Pucheu, en sélectionne vingt-sept à Chateaubriant. Parmi eux figure Guy Môquet. Le 22 octobre, ce dernier et ses vingt-six compagnons d'infortune, meurent avec courage. Pour épouvantable que soit ce drame, il n'a aucun rapport avec la Résistance.
Si Nicolas Sarkozy avait vraiment souhaité faire découvrir à la jeunesse française les dernières lignes d'un fusillé de la Résistance, il aurait pu se rapprocher d'Alain Griotteray, fondateur du réseau Orion, et auteur du livre 1940, La Droite était au rendez-vous, Qui furent les premiers résistants ? (Robert Laffont, 1985). Il y aurait appris la légende du parti « des 75 000 fusillés ». Il aurait découvert qu'en 1940, les premiers résistants appartenaient aux courants légitimiste, maurrassien ou nationaliste. Il aurait entendu parler du premier résistant tombé sous les balles allemandes. Un grand Français. Un militaire de belle lignée. Un martyr de grande race. Lui qui, pendant sa campagne électorale, a découvert, à 53 ans, que les cathédrales et la foi catholique ont façonné l'Histoire de France aurait pu présenter une belle figure de l'héroïsme français. Mais connaît-il seulement le nom du lieutenant de vaisseau Honoré d'Estienne d'Orves ?
Dès le mois de septembre 1940, celui-ci, qui a pour devise « Dieu et le Roy », rejoint Londres et se rallie au général De Gaulle. Le 21 décembre, il passe en France sur le chalutier Marie Louise et prend la tête du réseau Nemrod sous le nom de Jean-Pierre Château-Vieux. Un mois plus tard, il est arrêté à Nantes par les Allemands. Son calvaire va commencer. Transféré dans un cachot de la prison du Praesidium à Berlin, il est renvoyé à Paris le 26 février pour être interné à la prison du Cherche-Midi. Refusant de se mettre au garde-à-vous devant la sentinelle allemande, il est rossé, privé de nourriture et enfermé dans le noir. Pâques approche. Il peut écrire à sa famille. Ses lettres témoignent d'un merveilleux optimisme. Son secret tient en un seul mot : Dieu. Son isolement est rompu tous les huit jours par la rencontre avec l'aumônier allemand Franz Stock qui, en décembre, a accompagné Jacques Bonsergent au poteau d'exécution.
Le 13 mai, son procès s'ouvre. Face à ses juges, Honoré d'Estienne d'Orves couvre ses camarades arrêtés avec lui : « Laissez ces hommes en liberté. Renvoyez-les chez eux, ils sont innocents. C'est moi le coupable. Il n'y a que moi qui savais, je les ai dupés. » Son attitude force le respect de la cour. Mais les lois de la guerre sont sans pitié. Le 26 mai, l'officier français et huit de ses compagnons sont condamnés à mort pour espionnage. Chacun fait preuve d'une extraordinaire dignité. Le président de la cour qui a prononcé le verdict, Keyser, ne peut dissimuler son émotion. Il se lève, s'avance vers les condamnés à mort, et leur serre chaleureusement la main.
Le 9 juin, Honoré d'Estienne d'Orves est transféré à la prison de Fresnes. Il faut désormais attendre la mort. Que faire, si ce n'est prier celui devant lequel il devra bientôt se présenter. Tout n'est pourtant pas perdu. Le gouvernement de Vichy multiplie les démarches auprès des autorités allemandes pour obtenir la grâce des condamnés. Le chef de la délégation auprès de la commission allemande d'armistice proteste contre ces condamnations : « Tous sont dignes d'intérêt. L'exécution de la sentence dont ils sont l'objet ne manquerait pas de soulever une émotion considérable et ne pourrait que nuire à l'œuvre d'apaisement des esprits à laquelle nous sommes l'un et l'autre attachés. » De son côté, l'amiral Darlan multiplie les requêtes.
« Papa n'a eu qu'un but : la grandeur de la France »
Les autorités allemandes acceptent finalement la grâce de cinq des condamnés, mais restent intraitables pour trois d'entre eux, dont Honoré d'Estienne d'Orves. Celui-ci est près. Il rédige son testament : « Si je dois mourir, sachez que c'est en pleine confiance en Dieu qui me donne abondamment sa grâce. La pensée de mes chers parents qui m'attendent là-haut m'est d'un grand réconfort [ ... ] Je ne puis préjuger de l'avenir, et affirmer dès maintenant si, dans mon action, j'ai eu tort ou raison. Mais j'affirme solennellement que je n'ai agi que pour la France et la France seule. Je n'ai eu en vue que la libération de notre patrie. Je crois avoir suivi la tradition de fidélité de notre famille et me suis inspiré de l'exemple de nos grands-pères d'Autichamp et Suzannet, qui ont sacrifié, l'un sa liberté, l'autre sa vie, par fidélité â leur foi [... ] Je crois mériter l'honneur que l'on inscrive sur ma tombe à côté de mon nom : « Mort pour la France » [ ... ] N'ayez à cause de moi de haine pour personne. Chacun a fait son devoir pour sa propre patrie. Apprenez au contraire à connaître et à comprendre le caractère des peuples voisins de la France. »
Il écrit à l'abbé Stock : « Je prie le bon Dieu de donner à la France et à l'Allemagne une paix dans la justice, comportant le rétablissement de la grandeur de mon pays. Et aussi que nos gouvernants fassent à Dieu la place qui lui revient. Je remets mon âme entre les mains de Dieu, et un peu entre les vôtres qui l'avez ces derniers temps représenté auprès de moi ».
Le 28 août, la veille de son exécution, sa dernière lettre est naturellement pour sa femme Eliane :
« Mon sacrifice est fait depuis longtemps. Seuls ces trois mois d'attente avaient ravivé mon espoir et m'avaient fait espérer de revivre auprès de vous tous. Je veux croire que tu supporteras avec vaillance cette épreuve. Nous avons eu, penses-y, le bonheur de nous revoir alors que beaucoup sur les champs de bataille sont morts pour la France sans avoir pu revoir ceux qu'ils aimaient le plus. Je veux que tu continues à mener notre vie courageuse auprès des enfants qui ont besoin de toi. Tu le dois, et la pensée que tu vivras avec eux et pour eux est mon grand réconfort. Je sens que tu me le promets. Tu leur expliqueras ce que j'ai fait, à ces petits, pour qu'ils sachent que leur papa n'a eu qu' un but : la grandeur de la France, et qu'il y a consacré sa vie. »
A quatre heures trente du matin, l'abbé Stock arrive pour célébrer la messe. Les trois condamnés communient avec une ferveur intense et disent ensemble la prière des agonisants. Après l'office, ils déjeunent. Un autocar de la Wehrmacht arrive. Les condamnés embarquent. Le convoi roule pendant une heure en direction du Mont-Valérien. Refusant d'avoir les yeux bandés et les mains ligotées, Honoré d'Estienne d'Orves déclare au président Keyser qui a tenu à être présent pour rendre hommage au courage des condamnés : « Monsieur, vous êtes officier allemand. Je suis officier français. Nous avons tous les deux fait notre devoir, permettez-moi de vous embrasser. » Et alors que le souffle de la mort plane déjà sur le lieu du martyre, les deux hommes s'étreignent.
La salve retentit. Estienne d'Orves s'écroule le premier en s'écriant : « Vive la France ». Puis c'est au tour de ses deux camarades, Maurice Barlier et Yann Doomick, de rejoindre le ciel. Tout est terminé. Nous sommes le 29 août 1941. Les premiers martyrs de la Résistance viennent de tomber. Le lendemain, l'abbé Stock confiera au père de Maurice Barlier : « Je n'oublierai jamais les moments que j'ai passés auprès de ces hommes. C'étaient des héros. Je comprends mieux maintenant ce qu'est la France. »
Honoré d'Estienne d'Orves. L'honneur. Le courage. La droiture. La foi. Le pardon. Dieu. La patrie. Voilà qui aurait eu fière allure pour bénir le quinquennat qui commence.
Thierry Normand Minute du 23 mai 2007

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