Subversion et mutineries
Les mutineries de 1917 sont la conséquences de l'effondrement du moral des troupes après l'offensive du chemin des Dames. Mais le ressentiment des soldats après les lourdes pertes que les erreurs de Nivelle avaient entraînées n'explique à lui seul ni la durée ni l'étendue des mutineries. Elles ont aussi été suscitées par une propagande active, couverte de façon étonnante par le ministre de l'Intérieur.
Les mutineries éclatèrent dans une unité qui n'avait pas pris part aux combats d'avril, et se répandirent aux premières lignes, révoltes, refus d'obéissance et désertions prenant peu à peu des proportions effrayantes. Qu'elles aient commencé parmi les troupes de l'arrière n'est pas étonnant : c'est en général après l'action que le moral s'effondre, et plus facilement à l'arrière qu'au front. D'autant plus que l'arrière est plus vulnérable à la propagande.
La propagande à l'œuvre
Beaucoup s'activaient en effet pour jeter de l'huile sur le feu. On était en 1917, et il serait naïf de croire que la révolution ne couvait qu'en Russie (elle devait éclater en Allemagne et en Autriche aussitôt après la guerre). Dans les gares, la propagande faisait rage auprès des permissionnaires, et des officines fournissaient des vêtements civils aux déserteurs, qui furent 21 000 à la fin de l'année.
Les mesures prises pour éviter les fuites et la propagande n'avaient pas été aussi rigoureuses qu'on le croit. Le ministre de l'Intérieur, Louis Malvy, avait omis de faire arrêter les 2 500 agitateurs dont les noms étaient consignés dans le "carnet B". Anarchistes, marxistes, imprimaient leurs tracts en plein Paris, tel Sébastien Faure qui reçut même une subvention pour fonder la feuille séditieuse Ce qu'il faut dire et, arrêté en 1916 pour une affaire de mœurs dans un jardin public, vit l'affaire étouffée ...
Un anarchiste, Mauricius, prêchait impunément le défaitisme dans les usines, ainsi qu'un certain Merrheim, secrétaire de la fédération syndicale des métaux; citons encore Hubert, secrétaire du syndicat des ouvriers du bâtiment, Péricat, Hasfeld, Mecheriakoff, Cahen de Caiffa et un certain Garfunkel, qui dirigeait une agence de désertion. Tous avaient bénéficié de la mansuétude du ministre de l'Intérieur.
Que fait le ministre de l'Intérieur ?
Duval, rédacteur en chef du Bonnet rouge (propriété de Miguel Almereyda), fut trouvé en possession d'un chèque de 150 000 F tiré sur une banque suisse et signé Marx ... Ce banquier de Mannheim était le principal bailleur de fonds des espions allemands à l'étrangers. Mais Duval fut relâché. Malgré huit condamnations dont deux pour incitation à la mutinerie, Almereyda avait joui de la protection de Malvy depuis 1914, avec ses acolytes Goldsky, Landau et Joucla. Malvy ne suspendit ses subventions qu'en 1916 sur ordre de Briand. Le journal fut alors financé par Marx et continua de paraître malgré les protestations de Léon Daudet et Maurice Barrès.
En juin, il y avait 70 000 grévistes dans les usines. Ce qui n'avait qu'un rapport indirect avec les hécatombes du chemin des Dames, car certains griefs des combattants s'adressaient aux ouvriers : « Pourquoi irions-nous nous battre pour quelques sous par jour alors que les ouvriers d'usine, en sécurité, gagnent quinze à vingt francs ? » disaient-ils. Ce qui n'empêchait pas la propagande pacifiste d'être faite par le comité de défense syndicaliste, la fédération des métaux, le syndicat des instituteurs.
Pétain fait face
Le général Pétain envoya à Painlevé, ministre de la Guerre, un long rapport qui détaillait les causes des mutineries. « On trouve, au fond de ces actes d'indiscipline, la question des permissions, l'ivrognerie et - il faut bien l'avouer les erreurs commises par le haut commandement lors des récentes offensives. Il faut aussi mentionner la faiblesse dans la répression des crimes et délits militaires.» Il fait aussi état des ravages de la propagande révolutionnaire « Ces tracts, ce n' est pas un secret, sont imprimés et distribués par la C.G.T »
De même qu'il avait énuméré les nombreuses causes des mutineries, Pétain, dont le caractère prudent et le sens aigu des réalités faisaient l'homme de la situation, prit une longue série de mesures, disant : « Certains faits sont profondément ressentis par les hommes du front, il faut les faire disparaître ... Je me considère comme un médecin chargé de guérir cette maladie de l'armée.» Il réclama la surveillance des gares, la neutralisation des agitateurs et des journaux subversifs. Puis il organisa le système du roulement, qui permettait une relève plus fréquente des unités au front. Cette réorganisation fut lente, et jusqu'à la fin de 1917 l'armée française fut hors d'état de mener une offensive, voire d'y résister. Mais Pétain disait sagement: « J'attends les chars et les Américains. »
Fin mai encore, le nouveau commandant en chef avait pu cacher la nouvelle aux Britanniques (Haig, commandant des troupes britanniques, et le Premier Ministre Lloyd George ignoraient tout), et Poincaré ne l'apprit que le 29. Quant aux Allemands, informés par trois prisonniers évadés, ils n'exploitèrent pas ce renseignement malgré les avertissements du Kronprintz. L'armée britannique montra d'ailleurs une loyauté sans faille. Haig, qui s'abstint de prévenir son gouvernement, mena des opérations de diversion pour dissuader une offensive allemande qui, si elle s'était produite, aurait été fatale, au moment où il n'existait plus que deux divisions sûres entre Soissons et Paris.
C'est à partir de juillet, alors que la discipline avait été restaurée dans la troupe, que des mesures furent enfin prises contre la propagande : Le Bonnet rouge interdit, Duval, Almereyda. Landau, Goldsky furent arrêtés, ainsi que pas moins de 1 700 agitateurs. Malvy devait être condamné à cinq ans de bannissement par la Haute Cour en 1918.
Quant aux mutins eux-mêmes, 412 furent condamnés à mort en cour martiale dont 356 virent leur peine commuée (dont 219 par Pétain lui-même) et trente seulement furent exécutés. Il faut cependant y ajouter les exécutions dont les chefs locaux avaient pris l'initiative sous l'effet de la panique. La suppression des cours martiales, l'année précédente, avait favorisé ces punitions expéditives. Elles furent trop nombreuses, injustes et cruelles, mais leur nombre est inconnu.
Une tragédie humaine ... et politique
Les mutineries de 1917 furent un drame tragique au milieu de cette grande tragédie qu'était la guerre. Bien des mutins avaient été d'abord des combattants courageux. Tous méritent notre compassion et notre compréhension. Mais ceux qui les ont poussés à ces actes d'indiscipline sans en payer eux-mêmes le prix ne méritent ni l'une ni l'autre.
Beaucoup d'idéologies se proclament "humanistes" et se proposent de faire le bonheur de l'"humanité". Il faut se méfier des dérivés du mot "homme", car ceux qui déifient l'humanité sont prêts à sacrifier de nombreuses vies humaines pour parvenir à leurs fins. Et les victimes s'accumulent sans que le bonheur promis soit en vue.
On se sert du nom du général Nivelle pour présenter l'armée, les officiers, l'état-major, comme un ramassis de brutes sanguinaires. Or, c'est contre l'avis de l'armée que Nivelle avait lancé son offensive, avec l'appui décisif de Poincaré. La responsabilité de ce dernier est lourde, comme elle l'avait été dans le déclenchement de la guerre, et comme elle devait l'être dans l'application aveugle et brutale du traité de Versailles.
Le drame de 1917 résume toute la guerre. Il révèle les souffrances des soldats mais aussi leur héroïsme. Il révèle la foi dans la patrie d'une armée dont beaucoup d'officiers avaient pourtant été persécutés par la politique anticléricale. Il révèle enfin les vices d'un régime qui, pourtant, devait durer encore vingt ans, le temps qu'une autre guerre mondiale éclate.
Pierre de Laubier Français d'Abord août 2007
Les mutineries de 1917 sont la conséquences de l'effondrement du moral des troupes après l'offensive du chemin des Dames. Mais le ressentiment des soldats après les lourdes pertes que les erreurs de Nivelle avaient entraînées n'explique à lui seul ni la durée ni l'étendue des mutineries. Elles ont aussi été suscitées par une propagande active, couverte de façon étonnante par le ministre de l'Intérieur.
Les mutineries éclatèrent dans une unité qui n'avait pas pris part aux combats d'avril, et se répandirent aux premières lignes, révoltes, refus d'obéissance et désertions prenant peu à peu des proportions effrayantes. Qu'elles aient commencé parmi les troupes de l'arrière n'est pas étonnant : c'est en général après l'action que le moral s'effondre, et plus facilement à l'arrière qu'au front. D'autant plus que l'arrière est plus vulnérable à la propagande.
La propagande à l'œuvre
Beaucoup s'activaient en effet pour jeter de l'huile sur le feu. On était en 1917, et il serait naïf de croire que la révolution ne couvait qu'en Russie (elle devait éclater en Allemagne et en Autriche aussitôt après la guerre). Dans les gares, la propagande faisait rage auprès des permissionnaires, et des officines fournissaient des vêtements civils aux déserteurs, qui furent 21 000 à la fin de l'année.
Les mesures prises pour éviter les fuites et la propagande n'avaient pas été aussi rigoureuses qu'on le croit. Le ministre de l'Intérieur, Louis Malvy, avait omis de faire arrêter les 2 500 agitateurs dont les noms étaient consignés dans le "carnet B". Anarchistes, marxistes, imprimaient leurs tracts en plein Paris, tel Sébastien Faure qui reçut même une subvention pour fonder la feuille séditieuse Ce qu'il faut dire et, arrêté en 1916 pour une affaire de mœurs dans un jardin public, vit l'affaire étouffée ...
Un anarchiste, Mauricius, prêchait impunément le défaitisme dans les usines, ainsi qu'un certain Merrheim, secrétaire de la fédération syndicale des métaux; citons encore Hubert, secrétaire du syndicat des ouvriers du bâtiment, Péricat, Hasfeld, Mecheriakoff, Cahen de Caiffa et un certain Garfunkel, qui dirigeait une agence de désertion. Tous avaient bénéficié de la mansuétude du ministre de l'Intérieur.
Que fait le ministre de l'Intérieur ?
Duval, rédacteur en chef du Bonnet rouge (propriété de Miguel Almereyda), fut trouvé en possession d'un chèque de 150 000 F tiré sur une banque suisse et signé Marx ... Ce banquier de Mannheim était le principal bailleur de fonds des espions allemands à l'étrangers. Mais Duval fut relâché. Malgré huit condamnations dont deux pour incitation à la mutinerie, Almereyda avait joui de la protection de Malvy depuis 1914, avec ses acolytes Goldsky, Landau et Joucla. Malvy ne suspendit ses subventions qu'en 1916 sur ordre de Briand. Le journal fut alors financé par Marx et continua de paraître malgré les protestations de Léon Daudet et Maurice Barrès.
En juin, il y avait 70 000 grévistes dans les usines. Ce qui n'avait qu'un rapport indirect avec les hécatombes du chemin des Dames, car certains griefs des combattants s'adressaient aux ouvriers : « Pourquoi irions-nous nous battre pour quelques sous par jour alors que les ouvriers d'usine, en sécurité, gagnent quinze à vingt francs ? » disaient-ils. Ce qui n'empêchait pas la propagande pacifiste d'être faite par le comité de défense syndicaliste, la fédération des métaux, le syndicat des instituteurs.
Pétain fait face
Le général Pétain envoya à Painlevé, ministre de la Guerre, un long rapport qui détaillait les causes des mutineries. « On trouve, au fond de ces actes d'indiscipline, la question des permissions, l'ivrognerie et - il faut bien l'avouer les erreurs commises par le haut commandement lors des récentes offensives. Il faut aussi mentionner la faiblesse dans la répression des crimes et délits militaires.» Il fait aussi état des ravages de la propagande révolutionnaire « Ces tracts, ce n' est pas un secret, sont imprimés et distribués par la C.G.T »
De même qu'il avait énuméré les nombreuses causes des mutineries, Pétain, dont le caractère prudent et le sens aigu des réalités faisaient l'homme de la situation, prit une longue série de mesures, disant : « Certains faits sont profondément ressentis par les hommes du front, il faut les faire disparaître ... Je me considère comme un médecin chargé de guérir cette maladie de l'armée.» Il réclama la surveillance des gares, la neutralisation des agitateurs et des journaux subversifs. Puis il organisa le système du roulement, qui permettait une relève plus fréquente des unités au front. Cette réorganisation fut lente, et jusqu'à la fin de 1917 l'armée française fut hors d'état de mener une offensive, voire d'y résister. Mais Pétain disait sagement: « J'attends les chars et les Américains. »
Fin mai encore, le nouveau commandant en chef avait pu cacher la nouvelle aux Britanniques (Haig, commandant des troupes britanniques, et le Premier Ministre Lloyd George ignoraient tout), et Poincaré ne l'apprit que le 29. Quant aux Allemands, informés par trois prisonniers évadés, ils n'exploitèrent pas ce renseignement malgré les avertissements du Kronprintz. L'armée britannique montra d'ailleurs une loyauté sans faille. Haig, qui s'abstint de prévenir son gouvernement, mena des opérations de diversion pour dissuader une offensive allemande qui, si elle s'était produite, aurait été fatale, au moment où il n'existait plus que deux divisions sûres entre Soissons et Paris.
C'est à partir de juillet, alors que la discipline avait été restaurée dans la troupe, que des mesures furent enfin prises contre la propagande : Le Bonnet rouge interdit, Duval, Almereyda. Landau, Goldsky furent arrêtés, ainsi que pas moins de 1 700 agitateurs. Malvy devait être condamné à cinq ans de bannissement par la Haute Cour en 1918.
Quant aux mutins eux-mêmes, 412 furent condamnés à mort en cour martiale dont 356 virent leur peine commuée (dont 219 par Pétain lui-même) et trente seulement furent exécutés. Il faut cependant y ajouter les exécutions dont les chefs locaux avaient pris l'initiative sous l'effet de la panique. La suppression des cours martiales, l'année précédente, avait favorisé ces punitions expéditives. Elles furent trop nombreuses, injustes et cruelles, mais leur nombre est inconnu.
Une tragédie humaine ... et politique
Les mutineries de 1917 furent un drame tragique au milieu de cette grande tragédie qu'était la guerre. Bien des mutins avaient été d'abord des combattants courageux. Tous méritent notre compassion et notre compréhension. Mais ceux qui les ont poussés à ces actes d'indiscipline sans en payer eux-mêmes le prix ne méritent ni l'une ni l'autre.
Beaucoup d'idéologies se proclament "humanistes" et se proposent de faire le bonheur de l'"humanité". Il faut se méfier des dérivés du mot "homme", car ceux qui déifient l'humanité sont prêts à sacrifier de nombreuses vies humaines pour parvenir à leurs fins. Et les victimes s'accumulent sans que le bonheur promis soit en vue.
On se sert du nom du général Nivelle pour présenter l'armée, les officiers, l'état-major, comme un ramassis de brutes sanguinaires. Or, c'est contre l'avis de l'armée que Nivelle avait lancé son offensive, avec l'appui décisif de Poincaré. La responsabilité de ce dernier est lourde, comme elle l'avait été dans le déclenchement de la guerre, et comme elle devait l'être dans l'application aveugle et brutale du traité de Versailles.
Le drame de 1917 résume toute la guerre. Il révèle les souffrances des soldats mais aussi leur héroïsme. Il révèle la foi dans la patrie d'une armée dont beaucoup d'officiers avaient pourtant été persécutés par la politique anticléricale. Il révèle enfin les vices d'un régime qui, pourtant, devait durer encore vingt ans, le temps qu'une autre guerre mondiale éclate.
Pierre de Laubier Français d'Abord août 2007
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