jeudi 17 avril 2008

En août 1744, Louis XV tombe malade et c'est le « miracle »

Après ses victoires décisives en Flandre, Louis XV, sans prévenir personne, décide de se rendre à Metz. Le roi, vainqueur à Menin, Courtrai, Ypres, Dixmude, voulait dire aux Lorrains toute sa sollicitude.

En un peu plus d'une semaine, Metz n'eut qu'une préoccupation: accueillir Louis XV avec magnificence. Le 4 août 1744, à 7 heures du matin, les lève-tard furent réveillés par la Mutte. Mais l'énorme bourdon annonçait surtout l'arrivée du roi. Les milices bourgeoises rééquipées de neuf, se présentèrent avec douze drapeaux neufs, encadrées par de beaux officiers en uniforme rouge et or. Suivaient les grands Cadets, 250 jeunes gens de 20 à 25 ans, qui devaient mesurer plus de 1 mètre 75. A leur tête: M. Perrin, écuyer, syndic de la ville, en uniforme bleu et argent. Les petits Cadets, 150 enfants de 10 ans, tout de rouge vêtus, maniaient avec beaucoup de grâce des lances trop grandes pour eux. Le commandant des petits Cadets, lui-même âgé de 10 ans, était le propre fils du grand bailli de Metz, M. de Tschudy.

Vers midi, les sonneries royales éclatèrent. Le roi de France entrait dans la ville. Il y était accueilli par le maréchal-duc de Belle-Isle, gouverneur des Trois Evéchés et M. de Rochecombe, lieutenant du Roi, commandant la ville. Le premier échevin, M. Simon, remit au roi les clefs de la ville en disant : « Sire, rien de plus glorieux et de plus heureux pour nous et pour cette province que l'arrivée de votre Majesté ».
Le roi s'avança vers la place du Pont des Morts où avaient été construites des grottes d'où jaillissaient des cascades de vin! Puis le roi demanda à se rendre à la cathédrale. Il y est reçu par Claude de Rouvroy de Saint-Simon, prince de Metz, entouré des chanoines et des curés de la ville. Après l'homélie et le Te Deum, le roi, précédé par ses Gardes du corps et ses trompettes, arrive enfin au palais du Gouverneur. Au soir, des dizaines de fagots embrasés et près de 300 fusées multicolores finirent d'illuminer cette première journée du roi à Metz.

Le lendemain, 5 août, Mathieu de Montholon, les présidents à mortier, les conseillers, les magistrats, présentèrent au souverain l'assurance de leur fidélité et celle du parlement de Metz. Le 6 août, le roi reçut l'hommage des habiroux de la ville. « En tête, écrit Pierre de la Condamine, allaient à pied, deux à deux, le grand rabbin et les syndics de la communauté juive, suivis de deux vieillards à cheval, l'épée à la main, vêtus de velours noir et d'une veste de drap d'or. Derrière trois hautbois en volants rouges, marchaient quarante vieillards en costume de sabbat et chapeau plat, deux à deux, n'ayant de blanc que leur immense barbe et leur rabat. Aux quarante barbus succédèrent deux compagnies équestres: plus de 80 chevaux carapaçonnés de drap écarlate, crins tressés et enrubannés. Les cavaliers en noir portaient en bandoulière un large ruban jaune où se lisaient les armes de France et de Navarre et l'inscription ''Vive le roi". Les chantres de la synagogue venaient juste avant le char ».
Le 7 août est consacré à la tournée des popotes : visites de garnisons, de fortins, de fabriques d'armes, entretien politique avec un envoyé du roi de Prusse, M. de Schmettau.

Le 8 août, un nouveau Te Deum, à la cathédrale, doit célébrer la prise de Fort-Dauphin, dans le Piémont. Mais, au matin du 8, le roi, qui a mal dormi la nuit précédente, reste couché. Il se plaint de douleurs dans le ventre. L'entourage du roi s'affole. Le parti des dévôts, c'est-à-dire, le parti de la reine, délaissée depuis de nombreuses années par son époux royal, s'applique à « grossir » la maladie du souverain. A l'opposé, le parti de la maîtresse en titre, Madame de Châteauroux, soutient que le roi sera bientôt rétabli.
Le parti dévôt profite de cette maladie pour éloigner Madame de Châteauroux et ses amis. Le 13 août, le roi, de plus en plus affaibli (conseillé par les prêtres, il a déjà accepté d'éloigner sa maîtresse) demande à recevoir le Saint Viatique. Le 14 il perd connaissance et ne se réveille que pour recevoir l'extrême onction. Le premier aumônier, M. de Fitz-James, profite de la grande faiblesse de Louis XV pour lui extorquer une confession publique dans laquelle le roi s'accuse d'avoir fait le Mal et surtout, d'être indigne du titre de Roi Très Chrétien. On voit l'exploitation qui pourra être faite, par les ennemis de la Monarchie, d'une telle confession plus proche de l'auto-critique, d'ailleurs, que du repentir spirituel. Un bourgeois de l'époque s'indigne: « On regarde l'action de Mgr l'évêque de Soissons (M. de Fitz-James) comme la plus belle chose du monde, que le scandale ayant été public, il faut que la réparation le soit aussi... Pour moi, je prends la liberté de regarder cette conduite comme très indécente et cette réparation publique et subite comme un scandale avéré. Il faut respecter la réputation d'un roi et le laisser mourir avec religion, mais avec dignité et majesté. A quoi sert cette parade ecclésiastique? »

M. del Perugia, l'historien qui a, sans doute, contribué le mieux à réhabiliter l'action politique de Louis XV, écrit à ce propos: « A Versailles et à Paris, la camarilla pavoisait. Jusqu'ici la tartufferie n'avançait que masquée d'intentions les plus pures et les mieux déguisées. Maintenant, elle avouait qu'elle ne cherchait nullement la « conversion » du Roi et le châtiment de Madame de Châteauroux. Magnifiquement maître de lui, le mourant regardait venir sa fin comme un bon chrétien, dans un déréliction totale ». Mais, dans les cantonnements des vieux régiments, on ne se gêne pas pour dire, sur un autre ton, le prestige du roi amoureux: « En vrai descendant d'Henri IV. tu sais bien foutre et bien combattre. » Et Voltaire témoigne de l'inquiétude populaire: « Cet événement (la maladie du roi) porta la crainte et la désolation de ville en ville. Les peuples accouraient des environs de Metz. »
Le 17 août, la reine Marie arrive à Metz. Le roi, abandonné par tous et, plus particulièrement, par son confesseur le Père Pérusseau, n'est plus veillé que par le duc de Richelieu et quelques valets fidèles. Sortant un moment de son coma, Louis s'adresse à Marie: « Madame, je vous demande pardon du scandale que je vous ai donné, des peines et des chagrins dont j'ai été la cause. »

Un des médecins qui entourent le roi, perdu dans la foule des guérisseurs et des rebouteux, est un médecin militaire qui s'est retiré à Metz: M. de Montcharvaux. C'est lui qui, contre l'avis général, affirme que le roi va guérir. Le 19 août, en fin de soirée, le roi se sent mieux: « Des courriers galopaient vers Metz, souvent montés sur des chevaux de moissons, accourant des villes et des villages. Ils avaient appris la nouvelle que le cri public appelait unanimement : le miracle. »

Le 25 août, le roi, presque complètement rétabli, communie dans sa chambre. Dans les rues de Metz, les chants de joie, les danses, les jeux s'installent pour des semaines. On rappliquait de partout. On voulait voir le Roi. Et qui donc se serait privé de festoyer ? Deux fêtes furent particulièrement somptueuses : celle qu'offrit le prince del Campo Florido, ambassadeur d'Espagne, et celle du prince d'Ardore, ambassadeur des Deux-Siciles. »

Le 29 septembre, Louis XV quitte Metz. Début octobre, il est à Strasbourg où il est gardé par une compagnie de Cent Suisses composée d'enfants de 10 à 12 ans, vêtus comme des Gardes royaux : fraises, toques, petites moustaches charbonnées. Le 10 octobre, le roi met le siège devant Fribourg. Le 1er novembre, les Allemands hissent le drapeau blanc. Le retour à Paris du « Bien Aimé» fut l'occasion de fêtes grandioses. Dans les Académies, les collèges, c'est à qui chantera le mieux le « miracle de Metz ». Les Jésuites ne furent pas les derniers à le faire. Quant aux étudiants chinois de Paris, ils tinrent à affirmer :

« Que si de tous nos mots, les formes sont étranges
«Sire, ils n'en sont pas moins de sincères louanges ...
« Si plusieurs d'entre nous quittèrent leurs faux prêtres,
« Ils le durent, Grand prince, au soin de vos ancêtres ...
« Car la Chine connaît les vertus des Bourbons,
« La renommée au loin sait vanter les grands noms ... »

Mais le « miracle de Metz » avait été précédé par les « scandales de Metz» ourdis par le parti dévôt. C'est à Metz que la monarchie, prise entre les dévôts et les pamphlétaires libéraux de Londres, Amsterdam, Genève et Paris, reçut sa première - et mortelle - blessure.

Alain Sanders National Hebdo du 25 au 31 août 1988

mercredi 9 avril 2008

LA VÉRITABLE AVENTURE DE CADET ROUSSEL

Cadet Roussel a trois maisons/ qui n'ont « ni poutres, ni chevrons/ C'est pour loger les hirondelles/ Que direz-vous d'Cadet Roussel ? / Ah ! Ah ! oui, vraiment! Cadet Roussel est bon enfant! » ...

Lequel d'entre nous n'a jamais chanté cette chanson sans se demander vraiment qui était ce « Cadet Roussel » ou en lui attribuant quelque existence mythique ou légendaire? Il a pourtant existé ce cadet-là, ainsi surnommé, on s'en doute, parce qu'il était le second fils de la famille Roussel.
Né le 30 avril 1743 à Orgelet (Jura), de Jean-Baptiste Roussel et de Marie Pierote Girard, Guillaume Joseph Roussel dit « Cadet» s'installera à l'âge de vingt ans à Auxerre. Après avoir été un temps laquais, il est bien remarqué parce qu'il parle bien et possède une jolie écriture. Tout ce qui suffit pour entrer dans la basoche! Le voilà donc clerc d'huissier et tout occupé à rédiger exploits, constats et placets.
Là encore, son intelligence fait merveille et lui permet d'obtenir, en 1780, l'autorisation royale de se faire installer dans ses fonctions de premier huissier-audiencier au baillage d'Auxerre. C'est un poste d'importance où, ses bonnes mœurs, sa fidélité au roi et son catholicisme impeccable aidant, il devient bientôt un des notables de la ville.
Ayant désormais deux mille livres de revenu annuel, Cadet Roussel prend femme. Une certaine Jeanne Serpillon, bien plus âgée que lui, mais, pour reprendre un mot célèbre, pas mal vue de dot... Pour faire honneur à sa charge, Me Roussel choisit une maison un peu baroque et entreprend de la transformer encore et de l'agrandir. Au gré de son imagination débordante. En arrive-t-on bientôt à une maison sans portes ni chevrons ? C'est ce que prétend la chanson ...
Arrive là-dessus la Révolution. Cadet Roussel, malin comme un clerc de notaire malgré sa charge d'huissier au baillage et siège principal d'Auxerre, comprend d'où vient le vent.
Il se rend agréable aux nouveaux maîtres, flatte les uns et les autres, paie le coup aux braves gens et se fabrique une sorte de réputation. Dans le pays, on dit qu'il n'est pas fier Me Roussel, que c'est un homme un peu original mais plein d'idées, un bon bourgeois qui n'a pas oublié ses origines populaires.
Aussi quand il va s'agir de donner un chant de marche aux soixante-douze volontaires auxerrois du 1er Bataillon, c'est tout naturellement que Gaspard de Chenu du Souchet, à qui l'on devait déjà Les Jacobins d'Auxerre, va créer une immortelle chanson à la gloire de Cadet Roussel. L'air est emprunté à la chanson de Jean de Nivelle tirée d'un recueil de 1612 : Chansons folastres, tant superlifiques que drôlatiques des comédiens français. Et les paroles se démarquent à peine de l'original qui disait: « Jean de Nivelle n'a qu'un chien/ Il en vaut trois, on le sait bien ...! Mais il s'enfuit quand on l'appelle!/ Connaissez-vous Jean de Nivelle? / Ah ! Ah ! Ah ! oui, vraiment! Jean de Nivelle est bon enfant ! »
Le 16 septembre 1792, les volontaires quittent Auxerre par la porte de Saint-Siméon en chantant à tue-tête que Cadet Roussel a trois maisons, trois habits, trois chapeaux, trois souliers, trois cheveux, trois gros chiens, trois beaux chats, trois belles filles, trois deniers, mais qu'il ne mourra pas:
« Car avant de sauter le pas/ on dit qu'il apprend l'orthographe/ pour faire lui-même son épitaphe/ Ah ! Ah ! Ah ! oui, vraiment/ Cadet Roussel est bon enfant! »
Cette chanson rythmera la marche des volontaires auxerrois puis, très vite et tout autrement que La Marseillaise, de toute l'armée du Nord, en Belgique, dans le Brabant et dans les Flandres. En 1793, cet air est devenu tellement populaire que deux historiens oubliés aujourd'hui, Ande et Tissot, font jouer au théâtre de la Cité une pièce intitulée Cadet Roussel oule Café des aveugles.
Porté par « sa » chanson, Me Roussel s'inscrit dans un club républicain, la « Société Populaire », s'y fait remarquer par son zèle jacobin et une propension à signer des pétitions enflammées où l'on réclame la mise en jugement de Louis XVI, « l'ingrat, le traître, l'incorrigible ». On voit que le brave Cadet, enragé, haineux, pétitionnaire n'était peut-être pas si « bon-enfant» que la chanson le prétend.
En fin de course, il devait arriver ce qui arriva aux plus excités des révolutionnaires: des plus « purs » les épurent.
Accusé de s'être livré, lors d'une levée de scellés, à une véritable saturnale dans la maison du citoyen Front, Me Roussel tombe dans les griffes du comité de surveillance d'Auxerre qui exige sa destitution et son arrestation.
Cadet Roussel, protégé par Maure, député d'Auxerre à la Convention va sauver sa tête. Mais il perdra sa charge. Libéré de prison, Me Roussel n'a plus qu'une idée en tête: reconquérir la confiance du Comité de Surveillance en en rajoutant dans le délire révolutionnaire.
Le 10 Nivose An II (30 décembre 1793), il organise, dans la cathédrale d'Auxerre, une grande fête en l'honneur de la Déesse Raison. Avec concours de la Déesse de la Liberté - une jeune fille habillée très à la grecque ... -, de bœufs couverts de chapes de draps d'or, de chars burlesques, de monstres en osier représentant le « Despotisme », le «Fanatisme » et le « Fédéralisme ». Les dits monstres - représentés par des masques personnifiant un roi, un évêque et un truand furent jetés dans les flammes.
Les flammes furent-elles trop fortes? Toujours est-il que le feu menaça de tout griller et que la Déesse Raison, rongée par la peur, en fit littéralement caca dans une culotte qu'elle portait fort légère ...
- Les aristocrates ont empoisonné la procession, mais on les connaît et ils le paieront cher, grognèrent les fougueux Jacobins ...
Malgré cet épisode malodorant, Me Roussel était rentré en grâce. Le 1er mai 1793, il est membre du Comité de salut public de sa commune, une bande de commissaires politiques fanatiquement vigilants ...
Le 9 thermidor An II, Robespierre est enfin raccourci. Le 16, Cadet Roussel et ses amis qui avaient été encore plus robespierristes que Robespierre lui-même, écrivent à la Convention pour se féliciter de l'élimination de «l'assassin hypocrite» (Robespierre) et protester de leur indéfectible patriotisme.
Ce ne fut pas suffisant. Me Roussel et quelques-uns de ses comparses furent jetés en prison. Le 19 Vendémiaire An IX, une loi décréta l'amnistie des délits commis sous la terreur. Cadet Roussel en bénéficia.
A partir de là, nous perdons la trace de Me Roussel. Echaudé sans doute par ses expériences politiques successives, jugea-t-il plus prudent de vivre le reste de son âge calfeutré dans l'une de ses trois maisons ... Il resta donc huissier. Sous le Directoire. Sous le Consulat. Sous l'Empire.
Le 23 Nivose An Xl (14 janvier 1803), sa femme mourut. Elle avait seize ans de plus que lui. Agé de 60 ails, Cadet Roussel se remariait, trois mois plus tard, avec Reine Baron, la nièce de sa femme. Née le 6 août 1766, elle avait vingt-trois ans de moins que lui. Cadet Roussel en fut-il épuisé? Moins de trois ans plus tard, le 26 janvier 1807, il passait l'arme à gauche où étaient déjà ses sympathies politiques. Comme aurait pu le dire un autre personnage célèbre, M. De la Palice, Cadet Roussel venait de mourir en perdant la vie ...
Alain Sanders National Hebdo du 22 au 28 septembre 1988

vendredi 4 avril 2008

L'amazone sanglante Théroigne de Méricourt

Une belge au service de l'Autriche
L'horrible rôle qui fut celui de Marat dans la Révolution (n'oublions pas non plus ce discours des Cordeliers à la fin du mois d'août 1792, où cet Espagnol d'Helvétie réclamait 270 000 têtes françaises pour le bonheur du genre humain) permet de découvrir celui que tinrent les Suisses soit directement, soit indirectement durant ces années funestes.
Necker, le ministre des finances de Louis XVI qui eut quelques responsabilités dans la montée et l'enchaînement des événements, était Suisse d'origine allemande (Poméranie) et d'accointances anglaises. Il avait failli marier sa fille, la future Mme de Staël, à William Pitt. Syndic à la Compagnie des Indes, il avait comme associé le banquier londonien Thellusson. Cela permet de comprendre pourquoi Burke déclarait un jour à la Chambre des Communes: « M. Necker est notre meilleur ami sur le continent ».
Mirabeau était l'instrument d'un syndicat génevois qui travaillait à ses discours. Ce syndicat était composé de Duroveray, Clavière, d'Etienne Dumont et du pasteur Salomon Reybaz tous hostiles à la monarchie française. Duroveray, ancien procureur général de Genève, avait été destitué à la demande de Vergennes, ministre des Affaires Etrangères de Louis XVI, qui le tenait pour un agent anglais. Ce n'était pas faux. Il a été établi depuis qu'il recevait une pension de 300 louis du gouvernement de sa Majesté. Après le 10 août, Duroveray n'en fut pas moins attaché à l'Ambassade française de Londres.
Etienne Dumont, diplomate génevois, était un de ces européens très épris des idées nouvelles et tout auréolé des lumières. Il avait séjourné à Saint-Petersbourg, à Berlin, à Londres où Lord Lansdowne lui servait une rente. C'est sir Samuel Romilly qui le présente à Mirabeau. En 1789, il se fixe à Paris. Comme par hasard. Il inspire les discours de Mirabeau après avoir pris les conseils de Lord Elgin, diplomate et agent secret anglais. C'est Etienne Dumont lui-même qui le raconte dans ses Mémoires (Thomas Bruce, comte d'Elgin, devint célèbre, plus tard, pour le pillage des antiquités grecques, effectué avec la complicité des Turcs. Une partie des trésors volés disparut dans le naufrage du bateau qui les transportait en Angleterre. L'autre figure au catalogue du British Museum).
Israélite franc-maçon et banquier, Etienne Clavière avait été expulsé de Genève après la réaction aristocratique de 1782, soutenue par Vergennes. A Paris, il fit fortune à la Bourse et se lança dans le journalisme. Il était en rapport avec les banquiers Boyd et Kerr, agents de Pitt à Paris, et en correspondance suivie avec Bischoflswerder et Lucchesini, conseillers du roi de Prusse et francs-maçons importants. Ami de Mirabeau et de Brissot, Clavière fut en 1793 accusé de vol et de détournement de fonds au détriment de la compagnie d'assurance sur la vie dont il était l'administrateur ... Il se tua dans sa prison. Deux jours plus tard, son épouse se suicidait à son tour. Enfin, on arrêtait son frère J.J. CIavière alors qu'il filait en Suisse planquer le magot. Il n'y a rien de nouveau sous le soleil. J.J. Clavière était employé au ministère des Affaires Etrangères de la France, au service du trésorier, Bidermann, banquier israélite et suisse également, membre du conseil général de la Commune où dans la nuit du 9 au 10 août il mit tout en œuvre pour « assurer le triomphe de la liberté et déjouer le complot de la cour. »
Le pasteur Salomon Reybaz a fait moins parler de lui. On sait seulement qu'il rédigeait aussi pour Mirabeau et qu'il était également pensionné par l'Angleterre. On trouve à la bibliothèque de Genève 59 lettres de Mirabeau à Reybaz.
Mirabeau fréquentait beaucoup Genève parce qu'il avait de gros besoins d'argent et que deux banquiers suisses lui en prêtaient : Jeanneret et Schweizer.
Steire raconte que lorsque « Mirabeau traita avec la cour, il remboursa partiellement Schweitzer qui en fut fort surpris ». Cet argent devait être moins prêté que remis pour être remboursé en monnaie politique.
Citons encore Nicolas Pache, dit Papa Pache, extraordinaire figure de faux jeton à visage d'honnête homme, fils du concierge suisse de l'hôtel de Castries et qui trahit successivement tous ceux qui le protégèrent, à commencer par le maréchal lui-même.
Né en 1746, à la Révolution, Pache avait déjà fait sa pelote. Il s'était retiré en Suisse après avoir été manutentionnaire général des armées, puis contrôleur de la maison du roi et des dépenses diverses. Ce sont là des tâches toutes de dévouement mais où les habiles serviteurs trouvent leurs récompenses.
1789 le ramène à Paris, républicain, bien sûr, et des plus échauffés. A la section du Luxembourg des Jacobins, il exige la déchéance du roi. Il salue les tueurs de Septembre. Roland en fait le ministre de la Guerre. Pache l'abandonnera. Les Girondins le soutiennent. Pache va les perdre. En trois mois de ministère, il laisse cent soixante millions sans justification. Qu'importe! Puisqu'il est devenu enragé. On en fait le maire de Paris. Le premier maire suisse de Paris. Et sans nul doute le seul. Mieux on tient quelqu'un, plus on peut le laisser monter.
Papa Pache signe le décret qui envoie Marie-Antoinette à la guillotine. Pendant la Terreur, il livre les canons de Paris à la Commune. Il excite les fédérés contre les Girondins. Il marche avec Hébert, un de ces phénomènes de soufre, d'or et de sang, comme il en jaillit toujours dans les périodes de tumultes et de fractures. Hébert, un ancien laquais vendeur de billets et placeur au théâtre des variétés, poursuivi pour indélicatesses si l'on en croit Camille Desmoulins. En 89 il découvre le papier imprimé, le style parlé, l'invective. C'est le Père Duchêne.
Hébert s'ébroue dans l'ordure et la sanie comme l'enfant fasciné par les gros mots. Le Père Duchêne n'est pas le cri du peuple. C'est le hurlement de la populace allumée par l'incendie, le pillage, le viol, la mort. Dans l'Europe et la Révolution française, Albert Sorel dira : « On voyait le ministère dominé par l'Assemblée, l'Assemblée par les clubs, les clubs par quelques démagogues, les démagogues par la populace armée et famélique qu'ils croyaient entraîner à leur suite et qui, en réalité, en chassait devant soi. » Ce sont les lecteurs d'Hébert. « Des cannibales, des forcenés » dit Restif. La lie de la terre. L'écume de la fange, sortie on se sait d'où, qui s'est engouffrée dans Paris « comme dans un égout». L'expression est de Taine.
François Brigneau National Hebdo du 24 au 30 septembre 1987

L'amazone sanglante Théroigne de Méricourt

Une belge au service de l'Autriche (suite)
La marquise de Villeneuve Arrifat voit passer sous ses balcons ces hordes canailles, armées de pics, de faux, de rasoirs emmanchés au bout des bâtons.
Elle est stupéfaite. Est-ce possible? La plus belle ville du monde, la plus civilisée, la plus policée envahie par les barbares, hurlant, les yeux fous, la mousse aux lèvres.
Le carnaval de la terreur n'a attendu ni la Terreur, ni le Père Duchêne pour exister. Dès 89, tandis que les esprits éclairés, jouaient à savoir s'ils se compteraient par têtes ou par ordre, la marée noire baragouinant un sabir venu de tous les bas quartiers d'Europe a couru aux prisons, aux dépôts d'armes, aux magasins et aux couvents. La main sûre qui dirige n'oublie jamais l'Église. Ainsi, le 13 juillet, la veille de la Bastille, le couvent des Lazaristes a été mis à sac. Tout y a été démoli, arraché, détruit ou emporté ! Les portes ont été enfoncées et brisées à coups de hache. Les tableaux, les livres de la bibliothèque, les souvenirs de Saint-Vincent de Paul sont volés. Trente religieux sans armes ni défense sont massacrés. Saint-Just assiste au carnage. Il défaille. Au milieu des cris de joie et de fureur, des sans-culottes passent en portant, au bout d'une pique, un cœur sanglant entouré d'œillets blancs. Plus tard, Saint-Just s'aguerrira. Il déclarera à la Convention: « Pour constituer la République, il faut la destruction totale de tout ce qui lui est opposé! Une nation ne se régénère que sur des monceaux de cadavres ». Mais cela ne suffit pas à Hébert, ni à Papa Pache.Ils jugent Saint-Just et Robespierre timorés. Ils poussent aux crimes. Guerre aux accapareurs. Guerre aux aristocrates. Guerre aux tyrans. Guerre aux curés. A mort. A mort. C'est Ubu Républicain.
Pourquoi ce délire? Pour Pache, on croit le savoir. Ce Suisse est aussi un agent anglais, payé par Pitt. La note est dans Aulard. Arrêté en même temps qu'Hébert, il échappe à la guillotine qui décolla le Père Duchêne? Pourquoi? Sans doute grâce à la puissance du syndicat international Pouget de Saint-André avance! Très riche Papa Pache avait acheté une abbaye et un vaste domaine à Thin-le-Moutiers, dans les Ardennes. Il y passa une vieillesse paisible en herborisant. Il mourut le 18 novembre 1823, trente ans après la plupàrt des Français qu'il avait contribué à assassiner.
Après les Suisses, les Belges. Desfieux, le copain de Lazowski, avait quitté la Belgique pour s'établir à Bordeaux dans le commerce des vins. Dès le printemps 89, il monte à Paris. Que va-t-il y faire? Il le raconte lui-même: « Le 12 juillet, j'apportai la nouvelle du renvoi de Necker au Palais-Royal et j'y excitai aussitôt à s'armer contre la Cour... Le 13, je fus un des premiers à me rendre à l'église des Petits-Pères.
J'y donnai le mode d'enrôlement pour former la garde nationale, ce mode fut adopté. Le 14, je me trouvai à la Bastille et partout où un patriote devait se trouver... Des affaires m'appelèrent à Bordeaux. J'y prêchai la Révolution. J'y formai une Société populaire connue sous le nom de Club du Café National... Je partis sur l'invitation de la municipalité de Toulouse pour y établir une société populaire... Ma réputation de patriote me fit admettre à la société des Jacobins ... Je fus un des premiers à dénoncer les Brissotins, les Rolandins, les Girondins »
Ce beau zèle le signale. Les Jacobins font de Desfieux leur trésorier. Le voici membre du Comité Révolutionnaire. Bouchotte (ministre de la Guerre) lui confie une mission en Suisse Vice-président des amis de la liberté, Desfieux exige l'exécution de Louis XVI. Mais en même temps, il manigance avec le Baron de Batz qui essaye de sauver le Roi. On le décrit pourtant comme « coquin, voleur, banqueroutier, mais bon patriote ». Patriote belge, sans doute?
Belge comme la belle Liégeoise, Anne Josèphe Terwagne dite Théroigne de Mericourt, fille de cultivateur de Marcourt, dans le Luxembourg belge, enfuie de chez elle à 17 ans pour courir l'Europe galante, petite chanteuse mais grande courtisane. On la trouve à Vienne, à Gênes, à Londres où elle aurait été la maîtresse du Roi d'Angleterre. A Paris enfin, elle tient salon rue de Tournon. Romme (l'inventeur du calendrier), Danton, Mirabeau, l'Abbé Sieyès sont à ses pieds. Elle est l'archiviste du club des Amis de la loi, puis une oratrice appréciée du Club des Cordeliers. Vêtue en amazone rouge, coiffée d'un chapeau à plumes, une paire de pistolets et un sabre à la ceinture, elle est aux Tuileries le 10 août. Elle harangue la foule. Elle excite au massacre des Suisses. Soudain, dans un remous, elle reconnaît un visage. Elle le désigne du doigt. Elle crie :
- Arrêtez-le! C'est un traître ! C'est un immigré! C'est Suleau.
François Suleau, journaliste royaliste, déçu par l'immigration, avait eu le courage de revenir à Paris. Dans son journal il se moquait souvent de l'Amazone de la Révolution. La belle Liégeoise tient sa vengeance. Le malheureux est entouré, frappé à coups de piques et de serpes, dépecé et bientôt, sa tête est plantée dans le fer d'une pique et promenée, comme un trophée, à la mode du jour.
A son tour, Suleau sera vengé. Le 31 mai 1793, sur la terrasse des Feuillants, Théroigne de Méricourt veut défendre Brissot. Une meute de poissardes la saisissent. Elles la fouettent jusqu'à ce que la peau éclate. La belle Liégeoise en devient folle. Elle est internée à la Salpêtrière où elle mourut en 1817.
Certains historiens croient qu'elle travaillait pour le Chancelier d'Autriche Kaunitz.
Encore un Belge, François Robert, né à Gimnée (Namur) en 1762, mort à Bruxelles en 1826 ce qui ne l'empêche pas d'être élu à la Convention. Il vote la mort du Roi et soutient même que tout Français a le droit d'assassiner Louis XVI. Cela ne choque pas qu'un Belge puisse trancher ainsi des affaires et des têtes françaises. Danton en fait son secrétaire au ministère de la Justice, ce qui permet à Robert de trafiquer dans les denrées coloniales.
François Brigneau National Hebdo du 24 au 30 septembre 1987