Après ses victoires décisives en Flandre, Louis XV, sans prévenir personne, décide de se rendre à Metz. Le roi, vainqueur à Menin, Courtrai, Ypres, Dixmude, voulait dire aux Lorrains toute sa sollicitude.
En un peu plus d'une semaine, Metz n'eut qu'une préoccupation: accueillir Louis XV avec magnificence. Le 4 août 1744, à 7 heures du matin, les lève-tard furent réveillés par la Mutte. Mais l'énorme bourdon annonçait surtout l'arrivée du roi. Les milices bourgeoises rééquipées de neuf, se présentèrent avec douze drapeaux neufs, encadrées par de beaux officiers en uniforme rouge et or. Suivaient les grands Cadets, 250 jeunes gens de 20 à 25 ans, qui devaient mesurer plus de 1 mètre 75. A leur tête: M. Perrin, écuyer, syndic de la ville, en uniforme bleu et argent. Les petits Cadets, 150 enfants de 10 ans, tout de rouge vêtus, maniaient avec beaucoup de grâce des lances trop grandes pour eux. Le commandant des petits Cadets, lui-même âgé de 10 ans, était le propre fils du grand bailli de Metz, M. de Tschudy.
Vers midi, les sonneries royales éclatèrent. Le roi de France entrait dans la ville. Il y était accueilli par le maréchal-duc de Belle-Isle, gouverneur des Trois Evéchés et M. de Rochecombe, lieutenant du Roi, commandant la ville. Le premier échevin, M. Simon, remit au roi les clefs de la ville en disant : « Sire, rien de plus glorieux et de plus heureux pour nous et pour cette province que l'arrivée de votre Majesté ».
Le roi s'avança vers la place du Pont des Morts où avaient été construites des grottes d'où jaillissaient des cascades de vin! Puis le roi demanda à se rendre à la cathédrale. Il y est reçu par Claude de Rouvroy de Saint-Simon, prince de Metz, entouré des chanoines et des curés de la ville. Après l'homélie et le Te Deum, le roi, précédé par ses Gardes du corps et ses trompettes, arrive enfin au palais du Gouverneur. Au soir, des dizaines de fagots embrasés et près de 300 fusées multicolores finirent d'illuminer cette première journée du roi à Metz.
Le lendemain, 5 août, Mathieu de Montholon, les présidents à mortier, les conseillers, les magistrats, présentèrent au souverain l'assurance de leur fidélité et celle du parlement de Metz. Le 6 août, le roi reçut l'hommage des habiroux de la ville. « En tête, écrit Pierre de la Condamine, allaient à pied, deux à deux, le grand rabbin et les syndics de la communauté juive, suivis de deux vieillards à cheval, l'épée à la main, vêtus de velours noir et d'une veste de drap d'or. Derrière trois hautbois en volants rouges, marchaient quarante vieillards en costume de sabbat et chapeau plat, deux à deux, n'ayant de blanc que leur immense barbe et leur rabat. Aux quarante barbus succédèrent deux compagnies équestres: plus de 80 chevaux carapaçonnés de drap écarlate, crins tressés et enrubannés. Les cavaliers en noir portaient en bandoulière un large ruban jaune où se lisaient les armes de France et de Navarre et l'inscription ''Vive le roi". Les chantres de la synagogue venaient juste avant le char ».
Le 7 août est consacré à la tournée des popotes : visites de garnisons, de fortins, de fabriques d'armes, entretien politique avec un envoyé du roi de Prusse, M. de Schmettau.
Le 8 août, un nouveau Te Deum, à la cathédrale, doit célébrer la prise de Fort-Dauphin, dans le Piémont. Mais, au matin du 8, le roi, qui a mal dormi la nuit précédente, reste couché. Il se plaint de douleurs dans le ventre. L'entourage du roi s'affole. Le parti des dévôts, c'est-à-dire, le parti de la reine, délaissée depuis de nombreuses années par son époux royal, s'applique à « grossir » la maladie du souverain. A l'opposé, le parti de la maîtresse en titre, Madame de Châteauroux, soutient que le roi sera bientôt rétabli.
Le parti dévôt profite de cette maladie pour éloigner Madame de Châteauroux et ses amis. Le 13 août, le roi, de plus en plus affaibli (conseillé par les prêtres, il a déjà accepté d'éloigner sa maîtresse) demande à recevoir le Saint Viatique. Le 14 il perd connaissance et ne se réveille que pour recevoir l'extrême onction. Le premier aumônier, M. de Fitz-James, profite de la grande faiblesse de Louis XV pour lui extorquer une confession publique dans laquelle le roi s'accuse d'avoir fait le Mal et surtout, d'être indigne du titre de Roi Très Chrétien. On voit l'exploitation qui pourra être faite, par les ennemis de la Monarchie, d'une telle confession plus proche de l'auto-critique, d'ailleurs, que du repentir spirituel. Un bourgeois de l'époque s'indigne: « On regarde l'action de Mgr l'évêque de Soissons (M. de Fitz-James) comme la plus belle chose du monde, que le scandale ayant été public, il faut que la réparation le soit aussi... Pour moi, je prends la liberté de regarder cette conduite comme très indécente et cette réparation publique et subite comme un scandale avéré. Il faut respecter la réputation d'un roi et le laisser mourir avec religion, mais avec dignité et majesté. A quoi sert cette parade ecclésiastique? »
M. del Perugia, l'historien qui a, sans doute, contribué le mieux à réhabiliter l'action politique de Louis XV, écrit à ce propos: « A Versailles et à Paris, la camarilla pavoisait. Jusqu'ici la tartufferie n'avançait que masquée d'intentions les plus pures et les mieux déguisées. Maintenant, elle avouait qu'elle ne cherchait nullement la « conversion » du Roi et le châtiment de Madame de Châteauroux. Magnifiquement maître de lui, le mourant regardait venir sa fin comme un bon chrétien, dans un déréliction totale ». Mais, dans les cantonnements des vieux régiments, on ne se gêne pas pour dire, sur un autre ton, le prestige du roi amoureux: « En vrai descendant d'Henri IV. tu sais bien foutre et bien combattre. » Et Voltaire témoigne de l'inquiétude populaire: « Cet événement (la maladie du roi) porta la crainte et la désolation de ville en ville. Les peuples accouraient des environs de Metz. »
Le 17 août, la reine Marie arrive à Metz. Le roi, abandonné par tous et, plus particulièrement, par son confesseur le Père Pérusseau, n'est plus veillé que par le duc de Richelieu et quelques valets fidèles. Sortant un moment de son coma, Louis s'adresse à Marie: « Madame, je vous demande pardon du scandale que je vous ai donné, des peines et des chagrins dont j'ai été la cause. »
Un des médecins qui entourent le roi, perdu dans la foule des guérisseurs et des rebouteux, est un médecin militaire qui s'est retiré à Metz: M. de Montcharvaux. C'est lui qui, contre l'avis général, affirme que le roi va guérir. Le 19 août, en fin de soirée, le roi se sent mieux: « Des courriers galopaient vers Metz, souvent montés sur des chevaux de moissons, accourant des villes et des villages. Ils avaient appris la nouvelle que le cri public appelait unanimement : le miracle. »
Le 25 août, le roi, presque complètement rétabli, communie dans sa chambre. Dans les rues de Metz, les chants de joie, les danses, les jeux s'installent pour des semaines. On rappliquait de partout. On voulait voir le Roi. Et qui donc se serait privé de festoyer ? Deux fêtes furent particulièrement somptueuses : celle qu'offrit le prince del Campo Florido, ambassadeur d'Espagne, et celle du prince d'Ardore, ambassadeur des Deux-Siciles. »
Le 29 septembre, Louis XV quitte Metz. Début octobre, il est à Strasbourg où il est gardé par une compagnie de Cent Suisses composée d'enfants de 10 à 12 ans, vêtus comme des Gardes royaux : fraises, toques, petites moustaches charbonnées. Le 10 octobre, le roi met le siège devant Fribourg. Le 1er novembre, les Allemands hissent le drapeau blanc. Le retour à Paris du « Bien Aimé» fut l'occasion de fêtes grandioses. Dans les Académies, les collèges, c'est à qui chantera le mieux le « miracle de Metz ». Les Jésuites ne furent pas les derniers à le faire. Quant aux étudiants chinois de Paris, ils tinrent à affirmer :
« Que si de tous nos mots, les formes sont étranges
«Sire, ils n'en sont pas moins de sincères louanges ...
« Si plusieurs d'entre nous quittèrent leurs faux prêtres,
« Ils le durent, Grand prince, au soin de vos ancêtres ...
« Car la Chine connaît les vertus des Bourbons,
« La renommée au loin sait vanter les grands noms ... »
Mais le « miracle de Metz » avait été précédé par les « scandales de Metz» ourdis par le parti dévôt. C'est à Metz que la monarchie, prise entre les dévôts et les pamphlétaires libéraux de Londres, Amsterdam, Genève et Paris, reçut sa première - et mortelle - blessure.
Alain Sanders National Hebdo du 25 au 31 août 1988
En un peu plus d'une semaine, Metz n'eut qu'une préoccupation: accueillir Louis XV avec magnificence. Le 4 août 1744, à 7 heures du matin, les lève-tard furent réveillés par la Mutte. Mais l'énorme bourdon annonçait surtout l'arrivée du roi. Les milices bourgeoises rééquipées de neuf, se présentèrent avec douze drapeaux neufs, encadrées par de beaux officiers en uniforme rouge et or. Suivaient les grands Cadets, 250 jeunes gens de 20 à 25 ans, qui devaient mesurer plus de 1 mètre 75. A leur tête: M. Perrin, écuyer, syndic de la ville, en uniforme bleu et argent. Les petits Cadets, 150 enfants de 10 ans, tout de rouge vêtus, maniaient avec beaucoup de grâce des lances trop grandes pour eux. Le commandant des petits Cadets, lui-même âgé de 10 ans, était le propre fils du grand bailli de Metz, M. de Tschudy.
Vers midi, les sonneries royales éclatèrent. Le roi de France entrait dans la ville. Il y était accueilli par le maréchal-duc de Belle-Isle, gouverneur des Trois Evéchés et M. de Rochecombe, lieutenant du Roi, commandant la ville. Le premier échevin, M. Simon, remit au roi les clefs de la ville en disant : « Sire, rien de plus glorieux et de plus heureux pour nous et pour cette province que l'arrivée de votre Majesté ».
Le roi s'avança vers la place du Pont des Morts où avaient été construites des grottes d'où jaillissaient des cascades de vin! Puis le roi demanda à se rendre à la cathédrale. Il y est reçu par Claude de Rouvroy de Saint-Simon, prince de Metz, entouré des chanoines et des curés de la ville. Après l'homélie et le Te Deum, le roi, précédé par ses Gardes du corps et ses trompettes, arrive enfin au palais du Gouverneur. Au soir, des dizaines de fagots embrasés et près de 300 fusées multicolores finirent d'illuminer cette première journée du roi à Metz.
Le lendemain, 5 août, Mathieu de Montholon, les présidents à mortier, les conseillers, les magistrats, présentèrent au souverain l'assurance de leur fidélité et celle du parlement de Metz. Le 6 août, le roi reçut l'hommage des habiroux de la ville. « En tête, écrit Pierre de la Condamine, allaient à pied, deux à deux, le grand rabbin et les syndics de la communauté juive, suivis de deux vieillards à cheval, l'épée à la main, vêtus de velours noir et d'une veste de drap d'or. Derrière trois hautbois en volants rouges, marchaient quarante vieillards en costume de sabbat et chapeau plat, deux à deux, n'ayant de blanc que leur immense barbe et leur rabat. Aux quarante barbus succédèrent deux compagnies équestres: plus de 80 chevaux carapaçonnés de drap écarlate, crins tressés et enrubannés. Les cavaliers en noir portaient en bandoulière un large ruban jaune où se lisaient les armes de France et de Navarre et l'inscription ''Vive le roi". Les chantres de la synagogue venaient juste avant le char ».
Le 7 août est consacré à la tournée des popotes : visites de garnisons, de fortins, de fabriques d'armes, entretien politique avec un envoyé du roi de Prusse, M. de Schmettau.
Le 8 août, un nouveau Te Deum, à la cathédrale, doit célébrer la prise de Fort-Dauphin, dans le Piémont. Mais, au matin du 8, le roi, qui a mal dormi la nuit précédente, reste couché. Il se plaint de douleurs dans le ventre. L'entourage du roi s'affole. Le parti des dévôts, c'est-à-dire, le parti de la reine, délaissée depuis de nombreuses années par son époux royal, s'applique à « grossir » la maladie du souverain. A l'opposé, le parti de la maîtresse en titre, Madame de Châteauroux, soutient que le roi sera bientôt rétabli.
Le parti dévôt profite de cette maladie pour éloigner Madame de Châteauroux et ses amis. Le 13 août, le roi, de plus en plus affaibli (conseillé par les prêtres, il a déjà accepté d'éloigner sa maîtresse) demande à recevoir le Saint Viatique. Le 14 il perd connaissance et ne se réveille que pour recevoir l'extrême onction. Le premier aumônier, M. de Fitz-James, profite de la grande faiblesse de Louis XV pour lui extorquer une confession publique dans laquelle le roi s'accuse d'avoir fait le Mal et surtout, d'être indigne du titre de Roi Très Chrétien. On voit l'exploitation qui pourra être faite, par les ennemis de la Monarchie, d'une telle confession plus proche de l'auto-critique, d'ailleurs, que du repentir spirituel. Un bourgeois de l'époque s'indigne: « On regarde l'action de Mgr l'évêque de Soissons (M. de Fitz-James) comme la plus belle chose du monde, que le scandale ayant été public, il faut que la réparation le soit aussi... Pour moi, je prends la liberté de regarder cette conduite comme très indécente et cette réparation publique et subite comme un scandale avéré. Il faut respecter la réputation d'un roi et le laisser mourir avec religion, mais avec dignité et majesté. A quoi sert cette parade ecclésiastique? »
M. del Perugia, l'historien qui a, sans doute, contribué le mieux à réhabiliter l'action politique de Louis XV, écrit à ce propos: « A Versailles et à Paris, la camarilla pavoisait. Jusqu'ici la tartufferie n'avançait que masquée d'intentions les plus pures et les mieux déguisées. Maintenant, elle avouait qu'elle ne cherchait nullement la « conversion » du Roi et le châtiment de Madame de Châteauroux. Magnifiquement maître de lui, le mourant regardait venir sa fin comme un bon chrétien, dans un déréliction totale ». Mais, dans les cantonnements des vieux régiments, on ne se gêne pas pour dire, sur un autre ton, le prestige du roi amoureux: « En vrai descendant d'Henri IV. tu sais bien foutre et bien combattre. » Et Voltaire témoigne de l'inquiétude populaire: « Cet événement (la maladie du roi) porta la crainte et la désolation de ville en ville. Les peuples accouraient des environs de Metz. »
Le 17 août, la reine Marie arrive à Metz. Le roi, abandonné par tous et, plus particulièrement, par son confesseur le Père Pérusseau, n'est plus veillé que par le duc de Richelieu et quelques valets fidèles. Sortant un moment de son coma, Louis s'adresse à Marie: « Madame, je vous demande pardon du scandale que je vous ai donné, des peines et des chagrins dont j'ai été la cause. »
Un des médecins qui entourent le roi, perdu dans la foule des guérisseurs et des rebouteux, est un médecin militaire qui s'est retiré à Metz: M. de Montcharvaux. C'est lui qui, contre l'avis général, affirme que le roi va guérir. Le 19 août, en fin de soirée, le roi se sent mieux: « Des courriers galopaient vers Metz, souvent montés sur des chevaux de moissons, accourant des villes et des villages. Ils avaient appris la nouvelle que le cri public appelait unanimement : le miracle. »
Le 25 août, le roi, presque complètement rétabli, communie dans sa chambre. Dans les rues de Metz, les chants de joie, les danses, les jeux s'installent pour des semaines. On rappliquait de partout. On voulait voir le Roi. Et qui donc se serait privé de festoyer ? Deux fêtes furent particulièrement somptueuses : celle qu'offrit le prince del Campo Florido, ambassadeur d'Espagne, et celle du prince d'Ardore, ambassadeur des Deux-Siciles. »
Le 29 septembre, Louis XV quitte Metz. Début octobre, il est à Strasbourg où il est gardé par une compagnie de Cent Suisses composée d'enfants de 10 à 12 ans, vêtus comme des Gardes royaux : fraises, toques, petites moustaches charbonnées. Le 10 octobre, le roi met le siège devant Fribourg. Le 1er novembre, les Allemands hissent le drapeau blanc. Le retour à Paris du « Bien Aimé» fut l'occasion de fêtes grandioses. Dans les Académies, les collèges, c'est à qui chantera le mieux le « miracle de Metz ». Les Jésuites ne furent pas les derniers à le faire. Quant aux étudiants chinois de Paris, ils tinrent à affirmer :
« Que si de tous nos mots, les formes sont étranges
«Sire, ils n'en sont pas moins de sincères louanges ...
« Si plusieurs d'entre nous quittèrent leurs faux prêtres,
« Ils le durent, Grand prince, au soin de vos ancêtres ...
« Car la Chine connaît les vertus des Bourbons,
« La renommée au loin sait vanter les grands noms ... »
Mais le « miracle de Metz » avait été précédé par les « scandales de Metz» ourdis par le parti dévôt. C'est à Metz que la monarchie, prise entre les dévôts et les pamphlétaires libéraux de Londres, Amsterdam, Genève et Paris, reçut sa première - et mortelle - blessure.
Alain Sanders National Hebdo du 25 au 31 août 1988