mercredi 20 février 2008

L'affaire Philippe Daudet


L'affaire la plus grave_ dans laquelle furent compromises la police et la classe politique fut à coup sûr celle de Philippe Daudet. Fils du polémiste royaliste Léon Daudet, il n'avait encore que quinze ans le 23 novembre 1923 lorsqu'il fut découvert avec une balle dans la tête chez le libraire anarchiste Le Flaoutter, indicateur de police notoire.
- « Suicide », déclarèrent alors les enquêteurs.
- « Assassinat commis par l'instigation du directeur de la Sûreté Marlier et de Lannes, le beau-frère de Poincaré », répliqua Léon Daudet.
Certains journalistes de gauche comme Séverine furent persuadés que tout n'était pas faux dans les accusations lancées par la presse monarchiste.
Le 28 novembre, derrière le cercueil du jeune Philippe, se retrouvèrent Emile Buré, Eugène Lautier, Paul Bourget, Georges Bernanos, Paul Morand, François Mauriac, Joseph Kessel, Raymond Poincaré, Raoul Péret et Jean Cocteau.
Le 2 décembre, Le Libertaire publia un numéro spécial qui annonçait que Philippe Daudet était devenu anarchiste.
« Nous accusons Léon Daudet, y lisait-on, d'avoir maquillé la mort de son fils. »
L'Action française répondit aussitôt :
« Une vengeance atroce : Philippe Daudet a été assassiné. »
Très vite, les rapports étroits qui existaient entre la police et les milieux anarchistes furent révélés, et le quotidien communiste L 'Humanité ne manqua pas de les mettre en évidence. Daudet dès lors que son fils avait été délibérément assassiné dans le sous-sol de la librairie. Plusieurs de ses amis crurent plus simplement que la police avait abattu un jeune homme que Le Flaoutter avait dénoncé au contrôleur général Lannes comme un terroriste dangereux. Découvrant ensuite qu'il s'agissait du fils de Léon Daudet, elle aurait maquiller le meurtre en suicide.
De toute façon, la thèse de la police boîteuse. Comment Philippe aurait-il pu, comme on le disait, quitter librement une boutique surveillée par douze inspecteurs ? Comment se faisait-il qu'aucune balle n'ait été retrouvée dans le taxi où l'enfant, affirmait-on, s'était suicidé? Comment se faisait-il que le contrôleur généra! Lannes, beau-frère de Raymond Poincaré, ait été un client assidu d'une librairie spécialisée dans la littérature obscène?
C'était l'époque étrange de l'après-guerre. De 1925, qui fut l'année de l'Exposition des arts décoratifs, André Fraigneau devait écrire:
"C'était l'époque nègre, l'époque jazz, celle de la robe-chemise, des nuques tondues, du cubisme apprivoisé, des audaces sexuelles, des actes gratuits et des suicides sans raison. Le veau d'or est toujours debout mais on n'en parle pas. C'est un boeuf qui domine les toits de Paris..."
1925, ce n'était plus l'après-guerre. Ce n'était pas encore l'avant-guerre.
L'affaire Philippe Daudet continuait. Léon Daudet avait porté plainte pour meurtre le 26 janvier 1925 contre les policiers Colombo, Martier, Lannes et Delange. L'enquête allait durer six mois et aboutir à un non-lieu.
En un autre temps, la crédulité des hommes politiques en face des aigrefins de classe avait été illustrée par l'affaire de Thérèse Humbert et du faux héritage des Crawford. Les plus grands s'y laissèrent prendre pendant vingt ans.
A vrai dire, jamais femme ne fut aussi experte dans l'art d'exploiter les gogos. Fille d'une commerçante de Toulouse, Thérèse Daurignac avait épousé en 1878 Frédéric Humbert, le fils d'un éminent professeur de droit qui devait devenir Garde des Sceaux en 1882, dans le cabinet de Freycinet. Elle était fort disgracieuse mais habile calculatrice.
A partir de l'histoire authentique d'un Américain tombé en syncope devant la boutique de sa mère, Thérèse imagina le fabuleux héritage des Crawford dont elle se prétendait la bénéficiaire. Elle engagea même un procès contre tous ceux qui, disait-elle, contestaient le testament, et Waldeck-Rousseau accepta de plaider pour elle. Il devait admettre plus tard qu'il avait été inconsciemment le complice de la plus grande escroquerie du siècle.
On devait découvrir que le beau-père, l'éminent légiste, avait été le conseiller de Thérèse pour cette procédure.
Elle disposa dès lors d'un immense crédit. Elle était à la veille de fonder la Société des rentes viagères lorsque le magistrat Forichon, alerté par les révélations du Matin, ordonna l'ouverture d'une enquête judiciaire. Il ordonna que soit fouillé le coffre dans lequel elle prétendait avoir enfermé la fortune des Crawford. Il était simplement garni de titres de rente périmés .
Elle fut extradée de Madrid avec toute sa famille et fut condamnée à cinq ans de réclusion.
" Dans son coffre-fort, a écrit Bernard Lecache, on trouvait un lapin en guise de fortune, mais, dans son portefeuille, on découvrit le Gotha républicain. "
Du scandale Humbert, l'opposition allait tenter alors de faire une arme redoutable contre le gouvernement Combes, le gouvernement des lois anticléricales. Ce fut sans doute la raison pour laquelle, se sentant menacé, le Garde des Sceaux Vallée fit diligence et fit en sorte que l'année 1902 s'achevât par ce spectacle qui réjouit la droite française de la famille Humbert débarquant à Hendaye, menottes aux mains, pour rendre ses comptes à la justice républicaine.
- « Où est le château de Marcotte ? Où sont les Crawford? Où sont les millions? », interrogeait le président Bonnet.
- «Tout cela existe, répondait l'accusée, je peux le prouver, mais il me faudrait alors faire une révélation si effrayante que je ne m'en sens pas le courage. »
Tout un monde sans morale, descendu avec tous ses vices d'un XIXe siècle impudique, prenait ainsi le visage de cette femme grassouillette et vulgaire qui avait si longtemps tiré les ficelles du Régime. Et toute la comédie s'achevait par les éclats de rire du bon peuple.
Ce fut alors que commença la grande offensive de la gauche.
P.F National Hebdo février 1988

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