UN ARTICLE scientifique déjà ancien, mais peu connu en dehors des milieux spécialisés, remet en cause une idée reçue, et popularisée par Gustave Flaubert dans Salammbô : sur la foi d'historiens antiques (Diodore de Sicile, Clitarque), on croyait que les Carthaginois pratiquaient des sacrifices d'enfants, en particulier sacrifices des premiers-nés (dont l'archétype est " le sacrifice d'Abraham, auquel la Bible " donne un happy end).
Dans les publications d'une Unité de recherche de l'Université de Nanterre (1), une spécialiste de l'archéologie punique, Mme Bénichou-Safar, a présenté un état de la question qui met fortement en doute ce quasi-dogme historique.
On a trouvé effectivement à Carthage, en 1921, sur le site dénommé " 1) L'article entier est disponible sur le site Internet de la «maison René GSalammbô ", des milliers d'urnes remplies de cendres d'enfants, accompagnées ou non de cendres d'agneaux ou de chevreaux et de bijoux (certaines, il est vrai, ne contenaient que des cendres d'animaux). Au-dessus, généralement, des ex-votos gravés sur pierre: « Ce qu'a offert à la déesse Tanit» (ou: au « seigneur Baal-Hammon ») « Untel, fils de Untel » etc. La cause paraissait entendue: enfants et animaux étaient des victimes offertes à la divinité.
Cependant, l' archéologue,fouillant à Carthage (voir maquette ci-dessus) à la fin des années 1970, s'est aperçue qu'en dehors de ce site, les sépultures d'enfants étaient rarissimes. Ne s'agissait-il donc pas simplement, à " Salammbô ", d'un cimetière réservé aux petites victimes de la mortalité infantile, très forte dans les sociétés antiques ? L'examen des os montre que tous ont été incinérés étant déjà morts. Or, cette pratique carthaginoise de réunir nécropole d'enfants et consécration aux dieux (attestée par des inscriptions, dont le déchiffrement supporte d'ailleurs plusieurs interprétations, en raison de l'absence de voyelles dans les alphabets sémitiques) se trouve prolongée, en période romaine, par des sanctuaires dédiés à Saturne (successeur de Baal), comportant des sépultures d'enfants très jeunes.
La discussion est donc ouverte, et l'explication traditionnelle est maintenant accueillie avec scepticisme par beaucoup de chercheurs. Prudente, Mme Bénichou-Safar ne conclut pas - ou plutôt conclut qu'on ne peut plus considérer les sacrifices d'enfants carthaginois comme prouvés. Belle leçon de révisionnisme historique! Faudra-t-il attendre aussi longtemps que les Carthaginois pour que les événements du xxe siècle soient soumis à une recherche aussi impartiale ?
(Par parenthèse, l'archéologie peut induire en erreur négativement aussi bien que positivement. Si dans l'avenir il ne subsiste des XXe et XXle siècles que des objets, en l'absence de textes, les archéologues du futur ne pourront pas deviner que la société française, par exemple, pratique chaque année 200 000 sacrifices d'enfants (chiffre officiel), en vertu d'une loi votée « au nom du peuple français » et aux frais de la collectivité nationale, donc par une sorte de religion d'Etat. Nous sommes peut-être moralement très au-dessous des adorateurs de Baal.)
Bernard VIELESCAZ. RIVAROL 12 octobre 2007
"maison René Ginouvès ", <>, «thèmes transversaux» : Cahiers des thèmes transversaux, n° 2.
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Dans les publications d'une Unité de recherche de l'Université de Nanterre (1), une spécialiste de l'archéologie punique, Mme Bénichou-Safar, a présenté un état de la question qui met fortement en doute ce quasi-dogme historique.
On a trouvé effectivement à Carthage, en 1921, sur le site dénommé " 1) L'article entier est disponible sur le site Internet de la «maison René GSalammbô ", des milliers d'urnes remplies de cendres d'enfants, accompagnées ou non de cendres d'agneaux ou de chevreaux et de bijoux (certaines, il est vrai, ne contenaient que des cendres d'animaux). Au-dessus, généralement, des ex-votos gravés sur pierre: « Ce qu'a offert à la déesse Tanit» (ou: au « seigneur Baal-Hammon ») « Untel, fils de Untel » etc. La cause paraissait entendue: enfants et animaux étaient des victimes offertes à la divinité.
Cependant, l' archéologue,fouillant à Carthage (voir maquette ci-dessus) à la fin des années 1970, s'est aperçue qu'en dehors de ce site, les sépultures d'enfants étaient rarissimes. Ne s'agissait-il donc pas simplement, à " Salammbô ", d'un cimetière réservé aux petites victimes de la mortalité infantile, très forte dans les sociétés antiques ? L'examen des os montre que tous ont été incinérés étant déjà morts. Or, cette pratique carthaginoise de réunir nécropole d'enfants et consécration aux dieux (attestée par des inscriptions, dont le déchiffrement supporte d'ailleurs plusieurs interprétations, en raison de l'absence de voyelles dans les alphabets sémitiques) se trouve prolongée, en période romaine, par des sanctuaires dédiés à Saturne (successeur de Baal), comportant des sépultures d'enfants très jeunes.
La discussion est donc ouverte, et l'explication traditionnelle est maintenant accueillie avec scepticisme par beaucoup de chercheurs. Prudente, Mme Bénichou-Safar ne conclut pas - ou plutôt conclut qu'on ne peut plus considérer les sacrifices d'enfants carthaginois comme prouvés. Belle leçon de révisionnisme historique! Faudra-t-il attendre aussi longtemps que les Carthaginois pour que les événements du xxe siècle soient soumis à une recherche aussi impartiale ?
(Par parenthèse, l'archéologie peut induire en erreur négativement aussi bien que positivement. Si dans l'avenir il ne subsiste des XXe et XXle siècles que des objets, en l'absence de textes, les archéologues du futur ne pourront pas deviner que la société française, par exemple, pratique chaque année 200 000 sacrifices d'enfants (chiffre officiel), en vertu d'une loi votée « au nom du peuple français » et aux frais de la collectivité nationale, donc par une sorte de religion d'Etat. Nous sommes peut-être moralement très au-dessous des adorateurs de Baal.)
Bernard VIELESCAZ. RIVAROL 12 octobre 2007
"maison René Ginouvès ", <>, «thèmes transversaux» : Cahiers des thèmes transversaux, n° 2.
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