mardi 12 juin 2007

Les colonies ont-elles été pillées par la France ?

Colonialisme

Le pillage des colonies par la France : un mythe !

Le 15 septembre 1960, à Brazaville, lors de l'accession du Congo, à l'indépendance, un parachutiste français entreprend d'abaisser le drapeau tricolore. Manifestant à haute voix son désaccord, le président Youlou exige que le drapeau cogolais soit monté avec celui de la France : « Il n'est pas question, dit-il, de séparer l'enfant de sa mère. » (1)
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(1) Cité par Jean de la Guérivière, Les fous d'Afrique. Histoire d'une passion française.

Aux états africains et à Madagascar, la France lègue un personnel administratif qu'elle a formé, et des infrastructures considérables :
  • 2.000 dispensaires
  • 600 maternités
  • 40 hôpitaux
  • 18.000 kilomètres de voies ferrées
  • 215.000 kilomètres de pistes principales
  • 50.000 kilomètres de routes bitumées
  • 63 ports
  • 196 aérodromes
  • 16.000 écoles primaires
  • 350 collèges ou lycées.
Sous De Gaulle, Pompidou, Giscard d'Estaing, Mitterrand et Chirac, les affaires africaines relèvent du domaine réservé du chef de l'État. D'importants accords de coopérationlient l'ancienne métropole et les états francophones. L'armée française caserne toujours sur le continent noir. Jean-Paul Gourévitch estimait en 1997 que « La France dépense actuellement pour l'Afrique une somme annuelle de 700 francs par habitants. » (2). Néo-colonianisme ?
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(2) Jean-Paul Gouvéritch, L'Afrique, le fric, la France, le Pré aux Clercs,1997

Aujourd'hui, 150 millions d'Africains vivent de l'aide internationale. Quarante ans après l'indépendance, l'Afrique est confrontée à de redoutables défis : insécurité chronique, guerres intestines (Congo, Tchad, Rwanda, Mauritanie, Côte d'Ivoire), difficultés économiques, crise alimentaire, dépeuplement de la brousse, gigantisme des villes, ravages du sida. Est-ce que l'Afrique souffre d'avoir été colonisée ? Est-elle victime d'une décolonisation incomplète ? Est-elle au contraire pénalisée par son émancipation prématurée ? Ce débat divise les experts d'un continent dont la complexité (historique, géographique, ethnique et culturelle) rend illusoire toute comparaison avec une autre aire de la planète.
« À la veille d'être colonisée, assure Bernard Lugan, l'Afrique était déjà en danger de mort ; la colonisation l'a provisoirement sauvée en prenant en charge son destin. » (3)
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(3) Bernard Lugan, Afrique, l'histoire à l'endroit, Perrin, 1989.

Maître de conférence à Lyon-III, cet africaniste déclenche la polémique parce que, isolé dans sa spécialité, il est marqué à droite. Mais quand il affirme que « la colonisation fut une erreur économique et une ruine pour les nations coloniales », il se trouve sur la même ligne qu'un universitaire aujourd'hui considéré comme une référence, Jacques Marseille, et venu, lui, de l'autre bord.
Professeur à la Sorbonne, Marseille était, dans les années 1970, un étudiant d'extrême-gauche. Il avait salué la décolonisation et projetait son espérance révolutionnaire dans le tiers-monde. C'est dans cet état d'esprit qu'il avait entamé une thèse de doctorat d'état, aspirant à prouver que le capitalisme et le colonialisme avaient exploité les peuples de couleur. Au terme de dix années de travail, à sa grande surprise, il a été conduit aux conclusions inverses : « l'empire colonial n'a pas enrichi la France, il l'a appauvrie. » (4)
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(4) Jacques Marseille, Empire colonial et capitalisme français, Albin Michel, 1984.

Dans les colonies, Jules Ferry voyait une source de débouchés pour les entreprises françaises. Afin de faciliter leur implantation, entreprendre des travaux d'infrastructure lourde (ports, routes, voies ferrées) était cependant nécessaire. C'est l'État qui dut en assurer le coût. Dès avant 1914, il s'avérait que l'investissement colonial n'était pas rentable, à l'exception de secteurs marginaux, ce que conservateurs reprochaient déjà aux républicains lors de la campagne électorale de 1885 ; les capitalistes s'en détournèrent, laissant le budget français assumer les besoins des colonies.
À partir des années 1930, l'empire entrave la croissance de la métropole plus qu'il ne la stimule. Jacques Marseille appuie sa démonstration sur l'étude micro-économique des relations entre la France et l'outre-mer. Certains secteurs de production dépendent des colonies, et d'autres non ; par exemple, l'industrie cotonnière exporte à 80% dans l'empire, la chimie et la sidérurgie à peu près pas. Ce qui aboutit à faire exercer par les colonies un rôle artificiellement protectionniste pour les secteurs en voie de déclin, dont la chute est ralentie. Les matières premières sont souvent négociées 20 à 25% plus cher que sur le marché international ; quant aux denrées vendues par la métropole, elles sont plus onéreuses, pour l'empire, que leur équivalent sur d'autres marchés. Globalement, le système forme donc une économie fermée entre métropole et colonies, détournant la France de l'esprit de compétition.
Au lendemain de la Seconde Guerre, cette mécanique continue à tourner. Année après année, la France continue de procéder à des investissements gigantesques en Algérie et en Afrique noire. Or, économiquement, à la veille des indépendances, ces possessions ne comptent pas davantage qu'avant la Première Guerre : en 1958, Algérie comprise, l'Afrique ne totalise que 5% des ventes de la production industrielle française. Dès lors le patronat et les financiers considèrent le marché colonial comme inutile, car il obère l'économie française, lui faisant accumuler du retard par rapport à ses concurrents européens. L'abandon de l'empire, vers 1960, correspond d'ailleurs à la construction de l'Europe et à l'essor de la consommation en France. L'investissement public, libéré de la charge africaine, se tourne vers les grands travaux d'équipement (autoroutes, nucléaire, etc,). Deux ans après les indépendances, la métropole à oublié l'empire. Dans les ex-colonies, c'est l'inverse : les difficultés commencent. « C'est l'histoire d'un divorce, commente Jacques Marseille. Le divorcé joyeux, c'est la métropole ; le divorcé malheureux, ce sont les colonies. »

Cette rigoureuse démonstration ruine l'argument selon lequel la France a pillé ses colonies. Ce n'est pas par intérêt financier que l'empire a été si longtemps maintenu à bout de bras : c'est pour des motifs plus élevés, d'ordre humanitaire, parce que l'Afrique a été, selon Jean de la Guérivière, « une passion française » (5).
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(5) Jean de la Guérivière, Les Fous d'Afrique, Histoire d'une passion française.
Est-ce à dire que la colonisation a été sans tache ? À des degrés divers et selon les pays et les périodes, l'entreprise a pu s'accompagner d'injustices sociales et de réflexes racistes. Néanmoins, il est impossible de généraliser. Pour certains fonctionnaires corrompus, combien d'administrateurs exemplaires ? Pour certains colons indignes, combien d'entrepreneurs modèles ? Pour certains techniciens médiocres, combien d'ingénieurs remarquables ? Il en est de même avec le personnel médical ou enseignant. Il faudrait évoquer aussi l'aventure des ordres missionnaires : sous l'habit religieux, représentant l'institution la moins raciste qu'il soit, des dizaines de milliers de français, hommes ou femmes, auront tout donné à l'Afrique.
Qui peut nier que le sort des africains de 1960 était plus enviable que celui de leurs ancêtres de 1860 ?
Jean Sevilla, Historiquement correct.

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