Par Pierre Gourinard
Les polémiques engendrées par l’histoire de la Colonisation traduisent une carence inquiétante, l’oubli de l’humain. L’économique prime le politique et il ne peut y avoir de véritable débat, parce que les aspects « positifs » ou « négatifs » de la Colonisation ne sont trop souvent qu’une bataille de chiffres et de statistiques sans référence au colonisateur ou au colonisé.
Le cadre géographique
Eugène Guernier, professeur à l’Institut des Hautes Etudes marocaines, écrivait dans La Berbérie, l’Islam et la France, paru en 1950, que les Berbères travailleront peut-être quelque jour : « à la résurrection de leur âme, en découvrant l’héritage spirituel légué par les générations disparues ».
Ainsi pourrait revivre l’âme d’un peuple oublié et son histoire pourrait-elle être écrite « vu du dedans », plus que « du dehors ». Le terme de « Berbérie », inusité jusque-là, peut témoigner de l’individualité d’un peuple.
Mais cette définition du monde berbère est d’autant plus malaisée que les communautés que l’on peut désigner sous ce vocable n’ont pas eu de langue écrite qui ait pu témoigner durablement de leur pensée.
Le recours au cadre géographique est nécessaire. Les auteurs de l’Antiquité n’avaient pas trouvé d’expression propre pour les pays que nous désignons sous le nom d’Afrique du Nord. Le terme de Libye fut employé avant les dénominations administratives romaines, Africa, Numidie, avec ses trois divisions : Sitifienne, Césarienne et Tingitane, Maurétanie et enfin Byzacène. Le nom d’Africa a dépassé le cadre de l’actuelle Tunisie du nord pour désigner toutes les possessions romaines. Les Vandales ont, de leur côté, changé le nom d’Africa ou Province Proconsulaire en Zengitane. Après beaucoup d’appellations imprécises, les géographes musulmans ont désigné sous le nom de « Maghreb », Pays du soleil couchant, les territoires situés à l’ouest de l’Égypte jusqu’à l’Océan Atlantique.
À l’époque moderne, les dénominations de Maroc, Régence de Tunis et d’Alger ont été employées, mais le premier seul traduisait une réalité durable. L’établissement de la souveraineté française en Algérie, à partir de 1830, et le Protectorat français sur le Régence de Tunis, en 1881, ont permis l’adoption définitive des noms d’Algérie et de Tunisie.
Structure sociologique de l’Afrique du Nord
Dès la fin de la Préhistoire, le fonds de la population de l’Afrique du nord est formé de Berbères, qu’il vaut mieux qualifier de « Berbérophones », car rien n’est moins certain que l’unité ethnique de ces populations. Les diverses invasions de l’Afrique du nord ont modifié leurs caractères ethniques, mais toutes n’ont pas laissé de traces durables dans leur mode de vie et la culture des populations. Si les invasions arabes des VIIe et XIe siècles ont détruit la civilisation romano-chrétienne en lui substituant l’Islam, l’expansion française aux XIXe et XXe siècles a introduit une nouvelle civilisation et les conséquences furent capitales pour toute l’Afrique du nord.
L’origine du mot « Berbère », essentiellement latine, désigne le « Barbarus » étranger au monde romain, mais le vocable a pris des sens variés. Il s’agit essentiellement de populations qui parlaient la langue berbère, mais certaines d’entre elles vivent hors de l’Afrique du nord. Il faut donc considérer une signification linguistique et les différends dialectes des berbérophones permettent de les distinguer des autres groupes sociaux de l’Afrique du nord.
Les Berbère se nomment eux-mêmes « Imazighen » (singulier : Amazigh) L’extension de ce nom est attestée par de nombreux indices, dont certains remontent à l’Antiquité. Son premier sens semble avoir été « homme libre » ou « homme de noble origine ».
En dehors de l’Afrique du nord, l’on trouve des îlots berbérophones en Egypte occidentale, (Oasis de Siwa, près de la frontière libyenne) au nord du Sénégal et au sud du Niger. Mais hormis quelques zones compactes comme le Riff, l’Atlas marocain, la Grande Kabylie et l’Aurès, ce sont surtout des îlots linguistiques. Très peu nombreux en Libye et en Tunisie où ils ne représentent que 2% de la population, les Berbères sont une minorité importante en Algérie et surtout au Maroc, où ils étaient évalués à 45% de la population au début des années 1950.
L’instabilité des institutions politiques
Hormis l’exception marocaine les Berbères n’ont pas réussi à créer des états durables avec une civilisation propre. Et encore, l’apparition d’une conscience nationale marocaine n’est-elle pas un phénomène uniquement berbère.
Pour trouver les raisons de cette carence, il faut se reporter à l’histoire de l’Afrique du nord, souvent ennuyeuse, parce qu’elle manque d’unité. Rien ne rappelle cet effort patient des souverains de France, Espagne, Autriche et Prusse, pour rassembler des terres autour d’un noyau central.
Les Berbères n’ont pas eu conscience du « désir d’être ensemble », selon l’expression de Renan. Toute unité de destin entre eux leur était étrangère.
En conséquence, les institutions politiques ne pouvaient guère se développer. Les sociétés berbères vivaient sinon en pleine anarchie, du moins en opposition, violente parfois, avec tout ce qui voulait constituer un pouvoir central, en somme avec une hiérarchie. Le Berbère pouvait se rallier à la cause de quelqu’un, mais l’Histoire n’offre pas d’exemple d’adhésion à un principe ou à une fusion réelle avec une autorité extérieure.
Cette instabilité des institutions est-elle seulement une animosité instinctive à l’égard de toute hiérarchie ? Il est possible de l’expliquer par le souci égalitaire des personnes, mais cette remarque pourrait être démentie par l’existence des empires berbères, almoravides et almohades ou dynasties marocaines issues du Tafilalet. En effet, hormis la dynastie alaouite du Maroc, aucune n’a pu durer. Comment déterminer les raisons de ces expansions suivies de décadences et de disparitions ? Une constante peut apparaître, la réunion de familles ou de tribus, se résignant à une hiérarchie sous la pression d’un danger commun, puis retournant à une vie cellulaire.
La société berbère vue par Renan
Ernest Renan avait étudié la société berbère de son temps, et les traits donnés dans un article de la Revue des deux mondes méritent d’être retenus :
« La facilité extrême qu’ont eue à toutes les époques les conquérants pour s’établir dans le nord de l’Afrique, vient du manque totale d’institutions centrales, d’armées, de dynasties, de noblesse militaire. On ne vit jamais société plus faible pour se défendre contre l’envahisseur. »
Renan insistait également sur les institutions d’assistance mutuelle très bien organisées en pays kabyle, où la coutume a force de loi. Tous les travaux individuels, précisait-il, sont exécutés en commun.
Cette étude de la société berbère était encore actuelle au XXe siècle et d’autres considérations pouvaient être ajoutées. Ainsi, si l’assistance mutuelle a toujours constitué un principe de base, toute rupture a été à l’origine de multiples luttes entre villages voisins et l’histoire de la Guerre d’Algérie de 1954 à 1962 explique plus d’un ralliement, peu compréhensible de prime abord, à la rébellion.
Renan terminait son article en affirmant que les grands états ne pouvaient être le résultat de la démocratie. C’était la raison pour laquelle la Berbérie n’a jamais pu constituer une nation.
Cette impossibilité rejoint une remarque de Christian Courtois, pour qui deux Afriques apparaissaient, l’une influencée par Rome, l’autre demeurée étrangère à l’« orbis romanus », dont l’histoire est inconnue faute de sources écrites.
Une notion actuelle de « berbérité »
À l’heure actuelle, après les remous de la décolonisation, certains Berbères d’Afrique du nord tentent de faire revivre ce que l’on appelle maintenant « l’amazighté ».
Une publication d’une éditrice italienne francophone, de Casablanca, sur Ptolémée de Maurétanie, le dernier Pharaon relance le débat.
Pour M. Péroncel-Hugoz, ce néo-berbérisme tente au moins « de contourner le postulat islamique en vertu duquel tout ce qui précède Mahomet appartient à l’ère de l’ignorance ».
https://www.actionfrancaise.net/2024/12/11/les-francais-dans-le-monde-berbere/
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