lundi 16 septembre 2024

Septembre 1939, le suicide de l’Europe

 

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« En 1939, Germains et Polonais rêvaient d’expansion à l’échelle européenne, tandis que les autocrates nord-américain et soviétique croyaient possible la conquête de l’ensemble des États et des Nations de la planète… »

Entretien avec Bernard Plouvier qui vient de publier Septembre 1939, le suicide de l’Europe aux éditions Dualpha.

(Propos recueillis par Fabrice Dutilleul)

Qui doit être accusé, en bonne logique, d’avoir voulu une « Guerre pour Dantzig » ?

À peu près tous les chefs d’État et les leaders d’opinions publiques en Occident et en URSS… sauf les Allemands qui ont été ébahis de devoir guerroyer pour recouvrer Dantzig, ville allemande depuis 1304, fondée par les membres de la Ligue Hanséatique et qui ne fut jamais une ville polonaise avant 1945.

Du côté de la France et de l’Angleterre qui déclarent la guerre au IIIe Reich le 3 septembre 1939, une foule de politiciens et d’observateurs avaient prédit dès 1919 et jusqu’en 1938 un risque de guerre absurde pour le Couloir (Korridor en allemand) et l’État de Dantzig, administré par la SDN (Société Des Nations) conjointement à diverses administrations polonaises extrêmement agressives. Blum et Reynaud, Lloyd George et Churchill avaient à un moment ou un autre réclamé le retour de Dantzig au Reich… puis un avis contraire fut donné : pas question d’autoriser le Reich à reprendre son bien !

Quant à Joseph Staline, il a très volontiers envisagé de guerroyer contre un gouvernement de type fasciste dominant la Nation polonaise, dont les dirigeants mégalomanes espéraient ressusciter la Grande Pologne médiévale, après une facile victoire contre une « armée allemande inexpérimentée, composée de recrues sous-entraînées et sous-alimentées »… puisque la propagande, en tous lieux, proclamait « la ruine de l’économie allemande et la révolte du peuple allemand dès le premier coup de canon. »

Quid de l’entrée en guerre ?

Ce livre rapporte l’invraisemblable quantité de bobards alarmistes que les bellicistes britanniques (notamment les agents du MI-6) ont fait ingurgiter mois après mois, de janvier à la fin mars 39, à Neville Chamberlain, par ailleurs assailli en permanence par les injonctions des bellicistes, notamment du Président des USA.

L’on n’est guère étonné, de ce fait, que le Premier britannique, excédé, malade (il souffre d’un cancer colique dont il mourra le 9 novembre 1940), abruti par une multitude d’ordres venus du Président des USA, de sollicitations appuyées de financiers basés à New-York, des banquiers de la City et d’Afrique du Sud, des industriels britanniques travaillant à fond depuis 1936 pour la Défense nationale, ait fini par octroyer un « chèque en blanc » aux dirigeants polonais.

Dans la nuit du 23 au 24 août 1939, est signé à Moscou devant un Staline hilare un accord germano-soviétique, agrémenté d’un protocole secret prévoyant une action de l’Armée Rouge en Pologne si la guerre devient inévitable. Or, c’est pour éviter la guerre qu’Adolf Hitler fait signer cet accord par son ministre Joachim v. Ribbentrop, espérant que le risque de conflit générale fera reculer tout le monde et que Dantzig, ville allemande, fera retour pacifiquement au Reich.     

Les opérations de guerre en Pologne furent-elles aussi rapides qu’on l’a dit ? 

Bien plus qu’on ne le reconnaît usuellement. Il y eut 8 à 9 jours de véritables combats, puis un nettoyage de poches de résistance. Le coût pour la Wehrmacht fut très faible : cinq fois moindre que les prévisions du Führer. On décrit le détail des opérations et l’on insiste sur les bombardements de Varsovie, dans leur cause – qui aurait dû être évitée par les militaires polonais – et l’ampleur des morts et des destructions, très inférieure aux légendes de la Deception (Propagande) alliée. On rectifie les bobards sur les chiffres de victimes civiles polonaises en 1939 et l’on présente les tueries d’Allemands vivant en Pologne, qui ont débuté mi-août 1939.

Quelles conclusions peut-on en tirer ?

En 1939, Germains et Polonais rêvaient d’expansion à l’échelle européenne, tandis que les autocrates nord-américain et soviétique croyaient possible la conquête de l’ensemble des États et des Nations de la planète soit par la souriante dictature du capitalisme, soit par celle, plus déplaisante, du communisme bureaucratique – deux doctrines dont les humoristes et les humanistes de l’époque disaient qu’elles « étaient l’exploitation de l’homme par l’homme et son inverse ». Par cette guerre stupide et inutile, l’Europe perdit son rôle d’agent civilisateur. Les nations de la moitié orientale du continent subirent un demi-siècle de barbarie marxiste et celles de la moitié occidentale devinrent de gentils consommateurs vivant dans des succursales des USA. Et tout cela, pour avoir voulu empêcher la direction du Reich de reprendre pacifiquement une terre peuplée à 96-97 % d’Allemands !

Septembre 1939, le suicide de l’EuropeBernard Plouvier, éditions Dualpha, 392 pages, 43 euros. Pour commander ce livrecliquez ici

La mondialisation ibérique au XVIe siècle [1/3], avec Serge Gruzinski

La révolution industrielle, prélude à la fin du monde

 

La révolution industrielle, prélude à la fin du monde

Il est entendu que notre monde moderne naît au XIXe siècle avec ce qu’il est convenu d’appeler la révolution industrielle. C’est une évidence. D’une évidence au prêt-à-penser il n’y a qu’un pas. Il est donc temps de réexaminer cette évidence, de penser à nouveaux frais la révolution industrielle. Non pas pour prétendre qu’elle n’aurait pas d’importance, mais au contraire pour prendre toute la mesure de cet événement à nul autre pareil.

C’est à cette tâche fondamentale que nous invite un ouvrage récent de Gilles de Juganville, maladroitement intitulé par l’éditeur Introduction radicale à la philosophie. Les lecteurs pressés et les amateurs de raccourcis peuvent passer leur chemin. Il faut mordre et mâcher longuement ce livre solide destiné à tous ceux qui veulent faire l’effort de penser. Après tout, la philosophie n’est pas une fille facile qui se donne à des amants d’un jour.

Le point de départ est le suivant. Nous assistons impuissants à l’appauvrissement du monde, à la disparition sans cesse accélérée de sa richesse, de sa diversité, de sa bigarrure. Où sont les cavaliers mongols, les Apaches, les Bretons ? Où sont les toits de chaume, les rossignols, l’air pur ? Où sont les forêts primaires, les fleurs des champs, les fleuves sauvages ? Le désert croît : le divers décroît.

Nous assistons également à la multiplication de choses absolument nouvelles, radicalement inédites. Un nouveau continent en plastique, un nouveau climat, des plantes et des animaux génétiquement modifiés, des clones, des lapins fluorescents, des rats avec une oreille humaine sur le dos.

Le monde ordinaire, tel qu’il a toujours été depuis des millénaires, est en train de disparaître, humanité comprise, et d’être remplacé par un monde nouveau, artificiel, industriel, humanité comprise. On cultivait naguère plus de mille espèces différentes de riz. On en cultive aujourd’hui moins de dix, toutes génétiquement modifiées. Voilà ce qui n’avait jamais eu lieu dans l’histoire de l’humanité, l’unique révolution radicale qui caractérise les temps modernes, voilà ce que Gilles de Juganville se propose d’examiner à fond.

Les grands sens de l’être

Comment traiter sérieusement cette question ? L’idée de Juganville est de passer par le noyau dur de la philosophie qu’on appelle l’ontologie, la science de l’être. Ne craignons rien, ce n’est pas abstrait ni fumeux, tout au contraire. Il s’agit de partir à la recherche des grands sens d’être, les grands ensembles ou catégories qui ordonnent notre existence quotidienne. En termes simples : dans notre vie de tous les jours, tout ce à quoi nous avons affaire se catégorise en quelques catégories simples et fondamentales : les hommes, les animaux, les végétaux, les choses etc.

Comment établir ces catégories, ces grands sens de l’être, sans sombrer dans des découpages artificiels, subjectifs, historiquement et culturellement déterminés ? Pourquoi après tout distinguer les hommes des animaux ? Comment procéder sérieusement ? La première partie du livre part à la recherche du sol ferme et solide sur lequel effectuer cette analyse ontologique. Cette recherche méthodologique s’effectue dans une synthèse magistrale de la philosophie contemporaine, sur la base de la phénoménologie de Heidegger enrichie de tous les développements ou correctifs apportés depuis. De ce point de vue, c’est bien une remarquable introduction à la philosophie. Le sol qui se dégage pour mener à bien l’analyse ontologique est le monde concret, quotidien, ordinaire, loin de toutes les abstractions.

Sur le sol ainsi dégagé, la deuxième partie distingue et examine 6 grands sens d’être :  l’homme qui existe, les animaux qui vivent, les végétaux qui croissent, les choses qui sont disponibles, les aliments qui sont comestibles et les éléments qui persistent. Ces sens d’être sont absolument irréductibles, ils sont absolument différents les uns des autres. L’étude des hommes et des animaux est instructive, on y comprend mieux ce que c’est qu’un homme et pourquoi il n’est en aucun cas un animal, comme un animal n’a rien à voir avec un végétal ou un minéral. Les sciences prétendent l’inverse, mais les sciences sont abstraites donc disqualifiées pour penser le monde réel, concret.

Parmi tous ces sens d’être, deux ont la caractéristique d’être produits, fabriqués. Les aliments et les choses sont produits. Le pain et la table ont été faits, ils ne poussent pas tout seuls. Et c’est là que se noue le cœur de l’analyse, dans ce concept de production. Produire, c’est faire venir à l’être quelque chose qui n’existait pas. Au cœur de la production se tient donc la cause, ou plus précisément le système des 4 causes analysé par Aristote.

Extension infinie du domaine de la production

La troisième et dernière partie, armée de ces concepts, peut alors examiner rigoureusement la modernité. Celle-ci se caractérise par une extension de la production à tous les sens d’être. Ce ne sont plus seulement les aliments et les choses qui sont produits, mais tous les sens d’être. On produit les éléments (géo ingénierie), on produit les animaux et les végétaux (manipulations génétiques), on produit les hommes (ingénierie sociale, transhumanisme).

Qu’est-ce que cela signifie ? Pour la première fois des sens d’être irréductibles et structurants sont détruits. Désormais, les hommes comme les animaux, les végétaux comme les choses, les aliments comme les éléments disparaissent, remplacés peu à peu par des produits. Un enfant et son chat, une fleur et une voiture, le vin et le vent sont désormais ontologiquement les mêmes : des produits. La diversité ontologique qui faisait le monde disparaît, c’est la fin du monde comme monde.

Quel est le problème ? Pour produire il faut détruire. Produire et détruire sont inséparables. Pour faire une table on coupe un arbre. Pour faire une omelette on casse des œufs. Pour produire un homme nouveau on détruit l’homme ancien. Pour produire le monde, il faut détruire le monde. Le monde moderne toujours et partout produit, donc toujours et partout détruit.

De ce point de vue ontologique radical, la révolution industrielle ou la modernité se définit comme l’extension de la production à tout ce qui est, ce qui implique de détruire les invariants ontologiques qui structuraient le monde. Elle est l’unique révolution radicale qu’ait connu l’humanité, qui la conduit à devenir un produit comme les autres. La révolution industrielle productiviste est par essence un ontocide inouï, une destruction totale, un mal total. Par contraste avec les destructions qu’implique le productivisme moderne, même les destructions des régimes totalitaires auront l’ait d’un jeu d’enfant méchant.

Décidément, cette remarquable Introduction radicale à la philosophie est aussi originale qu’éclairante.

Gilles de Juganville, Introduction radicale à la philosophie, PUF, 325 p., 19 €.

https://www.revue-elements.com/la-revolution-industrielle-prelude-a-la-fin-du-monde/

Naples, Sicile, Calabre : aux origines de la mafia

dimanche 15 septembre 2024

Nous vous invitons à découvrir et à visiter le Château de La Chapelle d’Angillon, Mille ans d’histoire et d’indépendance.

 

Bienvenue au Château de La Chapelle d’Angillon

Merci de votre aide pour faire connaître ce château millénaire et son incroyable histoire.

ROUTE JACQUES COEUR
– Accueil exceptionnel !
– Château meublé et habité
– Musée Alain-Fournier
– Albanie Royale au 19e siècle
– Visites guidées toute l’année  –  Mariages  –  Repas pour les groupes
– Location de salles  –  Réceptions

Réservations:
– Comte Jean d’Ogny
– Email : jeandogny@orange.fr
– Téléphone : 02 48 73 41 10 / Télécopie : 02 48 73 46 66
– Adresse postale : Le Château, 18380 La Chapelle d’Angillon

Fabien Laurent

https://www.medias-presse.info/nous-vous-invitons-a-decouvrir-et-a-visiter-le-chateau-de-la-chapelle-dangillon-mille-ans-dhistoire-et-dindependance/193152/

Vers un monde sans dollar ?

13 juillet 1191 : Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion entrent dans Saint-Jean d’Acre

 

13 juillet 1191 : Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion entrent dans Saint-Jean d'Acre

Le 13 juillet 1191, les croisés, avec à leur tête Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion, entrent dans Saint-Jean d’Acre, après une reddition négociée par Saladin (il s’engage notamment à rendre la Vraie Croix, prise à Hattin).

Le siège d’Acre

Le siège d’Acre est une des plus grandes opérations militaires du Moyen Age. Il dure de 1189 à 1191. Au cours des ces trois années se livrent plus de neuf grandes batailles et une centaine de combats. 120 000 Chrétiens et 190 000 Musulmans y mourront. Et ce n’est pas comme lors de la Première Croisade une fuite désordonnée de soldats et de pèlerins, mais l’aventure de l’élite de la chevalerie chrétienne avec à sa tête les plus puissants des rois, Philippe Auguste et Richard Cœur de Lion.

En 1187, le redoutable Saladin, sultan d’Egypte et de Syrie, détruit à Hattin l’armée du roi de Jérusalem, Guy de Lusignan. Il s’empare ainsi de la Ville Sainte et de tout le royaume latin.
Une troisième croisade est aussitôt organisée et dès 1189, les souverains d’Occident partent pour l’Orient rejoindre Guy de Lusignan qui a déjà commencé le siège de Saint Jean d’Acre, ville de Galilée ouverte sur la Méditerranée.

C’est l’Empereur du Saint-Empire romain germanique, Frédéric Ier de Hohenstaufen, dit Frédéric Barberousse, qui le premier répond à l’appel de la croisade, en mars 1190, obligeant ainsi les deux autres grands souverains à l’imiter. Ni le roi de France Philippe Auguste, ni celui d’Angleterre, Richard Cœur de Lion, ne partagent l’enthousiasme de l’empereur. Mais Barberousse trouve la mort en se baignant dans le Cydnus dès son arrivée en Asie Mineure en 1190. Philippe Auguste et Richard Coeur de Lion ont choisi de voyager par la mer et pendant toute la première partie du voyage ils ne cessent de se quereller (ce qui était fréquent entre les deux hommes). En effet, Philippe Auguste avait en 1187-1189 apporté son soutien à Richard Cœur de Lion qui se révoltait alors contre son père, le roi Henry II de Plantagenêt. Mais à peine monté sur le trône en 1189, Richard Cœur de Lion s’opposa au roi de France, donnant ainsi à la rivalité entre Plantagenêts et Capétiens un nouveau souffle. Philippe Auguste embarque à Gênes alors que Richard Cœur de Lion prend la mer à Marseille. Les deux hommes se retrouvent en Sicile. De là, le roi de France part directement pour la Terre Sainte. Il arriva à Saint Jean d’Acre le 20 avril 1191. Richard décide, quant à lui, de s’emparer de Chypre (1191) si bien qu’à son arrivée, il a déjà ravi la vedette au roi de France pourtant bien plus puissant. Richard Cœur de Lion n’a de cesse d’agacer Philippe Auguste par son faste et ses coups d’éclat, tant et si bien que l’on peut dire que le siège de la ville de Saint Jean d’Acre devient le lieu privilégié de la lutte entre Capétiens et Plantagenêts.

Pourtant à mesure que les mois passent, l’armée musulmane s’affaiblit, et bien que la discorde règne souvent dans le camp chrétien (compte tenu du grand nombre des nations présentes et de l’opposition Capétiens-Plantagenêts) le siège se poursuit au grand désespoir de Saladin qui fait en vain appel au Calife de Bagdad et à tous les princes musulmans. Le 13 juillet 1191, la ville tombe aux mains des Croisés. La victoire profite essentiellement à Richard Cœur de Lion, qui représente dans les esprits le véritable roi chevalier. Philippe Auguste, offusqué d’avoir été mis en difficulté par son ennemi, décide séance tenante de rentrer le 2 août 1191 et de continuer la lutte contre les Plantagenêts. Richard Cœur de Lion, lui, préfère poursuivre les exploits militaires en Orient en multipliant les victoires contre Saladin (Arsuf en septembre 1191), même s’il ne peut reprendre Jérusalem. Richard Cœur de Lion ne rentrera, lui, qu’en 1192.

https://www.medias-presse.info/13-juillet-1191-philippe-auguste-et-richard-coeur-de-lion-entrent-dans-saint-jean-dacre/193176/

samedi 14 septembre 2024

Danemark : découverte des restes des premiers habitants de Copenhague datant d’un millier d’années

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Il s’agirait des tous premiers habitants de Copenhague, la capitale danoise… Depuis décembre, une équipe d’archéologues du Musée national de Copenhague fouillent les sous-sols sous la place de l’Hôtel de ville et ils viennent d’annoncer avoir découvert une vingtaine de squelettes. Ces ossements appartiendraient à des familles ayant vécu il y a un millier d’années.

Ils ont été découverts un mètre seulement sous la surface de la place la plus fréquentée du pays et les archéologues ont bon espoir d’en exhumer d’autres. Une découverte susceptible de permettre d’en savoir davantage sur la manière dont fut fondée la capitale.


https://www.fdesouche.com/2018/02/22/danemark-decouverte-des-restes-des-premiers-habitants-de-copenhague-datant-dun-millier-dannees/

Une histoire sans nom

 

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Par Nadège Cordier

Ce n’est pas tous les jours que l’on parle de Jules Barbey d’Aurevilly. En 1882, il presse son éditeur, Alphonse Lemerre, de publier dans son intégralité le feuilleton qu’il vient de faire paraître du 5 au 22 juin dans Gil Blas – qui n’avait d’ailleurs pas manqué de profiter de la renommée de l’auteur pour tâcher de gonfler ses ventes en séduisant ainsi ses lecteurs : « Prochainement, Gil Blas, toujours à la recherche des nouveautés et des surprises littéraires qui ont justifié sa réputation et son succès, aura le plaisir d’offrir à la lecture l’œuvre inédite d’un des grands écrivains de ce temps. M. Barbey d’Aurevilly a promis à Gil Blas une de ces ‘nouvelles’ aussi dramatiques qu’originales où il est passé maître. C’est une bonne fortune exceptionnelle pour Gil Blas et pour ses nombreux lecteurs. La collaboration de M. Barbey d’Aurevilly est si précieuse et si rare que nous la considérons comme un véritable événement littéraire ».

Le succès d’Une histoire sans nom va être considérable. Tous les volumes qui paraissent en septembre 1882 sont épuisés en seulement quatre jours si bien que Lemerre, émerveillé, en commande un nouveau tirage, supérieur au précédent. Barbey d’Aurevilly écrira à une amie : « Pendant que je passe mon mois à Valognes, Une histoire sans nom fait un bruit du diable à Paris ». Et de nouveaux tirages sont sans cesse recommandés, « on est à la quatrième édition et on en demande toujours » précise-t-il dans une lettre datée du 27 octobre 1882, ajoutant que « même les journaux, malgré la haine qu’ils me portent et que je mérite bien par mon mépris pour eux, clabaudent sur la beauté du livre et me reconnaissent enfin du talent ».

Mais qu’est donc Une histoire sans nom ? Est-ce une absence de nom ou bien une histoire innommable tellement elle est atroce ? Scandale, indignation, horreur… voilà les mots qui décrivent le mieux ce texte. Une femme, Jacqueline de Ferjol, éperdument amoureuse de son défunt mari ne sait aimer sa fille, Lasthénie. Lire leur relation est oppressant, mais l’intrigue est telle que le lecteur reste accroché à ce livre noir (noir, gris, sombre aussi dans les décors qui ne renvoient que bien peu à la couleur) pour voir jusqu’où peut aller un tel esprit. C’est parfaitement envoûtant…

D’une vie monotone dans une bourgade cernée de hautes montagnes qui empêchent jusqu’à la lumière de d’éclairer les âmes, l’auteur fait un récit hors du commun : une visite de quelques jours chamboule tout, à jamais. L’enfer et la désolation prennent le contrôle de l’existence de l’hôtel de Ferjol et l’atmosphère s’alourdit chaque jour davantage, devenant pesant, irrespirable, empoisonnée. Le malheur ronge les cœurs, exacerbe les âmes, malmène les personnages… la lumière manque de disparaître complètement des lieux.

En sommes, c’est d’un long tête-à-tête entre une mère et sa fille dont il est question ici sous les yeux de leur fidèle servante âgée. Aujourd’hui, en médecine, le syndrome de Lasthénie de Ferjol est un trouble reconnu dont le dictionnaire médical de l’Académie de Médecine donne la définition suivante dans son édition 2024 : « Maladie psychiatrique grave dont l’expression prépondérante est une anémie microcytaire avec une sidérémie diminuée liée à des spoliations sanguines répétées volontaires ».

Bref, des sentiments très tranchés, un amour éternel, des solitudes qui se côtoient, un silence abyssal, c’est un chef-d’œuvre de noirceur que je vous propose ici. Un plaisir de lecture immense qui vous donnera, j’en suis sûre, l’envie d’ouvrir d’autres ouvrages de Jules Barbey d’Aurevilly, parmi lesquels je ne saurai trop vous conseiller la lecture de celui paru en 1874, Les Diaboliques.

Bonne lecture à tous !

https://www.actionfrancaise.net/2024/09/14/une-histoire-sans-nom/

L’histoire est écrite par les vainqueurs ? - Mise à jour 4.1 / Histoire ...

Henry Kissinger, un criminel de guerre, est toujours en liberté à 100 ans

 

par Greg Grandin

Nous savons aujourd’hui beaucoup de choses sur les crimes qu’il a commis quand il était en fonction, qu’il s’agisse d’aider Nixon à faire échouer les négociations de paix de Paris et à prolonger la guerre du Viêt Nam, ou de donner son feu vert à l’invasion du Cambodge et au coup d’État de Pinochet au Chili. Mais nous savons peu de choses sur les quatre décennies qu’il a passées au sein de Kissinger Associates.

Henry Kissinger aurait dû tomber avec les autres : Haldeman, Ehrlichman, Mitchell, Dean [les plombiers du Watergate, NdT] et Nixon. Ses empreintes digitales étaient partout dans le Watergate. Pourtant, il a survécu, en grande partie en jouant sur la presse.

Illustration de Steve Brodner

Jusqu’en 1968, Kissinger avait été un républicain de Nelson Rockefeller, bien qu’il ait également été conseiller au département d’État dans l’administration Johnson. Selon les journalistes Marvin et Bernard Kalb, Kissinger a été stupéfait par la défaite de Richard Nixon face à Rockefeller lors des primaires. «Il a pleuré», écrivent-ils. Kissinger pensait que Nixon était «le plus dangereux de tous les hommes en lice à avoir comme président».

Kissinger n’a pas tardé à ouvrir une voie détournée vers l’entourage de Nixon, en proposant d’utiliser ses contacts à la Maison Blanche de Johnson pour divulguer des informations sur les pourparlers de paix avec le Nord-Vietnam. Encore professeur à Harvard, il traite directement avec le conseiller en politique étrangère de Nixon, Richard V. Allen, qui, dans une interview accordée au Miller Center de l’université de Virginie, déclare que Kissinger, «de son propre chef», a proposé de transmettre des informations qu’il avait reçues d’un assistant qui participait aux pourparlers de paix. Allen a décrit Kissinger comme agissant de manière très discrète, l’appelant depuis des téléphones publics et parlant en allemand pour rendre compte de ce qui s’était passé pendant les pourparlers.

Fin octobre, Kissinger déclare à la campagne de Nixon : «Ils sabrent le champagne à Paris». Quelques heures plus tard, le président Johnson suspend les bombardements. Un accord de paix aurait pu permettre à Hubert Humphrey, qui se rapprochait de Nixon dans les sondages, de prendre le dessus. Les collaborateurs de Nixon ont réagi rapidement en incitant les Sud-Vietnamiens à faire échouer les pourparlers.

Grâce aux écoutes téléphoniques et aux interceptions, le président Johnson a appris que la campagne de Nixon disait aux Sud-Vietnamiens de «tenir jusqu’après les élections». Si la Maison-Blanche avait rendu cette informationpublique, l’indignation aurait pu faire basculer l’élection en faveur de Humphrey. Mais Johnson hésite. «C’est de la trahison», a-t-il déclaré, cité dans l’excellent ouvrage de Ken Hughes, «Chasing Shadows : The Nixon Tapes, the Chennault Affair, and the Origins of Watergate». «Ça ébranlerait le monde

Johnson a gardé le silence. Nixon a gagné. La guerre a continué.

Cette surprise d’octobre a donné le coup d’envoi d’une série d’événements qui allaient conduire à la chute de Nixon.

Kissinger, qui a été nommé conseiller à la sécurité nationale, conseille à Nixon d’ordonner le bombardement du Cambodge afin de faire pression sur Hanoi pour qu’il revienne à la table des négociations. Nixon et Kissinger étaient prêts à tout pour reprendre les pourparlers qu’ils avaient contribué à saboter, et leur désespoir s’est manifesté par la férocité. L’un des collaborateurs de Kissinger se souvient que le mot «sauvage» a été utilisé à maintes reprises lors des discussions sur les mesures à prendre en Asie du Sud-Est. Le bombardement du Cambodge (un pays avec lequel les USA n’étaient pas en guerre), qui allait finir par briser le pays et conduire à la montée des Khmers rouges, était illégal. Il fallait donc le faire en secret. La pression exercée pour garder le secret a fait naître la paranoïa au sein de l’administration, ce qui a conduit Kissinger et Nixon à demander à J. Edgar Hoover de mettre sur écoute les téléphones des fonctionnaires de l’administration. La fuite des Pentagon Papers de Daniel Ellsberg a fait paniquer Kissinger. Il craignait qu’Ellsberg, ayant accès aux documents, puisse également savoir ce que Kissinger combinait au Cambodge.

Le lundi 14 juin 1971, le lendemain de la publication par le New York Times de son premier article sur les Pentagon Papers, Kissinger a explosé en s’écriant : «Ça va totalement détruire la crédibilité américaine pour toujours… Ça détruira notre capacité à mener une politique étrangère en toute confiance… Aucun gouvernement étranger ne nous fera plus jamais confiance».

«Sans la stimulation de Henry», écrit John Ehrlichman dans ses mémoires, «Témoin du pouvoir», «le président et le reste d’entre nous auraient pu conclure que les documents étaient le problème de Lyndon Johnson, et non le nôtre». Kissinger «a attisé la flamme de Richard Nixon.»

Pourquoi ? Kissinger venait d’entamer des négociations avec la Chine pour rétablir les relations et craignait que le scandale ne sabote ces pourparlers.

Pour attiser les rancœurs de Nixon, il a dépeint Ellsberg comme un homme intelligent, subversif, aux mœurs légères, pervers et privilégié : «Il a épousé une fille très riche», a dit Kissinger à Nixon.

«Ils ont commencé à s’exciter l’un l’autre», se souvient Bob Haldeman (cité dans la biographie de Kissinger par Walter Isaacson), «jusqu’à ce qu’ils soient tous les deux dans un état de frénésie».

Un artiste du subterfuge : Bien que le Watergate ait été autant son œuvre que celle de Nixon, Kissinger s’en est sorti indemne grâce à ses admirateurs dans les médias. Ici, avec Lê Đức Thọ, le dirigeant du FNL du Sud-Vietnam, avec lequel il a reçu le Prix Nobel de la Paix en 1973. Lê Đức Thọ a refusé le prix, et Mister K. ne l’a jamais réceptionné. (Photo Michel Lipchitz / AP)

Si Ellsberg s’en sort indemne, dit Kissinger à Nixon, «Cela montrera que vous êtes un faible, Monsieur le Président», ce qui incite Nixon à créer les Plombiers,l’unité clandestine qui a procédé à des écoutes et à des cambriolages, y compris au siège du Comité national démocrate dans le complexe du Watergate.

Seymour Hersh, Bob Woodward et Carl Bernstein ont tous publié des articles accusant Kissinger d’être à l’origine de la première série d’écoutes téléphoniques illégales mises en place par la Maison Blanche au printemps 1969 pour garder le secret sur les bombardements du Cambodge.

Atterrissant en Autriche en route pour le Moyen-Orient en juin 1974 et découvrant que la presse avait publié davantage d’articles et d’éditoriaux peu flatteurs à son sujet, Kissinger a tenu une conférence de presse impromptue et a menacé de démissionner. Tout le monde s’accorde à dire qu’il s’agissait là d’un coup d’éclat. «Lorsque l’histoire sera écrite», a-t-il déclaré, apparemment au bord des larmes, «on se souviendra peut-être que certaines vies ont été sauvées et que certaines mères peuvent dormir plus tranquilles, mais je laisse cela à l’histoire. Ce que je ne laisserai pas à l’histoire, c’est une discussion sur mon honneur public.»

La manœuvre a fonctionné. Il «semblait totalement authentique», s’extasie le New York Magazine. Comme s’ils reculaient devant leur propre acharnement à dénoncer les crimes de Nixon, les journalistes et les présentateurs de journaux télévisés se sont ralliés à Kissinger. Alors que le reste de la Maison-Blanche se révèle être une bande de voyous à deux balles, Kissinger reste quelqu’un en qui l’Amérique peut croire. «Nous étions à moitié convaincus que rien ne dépassait les capacités de cet homme remarquable», a déclaré Ted Koppel, d’ABC News, dans un documentaire de 1974, décrivant Kissinger comme «l’homme le plus admiré d’Amérique». Il était, ajoutait Koppel, «le meilleur atout que nous ayons eu.»

Nous en savons aujourd’hui beaucoup plus sur les autres crimes de Kissinger, sur les immenses souffrances qu’il a causées pendant les années où il a occupé des fonctions publiques. Il a donné son feu vert à des coups d’État et permis des génocides. Il a dit aux dictateurs de tuer et de torturer rapidement, a vendu les Kurdes et a dirigé l’opération bâclée d’enlèvement du général chilien René Schneider (dans l’espoir de faire échouer l’investiture du président Salvador Allende), qui s’est soldée par l’assassinat de Schneider. Après le Vietnam, il s’est tourné vers le Moyen-Orient, laissant cette région dans le chaos, ouvrant la voie à des crises qui continuent d’affliger l’humanité.

En revanche, nous savons peu de choses sur ce qui s’est passé plus tard, au cours de ses quatre décennies de travail avec Kissinger Associates. La «liste des clients» de la société est l’un des documents les plus recherchés à Washington depuis au moins 1989, lorsque le sénateur Jesse Helms a demandé en vain à la voir avant d’envisager de confirmer Lawrence Eagleburger (un protégé de Kissinger et un employé de Kissinger Associates) au poste de secrétaire d’État adjoint. Plus tard, Kissinger a démissionné de son poste de président de la Commission du 11 septembre plutôt que de soumettre la liste à l’examen du public.

Kissinger Associates a été l’un des premiers acteurs de la vague de privatisations qui a suivi la fin de la guerre froide dans l’ex-Union soviétique, en Europe de l’Est et en Amérique latine, contribuant à la création d’une nouvelle classe oligarchique internationale. Kissinger avait utilisé les contacts qu’il avait noués en tant que fonctionnaire pour fonder l’une des entreprises les plus lucratives au monde. Puis, ayant échappé à la bavure du Watergate, il a utilisé sa réputation de sage de la politique étrangère pour influencer le débat public – au profit, on peut le supposer, de ses clients. Kissinger a été un ardent défenseur des deux guerres du Golfe, et il a travaillé en étroite collaboration avec le président Clinton pour faire passer l’ALENA au Congrès.

L’entreprise a également fait des comptes sur les politiques mises en place par Kissinger. En 1975, en tant que secrétaire d’État, Kissinger a aidé Union Carbide à installer son usine chimique à Bhopal, en travaillant avec le gouvernement indien et en obtenant des fonds des USA. Après la catastrophe provoquée par la fuite de produits chimiques de l’usine en 1984, Kissinger Associates a représenté Union Carbide, négociant un règlement à l’amiable dérisoire pour les victimes de la fuite, qui a causé près de 4000 décès immédiats et exposé un demi-million d’autres personnes à des gaz toxiques. Il y a quelques années, la donation par Kissinger de ses documents publics à Yale a fait grand bruit. Mais nous ne connaîtrons jamais la plupart des activités de son entreprise en Russie, en Chine, en Inde, au Moyen-Orient et ailleurs. Il emportera ces secrets avec lui dans la tombe. [il n’est donc pas immortel ?, NdT]

source : The Nation via Tlaxcala

https://reseauinternational.net/henry-kissinger-un-criminel-de-guerre-est-toujours-en-liberte-a-100-ans/

Le Mystère d'Ashera : la femme de Dieu/Yahvé

vendredi 13 septembre 2024

Les coulisses de la révolution française – Entretien avec Marion Sigaut

 

Les coulisses de la révolution française - Entretien avec Marion Sigaut

Durant environ quatre heures (!), l’historienne Marion Sigaut revient en ce mois de juillet sur la révolution française de juillet 1789 et ses suites abominables, alors que la république en célèbre le 235e anniversaire.


https://www.medias-presse.info/les-coulisses-de-la-revolution-francaise-entretien-avec-marion-sigaut/193460/

Kennedy, Johnson et la course à la lune

 

par Laurent Guyénot

Dans mon précédent article, « Apollo et l’Empire du Mensonge », j’ai résumé les arguments les plus irréfutables de la thèse du canular lunaire (moon hoax), selon laquelle les missions Apollo furent une mise-en-scène. Je n’ai présenté qu’une petite partie du dossier. Même en se limitant à l’analyse des photos prétendument prises sur la lune, il y a beaucoup plus à dire. Je n’ai pas, par exemple, évoqué l’absence de cratère sous le module lunaire, sur laquelle insista Bill Kaysing, ingénieur chez Rocketdyne et pionnier de cette enquête avec son livre « We Never Went to the Moon: America’s Thirty Billion Swindle » (1976). Étant donné que, de l’aveu de Armstrong lui-même, le sol sur lequel s’est posé le module était composé de « very fine grain, almost like a powder », l’absence de cratère sous le moteur-fusée du module et l’absence de poussière sur les larges semelles des jambes du module (landing pads) sont inexplicables (vérifier en zoomant sur cette image).

Kaysing, soit dit en passant, est l’une des réponses à l’objection la plus courante : « Quelqu’un aurait parlé ! ». Mais pour expliquer qu’il n’y ait pas eu davantage de whistleblowers comme lui, il faut insister sur le fait que l’immense majorité des ingénieurs de la NASA et de ses sous-traits travaillaient sur des projets réels (je vais revenir en particulier sur les fusées Saturn V, bien réelles évidemment). Ceux qu’on a fait travailler pour la mise-en-scène étaient très peu nombreux (et tenu au secret par des contrats extrêmement contraignants). Il suffit d’examiner la finition du module lunaire pour s’en convaincre. Prenons un autre exemple, tiré du documentaire télévisé en 4 parties « Moon Machines » produit en 2008 (dont le fil directeur est la série de coups de chances qui a permis la réussite de toutes les missions Apollo). La conception et la construction du système de guidage du module de commande a été confiée au MIT (très proche de la CIA). On donna cette mission à un jeune ingénieur, Alex Kosmala, qui déclare dans le film (27:30) :

« Il n’y avait pas de cahier des charges. Nous l’avons inventé nous-même. Et ça m’a toujours paru incroyable : pourquoi ai-je été autorisé à programmer quelque chose qui n’avait même pas été spécifié mais qui serait essentiel pour assurer le succès de l’ensemble du programme Apollo ? Je n’y croyais pas, mais c’était comme ça. On l’a inventé au fur et à mesure ! »

On apprend ensuite que le logiciel chargé de guider le module lunaire jusqu’à la surface de la lune fut « écrit presque au dernier moment [as an afterthought] par un ingénieur junior » de 22 ans, Don Isles, qui débutait son tout premier job. Ce logiciel, nous dit-on, « était l’un des programmes les plus compliqués de MIT ait jamais conçus », et il ne fut jamais testé avant de poser Armstrong et Aldrin sur la lune (51:20)1. Confier toutes ces missions inutiles à des jeunes recrues qui savent à peine ce qu’elles font, telle est l’une des clés de l’étanchéité du secret.

Dans le présent article, je vais, comme annoncé, expliquer les motivations géostratégiques et les coulisses de cette mystification. Mais pour commencer, je voudrais encore répondre à une objection courante à la thèse de la mise-en-scène : pourquoi les Russes n’ont-ils pas dénoncé la supercherie ? Il y a plusieurs raisons possibles. Tout d’abord, à défaut de preuves irréfutables et suffisamment simples pour être présentées par exemple devant l’Assemblée des Nations unies, leur dénonciation risquait de se retourner contre eux (« mauvais joueurs ! »). De plus, les Russes étaient vulnérables à la même accusation de mensonge, en particulier sur le voyage orbital de Youri Gagarine en 1961, très probablement factice. Mais surtout, il faut considérer que les Russes avaient plus à gagner en monnayant leur silence : c’est ce qu’on appelle vulgairement le chantage. Sous la présidence de Nixon, au plus fort de la Guerre froide, les États-Unis apportèrent à l’Union soviétique une aide économique, technologique et industrielle considérable. La récente déclaration de Dmitry Rogozin, ancien directeur de l’agence spatiale Roscosmos, nous met sur la voie lorsqu’il dit qu’en exprimant ses doutes sur les missions Apollo, il a été accusé de saper la « sacro-sainte coopération de la Russie avec la NASA »2. Cette coopération date du début des années 60. Elle fut même initiée par Kennedy, comme nous allons le voir. Elle s’intensifia en 1972, lorsque les États-Unis et l’URSS signèrent un « Accord de coopération dans l’exploration et l’utilisation de l’espace extra-atmosphérique à des fins pacifiques ». La pierre angulaire de cet accord était l’annonce d’un programme de vol expérimental habité conjoint, nommé Apollo-Soyuz Test Project (ASTP). L’accord fut signé par Richard Nixon et par le président du Conseil des ministres de l’URSS, A.N. Kossyguine, en présence de Leonid Brejnev. Il faut bien admettre qu’il y avait un niveau profond à la Guerre froide dont nous ignorons les détails. Nous pouvons néanmoins facilement comprendre que les Soviétiques, s’ils disposaient de preuves que la NASA mentait, avaient mieux à faire qu’abattre leurs cartes publiquement.

Ce n’est qu’une hypothèse. En réalité, nous ne savons pas pourquoi les Russes n’ont rien dit, ni pourquoi ils n’expriment encore aujourd’hui leurs doutes qu’assez timidement. Nous ne savons pas non plus pourquoi Poutine ne dénonce pas publiquement le mensonge du 11-Septembre. Et pourtant, nous savons que c’est un mensonge, et que les preuves sont faciles à produire : cela montre bien que l’objection du silence des Russes, ou des Chinois, n’est pas décisive. Notons toutefois qu’en interne, les Russes ne se gênent pas : un sondage de 2019 montre que seulement 24 pour cent des Russes âgés de 18 ou plus croient que les Américains ont marché sur la lune.3

Comment Johnson nous a fait marcher sur la lune

C’est durant le mandat de Nixon, entre 1969 et 1972, que les Américains sont censés être allés sur la lune pour y planter des drapeaux américains et ramasser des cailloux. Nixon savait-il que les missions étaient truquées ? Mon hypothèse est qu’il était trop intelligent pour ne pas l’avoir compris, mais qu’il a probablement cru à la première (Apollo 11), programmée bien avant son entrée à la Maison-Blanche. Il se serait ensuite trouvé dans l’obligation de participer au mensonge. Il y a trouvé son compte : j’ai évoqué dans mon précédent article tout le prestige qu’il en tira à peu de frais, ainsi que l’utilité de détourner l’attention des Américains et du monde pendant la Guerre du Vietnam. Nixon, par ailleurs, se faisait peu d’illusion sur l’intérêt de dire la vérité en politique. On lui prête cette remarque : « Americans don’t believe anything until they see it on television. »

La paternité du projet Apollo, en tout cas, ne revient pas à Nixon. Elle revient, selon la vulgate, à Kennedy, dont tout le monde connaît le discours du 12 septembre 1962 : « Nous choisissons d’aller sur la lune, non pas parce que c’est facile, mais parce que c’est difficile » (une phrase qui sonne presque comme un aveu que la vraie raison est cachée). Mais en réalité, Kennedy n’était pas lui-même à l’origine du projet. Il y a cru et l’a soutenu jusqu’à la fin 1962, mais il était sur le point de tout arrêter en 1963. « Dans les semaines qui ont précédé son assassinat, John F. Kennedy cherchait à se retirer de la course à la lune », explique Charles Fishman, auteur d’un article de 2019 intitulé « Si le président Kennedy n’avait pas été tué, aurions-nous atterri sur la lune le 20 juillet 1969 ? Cela semble peu probable »4. David Baker écrit dans son livre « The Apollo Missions : The Incredible Story of the Race to the Moon » (2018) :

« Généralement crédité pour avoir initialisé et jamais démenti l’expansion du programme spatial, Kennedy avait en réalité tenté de revenir sur sa décision à plusieurs reprises avant son assassinat le 22 novembre 1963. Dès le départ, il n’avait jamais voulu sélectionner l’objectif de la lune, et cherchait une alternative qui serait une réponse plus durable aux réalisations spatiales soviétiques. […] 18 mois après [son discours sur la lune au Congrès en mai 1961], il cherchait désespérément des moyens de rompre cette engagement. Son assassinat a empêché cela, et a galvanisé la NASA dans un engagement encore plus profond. »5

La véritable paternité du projet revient à Lyndon Johnson. « Peu de gens aujourd’hui le savent ou s’en souviennent, déclare Alan Wassermais un seul homme, Lyndon Baines Johnson, dit LBJ, est le principal responsable de la « course à l’espace » du début à la fin »6. « Apollo 11 n’aurait pas vu le jour sans Lyndon Johnson », confirme Michael Marks, citant John Logsdon, professeur au Space Policy Institute de l’Université George Washington et auteur de « John F. Kennedy and the Race to the Moon » (Macmillan, 2010)7. Il y a un large consensus sur ce point parmi les historiens de la NASA.

Dans un article intitulé « Lyndon Johnson’s Unsung Role in Sending Americans to the Moon », Jeff Shesol rappelle le rôle déterminant de Johnson dans la fondation de la NASA en 1958 :

« Le 4 octobre 1957, quelques heures après avoir appris que l’Union soviétique avait mis en orbite le premier satellite, le Spoutnik, Johnson, alors chef de la majorité au Sénat, s’est saisi de la question de l’exploration spatiale. Avant la fin de la soirée, il travaillait le téléphone et parlait à ses assistants, esquissant des plans pour une enquête sur le programme américain anémique. George Reedy, un membre du personnel de Johnson, l’informa que la question pourrait « faire sauter les Républicains, unifier le Parti démocrate et vous faire élire président. […] Vous devriez envisager de vous impliquer profondément dans cette question ». […] Le président Dwight D. Eisenhower avait résisté à l’établissement de ce qu’il appelait, par moquerie, « un grand département de l’espace », mais Johnson, et les circonstances, sont venus à bout de ses résistances. La NASA a été leur création conjointe. »8

Après avoir remporté l’élection présidentielle en novembre 1960, John Kennedy mit en place des « équipes de transition » de haut niveau pour le conseiller sur des questions clés. Son équipe sur l’espace était présidée par le professeur du MIT Jerome Wiesner, qui était déjà membre du comité consultatif scientifique d’Eisenhower. Le 10 janvier 1961, Wiesner remit à Kennedy un « rapport au président élu du comité ad hoc sur l’espace », qui reflétait le scepticisme général de la communauté scientifique quant à la faisabilité des vols spatiaux habités au-delà de l’orbite terrestre9. Il mentionnait, parmi les « nouvelles découvertes scientifiques d’une grande importance » récemment obtenues avec des satellites et des sondes spatiales lointaines, « la grande ceinture de rayonnement, piégée dans le champ magnétique terrestre ». Par conséquent, écrit-il : « Pour le moment […] l’exploration spatiale doit se limiter à des véhicules sans pilote ». Wiesner savait que les Ceintures Van Allen étaient impossibles à traverser pour un équipage humain.

Kennedy nomma Wiesner président de son Comité consultatif scientifique. Wiesner demeura un adversaire farouche du programme Apollo, comme on peut le lire sur sa page Wikipedia : « Il était un critique virulent de l’exploration habitée de l’espace extra-atmosphérique, croyant plutôt aux sondes spatiales automatisées ». Wiesner était également un ardent défenseur de la coopération internationale plutôt que de la concurrence dans l’exploration spatiale, comme il l’indiquait dans son rapport de janvier 1961 :

« les activités spatiales, en particulier dans les domaines des communications et de l’exploration de notre système solaire, offrent des possibilités passionnantes de coopération internationale avec toutes les nations du monde. Les projets spatiaux très ambitieux et à long terme prospéreraient s’ils pouvaient être réalisés dans une atmosphère de coopération en tant que projets de toute l’humanité plutôt que dans l’atmosphère actuelle de compétition nationale. »

C’était aussi la conviction profonde de Kennedy, comme nous le verrons. Mais lorsque l’astronaute soviétique Youri Gagarine fut proclamé la première personne dans l’espace le 12 avril 1961, Kennedy se retrouva sous une pression intense. Son vice-président Johnson se porta volontaire pour mener un examen urgent afin d’identifier un « programme spatial qui promette des résultats spectaculaires dans lesquels nous pourrions gagner ». Il amena de hauts responsables de la NASA à la Maison-Blanche et, le 28 avril, remit à Kennedy un mémorandum intitulé « Evaluation of Space Program ». Le mémo assurait le président de la faisabilité d’un « atterrissage et d’un retour en toute sécurité d’un homme sur la lune d’ici 1966 ou 1967 », si « un effort sérieux » était fait. Johnson résuma l’intérêt du projet en ces termes :

« Les autres nations, indépendamment de leur appréciation de nos valeurs idéalistes, auront tendance à s’aligner sur le pays qu’elles croient être le chef de file mondial — le gagnant à long terme. Les réalisations spectaculaires dans l’espace sont de plus en plus considérées comme un indicateur majeur du leadership mondial. »10

Kennedy se laissa séduire par la perspective d’un tel exploit durant sa présidence. Le 25 mai 1961, 43 jours après l’exploit de Gagarine, il délivra devant le Congrès un message sur les « besoins nationaux urgents », demandant 7 à 9 milliards de dollars supplémentaires au cours des cinq prochaines années pour le programme spatial. Kennedy déclarait être parvenu, « avec les conseils du vice-président, qui est président du Conseil national de l’espace », à la conclusion suivante :

« Je crois que cette nation devrait s’engager à atteindre l’objectif, avant la fin de cette décennie, de faire atterrir un homme sur la lune et de le ramener en toute sécurité sur Terre. Aucun projet spatial de cette période ne sera plus impressionnant pour l’humanité ou plus important pour l’exploration spatiale à longue distance. »11 

En tant que président du Conseil national de l’aéronautique et de l’espace, Johnson avait les mains libres pour enrôler ses propres hommes dans la course à la lune. Il fit nommer James E. Webb administrateur de la NASA.

Johnson profita aussi du soutien de son ami pétrolier, le sénateur Robert Kerr. Dans ses mémoires, « Wheeling and Dealing : Confessions of a Capitol Hill Operator », le secrétaire personnel de Johnson, Bobby Baker, rapporte avoir collecté en espèce un demi-million de dollars de pots-de-vin pour Kerr12. D’une corruption sans limite, Johnson s’arrangea pour attribuer à ses partenaires d’affaire texans une grande partie des contrats.

Près d’un an et demi après son discours au Congrès, en septembre 1962, Kennedy visita un certain nombre d’installations spatiales à travers le pays. L’ingénieur en chef de la NASA, Wernher von Braun, a rapporté qu’en regardant la fusée Saturn V en construction au Marshall Space Flight Center de la NASA (Huntsville, Alabama), Kennedy paraissait dubitatif et, se tournant vers lui, lui dit : « Ne pensez-vous pas que nous avons eu les yeux plus gros que le ventre ? »13 Néanmoins, Kennedy prononça le lendemain (12 septembre), son discours « Nous choisissons d’aller sur la lune » à la Rice University à Houston, Texas, près du site de ce qui allait devenir le Manned Spacecraft Center (rebaptisé Lyndon B. Johnson Space Centre en 1973).

Un mois plus tard, c’était la crise des missiles de Cuba. Elle eut un impact profond sur la conception de Kennedy de la Guerre froide et augmenta ses doutes sur la pertinence de la course à la lune. Le 21 novembre 1962, il convoqua à la Maison-Blanche neuf hauts responsables de la NASA et membres de l’administration, dont James Webb et Jerome Wiesner. Il ressort de cette conversation enregistrée (audio ici, transcription ici, commentaires utiles sur ce podcast) que Webb était loin d’être convaincu que la NASA pourrait envoyer des hommes sur la lune : « Il y a de vraies inconnues quant à savoir si l’homme peut vivre dans des conditions d’apesanteur, où même si on pourrait faire l’alunissage ». Wiesner a ajouté : « Nous ne savons rien de la surface de la lune et nous faisons les suppositions les plus folles sur la façon dont nous allons atterrir sur la lune ». Kennedy conclut :

« Tout ce que nous faisons devrait vraiment être lié à l’objectif d’aller sur la lune avant les Russes. […] Sinon, nous ne devrions pas dépenser autant d’argent, car je ne suis pas très intéressé par l’espace. […] Je suis prêts à dépenser des sommes raisonnables, mais nous parlons ici de dépenses fantastiques qui ruinent notre budget et [pénalisent] tous ces autres programmes nationaux ; et la seule justification, à mon avis, pour le faire est parce que nous espérons les battre. »

Comme le dit Lillian Cunningham en commentaire dans le podcast Moonrise, « La tension entre Kennedy et Webb n’a cessé de monter au cours de l’année suivante. […] Le Congrès commençait à se lasser de dépenser tout cet argent ; le programme prenait du retard ; et Kennedy entrait maintenant dans une année électorale avec cet albatros autour du cou »14. En plus de cela, l’ancien président Eisenhower critiquait publiquement le projet lunaire. Kennedy a néanmoins continué à le soutenir en public, mais avec une inquiétude croissante.

Le 18 septembre 1963, il convoqua Webb à nouveau pour lui faire part de ses doutes sur la possibilité et l’intérêt d’envoyer des hommes sur la lune. « Je vais entrer en campagne en défendant ce programme et nous n’avons rien à montrer depuis un an et demi », se plaint Kennedy dans cette conversation enregistrée. Anticipant que le Congrès réduirait le budget, il demanda à Webb : « Si je suis réélu, nous n’irons pas sur la lune sous ma présidence, n’est-ce-pas ? » Webb répondit : « Non, on n’y arrivera pas. Ça prendra plus longtemps que ça. C’est une mission difficile, vraiment difficile ». Un moment plus tard, Kennedy demande à Webb : « Pensez-vous que la mission humaine sur la lune soit une bonne idée ? » Il se disait préoccupé par le fait que cela coûtait « un sacré paquet d’argent », et suggérait d’envoyer plutôt des sondes, qui selon lui pourraient enrichir nos connaissances scientifiques à moindre coût. « Mettre un homme sur la lune ne vaut pas tous ces milliards de dollars », dit-il. Webb insista qu’il était trop tard pour changer de plan15. Mais Kennedy tira ses propres conclusions de cet ultime entretien.

« Allons-y ensemble ! »

Deux jours après cette conversation, le 20 septembre 1963, Kennedy surprit Webb, la NASA et le monde entier en proposant, dans un discours prononcé à l’Assemblée générale des Nations unies, qu’au lieu de chercher à prendre l’Union soviétique de vitesse dans la course à la lune, les États-Unis collaboreraient volontiers avec l’Union soviétique dans l’exploration spatiale :

« dans un domaine où les États-Unis et l’Union soviétique ont une capacité particulière – dans le domaine spatial – il y a place pour de nouvelles coopérations. […] J’inclus parmi ces possibilités une expédition conjointe sur la lune. […] Pourquoi le premier vol de l’homme vers la lune devrait-il être une question de compétition nationale ? […] Nous devrions certainement étudier si les scientifiques et les astronautes de nos deux pays – et même du monde entier – ne pourraient pas travailler ensemble à la conquête de l’espace, en envoyant un jour de cette décennie sur la lune, non pas les représentants d’une seule nation, mais des représentants de tous nos pays. »16

Comme le commente Charles Fishman : « Le président qui avait passé plus de deux ans à expliquer pourquoi la course à la lune était une question de compétence et de prééminence nationales, un combat entre la démocratie et le totalitarisme, proposait maintenant exactement le contraire »17. Ce fut par euphémisme que le New York Times écrivit en première page le lendemain : « Washington est surpris par la proposition du Président »18. Dans une interview donné en 1969, Webb interpréta correctement le discours de Kennedy aux Nations unies comme donnant le « sentiment que ce n’était que le début d’un groupe autour de lui [Kennedy] qui voulait retirer son soutien. »19

En fait, l’attitude de Kennedy était loin d’être nouvelle, et seuls ceux qui n’avaient pas pris au sérieux les discours précédents de Kennedy pouvaient être surpris. Dans son discours sur l’état de l’Union du 30 janvier 1961, Kennedy avait déclaré :

« Cette administration a l’intention d’explorer rapidement tous les domaines possibles de coopération avec l’Union soviétique et d’autres nations “pour invoquer les merveilles de la science au lieu de ses terreurs”. Plus précisément, j’invite maintenant toutes les nations, y compris l’Union soviétique, à se joindre à nous pour développer un programme de prévision météorologique, dans un nouveau programme de satellites de communication et en préparation pour sonder les planètes lointaines de Mars et de Vénus, des sondes qui pourraient un jour dévoiler les plus profonds secrets de l’univers. Aujourd’hui, ce pays est en avance dans la science et la technologie de l’espace, tandis que l’Union soviétique est en avance dans la capacité de mettre de gros véhicules en orbite. Les deux nations s’aideraient elles-mêmes ainsi que d’autres nations en retirant ces efforts de la concurrence amère et inutile de la guerre froide. »20

Dix jours seulement après son discours au Congrès du 25 mai 1961, lors de son unique rencontre face à face avec le Premier ministre soviétique Nikita Khrouchtchev à Vienne, Kennedy suggéra que les États-Unis et l’URSS devraient aller ensemble sur l’exploration de la lune. Khrouchtchev répondit favorablement dans un premier temps, mais se rétracta le lendemain, au motif qu’un accord sur le désarmement devait primer.21

Cependant, un an plus tard, le 20 février 1962, lorsque les États-Unis réussirent l’exploit de faire orbiter John Glenn trois fois autour de la Terre, Khrouchtchev envoya à la Maison-Blanche un télégramme de félicitations, suggérant :

« si nos pays unissaient leurs efforts – scientifiques, techniques et matériels – pour maîtriser l’univers, cela serait très bénéfique pour l’avancée de la science et serait joyeusement acclamé par tous les peuples qui souhaitent que les réalisations scientifiques profitent à l’homme et ne soient pas subordonnées à la “Guerre froide” et à la course aux armements. »

Kennedy informa aussitôt Khrouchtchev qu’il « chargeait les membres appropriés de ce gouvernement de préparer des propositions concrètes pour des projets immédiats d’action commune dans l’exploration de l’espace », et moins d’un mois plus tard, il soumit une première proposition portant sur « un système de satellite météorologique opérationnel ». Dans les mois qui suivirent et jusqu’à la mort de Kennedy, des discussions et des accords se nouèrent entre la NASA et l’Académie soviétique des sciences.22

Nous voyons que, sur la scène domestique, le président Kennedy parlait de battre les Soviétiques dans la course à la lune, tandis que sur la scène diplomatique internationale, il essayait de changer de paradigme et de transformer la compétition en coopération. Khrouchtchev était dans la même situation que Kennedy : il devant maintenir chez lui une attitude guerrière afin de garder le contrôle de son propre gouvernement, mais faisait savoir à Kennedy qu’il partageait sa vision.

Il y avait néanmoins une différence dans leur approche : Khrouchtchev ne voulait pas entendre parler de la lune. Il en savait suffisamment pour ne pas entraîner son pays dans une aventure impossible. Il n’a donc jamais répondu favorablement à l’invitation de Kennedy, formulée le 20 septembre 1963 à l’ONU, pour « une expédition conjointe sur la lune ». Il a même commenté peu après avec ironie, dans le journal gouvernemental Izvestia :

« À l’heure actuelle nous ne prévoyons pas d’envoyer des cosmonautes sur la lune. J’ai lu un rapport selon lequel les Américains souhaitaient marcher sur la lune avant 1970. Et bien, nous leur souhaitons de réussir. Et nous verrons comment ils volent jusque là-bas et comment ils vont y atterrir, ou pour être plus correct, “alunir” là-bas. Et le plus important : comment ils vont décoller à nouveau et revenir. »23

Loin d’être un revers pour Kennedy, l’indifférence officielle des Soviétiques pour la lune était peut-être exactement ce dont Kennedy avait besoin pour déclarer que, étant donné que les Russes n’essayaient même pas d’aller sur la lune, il n’y avait pas de « course à la lune » après tout. Il y a une indication très claire que, à partir de ce moment, Kennedy se préparait à passer à d’autres projets plus raisonnables et plus utiles. Lors de son voyage fatal au Texas, il s’arrêta à San Antonio pour inaugurer un centre consacré à la recherche en médecine spatiale. Il déclara à cette occasion à quel point il était heureux de voir que les États-Unis rattrapaient les Soviétiques dans l’espace et les dépasseraient bientôt dans certains domaines importants. Dans le discours qu’il s’apprêtait à prononcer à Dallas avant d’être assassiné, Kennedy aurait déclaré qu’en raison du programme spatial énergique de son administration, « il n’y a plus de doute sur la force et l’habileté de la science américaine, de l’industrie américaine, de l’éducation et du système américain de libre entreprise »24. Cela signifiait implicitement que les États-Unis n’avaient rien à prouver en allant sur la lune. 

Concours de fusées

Afin de comprendre le dilemme de Kennedy, la pression qu’il subissait et sa chorégraphie élaborée avec Khrouchtchev, il est essentiel de comprendre que la lune n’était pas l’enjeu véritable de la course à la lune. Kennedy l’a dit lui-même lors d’une conférence de presse le 31 octobre 1963 : « Selon moi, le programme spatial que nous avons est essentiel pour la sécurité des États-Unis, parce que, comme je l’ai dit souvent, la question n’est pas d’aller sur la lune. La question est d’avoir la compétence pour maîtriser cet environnement »25. Kennedy n’aurait pu se permettre de le dire plus clairement dans un cadre publique, mais le sens était évident : la course à la lune était une couverture civile pour la recherche, le développement et le déploiement de systèmes de surveillance par satellite, ainsi que de missiles balistiques intercontinentaux capables d’emporter des ogives nucléaires. Le fait que la NASA employait l’ingénieur expatrié Wernher von Braun – l’un des concepteurs des fusées V-2 d’Hitler – rendait la chose presque transparente.

Il ne fait aucun doute que le soi-disant « programme spatial civil » de la NASA était d’abord et avant tout une couverture pour un programme militaire. Le NASA Act signé par Eisenhower en 1958 prévoyait explicitement une collaboration étroite avec le ministère de la Défense. Tout ceux qui ont entendu parler du « complexe militaro-industriel » savent que c’est Eisenhower qui le premier a employé cette expression lors de son discours d’adieu, pour mettre en garde les Américains contre le « risque d’une montée désastreuse du pouvoir entre de mauvaises mains ». Ironiquement, la fondation de la NASA par Eisenhower a été en soi un pas de géant pour le complexe militaro-industriel. En pratique, le Pentagone participa à toutes les décisions concernant les programmes Mercury, Gemini et Apollo. Erlend Kennan et Edmund Harvey ont documenté ce point dès 1969 dans leur livre « Mission vers la lune : un examen critique de la NASA et du programme spatial », et ont conclu :

« Il demeure impératif que la NASA conserve son statut de hall d’exposition de l’ère spatiale afin de récolter le soutien du public pour tous les projets spatiaux et donner aux efforts spatiaux du ministère de la Défense une « couverture efficace. »26

Cette couverture ne visait pas à tromper les Soviétiques, mais les Américains. Les dirigeants soviétiques, eux, savaient bien à quoi servaient les roquettes. Outre le lancement de satellites à des fins d’espionnage, la NASA devait contribuer au développement de fusées transcontinentales capables de porter des têtes nucléaires. Car après la Seconde Guerre mondiale, l’équation était simple : « Fusée + bombe atomique = puissance mondiale. »27

C’est pourquoi Kennedy était sous la pression des Cold Warriors qui dominaient le Pentagone, et ce qu’on nomme le National Security State, dont la CIA était la cheville ouvrière. Wiesner expliqua, en des termes aussi limpides qu’il lui était permis, le dilemme de Kennedy, dans une interview de 1990 :

« Kennedy était, et n’était pas, pour l’espace. Il me disait : « Pourquoi ne trouvez-vous pas autre chose que nous puissions faire ? » Nous n’avions rien d’autre. L’espace était la seule chose que nous pouvions faire pour montrer notre puissance militaire […] Ces fusées étaient un substitut à la puissance militaire. Il n’y avait pas de réelles alternatives. Nous ne pouvions pas abandonner la course à l’espace, et nous ne pouvions pas nous condamner à être deuxième. Nous devions faire quelque chose, mais la décision était douloureuse pour lui. »

Dès 1967, Wiesner avait confié à l’historien John Logsdon que Kennedy avait désespérément recherché un autre grand projet « qui serait plus utile – disons par exemple le dessalement de l’océan – ou quelque chose d’aussi dramatique et convaincant que l’espace », mais « il y avait tellement de connotations militaires […] dans le programme spatial qu’on ne pouvait pas faire un autre choix. »28

Wiesner partageait la difficulté de Kennedy. Sa notice nécrologique sur le site du MIT le décrit comme « une figure clé de l’administration Kennedy dans la création de l’Agence pour le contrôle des armements et pour le désarmement, dans la conclusion du Traité d’interdiction partielle des essais nucléaires d’octobre 1963, et dans les efforts fructueux visant à restreindre le déploiement de systèmes de missiles anti-balistiques. »29

Dans « JFK et l’Indicible », James Douglass a raconté avec talent les efforts déterminés de Kennedy pour mettre fin à la course aux armements et abolir les armes nucléaires. Dans un discours historique à l’Assemblée générale des Nations unies le 25 septembre 1961, Kennedy déclara « son intention de défier l’Union soviétique, non pas dans une course aux armements, mais dans une course à la paix – pour avancer ensemble pas à pas, étape par étape, jusqu’à ce qu’un désarmement général et complet soit réalisé ». Khrouchtchev répondit favorablement à ce discours. Il applaudit également le célèbre « discours de paix » de Kennedy du 10 juin 1963 à l’Université américaine de Washington, le qualifiant de « plus grand discours d’un président américain depuis Roosevelt ». Il le fit traduire intégralement dans la Pravda, et le fit lire à la radio.30

En septembre 1963, Khrouchtchev et Kennedy avaient échangé une vingtaine de lettres dans le cadre d’une correspondance secrète, contournant les canaux officiels, visant à apaiser les tensions et à vaincre la pression de leurs appareils militaires respectifs. Dans son discours à l’ONU du 20 septembre 1963, cité plus haut, Kennedy liait sa proposition d’expédition jointe vers la lune à l’objectif de mettre fin à la course aux armements : « L’Union soviétique et les États-Unis, avec leurs alliés, peuvent conclure d’autres accords – des accords qui découlent de notre intérêt mutuel à éviter une destruction mutuelle. »

Inviter Khrouchtchev dans le projet lunaire, c’était couper l’herbe sous les pieds des faucons du Pentagone, car cela ne pouvait que signifier la fin de la compétition pour les fusées balistiques. C’était un coup de maître : que Khrouchtchev ait répondu favorablement ou qu’il ait proposé un autre domaine de coopération à la place – comme il le fit -, cela sonnait la fin de la course à la lune comme couverture pour la course aux armements. Compte tenu de la persistance de Kennedy de 1961 à 1963 et de la réponse de plus en plus ouvertement positive de Khrouchtchev, il y a même une chance que, si Kennedy avait vécu un deuxième mandat, la recherche spatiale aurait servi de cadre et de tremplin pour le désarmement. C’était en tout cas, très clairement, la vision de Kennedy.

Cette possibilité a été brisée lorsque Johnson prit le contrôle de la Maison-Blanche. Jerome Wiesner fut remplacé par Donald Horning (il retourna au MIT, dont il devint président en 1971). Huit jours à peine après l’assassinat de Kennedy, Johnson demanda au Congrès davantage d’argent pour la course à la lune de la NASA, ce qui signifiait, incidemment, plus d’argent pour ses partenaires commerciaux texans31. Sous Johnson, le Texas est devenu le cœur économique de la NASA, qui contribue encore aujourd’hui à plus de 4,7 milliards de dollars à l’économie de l’État et à 90% de l’économie de la région, selon des sources officielles. Nous ne saurons jamais combien de pot-de-vin Johnson a reçu au cours du processus.

Curieusement, James Webb, qui avait supervisé le projet Apollo depuis le début sous l’impulsion de Johnson, ne souhaita pas rester à bord jusqu’à la réalisation de ce « pas de géant pour l’humanité » ; il démissionna lorsque Johnson annonça qu’il ne se représenterait pas en 1968. Toute cette histoire ne prouve pas, bien entendu, que Kennedy fut assassiné pour permettre à la NASA de tromper le monde par les missions Apollo. Il y avait d’autres enjeux autrement plus importants, que je détaille dans mon livre « Qui a maudit les Kennedy ? » (KontreKulture, 2021) et dans le film « Israël et le double assassinat des frères Kennedy ». Néanmoins, compte tenu de l’implication certaine et centrale de Johnson dans l’assassinat de son président, l’affaire Apollo constitue une pièce non négligeable dans ce dossier.

  1. https://vimeo.com/673970849, cité dans Dave McGowan, « Wagging the Moondoggie », p. 121.
  2. https://reseauinternational.net/russie-lancien-responsable-de-lagence-spatiale-roscosmos-remet-en-question-lalunissage-dapollo-11
  3. https://www.rferl.org/one-small-step-for-hollywood-in-russia-denying-moon-landings-may-be-matter-of-national-pride
  4. Charles Fishman, « Si le président Kennedy n’avait pas été tué, aurions-nous atterri sur la lune le 20 juillet 1969 ? Cela semble peu probable »
  5. David Baker, « The Apollo Missions : The Incredible Story of the Race to the Moon », Arcturus, 2018, p. 55.
  6. Alan Wasser, « LBJ’s Space Race : What we didn’t know then (part 1) », The Space Review
  7. Michael Marks, « Why Apollo 11 Wouldn’t Have Happened Without Lyndon Johnson », 19 juillet 2019. Un article plus court de John Logsdon peut être téléchargé ici.
  8. Jeff Shesol, « Lyndon Johnson’s Unsung Role in Sending Americans to the Moon
  9. Wiesner Committee, « Report to the President-Elect of the Ad Hoc Committee on Space », 10 janvier, 1961
  10. https://history.nasa.gov/Apollomon/apollo2.pdf
  11. « President Kennedy Challenges NASA to Go to the Moon », https://www.youtube.com/watch?v=GmN1wO_24Ao
  12. Andrew Cockburn, « How the Bankers Bought Washington : Our Cheap Politicians », CounterPunch)
  13. Moonrise podcast, https://www.washingtonpost.com/podcasts/moonrise/jfk-and-the-secret-tapes/
  14. https://www.washingtonpost.com/jfk-and-the-secret-tapes
  15. Meetings : Tape 111, Lunar Program (James Webb), 18 September 1963, https://www.jfklibrary.org
  16. « President Kennedy Speaks at UN on Joint Moon Flight (1963) »
  17. Charles Fishman, « If President Kennedy hadn’t been killed, would we have landed on the Moon on July 20, 1969 ? It seems unlikely »
  18. John W. Finney, « Washington is Surpised by President’s Proposal », Sept. 21, 1963, https://www.nytimes.com
  19. Cité dans John Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », Palgrave Macmillan, 2010, p. 213.
  20. https://www.jfklibrary.org/archives
  21. Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. x.
  22. Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. 168 et 160
  23. Izvestia, 25 octobre 1963cité dans John Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », p. 187.
  24. Fishman, « If President Kennedy hadn’t been killed, would we have landed on the Moon on July 20, 1969 ? It seems unlikely ».
  25. Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. 198.
  26. Cité dans Gerhard Wisnewski, « One Small Step ? The Great Moon Hoax and the Race to Dominate Earth From Space », 2005, Clairview Books, p. 296.
  27. Wisnewski, « One Small Step ? » op. cit., p. 62.
  28. Ces deux interviews de Wiesner sont citées dans John Logsdon, « John F. Kennedy and the Race to the Moon », op. cit., p. 83.
  29. Source : en.wikipedia.org/wiki/Jerome_Wiesner
  30. Les principaux discours de Kennedy en faveur de la paix sont reproduits dans le livre de James Douglass, « JFK et l’indicible. Pourquoi Kennedy a été assassiné », Demi-Lune, 2013pp. 390-392.
  31. Fishman, « If President Kennedy hadn’t been killed, would we have landed on the Moon on July 20, 1969 ? It seems unlikely »

https://reseauinternational.net/kennedy-johnson-et-la-course-a-la-lune/