par Matthew Ehret.
Bien avant que le terme « révolution de couleur » n’existe dans notre lexique géopolitique, la technique consistant à diriger les foules enclines à la violence vers le renversement de leurs gouvernements avait été affinée au fil des siècles. Enflammer la vindicte d’une foule et la diriger vers le renversement des structures politiques établies ne demandait que de l’argent, de la propagande et quelques rhétoriciens sans grande valeur morale.
J’ai été choqué de découvrir, à la lecture des études 2001-2002 publiées par l’historien américain Pierre Beaudry « Why France Did Not Have a French Revolution » [Pourquoi la France n’a pas vécu la Révolution française – NdT] et « Jean-Sylvain Bailly : le Benjamin Franklin de la Révolution française[1]» [Le Benjamin Franklin de la Révolution française – NdT], que le récit commun de la Révolution française n’est guère plus qu’un mythe britannique qui ne ressemble guère ou pas du tout à la réalité.
Le monde en 1789
L’époque était propice aux affaires humaines. Le succès de la Révolution américaine, finalisé par le Traité de Paris de 1783, avait envoyé des bouffées d’espoir dans le monde entier. L’idée que la longue nuit de l’empire qui avait saigné l’Ancien monde pendant des lustres pourrait s’achever était électrisante. Généralement admis par tous, l’anéantissement de l’ordre héréditaire devait entrer en Europe par la France pour qu’il se produise au-delà des Treize Colonies [les Colonies britanniques qui deviendront les États fondateurs des États-Unis – NdT]. Bien que des patriotes de nombreux pays d’Europe aient aidé les Américains (y compris les Russes, les Allemands, les Polonais et les Irlandais), la France fut en fin de compte le pays qui avait le plus soutenu la lutte de la Révolution américaine, des milliers de soldats français s’étant joints au combat sous l’égide du marquis de La Fayette soutenus par une aide financière, politique et militaire essentielle qui fut prodiguée tout au long du conflit.
D’éminentes personnalités républicaines françaises comme le marquis de La Fayette et Jean Sylvain-Bailly ont été les plus grands artisans de ce mouvement en Europe qui ont même bénéficié du soutien d’un monarque aux sympathies républicaines qui croyait sincèrement que l’objectif du droit et du gouvernement était de l’ordre du bien commun. En ce temps-là, ce n’était pas facile à trouver.
Connu sous le nom de Serment du Jeu de paume, le premier acte de la révolution se tient le 20 juillet 1789 sous la direction de Bailly, alors maire de France et premier président d’une nouvelle organisation appelée Assemblée nationale — la première institution représentative de l’histoire de France dotée d’une l’autorité co-égale à celle du roi. Cette assemblée a décidé de créer une constitution qui a rapidement formulé un magnifique document fondateur connu sous le nom de Déclaration des droits de l’Homme. Le marquis de La Fayette prend la tête de la nouvelle Garde nationale et un programme d’éducation des citoyens est lancé. Une monarchie constitutionnelle qui introduirait un système de valeurs dans une moulinette géopolitique totalement incompatible avec tout système construit autour d’une élite héréditaire était en préparation… et tout cela sans effusion de sang !
Mais les choses ne se sont pas déroulées comme prévu.
En 1793, Bailly et la majorité de ses plus proches alliés avaient été décapités par les Jacobins. Des scientifiques comme Antoine Lavoisier ont été guillotinés au cri de la devise jacobine « La République n’a pas besoin de savants, ni de chimistes ; le cours de la justice ne peut être suspendu » (la science était élitiste après tout). Lafayette a quant à lui choisi de sauver sa tête en s’échappant le 19 août 1792, devenant prisonnier dans un donjon des Habsbourg pendant quatre ans[2]. Le roi Louis XVI — grand ami de la cause américaine et participant à la monarchie constitutionnelle — a perdu la sienne en janvier 1793, rejoint par son épouse neuf mois plus tard.
En 1794, la révolution n’était connue que sous le nom de « Terreur » et a mérité ce nom puisque plus de quarante mille personnes ont été exécutées sur une très courte période. La France baignait dans son sang tandis que les alliances de pouvoir rebondissaient entre les Jacobins de « gauche » sous le contrôle de Maximilien Robespierre, Marat et Danton, et les Girondins de « droite » et les monarchistes de l’aile opposée. À chaque changement de pouvoir, des vagues d’exécutions frappaient toutes les parties. La France est devenue un État policier avec une police secrète intégrée dans les quartiers pauvres et les marchés, prenant note de toutes les critiques du gouvernement, du prix du pain et des grimaces, conduisant les plaignants sans méfiance au mieux en prison, au pire à la guillotine.
Bientôt, une absence totale de pouvoir porterait un jeune général républicain nommé Napoléon Bonaparte à prendre le pouvoir et à s’ériger en empereur héréditaire de France de la manière la moins républicaine qui soit, ouvrant un règne de quinze années de guerre contre l’Europe [dites guerres napoléoniennes- NdT].
Alors en quoi les choses ont mal tourné ?
On trouve le premier indice dans le fait que les banquiers anglo-suisses qui ont financé les guerres napoléoniennes étaient ceux-là mêmes qui ont provoqué la décapitation économique de la France qui la transformera en terreur sanguinaire. Tout comme l’art des ajustements structurels du FMI et de la Banque mondiale et des prêts conditionnels qui ont cours de nos jours, le ministre des Finances d’alors, Jacques Necker, a non seulement contracté une masse de dettes impayables entre 1786 et 1789, mais il a également imposé une austérité qui a paralysé la résilience de la nation. Le professeur Beaudry écrit :
« Dans le Traité de Paris de 1783 reconnaissant l’indépendance américaine, la France avait accepté les dispositions de libre-échange exigées par la Grande-Bretagne pour son contrôle du commerce atlantique. Puis, dans un traité franco-britannique distinct de 1786, la France avait consenti des accords de libre-échange suicidaires et absolus qui ont ruiné l’économie française du jour au lendemain. De deux pour cent de croissance physique annuelle réelle à la fin des années 1770 et au début des années 1780, les secteurs français du textile, du transport maritime et de l’exploitation minière ainsi que son agriculture sombraient dans la dépression et les immédiates famines qui s’ensuivirent. Les budgets royaux s’effondraient, tandis que l’agent du Britannique Lord Shelburne, le banquier suisse Jacques Necker, était nommé ministre français des Finances à plusieurs reprises, puis Premier ministre ».
La réserve céréalière française fut rendue « économiquement illégalle » par l’accord de libre-échange conclu avec la Grande-Bretagne, permettant à cette dernière d’acheter tout le grain français que sa population pouvait manger, et plus encore. Lorsque la majorité des récoltes françaises fut détruite par une tempête de grêle dévastatrice en juin 1788, une famine continue éclata et le roi de France supplia la Grande-Bretagne de lui racheter du grain pour nourrir les masses affamées, ce à quoi la perfide Albion a simplement répondu par la négative après avoir tenu réunion.
Lorsque les troupes françaises ouvrirent le feu sur les masses armées affamées qui avaient encerclé la forteresse de la Bastille le 14 juillet 1789, l’enfer se déchaîna et libéra un génie que personne ne put jamais remettre dans la bouteille. La forteresse fut prise d’assaut, ses soldats et ses gouverneurs décapités, et le peuple commença à crier pour que Necker et Orléans deviennent les sauveurs de la France. Il faut dire que la presse jacobine en diffusait l’idée auprès du grand public depuis un certain temps déjà.
Le duc Grand maître de la maçonnerie française avait élaboré un stratagème pour devenir un « roi jacobin » avec l’intention d’appliquer le « système britannique » en France sur le modèle de l’équilibre du pouvoir britannique constitué d’une Chambre des communes, d’une Chambre des Lords et d’un monarque. Cependant, il n’était que troisième au titre de la succession monarchique française (le Roi Louis XVI avait un fils), et c’est dans ce contexte qu’une tentative d’assassinat sur la personne du roi français eut lieu le 17 juillet 1789 pendant laquelle un tireur d’élite de haut vol visa le carrosse royal sur le pont Louis XV, ratant de peu le roi et tuant une femme qui se trouvait là.
Le 23 juin 1789, c’est un Necker désespéré qui adressa au roi un message qui disait en substance : « Sire, il vous faut maintenant accéder aux souhaits raisonnables de la France et vous résigner à adopter la Constitution britannique ». La fille de Necker, Madame de Staël, qui a enregistré ce message, a fait remarquer que l’offre de Necker était la même que celle qui a été adoptée lorsque la France redevint une monarchie en 1814, ce qui coïncidait avec la restauration des monarchies et le Congrès de Vienne, si chèrement défendue par Henry Kissinger.
Le roi survivra encore deux ans et demi, mais à ce moment-là, la chance d’Égalité s’était évaporée. Consumé par le monstre qu’il avait libéré, il fut guillotiné le 6 novembre 1793.
Les années restantes de la Révolution française ont été caractérisées par des guerres menées à l’étranger et un désordre social, politique et économique sur le sol français. Les plumes incendiaires de centaines d’écrivains radicaux anglo-suisses entretenus par Jeremy Bentham sont devenus les voix de la rage qui allait diriger la terreur jacobine. Bientôt, des vagues de décapitations allait devenir la norme sous l’autorité tyrannique de Maximilien Robespierre dont la « profonde » contribution philosophique à la révolution érigeait en règle la vertu pour tous les citoyens révolutionnaires, mais cette vertu devait être conduite par la terreur.
Sa soif de sang n’a fait que croître, ce qui l’amena à conclure que la véritable cause des injustices de la France était le christianisme lui-même. Partant de ce postulat, il créa une nouvelle religion basée sur des motifs pervers appelée « le Culte de l’Être Suprême », et procéda à la révision complète du système calendaire par un système décimal. Le « Calendrier révolutionnaire français » utilisait dix jours par semaine et se basait sur les saisons. Il espérait que la population perdrait bientôt tout sens de l’existence du dimanche et serait purifiée du parasite de la superstition. Même les plus fidèles partisans de Robespierre pensaient qu’il était allé trop loin, et il fut lui aussi rapidement guillotiné.
En fin de compte, ni le plan Shelburn-Orléans pour un roi jacobin ni le plan Bailly-Lafayette pour une monarchie constitutionnelle n’ont abouti. Mettant momentanément fin à l’époque monarchique, une médiocre ébauche de République voyait le jour sur les cendres d’un traumatique bain de sang purgatif qui avait tué tous les potentiels dirigeants. C’est alors que Gaspard Monge participe à la création de la fameuse École Polytechnique qui jouera un rôle clé dans la création des différents contingents de cadres scientifiques et de militaires, si nécessaires à garantir la survie de la France au milieu des années de guerre qui ont suivi. Gaspard Monge a commenté la situation en disant « qu’il vaut mieux avoir des républicains sans République qu’une République sans républicain ».
Quelle leçon peut-on retenir de ces événements ?
Une révolution n’est pas une bonne ou une mauvaise chose. On lui attribue sa valeur en fonction de l’effet qu’elle a sur les populations et du principe causal dont elle est issue. Contrairement à l’opinion populaire, les révolutions ne sont jamais spontanées et se produisent toujours avec des catalyseurs qui s’inspirent des principes fondamentaux de la nature humaine et des forces historiques.
La FORME qu’un gouvernement prend après une révolution est moins importante que beaucoup ne le pensent aujourd’hui. Si une révolution en faveur de la démocratie se produit quelque part dans le monde, quelle importance peut-elle bien avoir si une élite héréditaire gère le système par le haut ? Cela fait-il de la révolution socialiste une meilleure révolution ? Pas si ses leaders ne se soucient pas vraiment du bien-être du peuple. Quelle que soit la forme de gouvernement, les qualités requises à son aptitude morale se basent sur son engagement envers le bien-être général de tous ses citoyens et de ses voisins ! S’engage-t-elle dans un programme politico-économique et culturel fondé sur l’amélioration constante des esprits, des cœurs et de la vie de tous, ou est-elle vouée au pillage des masses pour le bénéfice de quelques-uns ?
En gardant ces questions à l’esprit, la seule VRAIE révolution qui se déroule aujourd’hui sur Terre et qui reflète le même esprit républicain de 1789 qui animait Jean-Sylvain Bailly, Benjamin Franklin et le marquis de La Fayette est la Nouvelle route de la soie chinoise. Tout ce qui tente à se faire passer pour une révolution en opposition à cette nouvelle dynamique, n’est qu’une contrefaçon sociopathique.
[1] D’autres travaux de Beaudry liés à ses études sur la Révolution française se trouvent dans son livre France, Canada and the American Revolution [« La France, le Canada et la Révolution américaine », ouvrage non traduit en français – NdT] qui se trouve ici dans son intégralité [en anglais – NdT]
[2] L’histoire de La Fayette a été immortalisée dans le chef-d’œuvre singulier de Beethoven, Fidelio. Beethoven, ardent partisan de Friedrich Schiller et de la cause républicaine, croyait à l’instar d’une majorité des plus grands artistes, qu’une ère de raison créatrice s’ouvrait ; ils l’ont cru jusqu’au sabotage de la Révolution française. En évaluant les échecs psycho-spirituels des élites et des masses pendant la Révolution française, Schiller lui-même écrivit ses Lettres Esthétiques (1794) dans lesquelles il disait qu’« un moment d’importance a rencontré un peuple faible »
source : The Jacobin Terror 1789-1794: Just Another Color Revolution?
Traduction : Sott.net
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