François Kersaudy, historien polyglotte, est l’auteur de nombreux ouvrages consacrés à la Seconde Guerre mondiale et de biographies de personnages importants du XXe siècle. Il dirige la collection Maîtres de guerre chez Perrin. Son ouvrage Dix faces cachées du communisme paru il y a quelques mois mérite le détour.
Dès sa préface, François Kersaudy bouscule les idées reçues de l’époque moderne, références à l’appui. Il cite Henri Weber, fondateur de la Ligue communiste révolutionnaire : ” Le logiciel marxiste-léniniste (…) a levé d’immenses espoirs et provoqué d’immenses désastres au siècle dernier. (…) Partout où ils ont été appliqués, (ses dogmes) ont abouti non pas à l’émancipation des salariés mais à leur asservissement, non pas à l’abondance mais à la pénurie ; non pas à l’égalité mais à l’explosion des privilèges ; non pas à la liberté mais au pouvoir absolu et de despotique du chef génial ; non pas à l’Etat de droit mais au règne de l’arbitraire et de la répression de masse ; non pas à la démocratie directe des conseils mais à la dictature totalitaire du Parti-Etat. Il n’y a pas eu d’exception (…) La raison de cette dérive n’est pas à rechercher dans les circonstances, elle est inscrite dans le projet lui-même. “
Qu’une idéologie aussi mortifère puisse encore exercer un attrait et susciter des dévouements fanatiques, voilà qui reste l’une des plus grandes énigmes, souligne François Kersaudy qui emmène ses lecteurs dans une excursion dans les sombres dédales du communisme mondial à travers dix histoires plus que méconnues.
Les 500 tonnes d’or d’Espagne volées par Staline
D’emblée, le premier chapitre maintient le lecteur dans la plus grande curiosité. L’auteur fournit tous les détails du plus grand hold-up de Staline : le vol de l’or de l’Espagne. Lorsque débute en juillet 1936 l’insurrection militaire, le gouvernement présidé par le socialiste Caballero croit pouvoir compter sur un soutien sincère de l’URSS de Staline. Les deux ministres communistes du gouvernement républicain négocient avec l’URSS des fournitures d’armes. Lorsque les troupes franquistes approchent de Madrid, le ministre (rouge) des Finances fait vider la Banque d’Espagne. Il s’agit pour l’essentiel de louis d’or, souverains, dollars, pesetas d’or, pièces de huit, bijoux, biens des églises et devises accumulées par les commerçants durant la Grande Guerre. En tout, dix mille caisses de 75 kg chacune. 500 caisses vont êtres envoyées à Marseille pour payer des achats d’armes faits secrètement par l’intermédiaire de la France. Mais les 9 500 autres caisses vont être confiées à l’URSS ! Caballero s’adresse à l’ambassadeur de l’Union soviétique à Madrid pour demander à l’URSS “qu’une quantité d’or d’environ 500 tonnes soit placée en dépôt au commissariat du peuple aux Finances de l’Union Soviétique”. Au final, ce sont 510 tonnes d’or qui sont expédiées à Moscou en février 1937 sans même un reçu ! Jamais l’Espagne ne reverra cet or. Lorsque vingt ans plus tard, le gouvernement espagnol entreprend des négociations à ce sujet avec l’URSS, il est répondu que tout cela a été dépensé pour venir en aide à l’Espagne et que, d’ailleurs, c’est l’Espagne qui doit encore 50 millions de dollars à l’Union soviétique en raison d’un emprunt contracté à l’époque par le gouvernement de Caballero !
François Kersaudy livre également quelques détails effrayants sur les prisons secrètes encadrées par les conseillers soviétiques durant la guerre d’Espagne, notamment l’ancien couvent des Ursulines aux environs de Valence transformé en prison surnommée “le Dachau de l’Espagne républicaine”. Or les détenus, souvent torturés, étaient tous des rouges, mais qui, pour une raison ou une autre, avaient déplu aux commissaires politiques communistes. Il est également question des 30 000 Espagnols réfugiés en URSS après la victoire de Franco et qui vont vite déchanter, envoyés dans des camps de travail, mourant de faim, de froid ou de tuberculose.
Les faux récits soviétiques parus en Occident
Un autre chapitre démontre comment de nombreux ouvrages édités en Occident, présentés comme les mémoires d’officiers supérieurs soviétiques, du garde du corps de Staline, du neveu de Staline ou encore de Staline en personne, étaient des faux, vraisemblablement rédigés par Grégoire Bessedovsky, obscur informateur-diplomate systématiquement mis en valeur dans chacun de ces faux. Malgré les erreurs flagrantes contenues dans ces ouvrages, ils seront néanmoins cités ensuite comme sources dans de nombreux travaux d’historiens occidentaux. Les fausses mémoires du général Vlassov ont d’ailleurs encore été rééditées en 2022.
L’incroyable vie du général Vlassov
En parlant du général Vlassov, le chapitre que lui consacre François Kersaudy vaut à lui seul l’achat de ce livre. Puisant aux meilleures sources, Kersaudy révèle le parcours plus qu’impressionnant de cet officier. Bien que son père, ancien sous-officier de la garde du Tsar, ait été chassé de sa ferme familiale, que les parents de sa femme aient été dépossédés et exilés, et que son propre frère aîné ait été exécuté en 1929 par la Tchéka, police secrète de Staline, c’est dans l’Armée rouge que Andreï Vlassov a débuté une brillante carrière militaire. Son aptitude au commandement suscite rapidement l’admiration de ses pairs et de ses supérieurs. En 1935, on lui confie un régiment considéré comme le plus mauvais de toute sa région militaire. Au bout d’un an, il fait de ce régiment celui reconnu officiellement comme le meilleur de sa région. En 1938, il est envoyé en Chine comme conseiller militaire, chargé d’aider Tchang Kaï-chek à bâtir son armée. Il échappe ainsi aux purges qui, en URSS, déciment ses collègues et ses supérieurs de l’Armée rouge, même les plus illustres, arrêtés, dégradés, torturés, fusillés ou envoyés mourir dans des camps de travail, victimes de la folie de Staline.
Rappelé à Moscou fin 1939, Vlassov est promu général de brigade, le plus jeune de toute l’armée soviétique. A nouveau, il hérite d’une des plus mauvaises unités qu’il transforme en moins d’un an en la meilleure de toute l’Armée rouge, citée fréquemment en exemple dans les revues militaires. En décembre 1941, son portrait figure en bonne place, avec Joukov, parmi les sauveurs de Moscou. Il est alors le général le plus populaire de l’Union soviétique. En mars 1942, contre l’avis de son état-major, Staline impose une nouvelle offensive au nord de Leningrad, vouée à l’échec, et ordonne à Vlassov de prendre la tête de la manœuvre. Malgré l’héroïsme de Vlassov et de ses hommes, la défaite est programmée. Capturé par les Allemands le 12 juillet 1942, il rencontre des officiers allemands qui l’admirent et le reçoivent avec les honneurs militaires. Plusieurs officiers allemands considèrent, à juste titre, que l’URSS ne sera jamais vaincue sans l’aide des Russes eux-mêmes. Le prestige et le savoir-faire du général Vlassov le désignent tout naturellement pour cette mission. Vlassov n’aime pas l’Allemagne nazie mais il sait à quel point Staline est un fou criminel, responsable des purges, des éliminations systématiques de ses frères d’armes, de la destruction et de la mise en esclavage de la paysannerie russe dont il est issu, des persécutions religieuses et de la terreur policière. C’est contre tout cela que le peuple russe s’est insurgé en accueillant l’armée allemande à bras ouverts durant les premières semaines de l’invasion. Vlassov accepte donc de prendre le commandement de l’Armée de libération russe. On lui promet qu’il pourra recruter des centaines de milliers d’officiers et de soldats parmi les prisonniers soviétiques. Ce qui se produit alors est incroyable : des officiers supérieurs qui ont été capturés devant Kiev, Moscou ou Stalingrad, dont certains sont des commissaires politiques, dont la plupart ont été nommés Héros de l’Union soviétique, qui ont souvent été maltraités par les nazis, décident sur-le-champ de se joindre à Vlassov. Une première académie militaire de la Russie libre est rapidement mise en place, au début de 1943, à 50 km de Berlin. Par groupes de trois mille (!), des militaires y sont formés. Vlassov est accueilli en sauveur dans toute la Russie occupée par les Allemands. Il annonce un programme qui suscite l’enthousiasme : suppression du travail forcé, dissolution des kolkhozes et restitution de la terre aux paysans, abolition de la terreur,… Mais Hitler, méprisant, refuse de voir cette armée russe libre se constituer. Ce n’est qu’en 1945, lorsque tout est déjà perdu pour l’Allemagne, qu’on donne enfin à Vlassov quelques vrais moyens. Mais il est évidemment bien trop tard. Pourtant, même dans ces conditions, une petite unité de volontaires sur l’Oder parvient à obtenir le ralliement de deux régiments soviétiques. Si les moyens lui avaient été donnés comme promis dès 1943, Vlassov aurait pu changer considérablement la répartition des forces sur le terrain militaire russe. Tout début mai 1945, la résistance praguoise non-communiste n’obtient pas l’aide de l’Armée rouge pour se libérer des unités SS qui occupent la capitale tchèque. La résistance praguoise fait alors appel à l’Armée de libération russe de Vlassov et voilà que 25 000 hommes, portant des uniformes allemands flanqués de cocardes tricolores russes et de croix de saint André, parlant russe et fraternisant avec la population, chassent les SS de la ville avant de quitter à leur tour les lieux, l’Armée rouge approchant en force.
L’état-major de Vlassov croyait pouvoir négocier avec le commandement américain pour continuer ensemble le combat contre Staline. Le désenchantement fut rude. Capturés par les soviétiques pour les uns, livrés par les Américains aux Soviétiques pour les autres, les hommes de l’Armée de libération russe de Vlassov seront torturés puis exécutés dans les pires conditions.
Ex Libris
Dix faces cachées du communisme, François Kersaudy, éditions Perrin, 428 pages, 23 euros
A commander en ligne sur le site de l’éditeur
https://www.medias-presse.info/dix-faces-cachees-du-communisme/185850/
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