jeudi 4 avril 2024

L’Europe d’une guerre à l’autre (XV – 1) – La Pologne trahie

 

Par Nikolay STARIKOV – ORIENTAL REVIEW 

La vérité sur les racines du conflit germano-polonais qui a mené à la Seconde Guerre Mondiale a toujours été soigneusement dissimulée. Afin de masquer le détestable agenda politique des puissances occidentales, le mythe a d’abord circulé qu’Hitler était fou, possédé par une manie de s’emparer du monde, et que par conséquent sa nature agressive l’a forcé à attaquer tous ses voisins un par un, jusqu’à ce qu’il soit finalement puni par les forces de l’humanité progressiste. Encore plus, ces dernières années, un nouveau mythe a été inventé selon lequel la Seconde Guerre Mondiale était en fait une bagarre entre deux dictateurs, au cours de laquelle des “victimes innocentes” comme la Pologne et les États baltes avaient été broyées par les meules de l’histoire.

Mais en 1939, Hitler ne pensait pas à une guerre majeure et ne rêvait certainement pas d’une domination mondiale. Il voulait devenir un partenaire égal des États-Unis et de la Grande-Bretagne et ne se préparait nullement à les combattre. Mais ce n’est pas si facile d’être admis dans le club des puissances élues. Pour l’Allemagne hitlérienne, le «ticket d’entrée» devait être la destruction de l’Union Soviétique.

C’est seulement quand Hitler a refusé de poursuivre le scénario qui avait été tracé pour lui à Londres (l’annexion de la Ruthénie subcarpathique en mars 1939, qui aurait servi de casus belli direct pour la guerre avec l’Union Soviétique), que l’Occident a soudain pris une position sévère et implacable contre le Führer. On a entendu des discours des dirigeants de l’Angleterre et de la France dénonçant la nature agressive d’Hitler. Les alliés de Londres et de Paris relevèrent d’autant plus la tête, surtout les Polonais.

A l’époque cela semblait très étrange. Après tout, les relations de Varsovie avec l’Allemagne nazie avaient été plutôt tendres et amicales, ce qui n’est pas surprenant: les deux puissances devaient leur ascension à la Grande-Bretagne, à la France et aux États-Unis. Tout doute à ce sujet peut être levé en regardant la date à laquelle la Pologne est née: le 11 novembre 1918. C’était le 11 novembre 1918 que la délégation allemande a signé avec les Alliés dans la forêt de Compiègne un armistice qui ressemblait tellement à une reddition inconditionnelle ! Les patriotes polonais avaient décidé de déclarer immédiatement l’indépendance de leur pays, en profitant du soutien inconditionnel des vainqueurs. Il n’est pas étonnant que la Grande-Bretagne, la France et les États-Unis aient officiellement reconnu la Pologne le jour suivant. C’est ainsi que commence l’histoire mouvementée de la renaissance de l’Etat polonais.

Josef Pilsudski à Minsk, 1919
Josef Pilsudski à Minsk, 1919

Moins de six mois plus tard, en mars 1919, les Polonais commencèrent à bricoler activement une «Grande Pologne» à l’intérieur de ses frontières du XVIe siècle. Et puisque cela nécessitait de réquisitionner des parties de la Russie, ils ne manquaient pas d’aides et de sponsors. Les Américains s’était chargés d’équiper entièrement l’armée polonaise. Ils ont habillé les soldats de façon impeccable et les ont bien nourris. Cependant, une plus grande Pologne “de la mer à la mer ensoleillée” n’a pas pu être établie.

Mais les Polonais n’avaient pas perdu leur belligérance. Repoussés à l’Est, ils avaient commencé à marauder dans l’Ouest. En octobre 1920, violant sans le vergogne l’accord de Suwałki, les forces polonaises avait pris Wilno (Vilnius) et la région de Vilnius de la Lituanie nouvellement indépendante. Sept mois plus tard, la Pologne avait commencé l’invasion d’une Allemagne tombée dans l’anarchie et le chaos. Le but de l’invasion était de prendre la Haute-Silésie, riche en industries et en mines de charbon. Le contexte historique de cette agression est très intéressant. Lors de la conférence de paix de Versailles, il avait été décidé de résoudre pacifiquement le différend germano-polonais par un référendum. La Pologne avait furieusement agité la partie polonaise de la population et avait même provoqué des insurrections à plusieurs reprises, voulant mettre l’Allemagne et la communauté internationale devant le fait accompli de la Pologne. Cependant, des volontaires allemands et la police avaient réprimé les tentatives de coup d’état, et  le vote a quand même eu lieu le 20 mars 1921 . Ceux qui soutenaient l’incorporation à l’Allemagne ont gagné, recueillant presque deux fois plus de voix que leurs adversaires.

Une affiche polonaise de propagande: Votez pour la Pologne et vous serez libre ...
Une affiche polonaise de propagande: Votez pour la Pologne et vous serez libre …

Après avoir perdu le plébiscite, la Pologne mena un soulèvement en Silésie, soutenu par une invasion de l’armée polonaise le 3 mai 1921 . La Grande-Bretagne, la France et les États-Unis avaient encouragé cette agression et avaient ordonné au gouvernement de Weimar de ne pas permettre à l’armée allemande de résister aux Polonais. Si la Reichswehr devait s’impliquer, les alliés interviendraient en faveur de la Pologne. Ainsi, l’armée allemande ne fit rien et seules des unités de volontaires allemands (les «Freikorps») s’étaient battus contre les Polonais. En conséquence, les Allemands ont été repoussés et une partie de cette province fut capturée. En octobre 1921, la Conférence des ambassadeurs des principales puissances alliées et associées, ignorant les résultats du vote, légitima l’annexion polonaise et décida de transférer 30% de la Haute-Silésie à la Pologne (dont 30% contenaient 95% des réserves de charbon de la région).

La nouvelle Pologne est née dans une atmosphère d’agression et de violation des traités. Ce genre de réputation, ainsi que l’existence de camps de concentration, semble incompatible avec l’idée d’un État démocratique. Cependant, la Pologne, la future «victime» de l’agression nazie, n’a jamais été un état démocratique. Une fois Józef Piłsudski installé comme dirigeant de la Pologne en 1926, le gouvernement polonais devint une dictature militaire à égalité avec celle des nazis. Il n’est pas surprenant que malgré le conflit sur la Silésie, une fois Adolf Hitler arrivé au pouvoir, l’Allemagne et la Pologne aient développé des relations très chaleureuses. La Pologne a été le premier pays avec lequel le nouveau Chancelier allemand a signé un important document de politique étrangère: le 26 janvier 1934, l’Allemagne et la Pologne ont conclu un pacte de non-agression de dix ans. Cela a été suivi par beaucoup plus de négociations bilatérales qui ont en commun une caractéristique – elles incluraient des discussions d’action commune à prendre contre l’Union Soviétique.

pacte germano-polonais 20180102

Les pourparlers entre l’Allemagne nazie et la Deuxième République polonaise au sujet d’une marche commune sur l’URSS ont duré longtemps, mais jusqu’à ce que Hitler approche des frontières soviétiques, ils étaient plus théoriques que pratiques. La division sans scrupule de la Tchécoslovaquie en octobre 1938, bénie par les puissances occidentales (la Pologne occupait alors la région de Těšín) était l’avancée la plus notable de l’armée allemande au plus près de l’Union Soviétique. Il était prévu de régler les différends territoriaux entre l’Allemagne et la Pologne de la même manière, c’est-à-dire à l’amiable. ” En 1938, les Alliés convinrent que la Pologne deviendrait un satellite allemand “, comme si de rien n’était, écrit l’historien britannique AJP Taylor. Le “pic” de l’amitié germano-polonaise – leur “lune de miel” – a été pendant la période ” post-Munich “: fin 1938 – début 1939 …

Avec l’ascension de Hitler au pouvoir, les Polonais avaient développé une attitude idiosyncratique envers les Allemands. Des organisations pro-nazies d’Allemands ethniques, comme l’ Union populaire allemande en Pologne et le Parti allemand des jeunes en Pologne, commencèrent à se développer rapidement. Ces deux organisations étaient financées et dirigées depuis l’Allemagne et avaient même envoyé un représentant au Sejm polonais. Les idées nazies étaient activement médiatisées et promues parmi les Allemands locaux. En 1937, environ 105 journaux et magazines de langue allemande étaient publiés en Pologne, et une vingtaine d’entre eux étaient des publications quotidiennes. La grande majorité de ces périodiques étaient contrôlés par le ministère de la propagande du Reich, dirigé par Joseph Goebbels .

Kurt Daluege (premier rang, 4ème à partir de la gauche) et le Général Joseph Kordian Zamorski (premier rang, 5ème à partir de la gauche) à Cracovie, novembre 1936. Source: Archives Numériques Nationales de Pologne.
Kurt Daluege (premier rang, 4ème à partir de la gauche) et le Général Joseph Kordian Zamorski (premier rang, 5ème à partir de la gauche) à Cracovie, novembre 1936. Source: Archives Numériques Nationales de Pologne.

Des liens entre les deux gouvernements ont également été établis à différents niveaux. D’éminents Polonais ont rendu des visites amicales au Troisième Reich, et les dirigeants nazis ont fait de même avec leur «frère» de Pologne. En janvier 1938, le SS-Oberst-Gruppenführer Kurt Daluege vint à Varsovie, et deux mois plus tard, il partit pour Vienne organiser un «référendum».Daluege, un commandant de la police allemande (Sipo), a naturellement partagé les «secrets» de sa profession avec le général Kordian Zamorski, le chef de la Police d’état polonaise. Cependant, le “pan generał” a certainement apporté sa propre contribution. La police polonaise emploie dans son travail des méthodes encore plus cruelles que celle des Allemands: coups, tortures et arrestations injustifiées. Ils avaient l’habitude d’abattre les détenus au moindre signe de résistance ou tentative de s’échapper. À qui les policiers polonais s’en sont-ils pris de manière si impitoyable? Aux criminels et aux pickpockets ? Non, aux opposants politiques de la classe dirigeante à Varsovie, aux communistes et aux nationalistes ukrainiens.

La coopération allemande et polonaise était si étroite que Kordian Zamorski avait reçu une invitation à participer au rassemblement de Nuremberg du parti nazi en tant qu’invité (!). C’est là que le “Genosse” polonais rencontra Hitler lui-même. Il était rare que des étrangers soient invités à un rassemblement du NSDAP, et encore moins soient honorés d’une conversation personnelle avec le Führer. Mais Hitler et ses acolytes avaient toujours une politique de la porte ouverte pour les Polonais. Et ce n’était pas seulement dans l’Allemagne nazie que la courageuse police polonaise était appréciée et respectée. Un mois plus tard, le 7 octobre 1938, le général Kordian Zamorski rendait visite à Kurt Daluege à Berlin, durant son voyage à Rome pour le congrès du parti fasciste italien.

Le Reichsführer et plus tard Chancelier de l'Allemagne nazie Himmler et Kordian Zamorski
Himmler et Kordian Zamorski

Mais l’amitié germano-polonaise ne se limita pas à ce lien personnel entre les chefs de sécurité des deux pays: en décembre 1938, le ministre allemand de la Justice, Hermann Frank, se rendit à Varsovie et même Heinrich Himmler arriva le 18 février 1939. Les autorités polonaises ne furent pas découragées par l’antisémitisme féroce des nazis et cela ne gêna en rien leur solide amitié germano-polonaise.

Hitler, qui était encore prêt (à l’époque) à remplir ses obligations envers l’Occident, se concentra principalement sur deux questions concernant sa relation avec Varsovie: le retour au Reich des terres qu’il avait perdues en Pologne après la Première Guerre Mondiale, et le soutien militaire de l’armée polonaise lors de sa future attaque contre l’Union Soviétique. Comme le deuxième point était extrêmement important pour Hitler, il a abordé le premier problème discrètement et par la diplomatie. Hitler se comportait comme un gentilhomme envers la Pologne – tant que les Polonais eux-mêmes ne faisaient aucun geste précipité ou effronté pour gâcher leur relation avec le Reich dans l’obéissance à un ordre de Londres.

Nous verrons le pourquoi et le comment de ce qui s’est passé dans la deuxième partie de “La Pologne trahie”.

Le général polonais Malinowski expliquant la situation opérationnelle aux invités allemands nazis lors de manœuvres militaires en Volhynie (actuellement l'Ukraine occidentale) en 1938. Cette démonstration visait à prouver la capacité des Polonais à vaincre l'Armée rouge.
Le général polonais Malinowski expliquant la situation opérationnelle aux invités allemands nazis lors de manœuvres militaires en Volhynie (actuellement l’Ukraine occidentale) en 1938. Cette démonstration visait à prouver la capacité des Polonais à vaincre l’Armée rouge.

Traduit du Russe par ORIENTAL REVIEW

Source : https://orientalreview.org/2015/03/21/episode-15-poland-betrayed-i/

et https://orientalreview.org/2015/03/28/episode-15-poland-betrayed-ii/

Traduction : Avic– Réseau International

Photo: Pacte germano-polonais: Hans von Moltke, Jozef Pilsudski, Joseph Goebbels et Jozef Beck, lors de la visite du ministre allemand à Varsovie, en juin 1934.

https://reseauinternational.net/leurope-dune-guerre-a-lautre-xv-1-la-pologne-trahie/

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