Par Nikolay STARIKOV – ORIENTAL REVIEW
Voyons maintenant les dates et les événements de cette tempête de mars 1939, afin d’établir avec certitude qu’Hitler a subitement été redéfini comme un ” agresseur “, non pas parce qu’il a pris le contrôle de la Tchécoslovaquie qui était sans défense, mais parce qu’il l’a fait d’une manière totalement contraire à ce qui avait été négocié avec les représentants de l’Occident.
14 mars 1939. La Slovaquie déclare son indépendance et demande protection. Le président tchèque Emil Hácha se rend à Berlin de son propre chef.
15 mars 1939. Le président Hácha signe un accord pour incorporer les terres tchèques dans le Troisième Reich sous le nom de protectorat de Bohême et de Moravie, et conserve ainsi sa position de chef du pays. A 6h00, sans annonce officielle, les unités de l’armée hongroise commencent leur occupation de la région subcarpathique.
Le gouvernement britannique avait reçu des informations explicites sur les événements à venir quatre jours plus tôt. Par conséquent, la Grande-Bretagne a réagi aux mouvements de «l’agresseur» de manière très calme et amicale, comme l’a dit dans son discours le Premier ministre Chamberlain : « … la Diète slovaque a déclaré l’indépendance de la Slovaquie. L’effet de cette déclaration a mis fin à la désorganisation interne de l’Etat dont nous avions proposé de garantir les frontières… et le Gouvernement de Sa Majesté ne peut donc plus se tenir pour lié par cette obligation. “En d’autres termes, il n’y a pas eu violation de l’accord de Munich. La Tchécoslovaquie s’est désintégrée toute seule …
Le même jour, l’ambassadeur britannique, Nevile Henderson, envoya une note au gouvernement allemand: «Le gouvernement de Sa Majesté ne désire pas intervenir inutilement dans une affaire dans laquelle d’autres gouvernements pourraient être plus directement concernés …» [1]
L’Angleterre n’exprime pas de mécontentement, mais tente de maintenir une façade de respectabilité en se cachant derrière une profusion de phrases fleuries. Cela signifie que pour l’instant tout se déroule conformément au script convenu.
16 mars 1939. Hitler répond à la demande des Slovaques d’être pris sous sa protection, mais ne signe pas encore de traité avec eux. Une atmosphère d’incertitude règne, comme si les questions clés pour les diplomates occidentaux – l’incorporation de la Slovaquie et de la Ruthénie subcarpathique – étaient enveloppées de brouillard.
17 mars 1939. Dans une note spéciale, le gouvernement allemand proclame au monde l’établissement du protectorat de Bohême et de Moravie. Le brouillard voilant les actions de l’Allemagne a commencé à se dissiper – Hitler n’a annexé que les terres tchèques. La Slovaquie n’a toujours pas de traité avec l’Allemagne, à l’exception de la promesse verbale du Führer de prendre cette nation slave sous sa protection. Mais quelque chose d’étrange se préparait dans la Ruthénie subcarpathique: des troupes étaient entrées et il y avait des combats, en plus de la déclaration des dirigeants hongrois concernant la prise de contrôle de la région. Ces événements avaient manifestement fait dérailler les plans soigneusement élaborés, mais à l’époque aucune image complète et claire de la situation n’était disponible. Les dirigeants occidentaux ont commencé à s’inquiéter.
C’est alors que le premier ministre britannique, Neville Chamberlain, commence soudain à y voir clair. Dans son discours à Birmingham, il se rétracte de ses propres mots deux jours auparavant. Ceux qui étaient en Grande-Bretagne et dans le monde entier (le discours était diffusé par radio) ont pu écouter le chef de l’une des grandes puissances inverser complètement son évaluation de la disparition de la Tchécoslovaquie deux jours auparavant. [2]
Mais rien de nouveau ne s’était passé entre le 15 et le 17 mars ! Hitler avait déjà pris possession des terres tchèques, une action dans laquelle ni le Foreign Office britannique, ni Chamberlain lui-même, n’avaient rien vu de «criminel». Deux jours passent, et ensuite Chamberlain s’excuse pour sa précédente «déclaration faite avec beaucoup de retenue et de prudence … quelque peu tranquille et objective» Mais il poursuit sur un tout autre ton:« … nous avions déclaré que toute autre question qui pourrait concerner nos deux pays devrait être traitée par la méthode de la consultation… La question ne se pose-t-elle pas inévitablement dans nos esprits, s’il est si facile de découvrir de bonnes raisons d’ignorer des assurances si solennellement données et à plusieurs reprises, quelle confiance peut-on accorder à d’autres assurances provenant de la même source? »” [3]
Que s’est-il passé pendant ces deux jours qui a directement inquiété le gouvernement de la Grande-Bretagne? Y a-t-il eu quelque chose de nouveau concernant les Tchèques? Non, ce pays n’existait plus au moment où la première note a été écrite. La Slovaquie a-t-elle subi une métamorphose? Non, elle avait déclaré son indépendance et cela n’avait pas été refusé. L’entrée des troupes hongroises en Sub-Carpathie avait-elle vraiment jeté un si grand voile sur l’amitié germano-britannique? Qu’est-ce que Hitler avait fait au cours des deux derniers jours qui soit tellement extrême que le chef du gouvernement britannique commence à s’adresser à lui différemment? POUR LA PREMIÈRE FOIS, Hitler refusait de se comporter de la manière qui lui était proposée. Maintenant, ils ne pouvaient plus être certains que l’Allemagne attaquerait l’URSS dans un avenir proche!
Mais il était encore possible pour Hitler de rectifier la situation. Il pourrait annexer la Slovaquie au Reich et ainsi revenir au scénario convenu précédemment. Par conséquent, bien que des notes de fermeté aient pu être entendues dans le discours de Chamberlain, elles ne marquaient pas un véritable tournant. C’était un avertissement.
18 mars 1939. Hitler s’envole pour Vienne pour célébrer l’anniversaire de l’Anschluss. Les troupes hongroises entrent dans la capitale de Sub-Carpathie, la ville de Hust.
19 mars 1939. Paris et Londres analysent fiévreusement la situation qui était en train de se développer. L’ambassadeur français en Allemagne, Robert Coulondre, déclare au ministre des Affaires étrangères français, Georges Bonnet: « Après l’annexion de la Bohême et de la Moravie par le Reich et le transfert de la Slovaquie à la tutelle allemande, je voudrais essayer de décrire la situation résultant de ces changements, qui a radicalement changé la carte de l’Europe, afin de déterminer dans quels domaines le dynamisme allemand va s’étendre, et d’examiner si nous croyons encore que ce dynamisme est dirigé uniquement vers l’est, et tirer les conclusions pratiques de tout cela pour nos dirigeants. Il y a des preuves que lors de la planification des opérations contre la Bohême et la Moravie, les dirigeants nazis ont également envisagé que dans un avenir assez proche, ils pourraient même aller plus loin vers l’Est. Selon les informations que nous avons à l’heure actuelle, il y a lieu de penser que l’armée allemande avait l’intention d’occuper toute la Slovaquie et même la Ruthénie subcarpatique, » [4] lit-on dans la lettre de Coulondre.
Il y a encore de l’espoir que Hitler avance vers l’Est s’il est correctement mis au pas.
20 mars 1939. Le gouvernement américain rappelle son ambassadeur de Berlin en signe de protestation contre le démembrement de la Tchécoslovaquie qui avait eu lieu cinq (!) Jours auparavant.
21 mars 1939. Le gouvernement lituanien reçoit une note de Berlin selon laquelle ses plénipotentiaires doivent arriver à Berlin le lendemain dans un avion spécial pour signer les papiers nécessaires au transfert du district de Memel à l’Allemagne. [5] Un refus conduira à l’usage de la force par le gouvernement allemand. La Lituanie toute seule ne peut pas combattre l’Allemagne, et l’Angleterre et la France ne font aucune déclaration pour sa défense, car elles essaient de donner un sens à l’évolution de la situation.
Les diplomates européens ne sont manifestement pas sur le point de s’engager dans les affaires lituaniennes car il devient clair qu’Hitler échappe à tout contrôle. Le président de la République française, accompagné de son ministre des Affaires étrangères, effectue un voyage urgent dans la capitale britannique pour une visite officielle. “Le Chambellan français suggéra que leurs deux pays se joignent à la Pologne et à l’Union Soviétique dans une déclaration formelle déclarant que les quatre nations se consulteraient immédiatement sur les mesures à prendre pour stopper toute nouvelle agression en Europe.” [6]
“Les dirigeants européens comprenaient soudain le caractère agressif d’Hitler et se rendaient compte que la seule façon de l’arrêter n’était pas par des concessions, mais par la force”, c’est ainsi du moins que les historiens interprètent les actions des politiciens britanniques et français. Mais cela ne tient pas compte du fait que, le 18 mars, le commissaire du peuple soviétique aux affaires étrangères Maxim Litvinov avait déjà suggéré de convoquer une conférence européenne, à laquelle assisteraient la France, l’Angleterre, la Pologne, la Russie, la Roumanie, et la Turquie. » L’Union Soviétique avait fait la même proposition que le Royaume-Uni, mais à cette époque, Chamberlain avait jugé l’idée « prématurée » et le gouvernement français n’avait même pas honoré Moscou d’une réponse. Pourquoi le Premier ministre britannique a-t-il rejeté la suggestion des diplomates soviétiques? Pourquoi les dirigeants de la France n’ont-ils même pas répondu? Parce que cet Hitler «agressif» avait dévoré, trois jours auparavant, ce qui restait de la Tchécoslovaquie. Qu’attendait le chef du gouvernement britannique? Que les troupes allemandes se retirent “soudain” des terres tchèques et slovaques? Non, Chamberlain donnait le temps à Hitler de revenir à la raison. Et d’incorporer la Ruthénie subcarpathique dans le Reich.
Le 23 mars 1939. Tôt le matin du 23 mars (à 1h30 du matin), la Lituanie signe un accord de cession de Memel à l’Allemagne. Comme concession, les Lituaniens bénéficient d’une zone franche dans ce port qui leur a été enlevé. Londres ou Paris n’ont pas réagi à cette annexion allemande, en dépit du fait que l’Angleterre et la France étaient les garantes du statut de Klaipėda.
Maintenant, il n’y avait aucune raison de retarder une décision concernant la Slovaquie. Immédiatement après la signature des documents avec la Lituanie dans la capitale du Reich, un «Traité de protection» entre Berlin et Bratislava est signé. Cette torpeur étrange de la part de Hitler, qui était un adepte des actions de type Blitzkreig, était motivée par le désir de créer une situation incertaine. Hitler était si rusé que les diplomates occidentaux ne savaient pas comment le gérer. Le Führer allemand ne semblait pas violer les accords, mais il prenait des mesures qui étaient en contradiction avec ce qui avait été arrangé à Londres. Et tandis que l’Occident étudiait et évaluait les actions du chancelier allemand, il augmentait la pression, reprenant les territoires que l’Allemagne avait perdus à la fin de la Première Guerre Mondiale.
Après avoir mis l’Angleterre et la France devant le fait accompli, Hitler était alors prêt à entamer le prochain tour de négociations avec ses partenaires. Mais maintenant, sous les termes d’une nouvelle situation et de nouvelles conditions. Adolf Hitler avait des raisons très importantes de croire au succès de ces pourparlers. En dépit de toutes les protestations bruyantes à propos de la pauvre et malheureuse Tchécoslovaquie, la Banque d’Angleterre avait donné à l’Allemagne chaque penny des réserves d’or tchèques qui étaient stockées à Londres – la totalité des six millions de livres. [7]
Et le 30 mai 1939, le secrétaire d’Etat au ministère allemand des affaires étrangères, Ernst Freiherr von Weizsäcker, informa le chargé d’affaires soviétique à Berlin, Georgy Astakhov, qu’il y avait une chance d’améliorer les relations soviéto-allemandes. Le diplomate allemand souligna qu’en refusant de prendre la Ruthénie subcarpathique, un motif de guerre avait été éliminé … et l’URSS et l’Allemagne commencèrent à se diriger vers le pacte de non-agression si détesté par l’historiographie occidentale.
Notes :
[1] Shirer, William. La montée et la chute du troisième Reich. P. 451
[2] Les gouvernements de tous les pays occupés par les Allemands ont trouvé refuge à Londres pendant la Seconde Guerre Mondiale. Et la direction de la Tchécoslovaquie n’a pas fait exception. Ce qui est intéressant, cependant, c’est la date de sa “création” dans la capitale anglaise: juillet 1940! En d’autres termes, 16 mois après la disparition de la Tchécoslovaquie de la carte politique. Pourquoi les Britanniques ont-ils mis si longtemps à accepter la création de ce nouveau gouvernement d’un pays «victime de l’agression allemande»? Parce qu’ils espéraient encore parvenir à un accord amiable avec Hitler et tentaient une fois de plus de ne pas le mettre en colère. Ce n’est qu’après la signature par la France d’un armistice le 22 juin 1940 dans la forêt de Compiègne, et le début d’une période très difficile qui commençait pour la Grande-Bretagne, que les Anglais se trouvèrent dans le besoin de tous leurs alliés. Ce n’est qu’alors que le nouveau gouvernement de la République tchécoslovaque a pu trouver un logement, du temps et de l’argent.
[3] McSherry, James. Staline, Hitler et l’Europe: les origines de la Seconde Guerre Mondiale, 1933-1939.Pg. 130
[4] Documents et matériaux Du point de vue de la Seconde Guerre Mondiale (édition russe), Moscou, 1948.Vol. 2.Pgs.49-50.
[5] La ville de Memel est actuellement connue sous le nom de Klaipėda.
[6] Shirer, William. La montée et la chute du troisième Reich. Pg. 460.
[7] Preparata, Guido Giacomo. Conjurer Hitler. Comment la Grande-Bretagne et l’Amérique ont fait le Troisième Reich. Pg. 242.
Traduit du Russe par ORIENTAL REVIEW
Traduction : Avic– Réseau International
Photo: 15 mars Hitler fait envahir la Bohême-Moravie.
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