… Ce qui aurait sans doute définitivement changé le cours de la guerre.
Par Michael Peck
L’Allemagne nazie fut largement vaincue par l’URSS – mais pas uniquement par elle. Mais si l’Allemagne nazie et l’Union Soviétique avaient été des alliées plutôt que des ennemies ? Et si l’Amérique, la Grande-Bretagne et leurs alliés avaient dû affronter l’immense Armée rouge soutenue par les prouesses militaires et la sophistication technologique de la Luftwaffe, des Panzers et des U-Boots ?
Cette vision apocalyptique d’un nouvel Âge des ténèbres a bien failli arriver. Au début de la Seconde Guerre Mondiale, la Grande-Bretagne et la France projetèrent de bombarder les champs pétroliers russes dans le but de gêner Hitler. Mais la conséquence aurait probablement été de l’aider à gagner la guerre.
L’idée était stupide, mais pas irrationnelle. À la fin de 1939, la Grande-Bretagne et la France étaient convaincues que l’Allemagne et la Russie étaient déjà alliées. Staline avait essayé de former une coalition anti-nazie avant la guerre, mais il avait rencontré une telle résistance et de telles hésitations qu’il s’était convaincu que les capitalistes souhaitaient impliquer l’Allemagne et la Russie dans une guerre d’usure mutuelle tout en restant de côté.
Au moment où Londres et Paris tergiversaient pour s’allier avec les communistes, Berlin n’hésita pas : le 23 août 1939, l’Allemagne et la Russie signèrent le Pacte Ribbentrop-Molotov. La Russie y gagnait la Pologne orientale et les États baltes, un futur espace-tampon pour renforcer sa défense militaire, et la perspective que l’Allemagne et les puissances occidentales s’épuiseraient mutuellement alors que la Russie développerait sa puissance.
Mais le vrai gagnant fut le Führer : le traité laissait le Troisième Reich libre d’engloutir la Pologne et l’Europe occidentale sans craindre l’ouverture d’un second front à l’Est. Fait tout aussi important, les Soviétiques acceptaient de fournir des matières premières vitales au Troisième Reich, en particulier du pétrole, ce qui assurait la bonne marche de l’économie de guerre allemande en brisant le blocus naval allié qui s’était avéré si décisif pendant la Première guerre mondiale.
Aux yeux des Alliés, l’Union soviétique était donc passée de l’état d’ennemi juré de l’Allemagne à celui d’allié. Alors pourquoi ne pas frapper l’URSS et faire d’une pierre deux coups ? Peut-être y avait-il aussi du ressentiment face à la sitzkrieg, car les armées alliées étaient restées les bras ballants derrière la ligne Maginot pendant que les Allemands envahissaient la Pologne et la Scandinavie. Bombarder la Russie devait sembler plus facile que de se confronter à l’armée allemande sur le champ de bataille.
Ainsi naquit l’Opération Pike. Décollant des bases alliées en Iran et en Syrie, ainsi que de la Turquie neutre quoique anti-soviétique, plus d’une centaine de bombardiers britanniques et français devaient attaquer sans répit les champs de pétrole soviétiques du Caucase, lors d’une campagne de bombardement stratégique nocturne. La planification opérationnelle était déjà assez avancée : des avions de reconnaissance britanniques sans insignes, volant depuis les aérodromes irakiens avaient photographié des installations pétrolières de Bakou et Batoumi en mars 1940.
Les stratèges alliés étaient confiants de porter ainsi un coup puissant. Les bombardements nocturnes effectués par les Britanniques en 1940-1941 étaient tellement imprécis que les Allemands les avaient à peine remarqués : seules quelques bombes avaient été larguées, et à des kilomètres de leur cible. Même en 1944, les milliers de bombardiers de la Royal Air Force, soutenus par le radar et les technologies de navigation les plus sophistiquées de l’époque, écrasèrent entièrement des villes allemandes parce qu’ils ne pouvaient pas détruire des cibles plus précises.
Or, comme les Allemands l’ont prouvé, les installations endommagées par les bombes peuvent être réparées avec une rapidité remarquable. Un bombardier Lancaster de 1944 pouvait emporter 7 tonnes de bombes, un Blenheim de 1940 seulement une demi-tonne. Seul le plus profond orgueil (qui affligeait en effet les adeptes de bombardements stratégiques tout au long de la Seconde guerre mondiale) pouvait faire croire qu’une centaine de bombardiers rudimentaires datant de la Première guerre pourraient dévaster l’industrie pétrolière soviétique.
Dans son livre Operation Pike [En pdf, NdT], Patrick Osborn souligne également les faits suivants : les services secrets alliés avaient conclu que le pétrole russe ne représentait qu’une petite partie de l’approvisionnement en carburant de l’Allemagne, dont une grande partie provenait de Roumanie. « Ce qui importe ici, ce n’est pas l’exactitude des rapports des services de renseignement britanniques, mais le fait que les dirigeants britanniques et français étaient prêts à les ignorer afin de poursuivre leur idée d’attaquer l’URSS pour faire tomber l’Allemagne : le principe de faire d’une pierre deux coups les mena à des raisonnements absurdes. »
Quoi qu’il en soit, la fortune, ou plutôt l’infortune, sauva le monde : en mai 1940, les panzers allemands surgirent à travers les Pays-Bas pour envahir la France. Et six semaines plus tard, la France se rendait. L’Opération Pike ne devait donc pas se dérouler. Sauf que, au moment où les armées d’Hitler parurent sur le point de s’emparer des champs pétrolifères du Caucase en 1941-42, la Grande-Bretagne fit à nouveau des plans pour bombarder les installations pétrolières au cas où les Soviétiques ne parviendraient pas à les détruire avant leur capture. Point intéressant, les Britanniques semblaient déterminés à combattre les Soviétiques pour atteindre leur objectif.
Ironiquement, comme le note Osborn, au lieu de nuire à l’Allemagne, les bombardements auraient affaibli le régime soviétique qui était le bouclier de la coalition contre les nazis : « Quelqu’un aurait dû combler le vide politique laissé par un effondrement de l’État stalinien, et en toute probabilité cela aurait été Hitler. »
Cependant, le vrai « et si ? » serait advenu à l’été de 1940. Car si l’opération Pike avait été lancée avant la capitulation de la France, le gouvernement britannique se serait retrouvé dans la situation de combattre une alliance entre les Nazis et les Soviétiques, sans allié français et alors que les États-Unis étaient toujours retirés derrière leurs murs isolationnistes. Or certains dirigeants britanniques, comme Lord Halifax, avaient donné leur faveur à un accord de paix avec Hitler. Si la Grande-Bretagne avait également été en guerre contre l’Union soviétique, peut-être que même le dur-à-cuire Winston Churchill n’aurait pas trouvé le courage de continuer ce qui aurait alors semblé une guerre sans espoir.
Bien sûr, même si les bombardements alliés avaient pour un temps uni Hitler et Staline, leur romance était condamnée d’avance. Les deux prédateurs avides d’autres proies se seraient inévitablement retournés l’un contre l’autre. Néanmoins, l’Opération Pike aurait pu changer le cours de l’histoire mondiale.
Par chance, le monde n’a jamais eu l’opportunité de le savoir.
Michael Peck
Michael Peck, un collaborateur fréquent de TNI, est un défenseur et écrivain historique basé dans l’Oregon. Son travail a été publié dans Foreign Policy, WarIsBoring et de nombreuses autres publications de qualité. On peut le trouver sur Twitter et Facebook.
Source The National Interest
Traduit par Stünzi pour le Saker francophone
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