mercredi 27 mars 2024

L’Europe d’une guerre à l’autre (XIII – 1) – Pourquoi Londres a-t-il donné Vienne et Prague à Hitler ?

 

Par Nikolay STARIKOV – ORIENTAL REVIEW 

Les frontières d’État sont établies par des êtres humains  et peuvent être modifiées par des êtres humains.
Adolf Hitler.   Mein Kampf

 La diplomatie, avec toutes ses formes conventionnelles, ne reconnaît que des faits réels.
Charles de Gaulle

Toutes les actions d’Adolf Hitler, depuis son accession au pouvoir en 1933 jusqu’en 1939, peuvent être décrites comme une série de de triomphes successifs.  Il a relevé tous les défis qui l’attendaient: il a pris la tête du pays, restitué sans lutte les territoires perdus de l’Allemagne et a été autorisé par l’Angleterre et la France à se réarmer.  Mais une autre tâche l’attendait, et l’échec aurait rendu presque inutiles toutes ses réalisations antérieures. L’Allemagne, nouvelle, puissante et sûre d’elle, devait attaquer l’URSS. Son armée avait besoin d’une rampe de lancement où elle pourrait déployer son armée pour l’invasion. Sinon, il serait impossible de poignarder la Russie. Après tout, peu importe le nombre de chars et d’avions possédés par Hitler, qu’ils soient anciens ou nouveaux, tant que l’Allemagne n’avait pas de frontière commune avec l’Union Soviétique. Les diplomates d’Angleterre et de France se sont battus pour résoudre ce problème.

Expansion territoriale de l'Allemagne nazie 1933-1939
Expansion territoriale de l’Allemagne nazie 1933-1939

Jusque-là, comme dans le cas de la Sarre et de la Rhénanie, Hitler avait repris des terres qui appartenaient auparavant à l’empire du Kaiser, et les politiciens occidentaux lui avaient accordé pour la plupart une «indulgence». Après tout, les Allemands ne recouvraient que ce qui était “à eux”, et ainsi nous détournerons nos yeux.

Mais la situation venait maintenant de changer. L’Autriche était devenue la première victime véritablement «étrangère» de Hitler. Et ce n’était pas parce que c’était le lieu de naissance du futur Führer allemand, Adolf Schicklgruber. Nous ne mentionnerons pas non plus la parenté entre les Allemands ethniques d’Allemagne et d’Autriche. Nous laisserons cela aux linguistes et aux ethnographes. Notre objectif est ailleurs: pour la première fois, Hitler avait utilisé des menaces de coercition et de force pour contraindre le chancelier de l’Etat autrichien indépendant à signer un traité avec l’Allemagne qui privait de fait le petit pays de son indépendance.

Le 11 février 1938, Hitler convoque le chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg à Berchtesgaden. Le Führer déclara immédiatement que le chef autrichien devait se débarrasser de toute illusion d’aide de la part de l’Italie, de la France ou de la Grande-Bretagne. [1]

Après ces discussions «fructueuses», von Schuschnigg repartit pour Vienne, toujours sans avoir signé d’accord avec l’Allemagne ou cédé à ces tactiques alarmistes non déguisées. Sa seule façon de résister à la pression de l’Allemagne était de montrer au monde ce que Hitler menaçait de faire. Si la communauté internationale avait réagi de manière décisive, Hitler aurait été incapable de dévorer l’Etat autrichien.

Le Chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg en 1934.
Le Chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg en 1934.

Kurt von Schuschnigg plaçait ses espoirs dans la protection de «l’humanité civilisée». Et jusqu’à tout récemment, les Britanniques et les Français avaient pris une position rigide sur la question autrichienne. Ils avaient utilisé tous les moyens possibles pour empêcher la création d’un État allemand unifié en Europe.

Lorsque l’Empire des Habsbourg s’était effondré, l’Assemblée nationale de la nouvelle Autriche démocratique avait décidé de rejoindre la nouvelle Allemagne démocratique. Cependant, les pays de l’Entente n’aimaient pas voir leurs anciens ennemis dans une telle position de puissance renouvelé. Non seulement ils firent tout leur possible pour que cette décision de l’Assemblée nationale autrichienne ne soit jamais appliquée, mais ils inclurent aussi dans le Traité de Versailles une disposition qui empêchait l’Allemagne d’absorber son voisin: « L’Allemagne reconnaît et respectera strictement l’indépendance de l’Autriche …, elle convient que cette indépendance sera inaliénable, sauf avec le consentement du Conseil de la Société des Nations. » Mais il est vrai qu’une interdiction similaire avait été introduite dans le Traité de Saint-Germain que les vainqueurs avaient signé avec l’Autriche : ” L’indépendance de l’Autriche est inaliénable… L’Autriche s’engage donc… à s’abstenir de tout acte qui pourrait directement ou indirectement ou par quelque moyen que ce soit compromettre son indépendance…”.

Bref, l’Angleterre et la France avaient résisté à toutes les tentatives d’unification allemande. Mais seulement jusqu’à ce qu’Adolf Hitler prenne le pouvoir en Allemagne!

Comparons plusieurs faits.

  • Outre les traités de Versailles et de Saint-Germain, le Protocole de Genève, signé en octobre 1922 sous la pression des pays de l’Entente, comportait l’engagement de bloquer tout rapprochement entre Vienne et Berlin. Il obligeait clairement les Autrichiens à refuser de conclure un traité avec l’Allemagne.
  • Le 28 août 1931, la Cour permanente de Justice internationale de La Haye avait jugé qu’une union douanière envisagée entre l’Allemagne et l’Autriche était contraire au Protocole de Genève et était donc illégale.
  • Le 15 juillet 1932, conformément au Protocole de Genève, l’Autriche s’était vue promettre un important prêt financier à la condition qu’elle renonce à l’Anschluss (union) avec l’Allemagne jusqu’en 1952.

Mais maintenant Hitler avait pris la barre en Allemagne, et la position de la Grande-Bretagne et de la France pivotait de 180 degrés. Le chancelier autrichien Kurt von Schuschnigg a ensuite été confronté à cette position modifiée. L’Occident avait des raisons d’adopter une ligne dure: le Führer allemand avait pris la liberté de menacer le chef d’un Etat voisin et avait rompu l’accord austro-allemand qu’il avait lui-même signé. Cependant, les diplomates des puissants pays occidentaux gardèrent le silence. L’Autriche et son chancelier étaient seuls.

L’accord austro-allemand du 11 juillet 1936 garantissait la non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures de l’autre ainsi que l’indépendance de l’Autriche en tant « qu’État allemand ». Un détail révélateur – dans sa tentative de trouver une option autre que de simplement “abandonner” son pays à Hitler, von Schuschnigg rédigea un décret rétablissant la domination des Habsbourg dans son pays. Mais les Britanniques et les Français avaient besoin d’une Allemagne revigorée, pas de la restauration de la monarchie. Par conséquent, la solution proposée par von Schuschnigg ne «jouissait pas du soutien des puissances européennes». Et le chancelier autrichien avait une véritable raison de haïr les nazis. Avant même la signature de l’accord avec l’Allemagne, une voiture transportant sa femme avait subi un accident mystérieux et terrible. Elle et son chauffeur avaient été tués. Cet événement avait soulevé des soupçons à cause du fait qu’au moment de la mort de sa femme, elle avait en sa possession une mallette de von Schuschnigg contenant des documents compromettant Hitler. Cette mallette avait disparu pendant l’accident.

Mais nous devons rendre justice à Kurt von Schuschnigg: il a résisté jusqu’au bout.  Le dimanche 13 mars 1938, von Schuschnigg a prévu un référendum.  Une réponse négative à la question d’une fusion avec l’Allemagne aurait fourni à la communauté internationale un prétexte juridique pour refuser d’autoriser Hitler à occuper l’Autriche. Le Führer a dû attendre quelques jours. Mais Berlin comprit le danger inhérent à une telle tournure des événements, et le lendemain il envoya un ultimatum à von Schuschnigg: annulez le plébiscite et remettez votre démission sans délai.

Pourquoi Hitler a-t-il été si effrayé par la perspective du référendum autrichien? Avait-il si peu de foi dans le fait que la majorité des Autrichiens voudraient devenir citoyens du Troisième Reich? Il est possible qu’il ait eu des doutes. Mais aussi le leader nazi savait très bien comment obtenir les résultats nécessaires dans les urnes. Si les autorités autrichiennes arrivaient à “corriger” ne serait-ce qu’un peu les chiffres requis, le maintien de l’existence de l’Etat nazi deviendrait très problématique. L’Occident ne sponsoriserait l’Allemagne que tant qu’elle irait dans la bonne direction. Et cette direction était vers l’est. De cette manière, on pouvait «gaver» Hitler de pays et de peuples entiers par des considérations pratiques, mais seulement pour s’assurer qu’il remplissait rapidement ses devoirs, qui devaient déclencher la guerre contre la Russie. Personne ne financerait le Troisième Reich sans raison.

Les troupes allemandes entrant à Vienne, mars 1938
Les troupes allemandes entrant à Vienne, mars 1938

Londres, Paris et Washington avaient-ils compris la situation? Ils l’avaient comprise et avaient donc gardé le silence. Mais le chancelier von Schuschnigg prenait son temps pour répondre à Hitler, s’attendant à un soutien étranger. Berlin avait répété son ordre trois fois. Enfin, le 11 mars 1938, von Schuschnigg reçut un autre ultimatum : si les exigences de l’Allemagne n’étaient pas satisfaites, ce jour-là, 200 000 soldats allemands traverseraient la frontière autrichienne. N’ayant obtenu aucun soutien diplomatique de la part des principales puissances mondiales, le chancelier autrichien fit une allocution à la radio autrichienne, annonçant qu’il démissionnerait pour empêcher l’effusion de sang. Arthur Seyss-Inquart, un fonctionnaire nazi, le remplaça comme chancelier et fit immédiatement appel à Berlin, demandant de l’aide pour contrôler les troubles prétendument organisés par des sympathisants “rouges”. A l’aube du 12 mars, les troupes allemandes entrèrent en Autriche [2] .

Mais puisque le référendum avait déjà été annoncé, son annulation aurait été peu diplomatique. Hitler proclama que le plébiscite autrichien serait toujours tenu. Seulement un peu plus tard que prévu. Et pendant les préparatifs, trois agents autorisés sont arrivés à Vienne en provenance de Berlin pour s’assurer des sentiments publics souhaités. Les agents professionnels principalement chargés de l’organisation de ces procédures démocratiques étaient le SS-Reichsfuhrer Heinrich Himmler, le SS-Obergruppenführer chef du SD Reinhard Heydrich, et le SS-Oberstgruppenführer Kurt Daluege. Avec cette équipe fiable en route, Hitler avait peu de raison de s’inquiéter de l’issue du référendum. Dans le même temps, il avait été décidé de mener un plébiscite dans tout le Troisième Reich.

Les SS commencent immédiatement à construire leur machine d’oppression en Autriche. Les persécutions des Juifs  commencèrent. Adolf Eichmann, une autre personnalité infâme de la SS, arrive bientôt à Vienne. Sa mission était de forcer la population juive d’Autriche à émigrer par tous les moyens nécessaires. Tout ce qui avait déjà été vu en Allemagne devenait maintenant une réalité dans les rues des villes autrichiennes, comme l’intimidation, le harcèlement et les passages à tabac de Juifs. La communauté internationale “ne remarqua rien” et, comme auparavant, “ne vit rien” de la souffrance des Juifs allemands.

Les résidents locaux regardent l'incendie de la salle des cérémonies au cimetière juif de Graz pendant la Kristallnacht, novembre 1938
Les résidents locaux regardent l’incendie de la salle des cérémonies au cimetière juif de Graz pendant la Kristallnacht, novembre 1938

En tout, 1938 fut une année «riche» en événements antisémites au sein du Troisième Reich. Le 16 juillet, il était interdit aux employés des agences de sécurité de passer la nuit dans des hôtels ou des pensions de famille juifs; le 23 juillet, les Juifs étaient tenus de toujours avoir une carte d’identité; le 27 juillet, une résolution fut adoptée pour renommer les rues nommées en l’honneur des Juifs; le 7 août, un mandat interdisait aux Juifs de donner à leurs enfants des «noms allemands traditionnels» après le 1er janvier 1939 et décrétant que les noms de tous les enfants juifs devaient alors inclure le suffixe «Israël» pour les garçons et «Sarah» pour filles; le 31 août, des restrictions furent imposées au courrier envoyé aux Juifs – sur le dos des enveloppes qui étaient destinées aux destinataires allemands, l’expression «pas pour les Juifs» était ajoutée; et le 11 novembre, les enfants juifs ne pouvaient plus fréquenter les écoles allemandes ordinaires.

Lors d’une réunion avec des journalistes, le président américain Franklin Roosevelt refusa de commenter les événements en Autriche. Le chancelier britannique de l’Echiquier, Sir John Simon, affirma que le Royaume-Uni n’avait jamais fourni de garanties spéciales pour l’indépendance de ce pays. Tous les obstacles que l’Angleterre avait mis en place pour empêcher l’union des Allemands ethniques d’Autriche et d’Allemagne furent immédiatement éliminés. Le 14 mars 1938, la question de l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne fut discutée à la Chambre des communes britannique. Le Premier ministre britannique Neville Chamberlain informa le Parlement que les ambassadeurs britannique et français avaient adressé une protestation au gouvernement allemand concernant les violences en Autriche. Il est intéressant de noter que le ministre allemand des Affaires étrangères a tout simplement refusé d’accepter la remontrance anglaise! Que se passa-t-il ensuite? Un appel au boycott, à la mobilisation ?

Non. Deux semaines plus tard, le 2 Avril 1938, le gouvernement britannique reconnait officiellement  l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne.

[1] Afin de déstabiliser von Schuschnigg, Hitler a explicitement interdit à ce fumeur invétéré qui consomme 60 cigarettes par jour de s’en allumer une seule pendant les négociations.

[2] Kurt von Schuschnigg a payé cher sa résistance aux plans d’Hitler. Après l’annexion de l’Autriche à l’Allemagne, il fut détenu par la Gestapo pendant plusieurs semaines avant d’être envoyé dans un camp de concentration où il resta jusqu’en mai 1945.

Traduit du Russe par ORIENTAL REVIEW

Source : https://orientalreview.org/2013/07/16/why-london-presented-hitler-with-vienna-and-prague-i/

Traduction : Avic– Réseau International

https://reseauinternational.net/leurope-dune-guerre-a-lautre-xiii-1-pourquoi-londres-a-t-il-donne-vienne-et-prague-a-hitler/

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