Par Nikolay STARIKOV – ORIENTAL REVIEW
Ainsi, la suggestion selon laquelle l’ascension d’Hitler au pouvoir a été alimentée par les malheurs économiques de l’Allemagne ne tient tout simplement pas. Voyons maintenant la situation politique de ce pays à l’époque de la République de Weimar.
Il serait naïf de nier le fait que l’Allemagne a passé les années depuis 1919 dans la main de fer des vainqueurs de la Première Guerre Mondiale. Et ce contrôle s’est manifesté de plusieurs façons.[1] Dans l’arène politique, l’Allemagne a été gouvernée par le Parti social-démocrate allemand, dirigé par Stresemann et Ebert, qui, avec le prince “endormi” Max von Baden, ont si habilement mis en scène une révolution et l’abdication du Kaiser. C’est quand les sociaux-démocrates sont arrivés au pouvoir dans le pays qu’ils ont rédigé une Constitution qui comprenait des cycles électoraux sans fin et que leur chef, Ebert, est devenu le premier président de l’Allemagne.[2]
C’est à ce parti, ou plutôt ses bailleurs de fonds étrangers, que le pays devait le carrousel politique qui a duré jusqu’à l’arrivée au pouvoir des nazis. En 14 ans (1919-1933), l’Allemagne a été soumise à neuf élections au Reichstag![3] L’une des dispositions démocratiques de la Constitution de Weimar stipulait que les élections au Reichstag devaient avoir lieu tous les deux ans. L’objectif de cette disposition était de donner aux Allemands ordinaires le contrôle total et permanent de leur parlement. Mais dans la pratique, cela signifiait seulement que le public vivait dans une atmosphère constante de ferveur politique surchauffée et de campagnes politiques sans fin.
Le pays était en train de se transformer en épave. « Un sentiment de découragement total et de vide envahissait tout » [4] écrit Joachim Fest, décrivant les émotions du peuple allemand pendant la crise économique, mais ces mots auraient pu facilement s’appliquer à toute l’histoire de la République de Weimar.
Cette disposition n’était-elle qu’une simple inscription au hasard dans la Constitution de Weimar? Bien sûr que non! Londres et Washington avaient besoin d’une constitution qui inclurait un “cheval de Troie” d’instabilité permanente s’ils voulaient diriger la vie politique de l’Allemagne dans la direction requise. Après tout, les élections ne sont pas seulement des tracts et des bulletins de vote, mais aussi des scandales et des luttes meurtrières. Les candidats et les partis ont besoin de soutien, d’aide et d’argent, et ils peuvent donc être contrôlés en empêchant la création d’une nouvelle version forte de l’Etat allemand, qui, à la fin du XIXe siècle, était devenu l’acteur de développement le plus rapide sur la scène mondiale. L’anéantissement de l’Allemagne pendant la Première Guerre Mondiale avait exigé des efforts herculéens, d’énormes sommes d’argent et des millions de vies. Est-il possible de croire qu’après une telle expérience, l’Angleterre et les États-Unis auraient évité d’installer un régime fantoche en Allemagne?
Mais il n’y avait pas que le Parlement qui était devenu un manège, on pouvait voir la même chose dans l’exécutif. Durant les 14 années de la démocratie de Weimar, 14 hommes différents ont servi comme Chancelier![5]
Et dans ce royaume de l’absurde, émergeaient un chef et un parti qui renonçaient à tout ce cirque. Cela seul leur a valu la sympathie. « Les partis marxistes et leurs alliés avaient 14 ans pour montrer ce qu’ils pouvaient faire. Le résultat est un fiasco “, a affirmé Hitler, fustigeant ses adversaires au sujet de l’état de sa nation.
Les gens n’étaient pas attirés par les nazis par amour pour le NSDAP, mais plutôt parce qu’ils étaient écœurés des partis qui offraient une alternative à Hitler. Par exemple, le pourcentage d’électeurs alliés au Parti social-démocrate a chuté de 37,9 % en 1919 à 18,3 % en mars 1933, et le nombre de partisans du Parti démocrate allemand est passé de 18,6 % à 0,8 % au cours de la même période.
Même dans ces circonstances, Hitler était incapable de gagner les élections! L’idée que le chef nazi a été nommé chancelier parce que son parti a remporté les élections est encore un autre mensonge commode soutenu par les historiens. Adolf Hitler a prêté serment comme Chancelier le 30 janvier 1933. La dernière élection qui avait eu lieu avant cette date remontait au 6 novembre 1932, date à laquelle le parti nazi avait obtenu 33,1 % des voix. Le NSDAP était le parti le plus important au parlement, mais il ne détenait pas la majorité absolue. De plus, par rapport à l’élection précédente, les nazis suivaient une tendance à la baisse: au 31 juillet 1932, ils avaient remporté 37,4 % des voix, mais leur niveau de soutien avait chuté de 4,3 % le 6 novembre 1932. L’idée que Hitler a gagné les élections est un mythe. Il a simplement été nommé à la tête du pays ! Quelqu’un a exercé une telle pression sur l’élite politique allemande que les “déficiences” et les “bizarreries” d’Hitler semblent avoir été presque oubliées.
Comment cela a-t-il été possible ?
Le fait est que les institutions démocratiques en Allemagne avaient commencé à faiblir avant même l’arrivée des nazis au pouvoir. En mars 1930, lorsque Hitler ne remporta que 18,3% des voix, il devint clair qu’en dépit de tous les efforts et du financement massif d’origines inconnues, Hitler ne gagnerait jamais une élection parlementaire. Les Allemands étaient simplement bénis par trop de bon sens. Mais les dirigeants britanniques n’étaient pas satisfaits de cette situation. Après tout, quelqu’un devait attaquer l’URSS et assurer enfin la stabilité dont les dirigeants du monde avaient besoin. Cela signifie qu’un plan de secours était nécessaire. Et on en a créé un.
En mars 1930, les principes de la démocratie parlementaire furent quelque peu modifiés en Allemagne.
Bien qu’auparavant ce soit le chef de la majorité parlementaire qui devenait automatiquement Chancelier, ce poste était maintenant attribué par le président du pays, conformément à l’article 48 de la Constitution de Weimar. En d’autres termes, le chef de l’état pouvait nommer n’importe quel citoyen allemand, et pas seulement le vainqueur des élections législatives.
C’était une mesure dangereuse. Il était souhaitable que les nazis gagnent “équitablement”. Une analyse du nombre invraisemblablement élevé d’élections en Allemagne juste avant l’ascension d’Hitler au pouvoir suggère qu’il devait y avoir des élections jusqu’à ce que le NSDAP puisse remporter la victoire. Mais quand il devint clair que cela ne marcherait pas, Hitler fut simplement “nommé” Chancelier.
Alors, Hitler aurait-il pu être stoppé ? Oui. Cela aurait pu se faire si le pays n’avait pas été transformé en cirque politique et si la population allemande n’avait pas été lassée des élections, qui n’avaient fait que gonfler le nombre de partisans du NSDAP. Ernst Hanfstaengl et d’autres n’auraient pas dû être chargés d’aider à préparer le futur Führer pour qu’il puisse se présenter comme un homme politique respectable et bien élevé.
Et surtout – il n’y avait pas de base légale pour la nomination d’Hitler comme chancelier! N’importe qui aurait pu être nommé à ce poste, n’importe qui sauf celui qui aurait utilisé sa nomination pour devenir le criminel le plus infâme de l’histoire de l’humanité. Tout cela aurait pu se faire à une seule condition: si la montée au pouvoir d’Hitler n’avait pas été exigée par des forces extérieures auxquelles les politiciens allemands étaient incontestablement soumis.
Notes:
1. Comme nous le savons, les termes de la reddition de l’Allemagne à la fin de la Première Guerre Mondiale étaient énoncés dans le traité de Versailles. Les vainqueurs étaient méticuleux et le traité très détaillé, mais il n’incluait pas le point le plus important – le montant des réparations! Le traité ne contenait qu’une déclaration générale exigeant que le gouvernement allemand verse une indemnisation pour les dommages causés aux citoyens des puissances alliées et qu’il finance les pensions des soldats, des veuves et des membres des familles des survivants des forces de l’Entente. En d’autres termes, le coupable a été identifié et condamné, mais dans le verdict, ils ont oublié de préciser exactement combien il devait souffrir. Le traité n’établit que le premier paiement dû, soit 20 milliards de marks. Imaginez l’effet de levier restant entre les mains des vainqueurs! Si une politique “correcte” était suivie, le montant des réparations pourrait être réduit, mais si de “mauvaises” mesures étaient prises, elles augmenteraient considérablement. Mais le plus important, c’est que cela ne pouvait pas être remis en question! Il est intéressant de noter que le montant exact des réparations n’a été notifié qu’en 1928, lorsque Trotsky s’est enfui en exil, et Hitler s’est soudainement retrouvé avec une ligne de crédit illimitée à sa disposition et a commencé sa marche vers le sommet du pouvoir.
2. Seuls trois présidents ont servi la République de Weimar: Friedrich Ebert (1919-1925), Paul von Hindenburg (1925-1934) et Adolf Hitler (1934-1945). Les sentiments des Allemands à l’égard d’Ebert, qui a signé le traité de Versailles, étaient évidents du fait que, lors de ses funérailles, le cardinal von Faulhaber, archevêque de Munich-Freising, refusait catégoriquement d’ordonner que les cloches de l’église sonnent. Et le fait qu’Ebert fût un Juif a fourni plus tard à Hitler une merveilleuse plateforme pour la propagande antisémite. Par exemple, l’assemblée du Reichstag du 12 septembre 1932 n’a siégé qu’une seule journée avant d’être dissoute.
3. 19 janvier 1919; 6 juin 1920; 4 mai 1924; 7 décembre 1924; 20 mai 1928; 14 septembre 1930; 31 juillet 1932; 6 novembre 1932; 5 mars 1933. Nous n’incluons pas l’élection du 12 novembre 1933, date à laquelle seuls les nazis étaient inscrits sur le bulletin de vote.
4. Fest, Joachim. 2002. Pg. 269.
5. Gustav Bauer (1919-1920), Hermann Müller (1920), Constantin-Fehrenbach (1920-1921), Joseph Wirth (1921-1922), Wilhelm Cuno (1922-1923), Gustav Stresemann (1923), Wilhelm Marx (1923-1925), Hans Luther (1925-1926), Wilhelm Marx (1926-1928), Hermann Müller (1928).
Traduit du Russe par ORIENTAL REVIEW
Traduction : Martha– Réseau International
Photo: Le jeudi 6 février 1919, trois mois après l’armistice qui a mis fin à la Grande Guerre, une Assemblée constituante allemande se réunit dans le théâtre de Weimar
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