dimanche 4 février 2024

Stéphane Courtois présente « Lénine, l’inventeur du totalitarisme » [Interview]

 

Vladimir Ilitch Oulianov, dit Lénine (Simbirsk -aujourd'hui Oulianovsk-, 22 avril 1870 ; Vichnie Gorki -aujourd'hui Gorki-, 21 janvier 1924), tableau de Serov

01/10/2017 – 06h30 Paris (Breizh-Info.comUne biographie de Lénine pour les cent ans de la Révolution bolchévique de 1917. Tel est l’objet du nouvel ouvrage du plus grand spécialiste contemporain du communisme, Stéphane Courtois (« Le livre noir du communisme ») qui publie Lénine, l’inventeur du totalitarisme.

Une nouvelle contribution majeure pour l’histoire, éditée aux éditions Perrin.

Dans le livre le mythe d’un Lénine plus acceptable qu’un Staline (la mythologie communiste encore d’actualité de nos jours) vole en éclat. Ce mythe est même pulvérisé par Stéphane Courtois, qui démontre que Lénine était un aficionado de la terreur, de la dictature, de la soumission d’un peuple à l’idéologie d’une petite minorité agissante.

Nous avons interrogé son auteur sur cet ouvrage essentiel, qui fera peut être ouvrir les yeux à certains élus, alors que dans de nombreuses communes de France, des rues portent encore le nom d’un boucher du 20ème siècle, tandis qu’à l’Est, en Ukraine notamment, on déboulonne à tour de bras.

Un livre qui – comme Le livre noir du communisme – fera assurément faire des bonds à tous les nostalgiques (et ils sont nombreux à gauche) de Vladimir Illitch, car le réel fait toujours mal à la tête !

Lénine, l’inventeur du totalitarisme – Stéphane Courtois – Perrin – 25 euros

Breizh-info.com : Vous avez publié une trentaine de livres sur le communisme à ce jour. Avec Lénine , l’inventeur du totalitarisme, c’est un travail de plus réalisé sur le sujet. Le tour de la question n’a-t-il pas encore été achevé ? Où est-ce justement une forme de point final à votre oeuvre sur la question, 100 ans après la révolution d’Octobre ?

• Vous savez le travail de l’historien est de remettre l’ouvrage cent fois sur le métier. La recherche progresse tous les jours, aussi bien grâce à une nouvelle documentation que grâce à une réflexion menée depuis plusieurs décennies. En 1997, j’ai été le maitre d’œuvre du Livre noir du communisme (Robert Laffont) qui a été traduit dans 26 pays, puis en 2007 j’ai dirigé le Dictionnaire du communisme (Larousse) et en 2017, pour le centenaire des révolutions russes de Février et d’Octobre, je remonte aux sources de cette histoire et à son initiateur fondamental, Lénine.

C’est donc une étape dans mon travail depuis 1973, et une étape importante puisqu’elle revient sur le rôle décisif de Lénine dans l’invention d’un phénomène politique inédit qui a marqué tout le XXe siècle : le totalitarisme. Un phénomène qui a muté sous nos yeux il y a une trentaine d’années du communisme à l’islamisme radical.

Breizh-info.com : Avec ce livre, vous balayez définitivement le mythe du méchant Staline précédé par le gentil Lénine. En quoi Lénine a-t-il « mâché le travail » pour ceux qui prendraient sa suite ?

• Staline a été sélectionné dès 1906 par Lénine comme un de ses principaux affidés. Il a adhéré complètement aux idées de son « patron ». Il a été un homme d’action qui a mis en œuvre ces idées avant 1917. Et dès le 7 novembre 1917 il a été l’un des membres du Conseil des commissaires du peuple, il a été au contact quotidien de Lénine au Kremlin, il l’a vu adopter les positions révolutionnaires les plus radicales, inaugurer la terreur de masse comme moyen de gouvernement, en particulier avec la création de la Tcheka, la police politique qui allait devenir le KGB après 1945.

Il a tout appris entre 1917 et 1922, jusqu’au moment où Lénine a été trop malade pour diriger. C’est d’ailleurs Lénine qui l’a nommé secrétaire général du Parti communiste en 1922 ! Mais il est vrai que Staline était un caucasien et avait un tempérament particulièrement cruel. Ce qui ne l’a pas empêché d’être sans doute le plus grand homme politique du XXe siècle … mais pas le plus grand démocrate !

Breizh-info.com : Comment est-ce possible que 100 ans après, notamment à l’Ouest, l’auteur de « que faire » bénéficie encore d’une forme d’indulgence ?

• C’est un peu un mystère, surtout vingt ans après le Livre noir du communisme qui montrait toutes les responsabilités de Lénine. Mais en France, depuis 1789 et surtout depuis Robespierre et Saint Just, l’extrême gauche, les communistes, mais aussi la gauche et nombre de républicains sont toujours soumis au « charme » de la guillotine. Et ils perçoivent Lénine comme l’héritier et le continuateur de Robespierre. D’ailleurs nombre de socialistes et révolutionnaires russes le voyaient aussi comme ça…

Breizh-info.com : En quoi Lénine est-t-il l’inventeur du totalitarisme ? La Révolution française (et notamment la période de la Terreur) ne portait déjà t-elle pas cet ADN en elle ?

• Lénine connaissait parfaitement l’histoire de la Révolution française. Il en appréciait la terreur, la radicalité dans la destruction de la société de l’époque – monarchie, aristocratie, Église catholique, etc.

Mais il y a ajouté trois éléments fondamentaux qui ont fondé le totalitarisme.

Il a d’abord ajouté l’idéologie marxiste présentée comme une « science de l’histoire » ; or ce scientisme a  longtemps fasciné nombre d’intellectuels et d’activistes ; prétende connaître l’évolution historique était beaucoup plus fort que le règne de la Vertu de Robespierre. Il a ensuite ajouté le parti de révolutionnaires professionnels entièrement contrôlé par son leader charismatique, un outil politique beaucoup plus performant que le Club des Jacobins.

Il a enfin appliqué à fond le communisme en imposant, ce qui n’avait jamais été fait, la suppression de la propriété privée, un moyen radical de soumettre les populations.

Breizh-info.com : Vous expliquez vous même avoir « succombé » dans votre jeunesse au charme de l’illusion soviétique et communiste. Comment expliquez vous cette fascination, presque morbide, y compris lorsque ce qui se passait à l’Est fut révélé, que des millions de gens ont eu à l’Ouest pour ces bourreaux ?

• Il y avait bien sûr une fascination pour la révolte de 1968, pour la violence, pour la contestation générale  des règles en vigueur dans tous les domaines. Mais en réalité c’était une fascination pour la destruction pure, phénomène infantile commandé par l’hyper-narcissisme et la volonté de puissance des enfants et des adolescents. C’était aussi le résultat d’une ignorance crasse de la réalité du communisme au pouvoir, ignorance entretenue par la très puissante propagande développée par l’URSS et son relais, le Parti communiste français, mais aussi les groupes trotskistes et maoïstes en France.

Breizh-info.com : En fin de compte, si vous deviez dresser le portrait politique de Lénine, de manière succincte, que diriez vous ?

• C’était un homme qui s’est fixé une mission, la révolution, qui allait lui assurer un pouvoir absolu et lui permettre de mettre en œuvre son idéologie, au prix de millions de morts.

Breizh-info.com : Lénine, c’est aussi le triomphe d’une minorité radicale et agissante contre les masses populaires. 100 ans plus tard, cela semble toujours être le leitmotiv de l’ultra gauche notamment non ? 

• Oui bien sûr, c’est le ressort permanent des révolutionnaires antidémocrates que de prétendre combattre pour le peuple, tout en refusant par la violence que le peuple s’exprime librement par des élections sincères.

Breizh-info.com : Sur quoi allez vous travailler désormais ? Quels sont les livres que vous avez eu l’occasion de lire dernièrement et que vous conseilleriez à nos lecteurs ?

• Ce Lénine m’a demandé des années de travail. Je vais donc me reposer un peu avant de remettre l’ouvrage sur le métier. Quant au livre à conseiller, évidemment le mien.

Propos recueillis par Yann Vallerie

Crédit photo : breizh-info.com
[cc] Breizh-info.com, 2017, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

https://www.breizh-info.com/2017/10/01/78533/stephane-courtois-lenine-totalitarisme-communisme/

Aucun commentaire: