samedi 10 février 2024

"Le choc des civilisations" de Samuel Huntington 2/7

 

Huntington

Enfin, après avoir donné sa définition de ce qu’est une civilisation, Huntington dénombre sept grandes civilisations contemporaines (ou plutôt six et demi) :

  • La civilisation chinoise qui daterait au moins de 1500 av. JC, voire de mille ans plus tôt.
  • La civilisation japonaise, dérivée de la civilisation chinoise et apparue entre 100 et 400 ap. JC.
  • La civilisation hindoue depuis 1500 av. JC.
  • La civilisation musulmane, née dans la péninsule arabique au VIIe siècle ap. JC., elle s’est étendue en Afrique du Nord, en Espagne, et à l’est, en Asie centrale, dans le sous-continent indien et en Asie du Sud-Est. En conséquence de quoi, on distingue au sein de l’Islam plusieurs cultures ou sous-civilisations : l’arabe, la turque, la perse et la malaisienne.
  • La civilisation occidentale dont Huntington date l’apparition à 700-800 ap. JC. L’Occident regroupe l’Europe, l’Amérique du Nord et les autres pays peuplés d’Européens, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. 
  • L’Amérique latine qui possède des caractéristiques propres suite à une évolution différente. Huntington parle d’une culture corporatiste et autoritaire différente de la démocratie occidentale. L’Europe et l’Amérique du Nord ont subi les effets de la Réforme et ont combiné culture catholique et culture protestante. Historiquement, l’Amérique latine a seulement été catholique. Enfin, la civilisation d’Amérique latine inclut des cultures indigènes, lesquelles n’existaient pas en Europe et ont été éliminées en Amérique du Nord.
  • La civilisation africaine, si possible. Huntington émet l’hypothèse que l’Afrique subsaharienne pourrait s’assembler pour former une civilisation distincte dont le centre de gravité serait l’État d’Afrique du Sud.
  • La civilisation chinoise qui daterait au moins de 1500 av. JC, voire de mille ans plus tôt.
  • La civilisation japonaise, dérivée de la civilisation chinoise et apparue entre 100 et 400 ap. JC.
  • La civilisation hindoue depuis 1500 av. JC.
  • La civilisation musulmane, née dans la péninsule arabique au VIIe siècle ap. JC., elle s’est étendue en Afrique du Nord, en Espagne, et à l’est, en Asie centrale, dans le sous-continent indien et en Asie du Sud-Est. En conséquence de quoi, on distingue au sein de l’Islam plusieurs cultures ou sous-civilisations : l’arabe, la turque, la perse et la malaisienne.
  • La civilisation occidentale dont Huntington date l’apparition à 700-800 ap. JC. L’Occident regroupe l’Europe, l’Amérique du Nord et les autres pays peuplés d’Européens, comme l’Australie et la Nouvelle-Zélande. 
  • L’Amérique latine qui possède des caractéristiques propres suite à une évolution différente. Huntington parle d’une culture corporatiste et autoritaire différente de la démocratie occidentale. L’Europe et l’Amérique du Nord ont subi les effets de la Réforme et ont combiné culture catholique et culture protestante. Historiquement, l’Amérique latine a seulement été catholique. Enfin, la civilisation d’Amérique latine inclut des cultures indigènes, lesquelles n’existaient pas en Europe et ont été éliminées en Amérique du Nord.
  • La civilisation africaine, si possible. Huntington émet l’hypothèse que l’Afrique subsaharienne pourrait s’assembler pour former une civilisation distincte dont le centre de gravité serait l’État d’Afrique du Sud.

En analysant la figure n°1 (carte 1.3 [p. 22]) fournie par Huntington, on remarque que le géopolitologue laisse la place à deux autres entités qu’il classe également sous le titre de civilisation : l’espace orthodoxe et l’espace bouddhiste. Toutefois, il considère que le Bouddhisme et l’Orthodoxie bien que ce soient deux grandes religions, n’ont pas été à la base de grandes civilisations. Remarquons également que dans son analyse, Huntington opère une distinction très nette entre l’Europe et la Russie orthodoxe (cf. figure n°3 = carte de ligne de partage entre l’Europe et le monde orthodoxe [p. 231]) Certes, la Russie se différencie du reste de la population européenne par son origine slave et sa religion orthodoxe mais les peuples slaves sont majoritairement chrétiens, ils sont indo-européens, blancs et leur histoire est étroitement liée depuis plusieurs siècles déjà à l’histoire européenne.  La distinction religieuse est d’ailleurs plutôt simpliste pour ne pas dire fausse quand on sait qu’aux yeux de la religion catholique, les protestants sont considérés comme hérétiques alors que les orthodoxes sont simplement schismatiques. Comment ne pas voir dans cette séparation une habile manœuvre politique destinée à théoriser auprès de nos “élites” européennes, une frontière culturelle qui est loin d’être évidente.  Comment ne pas y voir la peur sous-jacente d’une alliance euro-russe, peur déjà bien présente à l’esprit des Américains en 1939 lors du Pacte Molotov-Ribbentrop.  Comment ne pas y voir un voile discret jeté sur l’idée d’une alliance continentale que tous les stratèges britanniques ou américains ont cherché à combattre depuis Mackinder en passant par MahanSpykman, Brzezinski et plus récemment Kissinger. Il suffit de lire leurs ouvrages pour comprendre que le cauchemar américain est effectivement la réalisation d’un bloc politique eurasiatique s’étendant de Reykjavik à Vladivostok  tel que l’ont théorisé Thiriart ou Guillaume Faye. Nous aurons l’occasion de revenir dans notre conclusion sur cet élément important.

Après avoir dénombré les différentes civilisations contemporaines, Huntington souligne un détail essentiel. En quoi la situation a-t-elle changé par rapport au passé ? Les civilisations existent depuis longtemps. Pourquoi tout d’un coup pointer du doigt le risque d’un choc des civilisations alors que certaines d’entre elles sont plusieurs fois millénaires ? Tout simplement parce qu’aux rencontres limitées entre civilisations a succédé une période d’intenses interactions. Au XVe siècle l’influence puissante et unidirectionnelle de l’Occident sur les autres civilisations a commencé à se manifester. Pendant 400 ans, les relations intercivilisationnelles se sont résumées à la subordination par l’Occident des autres civilisations. « L’expansion de l’Occident a été facilitée par la supériorité de son organisation, de sa discipline, de l’entraînement de ses troupes, de ses armes, de ses moyens de transport, de sa logistique, de ses soins médicaux, tout cela étant la résultante de son leadership dans la révolution industrielle. L’Occident a vaincu le monde non parce que ses idées, ses valeurs, sa religion étaient supérieures mais plutôt par sa supériorité à utiliser la violence organisée. Les Occidentaux l’oublient souvent, mais les non-Occidentaux jamais » [p. 61]. Cependant cette supériorité a commencé à s’estomper à partir de la Première Guerre mondiale. Au XXe siècle, les relations entre civilisations sont passées d’une période dominée par l’influence unidirectionnelle d’une civilisation en particulier sur les autres à une phase d’intenses interactions multidirectionnelles entre toutes les civilisations. L’expansion de l’Occident s’est arrêtée tandis que la révolte contre celui-ci a commencé. Par à coups, la puissance de l’Occident a décliné relativement à celle des autres civilisations. Cette situation laisse donc la place à l’émergence des sociétés non occidentales qui redeviennent les actrices de leur propre histoire, surtout depuis la fin des conflits idéologiques. Dans ce contexte et vu les échanges de plus en plus soutenus entre les différentes civilisations à l’échelle mondiale, un choc entre civilisations a beaucoup plus de chance de se produire que par le passé ! Les États-Unis tentent de se substituer au rôle de gendarme du monde autrefois tenu par l’Europe mais ils ne cessent de s’attirer la haine des peuples. Une haine lourde de conflits à venir.

Chapitre III : Existe-t-il une civilisation universelle ? Modernisation et occidentalisation

La civilisation universelle ?

Samuel P. Huntington est très critique vis-à-vis du concept de civilisation universelle que l’on apparente souvent à la culture de Davos. Sont convertis à cette culture nombre de nos hommes politiques, dirigeants d’entreprise, banquiers, hauts fonctionnaires, intellectuels et journalistes. « Ils partagent tous la même foi dans les vertus de l’individualisme, de l’économie de marché et de la démocratie politique » [p. 71]. Cette culture est extrêmement importante parce que les personnes qui la partagent possèdent des responsabilités dans presque toutes les institutions internationales, dans plusieurs gouvernements, dans l’économie mondiale, dans la défense et dans les universités. Cependant, souligne Huntington, que représentent ces convertis à l’échelle mondiale ? Il est probable qu’en dehors de l’Occident, ils ne sont qu’une petite poignée (1% [peut-être moins] de la population) à partager ses valeurs et ils ne sont pas forcément en position de force au sein de leur propre société. Il suffit pour cela de prendre comme exemple la Jordanie durant la dernière guerre du Golfe pour se rendre compte que seuls les dirigeants soutenaient l’effort américain dans la région tandis que la population jordanienne y était largement hostile. Cette culture de Davos est donc loin de former une culture universelle.

De même, Huntington critique l’idée selon laquelle la diffusion des structures de consommation et de la culture populaire occidentale à travers le monde crée une civilisation universelle. Entendez l’idée selon laquelle, puisqu’un hindou boit du coca-cola et porte des blue-jeans, il est forcément converti aux valeurs consuméristes de la société américaine. En effet, nous sommes assez d’accord avec Huntington lorsqu’il affirme que nous ne pouvons identifier les simples aspects matériels d’une culture avec ses valeurs et ses idéaux profonds. « Seule l’arrogance, dit-il, incite les Occidentaux à considérer que les non-Occidentaux “s’occidentaliseront” en consommant plus de produits occidentaux. Le fait que les Occidentaux identifient leur culture à des liquides vaisselle, des pantalons décolorés et des aliments trop riches, voilà qui est révélateur de l’Occident » [p. 72-73]. Cependant nous rajouterons qu’il ne faut pas sous-estimer, sur certains esprits plus faibles, le pouvoir attractif de toutes nos cochonneries. La colonisation massive de peuples allochtones que l’Europe connaît à l’heure actuelle n’est hélas pas là pour le démentir. Quoique, la capacité d’intégration de la société occidentale tende à diminuer à mesure que le nombre d’étrangers y est plus important. Le regroupement communautaire massif de ces populations favorise en effet la conservation des pratiques culturelles issues du pays d’origine. Face à un peuple s’identifiant aux marques de shampoing et aux voitures de luxe, il est normal que des cultures plus fortes comme la culture arabe prennent progressivement le dessus à l’extérieur, comme à l’intérieur de nos frontières !

Enfin Huntington bat également en brèche la thèse selon laquelle un surcroît d’interactions (commerces, investissements, tourisme, médias, communication électronique) engendrerait une culture mondiale. Et dans la mesure où ce sont de grands groupes américains et européens qui dominent la diffusion de l’information à l’échelle planétaire, cette culture mondiale serait forcément occidentale. Premier argument critique avancé par Huntington : les populations du monde ne perçoivent pas les informations avec les mêmes schèmes de pensée. Chaque culture possède sa grille de lecture. Les Chinois ne regardent pas Dallas de la même manière que les Américains ! Deuxième argument, à notre sens le plus important, sous forme de question critique : en quoi les interactions de plus en plus nombreuses entre les peuples seraient synonymes de paix et de solidarité ? On avait déjà argué par le passé que si l’on augmentait les rapports commerciaux entre les nations, la probabilité qu’une guerre éclate entre elles diminuerait. Cette affirmation est évidemment totalement fausse et tout le monde connaît à l’heure actuelle l’expression “guerre commerciale” qui n’a pas besoin d’être commentée tant elle est lourde de sens. De même, la sociologie a abondamment prouvé cette règle très simple que beaucoup de nos “penseurs” contemporains s’évertuent pourtant à oblitérer : « On se définit par ce qu’on n’est pas ». En psychologie sociale, la théorie de la distinction montre que les personnes se définissent par leurs différences dans un certain contexte. Autrement dit, comme les communications, le commerce et les voyages multiplient les interactions entre civilisations ; on accorde en général de plus en plus d’attention à son identité civilisationnelle. « Deux Européens, un Allemand et un Français, qui interagissent ensemble s’identifieront comme allemand et français.  Mais deux Européens, un Allemand et un Français, interagissant avec deux Arabes, un Saoudien et un Égyptien, se définiront les uns comme Européens et les autres comme Arabes » [p. 86].

Huntington appuie sa critique du concept de civilisation universelle en constatant un renouveau des langues nationales au détriment des langues coloniales. En Inde par exemple, il est plus facile pour un voyageur qui traverse le pays de communiquer en hindi qu’en anglais. De même il constate une « indigénisation » de langues comme le français ou l’anglais, deux langues qui ont pourtant des prétentions universalistes. En effet, l’anglais parlé au Cachemire ou le français de Côte d’Ivoire sont loin d’avoir gardé les accents de leur métropole d’origine. Le renouveau religieux notamment dans les pays musulmans est un autre signe manifeste d’une plus grande conscience identitaire des anciens pays colonisés.

Les réactions à l’Occident et à la modernisation

Un autre versant intéressant de la réflexion du stratège américain réside dans sa conceptualisation des réactions des peuples traditionnels face à l’Occident et la modernisation. Il en comptabilise trois :

  • Le rejet total de l’Occident, c’est-à-dire le rejet par de petites communautés traditionnelles non seulement des valeurs de l’Occident mais également des artifices de la modernisation. Huntington affirme que ce rejet est quasi insoutenable dans le monde “hyperglobalisé” dans lequel nous vivons. Une société traditionnelle ne peut lutter avec des arcs à flèches contre des chars !
  • Le kémalisme consiste à adhérer à la fois à la modernisation et à l’occidentalisation. Il est fondé sur l’idée que la modernisation est désirable et nécessaire, que la culture indigène est incompatible avec la modernisation et doit être abandonnée ou abolie et que la société doit être entièrement occidentalisée afin de se moderniser convenablement. L’exemple le plus frappant est celui de la Turquie de Mustafa Kemal. Le problème des pays choisissant cette voie réside évidemment dans la déchirure profonde et douloureuse entre les valeurs ancestrales et la société moderne.
  • Le réformisme tente de combiner la modernisation avec la préservation des valeurs, des pratiques et des institutions fondamentales de la culture propre à la société concernée. C’est la voie qu’ont choisie au XIXe siècle des pays comme la Chine ou le Japon : « éducation chinoise pour les principes fondamentaux, éducation occidentale pour la pratique. » - « esprit japonais, technique occidentale » [p.97].

À suivre

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