Le règne personnel de Louis XIV (1661-1715) est riche d’évolutions et d’innovations sur le plan militaire. Il voit l’abandon de l’armée de levée pour une armée permanente, composée essentiellement de sujets du royaume, une armée quasiment nationale : les mercenaires étrangers ne constituent plus qu’un faible pourcentage des troupes. Les armes évoluent : le fusil remplace le mousquet et la baïonnette fait disparaître la pique. Particulièrement bien disciplinée et entraînée, l’armée française, capable de tenir tête seule à l’Europe (guerre de la Ligue d’Augsbourg), sert de modèle pour les autres États européens.
I. Une armée d’une taille inédite
Le règne de Louis XIV voit l’armée s’accroître d’une façon inédite. Jusqu’au début du XVIIe siècle, les forces en temps de paix ne dépassaient pas 10.000 hommes, et en temps de guerre rarement plus de 70.000. Louis XIII monte ses forces jusqu’à 125.000 hommes après l’entrée dans la guerre de Trente Ans.
Sous Louis XIV, l’armée en temps de guerre atteint 340.000 hommes au cœur de la guerre de la Ligue d’Augsbourg (1688-1697), qui voit la France seule (avec l’appui de l’Empire ottoman et des jacobites irlandais) face à l’Europe coalisée. Dans un pays qui compte 21 millions d’âmes, cela fait approximativement un soldat sur 20 hommes adultes valides. Vers 1700, l’armée en temps de paix compte 150.000 hommes, soit 15 fois plus par rapport au début du siècle ! Elle sert alors tant pour la défense que pour la surveillance des populations. Ce chiffre ne sera plus atteint jusqu’à la Révolution française.
Les dépenses militaires
En 1683, les dépenses militaires s’élèvent à 54 millions de livres (47 % du total des dépenses du royaume), en comprenant 8 % pour les fortifications. L’armée de terre vient loin devant la marine (9,50 %), la Cour (8,50 %) et les bâtiments royaux (6,27 %). Le budget de la guerre passe de 47 % des dépenses en 1683 à 51 % en 1687, 63 % en 1690, 73 % en 1691. Dans le même temps, les dépenses de la marine et des galères montent de 9,5 à 10 %, 14 % et 16 %.
L’organisation de l’armée
L’infanterie est organisée en régiments, comprenant un ou plusieurs bataillons (l’unité tactique étant le bataillon). Un bataillon comprend environ 800 hommes (ce nombre tend à évoluer à la baisse) qui sont répartis entre 12 et 16 compagnies. A partir des années 1630, les Français alignent leurs mousquetaires sur 6 rangs, sur le modèle suédois. Lorsque les pertes sont importantes, on réduit les rangs à 5.
La cavalerie est également organisée en régiments comprenant plusieurs escadrons, chaque escadron étant formé de (généralement) 3 compagnies de 50 hommes pendant la guerre de Hollande, de 30 à 35 pendant la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Un régiment de cavalerie à quatre escadrons comprenant chacun 3 compagnies de 35 hommes compte donc 420 hommes en théorie.
II. Les armes et la tactique
L’armée française est à son sommet dans le dernier tiers du XVIIe siècle, avec d’impressionnantes séries de victoires durant la guerre de Hollande (1672-1678) et la guerre de la Ligue d’Augsbourg. Elle sert de modèle pour le reste de l’Europe.
Du mousquet au fusil
Le mousquet reste l’arme de base pour l’infanterie durant tout le XVIIIe siècle. Il s’agit d’une arme d’épaule se chargeant par le canon, avec un système à mèche. Si la balle peut être envoyée à 250 mètres, le tir n’est efficace que jusqu’à 80 mètres. La cadence de tir n’est que d’un coup par minute, avec un taux de ratés proche de 50 %. Le chargement est dangereux, et il arrive que le mousquetaire se fasse sauter en manipulant la mèche allumée en présence de poudre.
Jusqu’à la guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), qui voit le triomphe du fusil et de la baïonnette, l’armement français reste pourtant inférieur à celui des armées ennemies. Ce choix ne relève pourtant pas d’une timidité vis-à-vis des armes nouvelles mais plutôt de contraintes d’ordre technique.
Une impressionnante série d’expériences est menée de 1668 à 1691 sur les mousquets et les fusils, pour trouver l’arme idéale. Il faut dire aussi que le fusil coûte alors 14 livres alors que le mousquet ne revient qu’à 9 livres, et qu’il s’agit de fabriquer pas moins de 300.000 fusils pour l’armée la plus importante d’Europe. Par ailleurs, l’industrie métallurgique de la France est insuffisamment développée pour répondre à une telle demande, et il faut apprendre aux soldats à manier cette arme nouvelle.
Ce n’est qu’en 1699, peu avant la guerre de Succession d’Espagne, qu’une ordonnance de Louis XIV élimine complètement le mousquet au profit du fusil. Le retard dans l’équipement ne traduit pas donc pas une hostilité vis-à-vis de la nouveauté mais un souci de ne changer d’armement que pour une arme sûre.
De la pique à la baïonnette
La pique est au XVIIe siècle la compagne du mousquet. D’une longueur d’environ 4,5 mètres, surmontée d’une pointe en fer et cerclée de bandes de métal sur 1 mètre à partir de la pointe (pour éviter qu’elle ne soit tranchée d’un coup d’épée), elle sert surtout d’arme défensive contre la cavalerie. La lenteur du chargement du mousquet rend souvent nécessaire la présence de piquiers, lesquels permettent aux mousquetaires d’aller se réfugier derrière leurs rangs, sans quoi ils se trouvaient taillés en pièces par la cavalerie.
Lorsque le fusil gagne de l’importance, la pique perd son efficacité. Plus maniable, il rend moins nécessaires la protection de piquiers. Mais surtout, la baïonnette, introduite vers 1640, ne cesse de se perfectionner. Au début simple lame de couteau grossière (et fixée dans le canon, empêchant tout tir), elle est remplacée par une lame fixée à une douille autour, et non pas à l’intérieur, du canon du fusil. Cette innovation de Vauban (dont le rôle ne se cantonnait pas aux fortifications) permet au soldat de recharger son arme tout en laissant en place la baïonnette. La baïonnette revient également moins cher que l’épée (24 sols contre 50 sols) ou que la pique (40 à 50 sols). La baïonnette à douille se généralise à partir de 1692, avec une ordonnance du roi.
Les piques perdent ainsi du terrain, même si elles gardent des partisans comme d’Artagnan, et chez les soldats, les piquiers recevant une plus haute paye que les mousquetaires et fusiliers… Les manuels du début du XVIIe siècle recommandent trois piques pour deux mousquets. Une ordonnance de 1650 requiert une pique pour deux mousquets. Dans les années 1670, le rapport tombe à une pique pour trois mousquets et fusils. En 1690, dans les troupes réglées d’infanterie, on compte 8,4 % de piquiers, 15,5 % de fusiliers et 76,1 % de mousquetaires. En 1703, les piques ont disparu.
La cavalerie
Contrairement à l’infanterie, la cavalerie évolue peu. La cavalerie lourdement cuirassée n’est à l’époque de Louis XIV qu’un vestige des époques précédents ; avec le régiment des Royal-Cuirassiers. En 1679, le sabre remplace l’épée dans la cavalerie française, sur le modèle autrichien. Les cavaliers disposent aussi de pistolets, et la carabine rayée (arme précise présentant l’avantage de ne pas s’encrasser rapidement) progresse chez les unités d’élite. Il y a deux carabiniers par compagnie de cavalerie en 1679, puis une compagnie de carabiniers par régiment en 1690, avant que ne soit constitué un régiment de carabiniers, en 1693. Autre évolution : dans les années 1690, les Français ajoutent des hussards qui combattent dans le style hongrois, mais ceux-ci restent peu nombreux.
La charge reste le mouvement tactique principal, mais elle ne se fait pas à toute allure. Une charge au trot permet de garder la cohésion de la formation tandis qu’une charge à une allure rapide augmente le choc de la charge. Les Français font un compromis en avançant au trot pour garder la cohésion et ne pas fatiguer les chevaux avant de se lancer au galop sur les 50 derniers mètres.
L’artillerie
La pièce d’artillerie principale est le canon avec son projectile, le boulet. Il est aussi utilisé de la mitraille, ensemble de petites balles et divers projectiles qui ont un pouvoir destructeur sur les rangs ennemis. Les mortiers sont utilisés pour les sièges. Vauban calcula que dans les meilleures conditions, un canon lourd peut projeter un boulet à 2,5 kilomètres. Sur un champ de bataille, la portée effective ne dépasse pas 500 mètres. Pour endommager les murailles d’une forteresse il fallait placer les canons lourds à moins de 550 mètres du mur.
En ce qui concerne le mortier, dans les années 1680, Louis XIV et Louvois (ministre de la Guerre) sont fascinés par cette arme en raison de la terreur qu’elle inspire aux populations et des dégâts occasionnés. Ressemblant à un pot renversé, il projette son obus à haute altitude, permettant de toucher la ville de l’intérieur, en passant au-dessus des murailles. A Mons en 1683, les Français envoient 2500 à 3000 obus sur la ville, sur ordre de Louvois.
Durant le règne de Louis XIV, la moyenne est d’un canon pour 1000 hommes. A Entzheim (1674), Turenne dispose de 30 canons pour 25.000 hommes. A Neerwinden (1693), Luxembourg aligne 71 canons pour 80.000 hommes. A Malplaquet (1709), Villars en possède 60 pour 75.000 hommes.
III. L’art de la guerre : le siège plutôt que la bataille
Lors des batailles louis-quatorziennes, la victoire ne revient pas à celui qui infligera les plus grandes pertes physiques à l’ennemi mais plutôt à celui qui saura maintenir sa cohésion tout en encaissant de lourdes pertes. Le maréchal Catinat écrit que “l’on prépare le soldat à ne pas tirer et à réaliser qu’il est nécessaire de supporter le feu de l’ennemi, étant donné que l’ennemi qui tire est assurément battu quand on reçoit la totalité de son feu”. Deux formations d’infanterie pouvaient se tenir à courte distance et tirer l’une sur l’autre alternativement, avec des pertes effrayantes, ce qui suppose chez le soldat un grand sens de l’auto-sacrifice. De fait, l’entraînement est basé sur l’obéissance aveugle et la contrainte, et non pas seulement sur le maniement des armes.
Mais les batailles restent rares, car considérées comme hasardeuses, avec un résultat imprévisible. Elles ne sont jamais décisives – à la différence des batailles napoléoniennes -, l’ennemi parvenant à mobiliser d’autres hommes issus d’un autre front (par un jeu de bascule) ou de garnisons de forteresses. Lorsqu’un belligérant remporte une bataille, cela lui suffit pour poser des conditions de paix plus dures.
L’art de la guerre à la fin du XVIIe siècle n’a pas grand chose à voir avec l’art de la guerre napoléonien. Les mouvements de troupe sont lents et le siège est au temps de Louis XIV la forme la plus courante d’opération militaire. Les forteresses contrôlent des régions, servent de verrous pour l’adversaire et de “pont” pour les Français. La guerre de siège paraît être la forme la plus rationnelle de la guerre.
Sources :
CORVISIER, André. Louvois. Fayard, 1983.
LYNN, John A. Les guerres de Louis XIV, 1667-1714. Perrin, 2010.
Auteur : Aetius
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