Ce document aborde les élections législatives et leurs enjeux, les conditions de nomination des gouvernements successifs, les causes de leur chute, la désignation du Président de la République par les parlementaires. En dehors des longues listes des ministres de chaque gouvernement que l’on trouve largement par ailleurs, il permet de comprendre ce qu’a été l’instabilité gouvernementale de la troisième République et le jeu stérile des partis politiques pour placer leurs chefs. Le grand tombeur de gouvernement de ces deux septennats sera l’impitoyable Georges Clemenceau.
Élection du Président de la République (17 janvier 1906)
Le 17 janvier 1906, les deux chambres se réunissent à Versailles en Assemblée nationale afin de nommer un successeur au président Emile Loubet dont les pouvoirs doivent expirer un mois plus tard et qui ne souhaite pas se représenter.
Deux candidats sont en présence : Paul Doumer (Président de la chambre des députés) et Armand Fallières (Président du Sénat).
Paul Doumer est d’origine Radical. Ministre des Finances dans le cabinet Léon Bourgeois, il a été le promoteur de l’impôt général sur le revenu. Ensuite, gouverneur général de l’Indochine, il a repris en main l’administration de façon énergique et impulsé un programme de travaux publics. De retour à la Chambre des députés, il a pris position contre les excès d’Emile Combes et son gouvernement liberticide d’extrême gauche ; largement contribué à l’effritement du « Bloc des gauches » (Gauche incluant l’extrême gauche socialiste). La Gauche lui en tiendra rigueur à l’occasion de cette élection présidentielle.
Armand Fallières, Gauche démocratique, a su rester en bon terme avec la Gauche tout au long du gouvernement Emile Combes malgré les excès de ce dernier. Elu député de Nérac en 1876, passé au Sénat en 1890, il a été plusieurs fois ministre et très brièvement Président du Conseil.
Armand Fallières sera élu pour sept ans à Soixante-quatre ans par 449 voix de gauche contre 371 du Centre et de la Droite données à Paul Doumer.
Dans son discours inaugural, il déclarera : « Pour me faciliter ma tâche, je fais appel à tous les républicains, n’oubliant d’ailleurs pas que, si l’on gouverne avec les hommes de son parti, c’est dans l’intérêt supérieur de la nation et que l’on doit à tous, sans distinction d’origine ni de foi politique, la protection de tous les droits ». Au lendemain du Combisme, ces propos de bon sens paraissent neufs !
Chute du gouvernement Maurice Rouvier (7 mars 1906)
Le 7 mars 1906, le gouvernement est interpellé à l’Assemblée nationale au sujet de la mort d’un manifestant catholique tué par balle par le fils d’un percepteur venu confisquer les biens du clergé dans la commune de Boeschape en Flandres.
Dans la réponse que fera le Président du Conseil aux parlementaires, ce dernier déclarera n’avoir fait qu’appliquer la loi. L’affichage de son discours sera finalement voté. Mais aussitôt après, la confiance sera refusée au gouvernement par 267 voix contre 224 (La Droite et le Centre ayant voté contre). Le ministère sera dans l’obligation d’apporter sa démission à l’Elysée.
Une chute dont a le secret les institutions de la troisième République, sans réelles motivations !
Face à la tension internationale entre la France et l’Angleterre, d’une part, et l’Allemagne, d’autre part, au sujet du Maroc, le président Armand Fallières souhaite la constitution d’un ministère composé de fortes personnalités. Pour éviter compétition et jalousie, il nomme pour constituer le gouvernement un parlementaire relativement effacé : Le député radical Ferdinand Sarrien.
Le gouvernement aura duré 17 jours.
Constitution du Gouvernement Ferdinand Sarrien (14 mars 1906)
Le gouvernement est formé le 14 mars 1906. Avec la présidence du Conseil, Ferdinand Sarrien prend le portefeuille de la Justice. Aristide Briand, qui s’était illustré lors des débats de la loi de séparation de l’état et des Eglises, va à l’Instruction publique et aux Cultes et quitte définitivement le Parti socialiste. Le pontife radical Léon Bourgeois, théoricien de l’arbitrage international et naguère représentant de la France aux conférences de La Haye, prend le ministère des Affaires étrangères. Les anciennes « Etoiles » du Centre gauche Raymond Poincaré et Louis Barthou reçoivent respectivement les ministères des Finances et des Travaux publics. Un autre ténor modéré, Georges Leygues, reçoit les Colonies.
Du ministère précédent demeurent à leur poste : Le chef du Parti colonial et Républicain de Gauche Eugène Etienne à la Guerre, le chantre de la colonisation de peuplement en Algérie et député de la Gauche radicale Gaston Thomson à la Marine, le député de la Gauche radicale Joseph Ruau à l’Agriculture.
La grande nouveauté est l’arrivée au gouvernement du très Radical-socialiste et tombeur de gouvernement Georges Clemenceau. Il prend le portefeuille de l’Intérieur. Le terrible jacobin, qui a abattu tant de gouvernement, n’a jusqu’à présent participé à aucun (Il a alors 65 ans). Sa nomination suscite, chez tous, la curiosité, et chez beaucoup la crainte.
La déclaration du nouveau gouvernement est approuvée par les députés par 299 voix et 50 abstentions venant de la Droite et du Centre.
Elections législatives des 6 et 20 mai 1906
Les Droites (Conservateurs proprement dits, Catholiques d’Action libérale, nationaliste, progressistes) font bloc et présentent, dans la majorité des cas, un candidat commun dès le premier tour. En face, les républicains de gauche, radicaux et radicaux-socialistes sont unis, la loi de séparation des églises et de l’état leur servant de dénominateur commun. Fait nouveau : à l’extrême gauche, le Parti socialiste (Unifié depuis 1905) présente presque partout des candidats.
Les tensions entre la France et l’Allemagne ne prennent qu’une place secondaire dans le débat. L’impôt général sur le revenu est largement débattu : Les gauches demandent sont institution immédiate ; les Droites et Modérés y voient un « Système vexatoire et inquisitorial ». Les Radicaux et Radicaux-socialistes demandent la retraite pour les vieux travailleurs, l’extension de la mutualité, l’arbitrage international obligatoire en cas de conflit entre pays, le rachat de certains réseaux de chemin de fer.
Les socialistes affichent un programme doctrinal unique dans lequel on trouve notamment : Le scrutin de liste avec représentation proportionnelle ; l’élection des juges ; la gratuité de l’enseignement à tous les degrés ; l’impôt progressif sur le capital et les successions ; le repos hebdomadaire ; la limitation à huit heures de la journée de travail ; la nationalisation des chemins de fer, des mines, de la Banque de France, des assurances, de la meunerie, de l’alcool et des sucreries ; la fixation par les municipalités d’un salaire minimum, la reconnaissance du droit syndical pour les agents de l’Etat ; la substitution de l’Armée permanente par des milices populaires.
Ce qui semble surtout passionner les électeurs moyens, ce sont les questions religieuses : On est pour ou contre les mesures prisent contre les congrégations catholiques par le gouvernement d’Emile Combes ; pour ou contre les curés.
La victoire des Gauches s’affirme dès le premier tour et est confirmée au second tour. Sur les 414 élus, on compte : 90 républicains de Gauche ; 115 radicaux ; 130 radicaux-socialistes ; 20 socialistes indépendants (Nuance Millerand ou Briand) et 59 socialistes unifiés. L’Ancien « Bloc » gagne ainsi une soixantaine de sièges.
L’opposition est écrasée et perd environ une soixantaine de mandats. Elle ne dispose plus que de 175 sièges répartis ainsi : 78 pour les conservateurs et les catholiques d’Action libérale ; 30 pour les nationalistes ; 67 pour les progressistes. Dans la majorité des départements du Centre et du Sud-est, la Droite n’a plus aucun élu.
Les grands vainqueurs sont les radicaux-socialistes qui vont constituer le groupe le plus nombreux de la nouvelle assemblée. En s’unissant aux radicaux et aux socialistes, ils pourraient se passer du concours des républicains de gauche. Bon nombre des radicaux l’étant par opportunisme et sur les questions sociales très modérés, cette alliance ne se fera pas. Ainsi, le « Bloc » ne se reformera-t-il pas en 1906. L’action de la nouvelle législature sera, pour une bonne part, antisocialiste.
La session est inaugurée le premier juin. La majorité de la chambre désigne le Radical-socialiste Henri Brisson comme président par 398 voix sur 500 votants. Il remplace Paul Doumer, radical lui aussi mais anti-combiste. La Droite n’a obtenu qu’une représentation infime au bureau de l’Assemblé nationale. Elle se voit éliminée des grandes commissions permanentes.
Le 21 juin, un ordre du jour de confiance au gouvernement est adopté par 400 voix contre 88. Le gouvernement de Ferdinand Sarrien est reconduit. Les socialistes « Unifiés » ont émis un vote hostile mettant fin définitivement au « Bloc républicain ». Le ministère va être contraint de gouverner contre l’extrême Gauche que contre la Droite.
Toutefois satisfaction sera donnée à l’opposition par le rétablissement dès le 13 juillet 1906 du repos hebdomadaire, revendication sociale importante. La loi qui, sous la Restauration, a rendu obligatoire le repos dominical a été abrogée en 1880 comme « Cléricale ». Cette mesure sera très lente à rentrer dans les mœurs : Pendant encore cinq ou six ans, les patrons résisteront à son application.
Démission du gouvernement Ferdinand Sarrien (19 octobre 1906)
C’est pour raison de santé que le gouvernement démissionne. Quelques jours avant la date prévue pour l’ouverture de la session extraordinaire des chambres, le Président du Conseil Ferdinand Sarrien estime que, atteint depuis longtemps d’entérite chronique, il n’a plus la santé pour tenir ses fonctions. Son retrait entraine celui du ministère tout entier.
Le gouvernement sortant aura duré 220 jours.
Constitution du gouvernement Georges Clemenceau (25 octobre 1906)
Sur les conseils du Président du Conseil sortant, le Président de la République sollicite Georges Clémenceau qui accepte sans hésiter de former le nouveau gouvernement à soixante-cinq ans.
Dans un premier temps, on croit que tous les ministres sortants (Sauf Ferdinand Sarrien) vont être reconduits. Deux des ténors du gouvernement sortant se dérobent, ne voulant pas servir sous l‘autorité d’un chef aussi autoritaire et fantasque que Clemenceau : Léon Bourgeois (Radical) prétextant des problèmes de santé ; Raymond Poincaré (Centre Gauche) des dissentiments avec la commission des finance de la Chambre. Georges Clemenceau ne les retient pas et en profite pour éliminer le modéré Georges Leygues et Eugène Etienne (Républicain de Gauche).
Le nouveau Président du Conseil s’entoure d’hommes « Surs ». Le gouvernement est définitivement formé le 25 octobre 1906. Georges Clemenceau conserve le portefeuille de l’Intérieur. Le député Edmond Guyot-Dessaigne (Gauche radicale) remplace Ferdinand Sarrien à la Justice. Un ami dévoué du Tigre, Stéphen Pichon (Radical-socialiste), remplace Léon Bourgeois aux Affaires étrangères. Joseph Caillaux (Membre du Parti radical, il sera condamné pour intelligence avec l’ennemi durant la Grande guerre durant le gouvernement de Clemenceau) prend le portefeuille des Finances abandonné par Raymond Poincaré. Le sénateur Raphaël Miliès-Lacroix (Gauche démocratique radicale et radicale-socialiste) est chargé des Colonies. Revanche des Dreyfusistes, le Général de brigade Georges Picquart se voit attribué le ministère de la Guerre.
Nouveauté, un ministère du Travail est créé. Il est attribué au député socialiste indépendant, anticlérical farouche, René Viviani.
Plus marqué à Gauche que le précédent, le premier ministère Clemenceau durera deux ans et neuf mois (Jusqu’au 31 décembre 1907).
Le 5 novembre, Georges Clemenceau donne lecture devant le Parlement de sa déclaration gouvernementale à laquelle l’ensemble des ministres ont contribué. Le préambule, rédigé des propres mains du Président du Conseil, se termine sur cette phrase : « Avant de philosopher, il faut être. C’est pourquoi nous entendons maintenir nos forces militaires en état de faire face, sans à-coups, à toutes les éventualités ». Suit une longue énumération de projets dont beaucoup resteront sans suite. Parmi ces projets : Complète laïcisation des écoles ; institution de retraites ouvrières ; réduction à dix heures de la journée de travail ; extension aux ouvriers agricole de la loi sur les accidents de travail ; statut des fonctionnaires ; rachat de la compagnie de chemin de fer de l’Ouest ; impôt sur le revenu et sur le capital ; suppression des conseils de guerre ; etc.
La confiance est votée par 376 voix contre 94.
Chute du gouvernement Georges Clemenceau (20 juillet 1909)
La longue durée du gouvernement et les manières cassantes de Georges Clemenceau avaient lassé un bon nombre de députés de la majorité. Depuis quelque temps, une campagne sourde était menée dans les couloirs de l’Assemblée nationale contre le Président du Conseil.
C’est à l’occasion de la discussion des résultats d’une commission d’enquête sur la Marine nationale que les esprits vont s’échauffer et que le gouvernement va tomber.
En octobre 1908, plusieurs catastrophes étaient survenues dans nos ports et notamment l’explosion du cuirassier Iéna. Le ministre de la Marine, Gaston Thomson, avait été contraint de démissionner. Une commission d’enquête parlementaire avait été décidée suite à la proposition de réorganisation de la Marine proposée par le nouveau ministre, Alfred Picard ; réorganisation qui avait été accueillie froidement par les députés.
En juillet 1909, s’ouvrent les discussions sur les conclusions de cette enquête parlementaires qui sont très dures pour le ministère. C’est Théophile Delcassé, un opposant farouche de Georges Clemenceau au sein du radicalisme qui développe avec âpreté les conclusions. Une passe d’arme violente s’en suivit entre les deux hommes, sous le regard jovial d’une partie de la majorité, heureuse de voir un de ses membres s’opposer au Tigre.
Au soir du 20 juillet, la nervosité de la majorité va conduire à la chute du cabinet. Un vote sur la priorité à accorder à un ordre du jour comportant la confiance dans le gouvernement est émis. Par 212 voix contre 196, cette priorité est refusée. Le premier gouvernement de Georges Clemenceau perd la confiance du parlement et démissionne victime de son usure et de l’impulsivité de son chef.
Le gouvernement sortant aura duré 2 ans et 268 jours.
Constitution du gouvernement Aristide Briand (24 juillet 1909)
Le Président de la République, Armand Fallières, fait sur le champ appeler Aristide Briand, alors âgé de quarante-sept ans, pour former le gouvernement. Il répond à un souhait de la majorité qui est lassée de « La manière forte » et aspire à plus de ménagement.
Il écarte ainsi le « Tombeur » de Georges Clemenceau, Théophile Delcassé. L’ancien ministre des Affaires étrangères a de très nombreux adversaires au parlement à cause de sa politique extérieure aventureuse qui a durci les relations avec l’Empire allemand. Le Président de la République craint une réaction de l’Allemagne au cas où l’homme qu’elle a fait écarter du pouvoir y reviendrait.
Le cabinet est rapidement constitué. Sur douze ministres, six faisaient partie de la combinaison précédente. Aristide Briand prend le portefeuille de l’Intérieur ; Stéphen Pichon (Radical-socialiste) reste aux Affaires étrangères ; Gaston Doumergue (Radical) à l’Instruction publique ; Viviani (Socialiste indépendant) au Travail ; Joseph Ruau (Gauche radicale) à l’Agriculture ; Louis Barthou (Républicain modéré) à la Justice, laissant les Travaux publics à Alexandre Millerand (Socialiste indépendant) ; le général Brun, l’amiral Boué de Lapeyre et le député Georges Trouillot (Gauche radicale) reçoivent respectivement les portefeuilles de la Guerre, de la Marine et des Colonies ; Jean Dupuy (Alliance républicaine démocratique), le directeur du « Petit parisien » va au Commerce ; Georges Cochery (Union démocratique), rapporteur du budget à la Chambre, va aux Finances en remplacement du sulfureux Joseph Caillaux.
La composition faite par le Président du Conseil opère un léger glissement vers le centre. En perdant ce qu’ils considèrent comme un fief, les radicaux-socialistes se montrent peu satisfaits en ne conservant pas le ministère de l’Intérieur.
La déclaration du Gouvernement est très banale mais est favorablement accueillie. Le nouveau Président du Conseil est très applaudi quand il fait allusion à son passé en déclarant : « En moi est né un autre homme, qui veut s’adapter à sa fonction » (Aristide Briand a débuté dans les rangs de l’extrême gauche).
La confiance est votée le 27 juillet 1909 par 306 voix contre 46, avec une forte proportion d’abstention.
Elections législatives des 24 avril et 8 mai 1910
Les thèmes principaux de la campagne sont : la représentation proportionnelle ; le statut des fonctionnaires ; l’impôt sur le revenu ; la neutralité scolaire et un peu des problèmes internationaux qui voient les relations avec l’Allemagne continuer à se tendre. Ce sont surtout les problèmes de personnes qui dominent.
Aristide Briand a donné comme consigne aux préfets de soutenir moins les candidats de l’ancien « Bloc des gauches » que ceux qui ont fourni au gouvernement des preuves d’attachement personnel.
Quand le 8 mai 1910 les résultats définitifs sont proclamés, les français constatent que 230 sortants sont restés sur le carreau victimes, pour la grande majorité d’entre eux, d’avoir voté le relèvement de l’indemnité parlementaire à 15 000 francs qui avait été très mal perçu par l’opinion publique.
Selon les chiffres officiels, la nouvelle Chambre est constituée de : 74 socialistes unifiés ; 30 socialistes indépendants ; 252 radicaux et radicaux-socialistes ; 153 républicains modérés ; 88 « Réactionnaires ». La progression des socialistes et des modérées est nette ; elle se fait au détriment des radicaux-socialistes et le la Droite. C’est sans tenir compte que nombre de conservateurs sociaux se sont fait élire sous l’étiquette de « Républicain de gauche » (Ou même de radicaux).
Avec ces élections de 1910, le paysage politique français a opéré une mutation de fond. L’ancien clivage du début de la Troisième République entre Républicains et Réactionnaires n’est plus. A l’extrême gauche, les socialistes sont coupés de leurs anciens partenaires radicaux et radicaux-socialiste. Au centre la frontière entre ceux qui regardent à gauche et ceux qui regardent à droite est estompée plus que naguère.
Ces élections législatives sont un réel succès pour l’Alliance démocratique et pour les intérêts économiques qui la soutiennent.
C’est aussi une victoire pour la politique de détente d’Aristide Briand. Elle sera confirmée dans le discours ministériel qui inaugure la nouvelle législature. Aristide Briand déclarera : « Le suffrage universel entend que la justice et la liberté ne soient pas l’apanage de quelque uns […] il ne veut pas qu’elles deviennent, au grès des fluctuations politiques, la prime ou la rançon des partis ». L’ère des excès du combisme et de la chasse à certaines catégories de français (Les catholiques) semble en voie d’achèvement. Cette évolution sera bénéfique quand il faudra rassembler les français face à l’Allemagne en 1914.
Malgré les réserves des derniers partisans du Combisme, la confiance est votée par 404 voix contre 121.
« La République des camarades »
Avec la fin du vieux clivage politique, la République a changée. Au Palais-Bourbon « il va être décidé de faire aux minorités large place dans les dix-sept grandes commissions permanentes instituées en 1902. Elles étaient jusqu’ici élues par les bureaux de l’Assemblée, eux-mêmes tirés au sort : elles le seront désormais sur la présentation des groupes et proportionnellement à l’effectif de chacun d’eux ». De fait, les groupes se voient pour la première fois officiellement reconnus. C’est une grande innovation qui aura de grandes conséquences.
Dans les ministères, on commencera à réserver un presque aussi bon accueil aux membres de la majorité qu’à ceux de l’opposition.
On affectera de donner aux problèmes économiques et techniques plus d’importance qu’à ceux traitant de questions de principe. Le temps héroïque des grandes luttes d’idées est révolu.
Revers de la médaille, le laisser-aller va s’installer. Le tutoiement entre députés qui était exceptionnel va se généraliser. On s’indignera de moins en moins ; on se fera la courte-échelle de plus en plus souvent. On sera de plus en plus sensible aux sollicitations des intérêts privés et au regard de la presse.
Les relations parlementaires seront résumées par la formule : « Passe-moi la rhubarbe, je te passerai le séné ». Reprenant le titre du livre du journaliste Robert de Jouvenel paru en 1913, nous entrons dans la « République des camarades ».
Démission du Gouvernement Aristide Briand (2 novembre 1910)
Bien qu’ayant obtenu la confiance des députés à une très forte majorité (329 voix contre 183) le 30 octobre, le Président du Conseil apporte sa démission au Président de la République le 2 novembre 1910 à la surprise générale.
Ce que ne savent pas les français, c’est que des tensions sévissent au sein du cabinet. Aristide Briand devine que les radicaux-socialistes souhaitent un remaniement qui leur ferait la part la plus large.
Le gouvernement sortant aura duré 1 an et 102 jours.
Constitution du second Gouvernement Aristide Briand (3 novembre 1910)
Aristide Briand est aussitôt réinvesti par le Président de la République. Il ne conserve que quatre des précédents ministres : Stéphen Pichon aux Affaires étrangères (Radical-socialiste) ; Jean Dupuy au Commerce (Alliance républicaine démocratique) ; le général Brun à la Guerre et l’amiral Boué de Lapeyre à la Marine.
Aristide Briand choisit le restent des ministres dans le camp des radicaux et radicaux-socialiste, parmi ceux qui sont sans notoriété. Le moins inconnu est Louis Laferre, Grand maître du Grand-Orient de France, qui fut impliqué dans l’Affaire des fiches. Ce dernier reçoit le portefeuille du Travail et de la Prévoyance sociale. Joseph Caillaux, qui n’a pas été sollicité, dira de ce gouvernement avec mépris : « C’est un cabinet de gens de maison. »
La manœuvre du Président du Conseil s’avère ne pas être heureuse : Les ministres sortants ont plus d’amis que les entrants. La confiance du Gouvernement n’est accordée que par 296 voix contre 209. Les radicaux et radicaux-socialistes vont alors tout faire pour faire tomber le cabinet.
Démission du Gouvernement Aristide Briand (27 février 1911)
Avec son caractère indolent, Aristide Briand n’est pas de ceux qui luttent contre vent et marée. Il louvoie afin d’éviter les coups. La discussion sur le budget 1911 est perturbée par d’incessantes interpellations ; il évite que les députés lui imposent la réintégration des cheminots révoqués suite aux grèves d’octobre 1910. Enfin, une campagne est menée contre le gouvernement concernant l’indemnité qu’il a alloué à la Compagnie de la N’Goko-Sangha concessionnaire d’un important territoire dans le Congo français. On parle à mie voix de scandale.
Plutôt que de s’obstiner, Aristide Briand préfère passer la main. Le 27 février 1911, sans avoir été mis en minorité, Aristide Briand remet à Armand Fallières la démission du cabinet, prétextant que dans les derniers scrutins la Gauche a voté contre lui.
Le gouvernement sortant aura duré 115 jours.
Formation du Gouvernement Ernest Monis (2 mars 1911)
Selon les circonstances, le nouveau gouvernement ne saurait être formé que par un radical ou un radical-socialiste. Deux candidats sont sur les rangs : Le brillant financier d’état Joseph Caillaux, l’homme de l’impôt sur le revenu tant attendu à gauche ; le riche agent de change enclin à la démagogie Maurice Berteaux qui a su se constituer une large clientèle dans les bancs de gauche.
Face à ce choix difficile, le Président de la république a recours à un artifice qui a déjà fait ses preuves au cours de la Troisième République : Il se tourne vers le Sénat pour choisir une personnalité sans aucuns éclats, mais bien sympathique. Ernest Monis, sénateur de la Gironde est chargé de former le nouveau gouvernement à soixante-cinq ans.
Le nouveau cabinet est sur pied le 2 mars 1911. Le Président du Conseil a pris le ministère de l’Intérieur. Joseph Caillaux est aux Finances ; Maurice Berteaux à la Guerre ; Théophile Delcassé fait sa rentrée en devenant ministre de la Marine (Il avait été contraint de démissionner de son poste de ministre des Affaires étrangères sous la pression de l’Allemagne) ; un jeune député socialiste indépendant, Paul-Boncour fait son entrée comme ministre du Travail et de la prévoyance sociale.
Le poste de ministre des Affaires étrangères a eu plus de mal à être comblé, Léon Bourgeois et Raymond Poincaré s’étant successivement désistés. Il sera finalement attribué à un avocat radical-socialiste, Jean Cruppi, sans aucune expérience alors que les tensions avec l’Allemagne ne font que s’accroitre au sujet du Maroc.
Le nouveau cabinet est franchement axé à gauche. C’est d’autant plus vrai que certains de ses membres vont aussitôt nommés faire une « Visite de courtoisie au « Petit père » Combes.
Après une déclaration ministérielle terne, la confiance est largement accordée au gouvernement, les socialistes unifiés n’ayant pas voté contre (Ils se sont tout de même abstenus).
Ce sera un ministère sans aucunes envergures qui échouera sur tous les sujets : Budget 1911 voté après que sept douzièmes provisoires aient été voté ; projet d’impôts sur le revenu toujours bloqué au Sénat ; pressions de ministre de l’Intérieur sur les compagnies de chemin de fer pour faire réintégrer les cheminots révoqués qui n’auront aucun effet ; émeutes dans la Marne suite à l’extension de la zone de production du Champagne ; débat confus sur l’application de la loi sur les retraites ouvrières.
Chute du Gouvernement Ernest Monis (23 juin 1911)
Ce gouvernement sans envergure sera affaibli par le grave accident dont sera victime Ernest Monis le 21 mai à l’aérodrome d’Issy-les-Moulineaux. Au cours d’une compétition aérienne organisée par le journal Le petit parisien, un monoplan s’est abattu au décollage sur le groupe des personnalités. Le ministre de la Guerre, Maurice Berteaux, est tué ; le président du Conseil grièvement blessé.
La chute va se produire le 23 juin à l’occasion d’une interpellation sur l’organisation du haut commandement en temps de guerre. La réponse du nouveau ministre de la Guerre, le général Goiran, est ne satisfait pas la majorité. En l’absence sur les bancs du gouvernement du Président du Conseil non remis de son accident, un certain flottement se fait sentir. C’est par 248 voix contre 224 que la confiance est refusée au gouvernement sur la question importante de la sécurité (Le parlement allemand vient de voter l’accroissement des effectifs militaires).
Le gouvernement sortant aura duré 113 jours.
Formation du Gouvernement Joseph Caillaux (27 juin 1911)
Le précédent cabinet n’étant pas tombé sur une question de politique générale, le Président Armand Fallières croit devoir charger un autre radical-socialiste de constituer le nouveau gouvernement. En l’absence de leur ténor récemment tué dans l’accident d’Issy-les-Moulineaux, le seul qui s’impose est l’orgueilleux ancien inspecteur des finances Joseph Caillaux. Ce dernier est nommé le 27 juin 1911 à quarante-huit ans.
Le gouvernement constitué comprend dix radicaux et radicaux-socialistes sur douze ministres. Plusieurs membres du cabinet précédents sont reconduits ou change de portefeuille : Théophile Delcassé reste à la Marine ; Jean Cruppi quitte les Affaires étrangères pour rejoindre le ministère de la Justice ; l’ancien officier breveté d’état-major Adolphe Messimy passe des Colonies à la Guerre.
Selon une tradition qui tend à se constituer, le Président du Conseil prend le portefeuille de l’Intérieur.
Le ministère des Finances va à l’ancien ministre des finances du second cabinet Aristide Briand, le député Lucien Klotz.
Les Affaires étrangères sont rituellement proposées à Léon Bourgeois puis à Raymond Poincaré qui rituellement refusent. C’est au sénateur Justin de Selves qu’il échoit. Sa seule qualification est d’être le petit-cousin du patriarche Charles de Freycinet encore très écouté.
Le 30 juin, le gouvernement se présente devant les chambres. Dans la déclaration du gouvernement on peut y lire : « Nous voulons être un gouvernement qui gouverne ». C’est un pavé lancé dans la cour du précédent gouvernement.
La confiance est votée par 367 voix contre173 ; la Droite et les Socialistes unifiés ayant voté contre.
Chute du Gouvernement Joseph Caillaux (9 janvier 1912)
Le chef du gouvernement va chuter, victime de ses inimitiés qu’il a su largement créer autour de lui par plaisirs.
La constitution de 1875 stipule qu’aucun territoire ne peut être cédé qu’en vertu d’une loi. En ce début de 1912, arrive devant le Sénat la ratification de la cession à l’Allemagne de territoires situés au Congo en échange de l’abandon des prétentions allemande sur le Maroc.
Le Sénat nomme une commission spéciale chargée d’étudier le projet de ratification. Trois personnages importants de cette commission sont des opposants farouche de Joseph Caillaux : Léon Bourgeois, président de la commission ; Raymond Poincaré, rapporteur ; Georges Clemenceau, aussi orgueilleux que le Président du Conseil est celui qui le déteste le plus.
Tous trois ont été mis au courant des contacts secrets que le Président du Conseil a pris, à un certain moment, avec le baron de Lancken, représentant personnel de Guillaume II à Paris.
Le 9 janvier 1912, au cours de l’audition, Joseph Caillaux affirme sur l’honneur à la commission qu’il n’y a jamais eu de tractations autres qu’officielles. Georges Clemenceau saisit la balle au bond et s’adresse au ministre des Affaires étrangères en lui demandant de confirmer la déclaration du Président du Conseil. L’interpellé murmure : « Je prie la commission de m’autoriser à ne pas répondre ». Emoi dans la salle ; Joseph Caillaux pris en flagrant délit de contre-vérités. Le président suspend la séance sur le champ.
Après une orageuse explication, Justin de Selves s’en va à l’Elysée se démettre de ses fonctions. Joseph Caillaux est condamné. Ce dernier tentera de reconstituer son gouvernement en nommant Théophile Delcassé aux Affaires étrangères ; aura du mal à trouver un ministre pour remplacer ce dernier à la Marine (le sénateur Pierre Baudin et le vice-amiral Germinet se déroberont). Théophile Delcassé finira par retirer son consentement. La combinaison s’effondre obligeant Joseph Caillaux à démissionner.
Le gouvernement sortant aura duré 201 jours.
Formation du Gouvernement Raymond Poincaré (15 janvier 1912)
Dès le 11 janvier 1912, après avoir consulté les présidents du Sénat et de la Chambre, le Président de la République convoque Raymond Poincaré afin de lui demander de former le nouveau gouvernement.
C’est la première fois que le sénateur de la Meuse devient à cinquante-deux ans président du Conseil. Durant les six dernières années, cet incorruptible parlementaire de centre droit a refusé tous les postes ministériels qui lui ont été proposés.
Raymond Poincaré mène ses négociations avec prudence afin de constituer une équipe solidement charpentée, harmonieusement balancée d’un point de vue politique et comprenant plusieurs fortes personnalités ; les décrets de nomination ne paraitront que le 15 janvier. Il n’a pas cru devoir offrir de portefeuille à Georges Clemenceau.
En plus de sa fonction de Président du Conseil, Raymond Poincaré prend le portefeuille des Affaires étrangères. Aristide Briand est garde des sceaux ; Alexandre Millerand (Socialiste indépendant) ministre de la Guerre ; Théophile Delcassé (Radical) ministre de la Marine ; Théodore Steeg à l’Intérieur (Radical-socialiste) ; Gabriel Guist’hau à l’Instruction publique (Intime d’Aristide Briand, radical-socialiste) ; Jean Dupuy (Le très influant propriétaire du Petit Journal) aux Travaux publics ; le vénérable Léon Bourgeois (Radical 61 ans) a accepté le Travail ; Fernand David au Commerce représente les radicaux indépendants ; le radical-socialiste Klotz reste aux Finances ; le modéré Albert Lebrun reste aux Colonies. Le gouvernement ne comprend que quatre sous-secrétaires d’état seulement dont le jeune modéré Léon Bérard aux Beaux-Arts (Gauche démocratique 36 ans).
L’opinion et la presse font un accueil chaleureux au nouveau gouvernement qui est qualifié de « Grand ministère ». A l’étranger, y compris en Allemagne, les commentaires sont bienveillants.
Le 16 janvier, Raymond Poincaré lit devant les députés la déclaration du gouvernement. Aucune allusion à des réformes fiscales ou sociales. L’accent est mis sur la nécessité de « Donner au pays le sentiment de sa sécurité ». La réforme électorale y est promise.
A la suite d’une interpellation de pure forme, la confiance est votée par 440 voix sur 446 votants ; la Droite et les socialistes s’étant abstenus.
Election du Président de la République (17 janvier 1913)
Septennats Armand Fallières et Raymond Poincaré (1906 – 1920)Respectant la tradition, le 13 janvier 1913 a lieu une réunion plénière des groupes de Gauche du Sénat et de la Chambre afin de désigner le « Candidat républicain » à la présidence de la République. Georges Clemenceau propose le nom de Jules Pams, radical bon teint, galant homme, riche, affable et surtout très inoffensif. Le « Tigre » dira de lui : « Je suis pour lui parce que c’est le plus bête ».
Au dépouillement du premier tour, Raymond Poincaré arrive en tête. Jules Pams le suit de près. Un certain nombre de bulletins se sont portés sur le président du Sénat (Antoine Dubost), sur le président de la Chambre (Paul Deschanel), sur Alexandre Ribot (Ancien président du Conseil).
Personne n’obtient la majorité absolue qui ne sera pas atteinte après un second tour de scrutin qui voit Jules Pams distancer légèrement Raymond Poincaré.
Le lendemain, la distance s’accroît suite à un troisième tour sans toutefois atteindre la majorité absolue. Georges Clemenceau demande à Raymond Poincaré de renoncer au nom de la « Discipline républicaine ». Il se voit répondre par le Président du Conseil que la réunion officieuse du Luxembourg n’ayant donné aucune indication décisive, il reste sur ses positions. Pour la première fois, l’élection du Président de la République se fait contre l’avis de Georges Clemenceau qui quitte la réunion blême de rage.
Le 17 janvier 1913, les deux chambres réunies en congrès à Versailles procèdent à l’élection. Raymond Poincaré est élu par 483 voix sur 870 votants. Quand le nouveau Président de la République sort du palais de Versailles, il est ovationné de façon frénétique par le public. Il en sera de même dans Paris quand il ira saluer le président sortant.
C’est avec chaleur que la presse française accueille l’élection de Raymond Poincaré (A quelques exceptions près). La presse étrangère est presque aussi unanime à saluer l’homme. Les feuilles d’outre-Rhin se signalent par une particulière amabilité : le Lokal Anzeiger « Félicite la Nation française pour avoir confié la plus haute dignité à un homme aussi éminent. »
Démission du Gouvernement Raymond Poincaré (21 janvier 1913)
La transmission des pouvoirs doit avoir lieu un mois plus tard. Toutefois, Raymond Poincaré ne croit pas devoir conserver le poste de Président du Conseil jusque-là. Il remet à Armand Fallières sa démission et celle du gouvernement.
Le gouvernement sortant aura duré 1 an et 7 jours.
Formation du Gouvernement Aristide Briand (21 janvier 1913)
Ayant énergiquement soutenu la candidature de Raymond Poincaré lors de l’élection, Aristide Briand se voit proposer le poste de Président du Conseil par le président de la République sortant et par le nouveau.
Plusieurs ministres démissionnaires retrouvent leur portefeuille, mais pas tous : Léon Bourgeois, Théophile Delcassé et Albert Lebrun se retirent. Aristide Briand prend l’Intérieur et cède le ministère de la Justice à Louis Barthou. Théodore Steeg passe à l’Instruction publique. Eugène Etienne devient ministre de la Guerre et Pierre Baudoin de la Marine. En ce qui concerne les Affaires étrangères, elles sont attribuées à Charles Jonnard qui a montré tous ses talents d’administrateur et de diplomate quand il était gouverneur général de l’Algérie.
Démission du Gouvernement Aristide Briand (18 février 1913)
Sous l’impulsion de Georges Clemenceau, l’hostilité des radicaux vis-à-vis du gouvernement ne tarde pas à se faire sentir. Deux sujets sont en cause dont l’un va faire tomber cet éphémère gouvernement.
La réforme électorale qui vise à remplacer l’élection des députés au scrutin d’arrondissement par un scrutin de liste avec représentation proportionnelle a été votée le 10 juillet 1912 au Palais-Bourbon malgré l’hostilité des radicaux-socialistes pour lesquels l’ancien scrutin est plus favorable compte tenu de leurs implantations de longue date. Joseph Caillot à la Chambre et Georges Clemenceau au Sénat vont mener une campagne ouatée mais perfide pour que le Sénat ne ratifie pas la loi.
Le 13 mars 1913, s’ouvre au Sénat la discussion sur un rapport hostile du sénateur Jeanneney. Le 18 mars, en dépit d’un discours très habile d’Aristide Briand, la Haute-Assemblée vote un amendement supprimant la représentation proportionnelle par 161 voix contre 128. Le projet dénaturé est de fait rejeté ; le Gouvernement est démissionnaire.
Au travers de la réforme électorale, c’est le projet d’établissement du Service militaire de trois ans qui est visé par le Gauche. Le 5 mars, le Gouvernement avait déposé sur le bureau de la Chambre un projet de loi établissant le service militaire obligatoire à trois ans (Au lieu de deux) sans aucune dispense. Le dépôt du projet suscite de très fortes oppositions sur les bancs de Gauche. Ce dernier aurait pu ramener en faveur de la France l’écart important existant avec l’Allemagne d’homme dans l’Armée d’active avant la mobilisation (En plus d’être égalitaire au bénéfice des paysans).
Le gouvernement sortant aura duré 32 jours !
Formation du Gouvernement Louis Barthou (22 mars 1913)
Raymond Poincaré, qui pense qu’il serait criminel de renoncer au service de trois ans, choisit un de ses fidèles, Louis Barthou, pour former le nouveau gouvernement.
Le nouveau gouvernement, sur pied le 21 mars, est incliné un peu plus à gauche que le précédent. Charles Jonnard est remplacé aux Affaires étrangères par Stéphen Pichon et ami dévoué du Tigre (On espère ainsi neutraliser Georges Clemenceau). Les Finances vont à Charles Dumont dont le radicalisme est au-dessus de tout soupçon. Eugène Etienne conserve le portefeuille de la Guerre ; Pierre Baudin celui de la Marine ; Henry Chéron, le Gambetta normand, prend celui du Travail. Les autres ministres sont choisis dans la figuration habituelle qui puisse contenter les groupes politiques de gauche.
A remarquer, un nouvel entrant, Anatole de Monzie (Républicain socialiste) promis à un bel avenir ministériel qui reçoit le portefeuille de sous-secrétaire d’état à la marine marchande à l’âge de 40 ans. En août 1925, en tant que ministre de l’Instruction publique, il fera proscrire l’usage des langues régionales à l’école. Il sera Président du Conservatoire national des arts et métiers de 1940 à 1945.
La Chambre accueille le nouveau gouvernement de façon assez froide tout en votant la confiance.
Chute du Ministère Louis Barthou (2 décembre 1913)
Songeant à leur réélection au printemps 1914, nombre de députés qui ont voté la loi des Trois ans (Du service militaire) se demande si leurs électeurs ne vont pas leur en tenir rigueur. A gauche, on se console mal de l’élection à la Présidence de la République de Raymond Poincaré ; on s’inquiète du retour du nationalisme et on songe à reconstituer un « Bloc républicain » pour faire barrage à la « Réaction ».
Joseph Caillaux n’a pas digéré l’hostilité des modérés durant son ministère. Venu de leurs rangs, il va s’en éloigner et finira par se faire élire Président du parti radical-socialiste au congrès de Paris tenu en octobre 1913. Se rapprochant de Jean Jaurès, il a amorcé une campagne contre le cabinet de Louis Barthou, lui reprochant en privé d’avoir fait voter une loi militaire mal conçue, et publiquement de ne pas pouvoir décider le Sénat à voter la loi sur l’impôt général sur le revenu.
A la rentrée parlementaire de l’automne, s’engage au Palais-Bourbon la discussion sur l’emprunt de 1 300 millions permettant d’assurer la loi des trois ans et pour mettre la trésorerie à l’aise. Joseph Caillaux et Jean Jaurès s’y oppose en demandant que l’adoption par le Sénat de la loi sur l’impôt sur le revenu soit un préalable à toutes autres mesures financières. L’emprunt est voté de justesse.
Joseph Caillaux revient à la charge et demande la suppression de l’avantage fiscale dont bénéficient les rentes de l’Etat. Louis Barthou pose alors la question de confiance : Il est battu par 290 voix contre 265. Il part sur le champ porter sa démission à l’Elysée.
Le gouvernement sortant aura duré 255 jours ; victime de querelles de personnes, alors que l’Allemagne se prépare depuis quelques années à nous faire la guerre !
Formation du Gouvernement de Gaston Doumergue (9 décembre 1913)
La règle du jeu parlementaire de la troisième République voudrait que ce soit Joseph Caillaux qui forme le nouveau gouvernement. Reconnaissant les nombreuses inimitiés dont il fait l’objet à la Chambre, il renonce. De toute façon, Raymond Poincaré, souhaitant ardemment le maintien de la loi des Trois ans, ne souhaite pas le voir diriger le nouveau cabinet.
Alexandre Ribot (Radical hostile à la politique d’Emile Combes) et Jean Dupuy s’étant successivement dérobés, C’est finalement Gaston Doumergue (Radical) qui est appelé par le Président de la République.
Le nouveau gouvernement est constitué dès le 9 décembre 1913. Presque tous ses membres appartiennent au Parti radical-socialiste ; mais seulement une minorité a voté contre les Trois ans. Gaston Doumergue assume le portefeuille des Affaires étrangères ; Joseph Caillaux, celui des Finances.
Dans sa déclaration d’investiture, le Président du Conseil s’engage à faire voter par le Sénat la loi sur l’Impôt sur le revenu ; refuse de revenir sur la dernière loi militaire. L’ordre du jour de confiance est voté par 302 voix contre 141 ; les socialistes se sont abstenus car étant hostiles à la loi des Trois ans.
L’année 1913 arrivant à son terme, les milieux politiques français sont plus absorbés par les prochaines élections législatives que par la situation internationale explosive.
Elections législatives des 26 avril & 10 mai 1914
Le Sénat s’étant obstiné à ne pas voter la réforme électorale, c’est encore au système du scrutin d’arrondissement majoritaire que vont se faire les élections.
Deux camps s’affrontent âprement : La Fédération des Gauches, emmenée par Aristide Briand et Louis Barthou, groupe les partisans d’une politique de détente et d’union (Mettant fin aux querelles religieuses qui fracturent la société française) ; les socialistes et les radicaux restés fidèles au credo « Pas d’ennemi à gauche ».
La campagne se fait sur le double terrain de la loi des Trois ans et de l’impôt général sur les revenus. Socialistes et radicaux accusent leurs adversaires de grossir le péril extérieur afin de détourner l’attention publique de la réforme fiscale qui n’a toujours pas été votée par le Sénat. Cet argument spécieux va porter ses fruits : Une majorité des électeurs n’entend point que le patriotisme serve à couvrir un intérêt de classe. La vieille crainte de la « Réaction » se réveille.
Au final, la « Fédération des gauches » sort des urnes battue à cause de son positionnement ambigu. Les radicaux-socialistes gagnent 23 sièges ; les socialistes 29 (Passant ainsi à 102 députés) ; les partis du centre sont en léger recul ; la droite subit de lourdes pertes.
Fait significatif : Joseph Caillaux, ministre des Finances a été réélu à Mamers malgré les attaques dont il a été l’objet à la Chambre et dans la presse ; malgré le meurtre commis par sa femme sur le personne du directeur du Figaro et son soutien à l’auteur de « L’affaire Rochette » qui a ruiné des centaines de petits épargnants.
Démission du Gouvernement de Gaston Doumergue (2 juin 1914)
Le gouvernement de Gaston Doumergue est orienté à gauche de façon incontestable. Il aurait pu très bien être reconduit par la nouvelle chambre de même couleur politique.
Or, considérant la situation internationale qui continue de s’assombrir et craignant les difficultés que ne vont pas manquer de lui apporter la partie la plus à gauche de sa majorité par son pacifisme, sans avoir pris l’avis de personne, Gaston Doumergue remet la démission du cabinet à l’Elysée le 8 juin 1914. Il préfère céder la main à un autre pour continuer la politique de resserrement des alliances et le réarmement de la France.
Ce gouvernement aura duré 182 jours
Formation & chute du Gouvernement Alexandre Ribot (9 au 12 juin 1914)
La situation rend perplexe Raymond Poincaré qui veut assurer la pérennité de la Loi des trois ans coute que coute alors que les élections ont été un succès pour les tenants des adversaires de cette loi.
Tout montre que depuis plusieurs années les effectifs mobilisables côté allemand sont largement supérieurs que côté français. Cette politique suicidaire de la Gauche fera que dans les premiers mois du conflit, nos armées se battront à un contre quatre er sera hachées par une artillerie allemande bien supérieure. L’essentiel des morts et des blessés de la grande Guerre se fera durant cette période.
Après bien des hésitations, Raymond Poincaré fait appel à René Viviani. Socialiste indépendant de tendance avancée, René Viviani est un paresseux aisément surexcité et dépourvu de la moindre tenue. Par contre, il possède une « Belle intelligence » et des dons d’orateur prodigieux. Ayant voté contre la Loi des trois ans, il se rend compte avec lucidité des dangers que ferait courir son abrogation immédiate.
Il accepte la mission de former le gouvernement, mais devant les obstacles rencontrés, il renonce au bout de deux jours.
Sur les conseils de Gaston Doumergue, Raymond Poincaré se tourne vers Alexandre Ribot. « Grand parlementaire, grand libéral », ce dernier siège au Centre droit. Comme tel, il parait peu indiqué de prendre le pouvoir dans ces circonstances. Toutefois, c’est un homme de grande culture possédant un lumineux talent de parole, une longue expérience politique et une vie exemplaire. Ses nombreux atouts lui confèrent un prestige devant lequel on peut espérer que la Chambre s’inclinera.
Bien que n’aimant pas Raymond Poincaré, et réciproquement, face à la situation internationale particulièrement grave, il accepte de sortir de l’embarras le Président de la République.
Le cabinet est formé le 9 juin. Deux personnalités d’importance acceptent d’y participer : Léon Bourgeois (Radical-socialiste) et Théophile Delcassé (Radical indépendant) ; le premier aux Affaires étrangères, le second à la Guerre. Le Président du Conseil se réserve la Justice.
La rencontre avec le Parlement a lieu le 9 juin. Aussitôt des clameurs furieuses s’élèvent des bancs de la Gauche. En dépit de ses soixante-douze ans, Alexandre Ribot tient tête mais finit par jeter le gan face à l’hostilité de la Gauche. Le ministère est renversé dès la première journée. Ce gouvernement est le plus éphémère de la troisième République : il aura duré 3 jours !
Formation du Gouvernement de René Viviani (13 juin 1914)
Après avoir un instant songé à se démettre de ses fonctions présidentielles, Raymond Poincaré convoque à nouveau René Viviani. Ce dernier va aboutir à former le gouvernement le 14 juin 1914.
René Viviani se réserve le portefeuille des Affaires étrangères (En plus de celui de Président du Conseil). Trois sortants retrouvent leur poste : Louis Malvy à l’Intérieur (Radical-socialiste) ; Jean Bienvenu-Martin à la Justice (Radical-socialiste) ; Armand Gauthier à la Marine (Radical-socialiste). Adolphe Messimy va à la Guerre (Radical-socialiste) ; Joseph Noulens aux Finances (Radical-socialiste) ; Victor Augagneur à l’Instruction publique ; René Renoult aux Travaux publics (Radical-socialiste) ; Gaston Thomson au Commerce (Alliance démocratique – Centre gauche) ; Fernand David à l’Agriculture (Radical indépendant) ; Maurice Raynaud aux Colonies (Radical-socialiste) ; Maurice Couyba au Travail (Radical-socialiste).
Tous les ministres sauf René Viviani et Gaston Thomson sont des radicaux-socialistes. Aucun n’est homme de premier plan. Joseph Caillaux n’a pas pu faire partie du Gouvernement ; sa femme incarcérée devant bientôt être traduite en justice pour l’assassinat du patron du Figaro. Quant à Jean Jaurès, la résolution du congrès d’Amsterdam de 1904 lui interdit de participer à un « Gouvernement bourgeois ». C’est ce terne gouvernement sans envergure qui va devoir affronter le début de la grande Guerre.
Le gouvernement recevra l’aval de la majorité de gauche sur un programme transactionnel comportant l’adoption par le Sénat de l’impôt sur le revenu et le maintien du service militaire de trois ans à titre provisoire.
Formation du Gouvernement d’union nationale (26 août 1914)
Après moins d’un mois de guerre, le bilan pour la France est catastrophique : Nos armées qui se battent à un contre cinq sont partout bousculées sauf à Nancy et Belfort. Faute d’avoir développé un canon de plus longue portée que celle du 75Mm, les unités sont littéralement hachées par un déluge d’obus ; les poilus sont tués sans avoir vu l’ennemi ! Le scénario de 1870 semble se reproduire.
Poussé par le Président de la République et par les parlementaires, René Viviani se voit contraint de remanier son ministère tout en l’élargissant. Aristide Briand reçoit le ministère de la Justice ; Théophile Delcassé celui des Affaires étrangères (Radical indépendant) ; Alexandre Ribot celui des Finances (Fédération républicaine) ; à la Guerre, Adolphe Messimy jugé trop cassant et trop nerveux, est remplacé par Alexandre Millerand (Fédération des Gauches).
Pour la première fois, deux socialistes unifiés entre dans le gouvernement malgré l’interdit de la second Internationale ouvrière : le spirituel et paradoxal Marcel Sembat aux Travaux publics ; le vieux marxiste Jules Guesde comme ministre sans portefeuille (69 ans).
Georges Clemenceau s’est dérobé : Il veut être chef du gouvernement ou rien.
En même temps, Joseph Gallieni devient Gouverneur militaire de Paris et aussitôt s’emploie à mettre le camp retranché de Paris en état de défense. Les Allemand sont aux portes de Paris, comme en 1870 ! Les pouvoirs publics seront transférés à Bordeaux le 2 septembre.
Dislocation du Gouvernement de René Viviani (29 octobre 1915)
Usé par des déboires successifs, en proie à des attaques de plus en plus mordantes par les parlementaires ; miné par des dissentiments internes, le gouvernement est disloqué sans avoir été renversé par la Chambre.
René Viviani porte la démission du cabinet à l’Elysée le 29 octobre. Son gouvernement aura duré un an et soixante-quatre jours.
Formation du Gouvernement d’Aristide Briand (29 octobre 1915)
Raymond Poincaré fait appel à Aristide Briand qui s’y préparait depuis longtemps. Le nouveau gouvernement est formé dès le 29 octobre.
Aristide Briand y assure le ministère des Affaires étrangères, en place de Théophile Delcassé (Radical indépendant). Le président sortant, René Viviani, se voit relégué au ministère de la Justice (Socialiste indépendant). Quatre ministres restent à leur poste : Louis Malvy à l’Intérieur (Radical-socialiste) ; Alexandre Ribot aux Finances (Fédération républicaine) ; Gaston Doumergue aux Colonies (Radical-socialiste) ; Marcel Sembat aux Travaux publics (SFIO).
Un mathématicien profond et distrait, le député Paul Painlevé hérite du portefeuille de l’Instruction publique (Républicain socialiste). L’actif et intelligent contre-amiral Lucien Lacaze remplace Jean-Victor Augagneur à la Marine (Républicain socialiste). Il fut le chef de cabinet de Théophile Delcassé.
Le vieux Jules Méline (Fédération républicaine), qu’on n’a pas vu dans un gouvernement depuis 1898, retrouve son portefeuille de l’Agriculture après dix-sept ans !
Aristide Briand fait renter au gouvernement cinq vétérans avec le titre de ministre d’état : Charles de Freycinet (Collaborateur de Léon Gambetta et brillant ministre des Affaires étrangères) ; le très radical autoritaire Emile Combes (Radical-socialiste) ; Léon Bourgeois (Radical-socialiste) ; Jules Guesde (SFIO) ; Denys Cochin (Action libérale populaire) représente les catholiques ralliés à la République.
La nomination la plus remarquée est celle du général Gallieni qui succède à la Guerre à Alexandre Millerand. Ce grand soldat qui jouit d’un grand prestige, finira par démissionner au bout de cinq mois, victime officiellement de problèmes de santé. Le 7 mars 1916, suite aux fautes d’impréparation commises à Verdun par le haut-commandement, Gallieni avait suggéré le remplacement du général Joffre, directement responsable. Ses collègues du gouvernement ne voulant pas prendre une telle responsabilité, le général Gallieni donna sa démission. Il mourra le 27 mai des suites d’une opération.
Remaniement ministériel du 12 décembre 1916
Un congrès socialiste vient de ne voter qu’à une très faible majorité la continuation de la collaboration du Parti socialiste unifié avec le gouvernement ; les ministres socialistes parlent de se démettre.
Aristide Briand préfère prendre les devants dès le 9 décembre. Dans le cabinet reconstitué le 12 décembre, le général Pierre Roques (Fondateur de l’aviation militaire) est remplacé à la Guerre par le général Lyautey qui jouit d’un énorme succès à la suite de son action pacificatrice au Maroc. Les ministres d’état disparaissent ; Edouard Herriot (Sénateur radical du Rhône) remplace Marcel Sembat aux Travaux publics (SFIO). Un seul socialiste reste au gouvernement : Albert Thomas à l’Armement (Ministère créé pour lui).
La nouvelle combinaison est bien accueillie par la majorité ; reste à remplacer le général Joffre comme le souhaite cette majorité (Alors que Joffre, très populaire dans le public, est le « Vainqueur de la Marne »)
Chute du Ministère Aristide Briand (17 mars 1917)
Alors que la Russie sombre dans le communisme, l’agitation parlementaire reprend avec une intensité oubliée depuis août 1914. La Chambre connait de nouveau des séances houleuses.
Au cours de l’une d’elles tenue le 14 mars 1917, le général Lyautey, ministre de la Guerre, déclare qu’il lui est impossible de révéler certains détails techniques concernant l’aviation, même devant un comité secret. Aussitôt, les députés s’insurgent et des insultes fusent depuis les bancs de gauche. Le général Lyautey, qui méprise le monde parlementaire, quitte la séance et va donner sa démission.
Cette dernière entraine en quelques jours la dislocation du cabinet. Aristide Briand, suivant son caractère, n’insiste pas et va donner la démission du ministère à l’Elysée.
Le gouvernement d’Aristide Briand aura duré un an et cent trente-neuf jours.
Formation du Gouvernement Alexandre Ribot (20 mars 1917)
Le président de la Chambre, Paul Deschanel, ayant refusé de constituer un nouveau gouvernement, c’est vers Alexandre Ribot que se tourne Raymond Poincaré.
Le 20 mars, la combinaison est sur pied. Alexandre Ribot devient Président du Conseil et prend le portefeuille des Affaires étrangères. Il cède sa place de ministre des Finances au député modéré Joseph Thierry (Fédération républicaine). Le socialiste indépendant Paul Painlevé devient ministre de la guerre.
Cinq ministres restent à leur poste : René Viviani à la Justice (Républicain socialiste) ; Louis Malvy à l’Intérieur (Radical-socialiste) ; Amiral Lucien Lacaze à la Marine ; Etienne Clémentel au Commerce (Radical-socialiste) ; Albert Thomas à l’Armement au aux fabrications de guerre (SFIO).
Le député André Maginot, grand blessé de guerre, reçoit le portefeuille des Colonies (Alliance démocratique). L’instruction publique échoit au protestant anticlérical Théodore Steeg. Au Travail, on voit de nouveau le vieux Léon Bourgeois (Radical-socialiste).
Dans les jours qui vont suivre, le général Lyautey retournera au Maroc reprendre le poste de Gouverneur.
La déclaration ministérielle devant la Chambre affirme « Une volonté de poursuivre la guerre jusqu’à la victoire, non comme nos ennemis dans un esprit de domination et de conquête, mais avec le ferme dessein de recouvrer les provinces qui nous ont été autrefois arrachées, d’obtenir les réparations et les garanties qui nous sont dues et de proposer une paix durable, fondée sur le respect des droits et la liberté des peuples. »
La déclaration sera adoptée à l’unanimité des 440 voix, mais il y aura une centaine d’abstentions venant des rangs de l’extrême gauche socialiste.
Quel que soit la valeur intellectuelle des membres de ce gouvernement, aucun n’a le caractère d’un vrai chef de guerre. Grand parlementaire plein de savoir et d’honneur, le Président du Conseil manque d’énergie. Tel quel, ce cabinet va pourtant avoir à affronter les pires des difficultés, notamment l’agitation révolutionnaire venant de la Gauche socialiste qui touchera gravement l’industrie de l’armement au printemps 1917.
Chute du gouvernement Alexandre Ribot (7 septembre 1917)
Le Gouvernement d’Alexandre Ribot va chuter, pris dans la tourmente des différentes affaires d’intelligence avec l’ennemi et de corruptions dans lesquelles sont impliqués Louis Malvy (Ministre de l’Intérieur en fonction) et Joseph Caillaux (Ancien ministre des Finances).
A l’origine de cette affaire, un certain Bolo-Pacha convainc l'Allemagne de corrompre la presse française pour y publier des articles pacifistes destinés à atteindre le moral des Français. Deux organes de presse vont être ciblés : « Le Journal » qui est le plus important quotidien français ; le journal satirique et anarchiste « Le Bonnet rouge » qui est largement lu dans les milieux de gauche et d’extrême gauche.
L’affaire commence le 15 mai 1917 par l’arrestation à la frontière Suisse du directeur du « Bonnet rouge » Emile-Joseph Duval en possession d’un chèque de 150 000 francs de la banque Marx de Mannheim. Il sera inculpé dans un premier temps de commerce avec l’ennemi. Eugène Bonaventure Vigo, dit Miguel Almereyda (anagramme de : y a de la merde !) sera arrêté à son tour en tant que fondateur du journal. Il sera retrouvé mort dans sa cellule de la prison de Fresnes le 14 août 1917, étranglé par un lacet, son suicide est mis en doute, l'hypothèse d'un assassinat n'étant pas écartée. Emile-Joseph Duval sera fusillé le 17 juillet 1918 pour intelligence avec l’ennemi.
Au printemps 1914, à la demande du ministre en exercice des Finances Joseph Caillaux et contre rémunération, le « Bonnet rouge » avait publié des articles prenant la défense de sa femme, Henriette Caillaux, accusée du meurtre de Gaston Calmette, le directeur du Figaro. La femme du ministre, n’ayant pas supporté la campagne de presse contre son mari alors ministre des Finances, assassina Gaston Calmette de plusieurs coups de révolver le 16 mars 1914.
Alors que l’ancien ministre des Finances et grand adversaire de Georges Clemenceau faisait la tournée à titre privé des capitales depuis de la guerre en vue de faire négocier une paix sans indemnisation et sans retour de l’Alsace-Lorraine, la presse et ses opposants se déchaînaient en ce début d’automne 1917 contre Miguel Almereyda l’accusant d’être « Homme à tout faire » de Joseph Caillaux.
L’enquête conduira naturellement à Bolo-Pacha qui sera arrêté en septembre 1917 après avoir reçu onze millions de Mark de la Deutsch Bank. Au cours des perquisitions, les enquêteurs retrouveront une correspondance entre Joseph Caillaux et Bolo-Pacha. Sommet de s’expliquer, l’ancien ministre des Finances ne pourra pas nier l’existence de ses échanges avec cet aventurier pro-germanique travaillant pour l’ennemi. Des soupçons sur le patriotisme de Joseph Caillaux vont alors se poser. Bolo-Pacha sera exécuté au fort de Vincennes le 17 avril 1918.
Avec l’arrivée au pouvoir de Georges Clemenceau, l’immunité parlementaire de Joseph Caillaux sera levée en décembre 1917. Ce dernier sera traduit devant les tribunaux pour intelligence avec l’ennemi.
Dans ces scandales d’intelligence avec l’ennemi, le ministre de l’Intérieur en exercice, Louis Malvy, sera également dans la tourmente dans ce qu’on nomme « L’affaire Malvy »
Louis Malvy, ministre de l’Intérieur, qui a toujours ménagé l’extrême gauche, a certainement eu, depuis l’ouverture des hostilités avec l’Allemagne, des contacts avec la rédaction du « Bonnet rouge ». Le 22 juillet, au cours d’une séance du Comité secret tenue par le Sénat, Georges Clemenceau dénonce ces contacts avec véhémence en même temps qu’il reproche au ministre de ne pas faire arrêter les distributeurs de tracts défaitistes. Les sénateurs applaudissent à tout rompre. Les répliques de Louis Malvy, puis du Président du Conseil paraissent faibles.
Onze jours plus tard, l’amiral Lacaze qui détenait depuis vingt-deux mois les destinées de la Marine avec une rare compétence donne sa démission, protestant contre l’enquête que va faire la Chambre sur l’administration de son ministère. Le Président du Conseil ne s’y étant pas opposé, il en tire les conclusions. Il est remplacé le 10 août par l’un des fondateurs du Radicalisme, Charles Chaumet.
Le 31 août, c’est au tour du ministre de l’Intérieur de démissionner. Cette seconde démission ébranle définitivement le cabinet d’Alexandre Ribot, par ailleurs miné par des dissensions intestines. Le Président du Conseil estime ne plus pouvoir conserver ses fonctions. Son gouvernement aura duré 171 jours.
Formation du Gouvernement Paul Painlevé (12 septembre 1917)
Paul Painlevé garde le portefeuille de la Guerre ; Alexandre Ribot conserve celui des Affaires étrangères. Les changements de titulaire sont peu nombreux. René Viviani quitte le ministère de la Justice ; Albert Thomas celui de l’Armement, il ne sera pas remplacé par un socialiste unifié mettant fin aux gouvernements d’Union sacrée.
Ce ministère ressemble trop au précédent ; il sera accueilli sans chaleur. Toutefois, quand il se présente devant la chambre, il recueille une forte majorité, les socialistes s’étant abstenus.
Chute du gouvernement Paul Painlevé (13 novembre 1917)
Ce gouvernement éphémère qui n’aura duré que 62 jours vivra au milieu des affaires de corruption et d’intelligence avec l’ennemi.
Le 9 juillet 1917, 25 billets suisses de 1.000 francs sont retrouvés par un huissier de la Chambre des députés dans le vestiaire du député radical-socialiste Louis Turmel. Le 5 octobre 1917, ce dernier est arrêté ainsi que sa femme pour intelligence avec l'ennemi. Incarcéré, il mourra à Fresnes le 5 janvier 1919 ; les circonstances de sa mort ne sont pas exactement connues. On entrevoit d’autres corrompus et l’opinion publique soupçonne le gouvernement de ne mettre aucun empressement à les démasquer.
Dans l’Homme enchaîné, Georges Clemenceau redouble d’attaques. Au début d’octobre, Léon Daudet envoie une lettre au Président de la République accusant de trahison l’ancien ministre de l’Intérieur Louis Malvy. Cela vaudra au journal L’Action française d’être suspendu huit jours pour avoir diffusé cette lettre.
Le gouvernement Paul Painlevé vacille sous les coups de la Droite, de Clemenceau et de la Gauche socialiste. Le 16 octobre en comité secret, le Président du Conseil et le ministre des Affaires étrangères se voient reprocher très durement leurs « Coupables indécisions ». Le portefeuille des Affaires étrangères changera de main à la suite de ce coup de semonce, mais les jours de ce cabinet sont déjà comptés.
Pour la première fois depuis le début de la grande Guerre, le gouvernement va tomber suite à un vote hostile de la Chambre (Tous les autres ayant donné leur démission spontanément). C’est d’ailleurs sur un incident mineur qu’il a fini par tomber le 13 novembre 1917.
Formation du Gouvernement Georges Clemenceau (16 novembre 1917)
16 novembre 1917 : Georges Clemenceau, le Père de la victoire arrive au pouvoir
Pour remplacer Paul Painlevé, les pacifistes avoués (Ils ne sont guère nombreux) ou timides (Ils le sont d’avantage) prononce le nom de René Viviani sachant que derrière se profilerait celui de Joseph Caillaux, l’homme de la négociation pour une paix de compromis sans aucune indemnité et surtout sans le retour de l’Alsace-Lorraine.
C’est d’un tout autre côté que se tourne la majorité parlementaire. Ecrasée sous le poids de ses responsabilités, elle aspire obscurément à en être déchargée en portant au pouvoir un homme fort : Georges Clemenceau.
Georges Clemenceau, dont les polémiques du début de la grande Guerre avaient paru injustes et inutilement passionnées, a beaucoup muri ces derniers mois. Son action comme président de la commission sénatoriale de l’Armée l’a fait estimer par une majorité des chefs militaires ; la véhémence avec laquelle il a dénoncé la trahison et le laisser-aller lui a fait conquérir le cœur des français.
Seuls, avec les amis personnels de Joseph Caillaux, la CGT et les socialistes lui restent irréductiblement très hostiles. Il est vrai que ces derniers suivent les directives de l’Internationale socialiste de continuer l’agitation ouvrière afin de préparer la « Révolution bolchévique ».
De toute façon, c’est au Président de la République de prendre la décision. Raymond Poincaré n’a aucune raison d’aimer Georges Clemenceau. Avant la grande Guerre, il avait tout fait pour l’empêcher d’être élu à l’Elysée ; depuis, il n’avait pas cessé de l’attaquer et de le ridiculiser.
Considérant les enjeux, Raymond Poincaré sut s’élever au-dessus des considérations personnelles. Le 18 octobre, il notait déjà : « Clemenceau me parait désigné par l’opinion publique parce qu’il veut aller jusqu’au bout dans la guerre et dans les affaires judiciaires ; je n’ai pas le droit, dans ces conditions, de l’écarter à cause de son attitude envers moi ».
Dans la matinée du 14 novembre, le Président fait mander le « Tigre ». Celui-ci arrive enjoué, plein d’entrain. La conversation ne s’engage pas sur le fond. On parle des généraux et notamment de Pétain que Georges Clemenceau juge « Le meilleur » de nos chefs quoiqu’avec des partis pris de complaisance et de camaraderie, des idées quelquefois un peu fausses, quelquefois de fâcheuses paroles de pessimisme et de découragement. On parle aussi de Joseph Caillaux qu’à l’étonnement de son interlocuteur Georges Clemenceau se refuse de condamner sur le champ. Quelques propos sur les Américains et les deux hommes se séparent presque cordialement.
Après réflexions et consultations, Raymond Poincaré fait son choix dans l’après-midi. Il charge officiellement le « Tigre » de former le gouvernement.
Le 16 novembre, le gouvernement est constitué. Georges Clemenceau se réserve le portefeuille de la Guerre ; il place aux Affaires étrangères un de ses fidèles : Stéphen Pichon ; la Marine va au laborieux et compétent Georges Leygues ; celui de l’Intérieur va à son candidat face à Raymond Poincaré lors des dernières présidentielles : Jules Pams ; celui du Blocus à Charles Jonnard. Le « Tigre » maintient Louis-Lucien Klotz aux Finances, Louis Loucheur à l’Armement, Etienne Clémentel au Commerce. Les autres ministres sont choisis pour leur docilité. Aucun socialiste n’a accepté de rentrer au gouvernement, suivant ainsi les consignes de l’Internationale socialiste de ne pas participer à des gouvernements bourgeois.
La présentation à la Chambre du nouveau cabinet se fait le 19 novembre. Du haut de ses soixante-seize ans, le « Tigre » domine son auditoire. Il lit la déclaration gouvernementale en martelant les mots : « Nous nous présentons devant vous dans l’unique pensée d’une guerre intégrale … Un seul et simple devoir : demeurer avec le soldat, vivre, souffrir, combattre avec lui, abdiquer tout ce qui n’est pas la Patrie. L’heure nous est venue d’être uniquement Français, avec la fierté de nous dire que cela suffit. Il y a eu des fautes, n’y songeons plus que pour les réparer.il y a eu aussi des crimes … nous prenons l’engagement que justice sera faite selon la rigueur des lois …L’abnégation est aux armées. Que l’abnégation soit dans tout le Pays. »
Georges Clemenceau termina par cette péroraison : « Un jour, de Paris aux plus humbles villages, des rafales d’acclamations accueilleront nos étendards vainqueurs, tordus dans le sang, dans les larmes, déchirés des obus, magnifique apparition de nos grands morts. Ce jour… il est dans notre pouvoir de le faire. Pour des résolutions sans retour, nous vous demandons, messieurs, le sceau de votre volonté ! ».
Cette présentation sera acclamée sur tous les bancs sauf sur ceux de l’extrême gauche socialiste. La confiance est votée par 418 voix contre 65.
Incarnation de la France combattante, George Clemenceau est désormais le maître, un maître exigeant, ombrageux, parfois fantasque… mais terriblement efficace. Après tant d’hésitations, de tergiversations au sein des gouvernements successifs, les députés ont choisi de faire la guerre « Jusqu’au bout ». Le « Tigre » était le mieux placé pour la conduire.
Comme il l’avait promis dans son discours inaugural, après avoir accusé Malvy de trahir les intérêts de la France (Malvy sera condamné en 1918 à l’exil pour forfaiture), il fera arrêter l’ancien Président du conseil Joseph Caillaux le 14 janvier 1918 pour intelligence avec l’ennemi. Il mettra fin aux manœuvres pacifistes de certains députés et sénateurs de gauche.
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