Michel Roquebert vient de publier un livre intitulé figures du catharisme aux éditions Perrin. Nous avons donc interrogé celui qui aura consacré, depuis 1966, toute son œuvre aux cathares et au catharisme, mouvement religieux méconnu notamment en Bretagne.
Au total, le livre est constitué de 16 chapitres qui sont autant de clés pour pénétrer dans le vaste domaine que l’auteur de L’Epopée cathare explore depuis de nombreuses années. De l’analyse du testament d’un riche hobereau de la noblesse ” hérétique ” au récit des rocambolesques pérégrinations de deux sœurs traquées par l’Inquisition, de l’attaque d’une abbaye par un commando de villageois pour libérer le parfait cathare qui y est détenu prisonnier, aux raisons qui ont conduit le roi d’Aragon, Pierre II le Catholique, à trouver la mort en venant combattre aux côtés des protecteurs de l’hérésie, autant de regards jetés sur le grand drame occitan du XIIIe siècle.
Michel Roquebert a fait des études supérieures de philosophie, quatre années dans l’enseignement, puis a été durant 28 ans journaliste à « La Dépêche du Midi » à Toulouse, comme responsable de la rédaction « Arts-Spectacles », tout en se recyclant dans des études d’Histoire.
Son premier ouvrage fût « Citadelles du vertige », sur les ruines des châteaux-forts médiévaux du « pays cathare ».
Puis ses recherches l’ont conduit à réunir la totalité des sources médiévales (latines, occitanes et catalanes) permettant d’étudier le catharisme et les grands événements liés à son histoire : 1° les textes cathares, rares mais précieux, 2° les sources narratives (« Chanson de la croisade contre les Albigeoise » de Guillaume de Tudèle et son continuateur anonyme, « Hystoria albigensis » de Pierre des Vaux-de-Cernay, Chroniques diverses : Guillaume de Puylaurens, Guillaume Pelhisson, Chroniques catalanes comme le « Libre dels Feyts », etc. 3° – Sources inquisitoriales : totalité des interrogatoires et des sentences de l’Inquisition méridionales qui nous ont été conservés. 4° – Sources dites diplomatiques, notamment les correspondances royale et pontificale.
1970 : parution du premier Tome de « L’épopée cathare », le 5ème et dernier paraissant en 1998.
En 1983, Michel Roquebert prend sa retraite anticipée, s’installe à Montségur dans les Pyrénées ariégeoises, travaille à ses livres et, sur place, se livre à la recherche archéologique et publie divers ouvrages : La religion cathare, Histoire des cathares, Les cathares et le Graal, Vie de Saint Dominique, La Terre et les Hommes…
Il vit depuis 2002 à Montpellier.
Michel Roquebert – Figures du Catharisme – Perrin – 25€
Breizh-info.com : Vous publiez un ouvrage intitulé « Figures du catharisme ». Mais tout d’abord, qu’est-ce que le catharisme ?
Michel Roquebert : C’est un courant chrétien dissident que l’Église officielle (la papauté romaine) condamna comme hérétique et dont elle tenta de se débarrasser par la guerre (La « croisade contre les albigeois », 1209-1229) mais ne réussit à le faire qu’en créant en 1234 un système policier et judiciaire spécial, l’Inquisition. Le dernier cathare ne fut capturé et brûlé que près d’un siècle plus tard (1321)…
Les origines de ce courant sont assez obscures. Il plonge ses racines dans diverses déviances apparues dès le second siècle et condamnées par les conciles successifs, déviances influencées par le dualisme des gnostiques : il y a une « bonne création », œuvre du « bon » Dieu, purement spirituelle, le « Royaume de Dieu », et une « mauvaise création, où le Mal se manifeste par la souffrance et la mort… : c’est le « Monde » dont parlent les Évangiles, qui disent bien que Dieu n’est pas « le Prince de ce Monde »… . Déviance influencée aussi par le « docétisme » du second siècle, hérésie qui prétendait que Dieu n’a pu s’incarner dans un corps humain (qui appartient comme tel à la « mauvaise création »), donc que Jésus ne fut ni Dieu ni homme, mais un ange ayant semblance d’homme envoyé par Dieu pour apporter la vérité aux hommes, donc une apparition : « phantasma » (fantôme) disent textuellement les Évangiles ; la preuve : il marche sur les eaux….
Nous comprenons aujourd’hui que ces déviants sont bien de chrétiens, puisqu’ils ne se réfèrent qu’au Nouveau Testament, mais qu’ils en ont une lecture bien différente de la lecture « officielle » imposée par la papauté romaine. Si différente que tout au long du Moyen Age on refusa, en fait, de les considérer comme chrétiens, et qu’on vit même en eux des « néo-manichéens », par référence à la religion dualiste fondée en Perse, au 3ème siècle, par Mani…
Longtemps très marginale, l’hérésie dualiste connut un essor subit au cours du 12ème siècle, en Bulgarie (les « Bogomiles »), en Italie, Champagne, Flandre, Rhénanie (les « Cathares »), et dans le futur Languedoc, de la Garonne à la Méditerranée, (en gros, l’actuelle région Occitanie) où l’on appela les hérétiques les « Albigeois », et rarement les « Cathares ». Mais la connotation géographique trop restrictive du mot « Albigeois » a conduit les historiens à préférer finalement le mot de « Cathares ».
Alors qu’en Flandre et en Rhénanie, la répression conduite par le haut-clergé local et les pouvoirs féodaux fut rapide et féroce (bûchers, pendaisons), les cathares italiens et languedociens, bénéficiant de l’impuissance du clergé et de la complaisance des pouvoirs, s’organisèrent en véritable « contre-Église », découpée en évêchés régis par une hiérarchie et disposant d’un clergé de « parfaits » et de « parfaites » qui, prenant au sens littéral les Évangiles, menaient une vie de pauvreté et de charité, sans se priver de critiquer ouvertement la richesse et les mœurs de l’Église catholique.
En 1209, le pape Innocent III lança sur le Languedoc une armée recrutée dans le nord de la France et en Allemagne ; ce fut la « croisade contre les Albigeois », conduite par un seigneur d’Île-de-France, Simon de Montfort. Au bout de huit années de ravages, d’incendies, de meurtres, de bûchers collectifs, il trouva la mort en juillet 1218 en assiégeant Toulouse révoltée. Son fils Amaury perdit en 6 ans les immenses conquêtes de son père, et en 1224 capitula devant la contre-offensive occitane. Alors le roi de France lui-même, Louis VIII, lança une seconde croisade qui, en trois ans, eut définitivement raison des princes locaux. Mais sa victoire – si elle prépara l’annexion de tout le Languedoc au Royaume de France –ne résolut en rien la question religieuse : le catharisme était plus actif que jamais, et le Saint-Siège créa en 1234 un organisme policier et judiciaire aux pouvoirs exorbitants qu’il confia aux Frères Prêcheurs (les Dominicains) : l’Inquisition. Il fallut à celle-ci près d’un siècle de procès et des centaines de condamnations au bûcher ou à la prison perpétuelle pour éradiquer l’hérésie cathare, dont le dernier « parfait », Guillaume Bélibaste, fut arrêté et brûlé en 1321.
Breizh-info.com : Qui furent les grandes figures du catharisme ?
Michel Roquebert : Compte-tenu que les sources inquisitoriales nous font connaître plusieurs milliers de cathares, et nous permettent de reconstituer parfois avec force détails le destin de beaucoup d’entre eux, il est difficile d’extraire telle ou telle figure. J’ai quand même un faible particulier pour les hommes et les femmes dont j’ai tenté de retracer le parcours dans mon dernier livre .
Tout d’abord ces deux sœurs nobles, Arnaude et Péronne de Lamothe, qui, devenues « parfaites » fuient pendant douze ans l’Inquisition, en une sorte de course éperdue, de métairies en forêts, de cabanes en abris de toiles, voire en souterrains, cachées et ravitaillées par des « croyants » dévoués, au rang desquels un humble bouvier, Guillaume Garnier, qui, quand la situation deviendra pour lui désespérée, tentera de se réfugier à Montségur… mais y périra sur le grand bûcher collectif du 16 mars 1244…
Ou bien ce groupe d’habitants de trois petits villages situés entre Toulouse et Carcassonne (Issel, Labécède et Saint-Martin-Lalande) qui, apprenant que l’abbé de Saint-Papoul détient prisonniers deux « parfaits », dont l’un, Guillaume Vital, est leur prédicateur familier, forment un commando d’une cinquantaine d’hommes armés décidés à attaquer l’abbaye pour délivrer les captifs avant qu’ils ne soient livrés à l’Inquisition toulousaine… Leur échec ne fait qu’ajouter au pathétique de cette histoire.
Et puis, et puis… Il y en a tant et tant !
Tant et tant, aussi, à découvrir dans l’immense masse de documents inquisitoriaux. Tant de destins, tant de figures captivantes, et tant d’aventures ! Oui, il reste encore beaucoup de choses à dire. Non seulement sur les hommes et les femmes, mais sur le catharisme lui-même : il est normal que de génération en génération, les perspectives changent, que le regard se modifie. Je ne prétends pas que la vision que je donne du catharisme soit définitive et intangible : c’est c elle que, compte tenu de ma propre formation philosophique, j’ai pu élaborer à un moment donné de l’Histoire, avec les documents en ma possession, et la lecture que j’ai pu en avoir. Je suis bien conscient que, quelle que soit ma volonté d’être « objectif », il entre dans tout travail historique une par, si ténue soit-elle, de subjectivité.
Mais le plus émouvant peut-être est que tous ces personnages nous paraissent étonnamment proches, pour une raison bien simple : le système prénom/ nom de famille était alors largement entré en vigueur en Languedoc, bien avant que la France du Nord ne l’adopte. Si bien que des milliers de noms de cathares se retrouvent dans les annuaires du téléphone… Pas seulement Guillaume Garnier. Ceux du commando de Saint-Papoul se nommaient Étienne et Pierre Fabre, Raymond Villaret, Pierre Aicard, Guillaume Arnal, Raymond Calvet, Pons Garrigue, Bernard Coumet… Comment ne pas avoir l’impression, quand on vit dans le Midi, qu’on les connaît tous ?…
Breizh-info.com : Avez-vous des livres autres que ceux que vous avez écrit à recommander aux lecteurs, sur cette question ?
Michel Roquebert : Depuis ma biographie de Simon de Montfort (2005), celle du « parfait » Pierre Authié par Anne Brenon (2006), et les deux ouvrages de Gwendoline Hancke, « Femmes en Languedoc » et « L’hérésie en héritage » (2006 également), il n’a pas paru de travail historique sur le catharisme et son époque au cours des dix, voire des quinze dernières années, sauf la thèse de doctorat de Pilar Jimenez-Sanchez, « Les catharismes », et surtout, sous le titre « Lorsque la poésie fait le souverain », la magnifique étude que Marjolaine Raguin consacre en plus de 600 pages à la Chanson de la croisade albigeoise (2015). Œuvre majeure qui éclaire d’un jour nouveau l’une des sources incontournables de la grande guerre de 1209.
Mais savez-vous ce que je conseillerais d’abord à quiconque, ne connaissant rien au catharisme, désirerait s’en approcher en découvrant une grande page de son histoire ? C’est le petit roman que Georges Bordonove publia en 1957, « Le Bûcher », qui raconte le siège et la prise par Simon de Montfort de la place-forte de Minerve. Pour ne rien vous cacher, c’est par lui que, il y a bien longtemps, je suis « entré en catharisme » ?
Je ne veux pas dire, évidemment, qu’étudier le catharisme a fait de moi un cathare. Mais quel magnifique sujet de recherches !
Propos recueillis par Yann Vallerie
Photo : DR
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