« Dans le monde réellement renversé, le vrai est un moment du faux. »
[ill. : Robin Guinin]
Analyse : Guy Debord, Commentaires sur la société du spectacle, édition de 1988, suivi de « Préface à la quatrième édition italienne de La Société du Spectacle », édition de 1979, Gallimard/Folio n°2905, 1996, 148 p.
Signes encourageants pour les ennemis du système : à côté du développement du communautarisme, les livres des auteurs non conformistes connaissent un succès indéniable ; il en est ainsi pour ceux qui ont formé ce qu’il est convenu d’appeler l’“Internationale situationniste”. Après la réédition de La Société du Spectacle [1967] (voir NdSE n°20) et la sortie de Nous qui désirons sans fin de Raoul Vaneigem, voici que Gallimard réédite aussi Commentaires sur la société du spectacle, un des derniers ouvrages de Guy Debord [1931-1994].
Cette actualisation de La Société du spectacle n’apporte au fond rien de bien nouveau, même si nous y trouvons quelques formules toujours bien senties comme dans ses développements sur les sociétés mafieuses, sujet d’actualité s’il en est.
Ainsi après avoir rappelé que celle ci s’est imposée pour la première fois aux États-Unis à l’époque de la prohibition, puis dans le sud de l’Italie avec l’appui du gouvernement américain afin de l’aider dans son débarquement en 1943, la mafia s’impose d’abord dans la protection des populations pauvres et « grandit avec les immenses progrès des ordinateurs et de l’alimentation industrielle, de la complète reconstruction urbaine et du bidonville, des services spéciaux et de l’analphabétisme ». Elle prend ensuite une importance considérable dans l’immobilier, les banques, la grande politique et les grandes affaires de l’État, puis les industries du spectacle : télévision, cinéma, édition. Inutile de préciser que maintenant tous les ingrédients se trouvent réunis pour que l’Europe occidentale devienne un terrain de prédilection à toutes ces dérives mafieuses et tout pouvoir devient donc “mafia”, d’où ce raccourci saisissant de vérité :
« On se trompe chaque fois que l’on veut expliquer quelque chose en opposant la mafia à l’État : ils ne sont jamais en rivalité. La théorie vérifie avec facilité ce que toutes les rumeurs de la vie pratique avaient trop facilement montré. La mafia n’est pas étrangère dans ce monde ; elle y est parfaitement chez elle. Au moment du spectaculaire intégré, elle règne en fait comme le modèle de toutes les entreprises commerciales avancées ». Il n’y a qu’à regarder autour de soi pour vérifier la pertinence de ces paroles.
Mais Guy Debord, à la fin de sa vie, semblait véritablement croire à une implosion de ce système, ce qu’il nommait «la chute immanquable de cette cité d’illusions ». Selon lui : « Les jours de celle-ci sont comptés parce que ses raisons et ses mérites ont été pesés, et trouvés légers ; ses habitants se sont divisés en deux partis, dont l’un veut qu’elle disparaisse ». Nous, nous appartenons clairement à ce dernier camp. Quant à ce qu’il adviendra à la suite du grand chaos : « ce livre ne donne aucune sorte d’assurance sur la victoire de la révolution, ni sur la durée de ses opérations, ni sur les âpres voies qu’elle aura à parcourir, et moins encore sur sa capacité, parfois vantée à la légère, d’apporter à chacun le parfait bonheur… Comme toujours, Guy Debord est l’homme d’un solide bon sens dont on ne peut que louer la lucidité : à nous autres de savoir être des indicateurs de bons chemins, des guides spirituels et politiques en quelque sorte. En effet on peut même éprouver la légitime impression que c’est à nous qu’il s’adresse lorsqu’il affirme : « À vrai dire, je crois qu’il n’existe personne au monde qui soit capable de s’intéresser à mon livre, en dehors de ceux qui sont ennemis de l’ordre social existant, et qui agissent à partir de cette situation ». C’est effectivement ce que nous sommes et faisons… de plus en plus nombreux !
► Pascal Garnier, Nouvelles de Synergies Européennes n°28, 1997.
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