« Mondialisation », quésaco?
Le terme « mondialisation » est devenu très populaire pendant les années 1990 à la suite de l’effondrement de l’Union Soviétique et de la fin de la Guerre Froide. Le démantèlement de l’Union Soviétique, dont le nom officiel était Union des Républiques Socialistes Soviétiques (URSS), a commencé par un soulèvement populaire qui visait la destruction du Mur de Berlin. Cette fissure dans la séparation existant alors entre l’Ouest et l’Est se répandit vite jusqu’à la perte du pouvoir soviétique en Europe de l’Est, puis à la chute de l’Union Soviétique elle-même. Dotée d’à peu près la moitié du poids économique de l’URSS et de sa superficie, la Fédération de Russie a émergé de cet effondrement pour conserver le siège permanent de l’Union Soviétique au Conseil de Sécurité de l’ONU.
La chute de la superpuissance soviétique a semblé ouvrir la voie vers un régime universel de capitalisme mondial. La compétition entre le communisme emmené par les Soviétiques et le capitalisme emmené par les USA avait constitué le cœur des antagonismes planétaires pendant la Guerre Froide, à la sortie de la Seconde Guerre Mondiale. Entre 1917 et 1991, la durée de vie de l’URSS, le Marxisme soviétique s’était présenté comme l’antidote communiste aux inégalités les plus criantes du capitalisme.
L’effondrement de l’Empire Soviétique se déroulant alors sous nos propres yeux, Francis Fukuyama proclama triomphalement la Fin de l’Histoire en 1992. Avec la chute de l’état soviétique, un énorme obstacle avait apparemment été éliminé sur la route du capitalisme vers l’hégémonie mondiale. Fukuyama anticipa les changements à venir par l’institution d’un système cordonné de gouvernance mondiale. L’avenir idéalisé de Fukuyama dans ce qu’il appelait la destination finale de l’histoire devait, en réalité, impliquer le règne de banques usurières, d’entreprises multinationales et de forces de police, de marionnettes médiatiques, de profiteurs de guerre, de dealers de drogue et de sbires technocratiques.
À l’époque, en fonction de son impact et du sens qu’il voulait revêtir, le concept de Fin de l’Histoire devint étroitement associé aux idées populaires concernant la « mondialisation ». Le terme « mondialisation » est devenu un nom de code constamment répété par des think-tanks de premier plan, de puissantes associations d’entrepreneurs et leurs médias clients. La « mondialisation » était le terme primaire employé pour promouvoir l’objectif d’universalisation du capitalisme et de fortification du système dominant de relations de pouvoir que le capitalisme anime et édifie. À l’ère de la mondialisation, ces structures naguère décrites comme des entreprises multinationales ou transnationales pouvaient grandir et devenir véritablement des corporations planétaires.
Aucun état communiste, se disait-on, n’allait plus se dresser sur le chemin de la mondialisation d’un système unique de relations matérielles. Pour la première fois dans l’histoire, tous les peuples du monde, tous les produits et toutes les ressources pouvaient concrètement être considérées comme les composantes d’une matrice universelle de valeur monétaire interchangeable.
La destruction du Mur de Berlin et le morcellement de l’Union Soviétique semblaient signifier que le règne du capital allait indéfiniment devenir le facteur déterminant prévalant dans les interactions humaines. Des entités supérieures aux états jadis souverains allaient prendre le contrôle de la gouvernance de la propriété privée, de la banque, de l’établissement des entreprises, du règlement des crédits et des dettes ainsi que de la création monétaire. Les nouvelles agences supranationales seraient dotées de pouvoirs en abondance afin de créer, de faire appliquer et d’arbitrer un cadre universalisé pour le mouvement et la protection du capital à l’échelle mondiale.
L’Organisation Mondiale du Commerce fut créée en 1995 afin d’aider à gouverner et à superviser l’extension du capitalisme à des proportions planétaires. En 1999 lors d’une réunion de l’OMC à Seattle, de nombreux activistes se rassemblèrent pour protester contre l’élitisme et le secret qu’incarnaient cette nouvelle organisation. Réunissant un vaste éventail de revendications, depuis des ouvriers syndicalistes à des écologistes, les manifestants condamnèrent la nature non-démocratique du projet d’universalisation du capitalisme – de mondialisation du capitalisme.
Leur reproche essentiel était que l’approche de l’OMC vis-à-vis de la mondialisation allait dispenser davantage de privilèges aux fractions les plus riches et les plus puissantes de la société, tout en suscitant des désavantages pour ceux qui vivent dans les strates moyennes et basses du bien-être, de la sécurité et du pouvoir économique. Le niveau actuel d’inégalité économique dans le monde continue d’être obscènement injuste. Une récente étude de l’organisation Oxfam a démontré que les 62 individus les plus matériellement riches du monde possédaient davantage de moyens financiers que la moitié la plus pauvre de la population mondiale, c’est-à-dire 3,6 milliards de personnes.
La répartition des biens et des devoirs au sein de la communauté planétaire se projette dans les formes contemporaines d’asservissement par la dette, dérivées de l’injustice vieille de plusieurs générations de domination impériale et d’assujettissement colonial. Les vols des terres de peuples indigènes et le vol inhérent à l’esclavagisme ne forment qu’une partie de la kleptocratie qui imbibe les processus d’accumulation de capital toujours d’actualité. Dans un système où la finance autorise des banques centrales privées à créer la monnaie par l’émission de crédit, l’accumulation perpétuelle de dettes condamne l’écrasante majorité de l’humanité à l’austérité. La plupart des contribuables doivent supporter le poids d’une dette qui n’en finit pas d’enfler, encourue à la fois personnellement et en tant que citoyens de nationalités endettées.
Au fil de la controverse entourant la « mondialisation », des nuances descriptives ont commencé à émerger si bien que l’on voyait des adjectifs être attachés au mot contesté. De plus en plus, des phrases comme « mondialisation impériale », « mondialisation anti-impériale » ou « mondialisation écologique » étaient employées pour décrire des visions différentes de l’économie politique à l’intérieur d’un cadre qui recouvrait toute la planète.
Cette évolution dans les nuances pour identifier des types de mondialisation différente aide à clarifier le fait qu’il n’y a aucun usage universellement accepté du terme « mondialisation ». La mondialisation doit-elle être programmée et régulée? Quelles sortes de nouvelles confédérations de peuples variés est-il possible d’envisager? Quelles espèces de corps représentatifs peuvent être créés? Quelles nouvelles sortes de nouvelles institutions faut-il établir pour que prévale la règle du droit, plutôt que le règne de la violence débridée telle qu’elle est mise en évidence par le militarisme sans retenue des guerres d’agression? De quelles sortes d’agences d’application de la loi y a-t-il besoin, afin que les droits humains des peuples bénéficient de garanties au moins équivalentes aux protections présentement fournies par les forces de police à la propriété et au mouvement des biens et du capital?
Les possibilités sont inépuisables. La mondialisation n’est pas une chose cohérente dont les gens peuvent dire qu’ils sont pour, ou contre. Il existe de nombreuses versions différentes de la mondialisation. La mondialisation est un processus de transformation historique. Il a revêtu de multiples formes dans le passé, tout comme la poursuite de ce même processus prendra de nombreuses formes à l’avenir. La mondialisation implique des transformations dans les relations entre les êtres humains et le reste de la nature qui se déploient au niveau local, régional et mondial.
La manifestation populaire contre l’OMC eut lieu en 1999. Ce pugilat public à propos du futur de la mondialisation a reçu le nom de Bataille de Seattle. La couverture médiatique mondiale, étant donné le spectacle en direct dans les rues d’un conflit global, aida à rendre le mot « mondialisation » politique. Les conflits autour de l’avenir mondial ont reflété les antagonismes concernant le sens donné au mot « mondialisation ». Le débat sur la sémantique du mot « mondialisation » est doté de répercussions importantes, pour notre époque et notre situation présente. Au départ, ceux qui critiquaient l’agenda de transformation de la gouvernance mondiale au service des branches les plus riches et puissantes de la société ont été étiquetés comme les défenseurs de « l’anti-mondialisation ».
Cette définition d’activiste « anti-mondialisation » n’a aucun sens. La désignation de ceux qui critiquaient l’OMC et les agences assimilées comme des défenseurs d’une « anti-mondialisation » échoue à rendre compte du fait que les manifestants aspiraient dans leur ensemble à des formes plus démocratiques et écologiques de la mondialisation. Ses membres n’ont pas proposé une quelconque forme de rejet de la mondialisation. Quel sens y aurait-il à s’opposer à la mondialisation tandis que l’humanité toute entière, ainsi que nos cousins des règnes végétaux et animaux partageons tous avec une évidence si flagrante une sphère dans les cieux, à laquelle nous faisons parfois référence sous le nom de Terre? Nous partageons tous la même planète. Donc nous sommes tous, d’une certaine manière, des mondialistes.
Il existe de nombreuses manières d’envisager l’avenir de notre globe, et beaucoup de façons de négocier et de prioriser les objectifs désirés du changement mondial. Une fois que les objectifs primaires ont été établis, il y a de nombreuses routes pour avancer vers des objectifs et des idéaux partagés. Où que nous allions, le terme « mondialisation » a pénétré dans le langage pour devenir le centre d’une discussion politique, de débats et de contestations considérables. Les enjeux sont élevés dans ce débat. Ils concernent beaucoup plus qu’une simple discussion sur l’usage du langage ou l’abus de celui-ci. Ce qui se joue, c’est le genre de monde que nous allons léguer à notre postérité, et même à sept générations d’ici dans le temps.
D’Al-Andalus au Quart Monde
Bien que le terme « mondialisation » soit récent, les processus d’interaction humaine qu’il décrit sont très anciens. La connaissance de la sphéricité de notre foyer partagé était largement répandue parmi les classes éduquées, longtemps avant que Christophe Colomb se soit engagé à prouver que la Terre est ronde en 1492. En Grèce pendant l’Antiquité, Pythagore avait avancé le postulat de la sphéricité de la Terre aussi tôt qu’au sixième siècle avant l’ère chrétienne.
Au neuvième siècle de notre ère l’érudit perse musulman, al-Biruni, se servit d’une combinaison de géométrie, d’algèbre et de trigonométrie pour calculer avec une grande précision la taille réelle de la Terre sphérique. Les nombreux accomplissements scientifiques et littéraires d’al-Biruni faisaient partie de l’essor majeur d’accomplissements intellectuels ayant accompagné l’expansion rapide de l’Islam, en particulier pendant le 8ème et le 9ème siècle.
Cette transformation géopolitique couvrait un vaste territoire s’étendant de l’Espagne actuelle à l’Afrique du Nord et jusqu’en Arabie, au Levant ainsi qu’en Perse et au Pakistan. Accompagnant cet essor de l’empire islamique, une révolution scientifique et intellectuelle mena à d’importantes percées en mathématiques, en astronomie, en architecture et en médecine notamment, ainsi que dans tous les domaines d’expression artistique.
Cette ère est parfois remémorée comme l’Âge d’Or de la quête islamique de la connaissance. Dans cette quête de la compréhension, l’identification de principes universels inscrits dans les lois de la nature était particulièrement révérée. Sous la supervision des dirigeants des Omeyyades et ensuite des califats des Abbassides, ce phénomène d’intégration impériale de grands pans de la famille humaine donna lieu à un interlude important dans l’histoire de la mondialisation. Avec un accent mis sur la promotion de la collégialité, de la traduction ainsi que sur l’accumulation et l’étude systémique de textes érudits réunis depuis toutes les parties du monde connu, les sages et les savants travaillèrent en collaboration pour repousser les frontières de la connaissance dans de grands centres d’apprentissage lourdement subventionnés comme Bagdad et Cordoue.
Le califat islamique d’Al-Andalus, dans la Péninsule Ibérique, est devenu un site majeur de collaboration entre intellectuels juifs, chrétiens et musulmans. Leurs percées sur de nombreux fronts scientifiques, technologiques et artistiques, y compris en ramenant à la connaissance de l’époque beaucoup de travaux érudits de l’Antiquité, en particulier de la Grèce et de la Rome antiques, ont aidé à poser les fondations de la Renaissance en Europe.
Cette période d’interaction éclairée s’avéra toutefois de courte durée. L’essor du Vatican lié aux Croisades de la Chrétienté, orientées contre le contrôle musulman sur Jérusalem et la Terre Sainte environnante, a contribué à la « Reconquista » au nord du Détroit de Gibraltar. Le dernier califat hispanique de Grenade est tombé aux mains des soldats de la Chrétienté en 1492, la même année où Christophe Colomb accomplissait son voyage transformateur du monde vers l’Hémisphère Occidental.
La Reconquista de la Péninsule Ibérique, où sont aujourd’hui situés l’Espagne et le Portugal, a inclus dans sa réalité la sévérité croissante de l’Inquisition et de ses persécutions sanglantes « d’hérétiques » présumés. Galilée fut l’un de ceux à se voir condamnés par les Inquisiteurs chargés de préserver l’orthodoxie Catholique Romaine. Le crime qui lui était reproché était d’avoir publié ses découvertes, réalisées à partir de recherches effectuées avec un télescope en 1633. Il croyait que son examen attentif des corps célestes en mouvement démontrait que Copernic avait raison dans sa thèse antérieure selon laquelle le Soleil, et non la Terre, est le centre fixe de notre système planétaire en révolution. La Terre n’est pas le centre de l’Univers.
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