Par Nikolay STARIKOV (Russie)
C’est quelque chose que vous devriez savoir : chaque fois que nous aurons à choisir entre l’Europe et le Grand Large, Nous choisirons toujours le Grand Large.
Winston Churchill [1]
Il avait suffi d’un revers sur le continent pour que la Grande-Bretagne voulût s’absorber dans sa propre défense ».
Charles de Gaulle [2]
Le 6 octobre 1939, deux semaines après la chute de Varsovie et la fin de la campagne de Pologne, Hitler a parlé au Reichstag :
Mon effort principal a été de débarrasser nos relations avec la France de toute trace de mauvaise volonté et les rendre supportables pour les deux nations… L’Allemagne ne demande rien d’autre à la France… J’ai même refusé d’évoquer le problème de l’Alsace-Lorraine… En France, j’ai toujours exprimé mon désir d’enterrer pour toujours notre ancienne inimitié et de rassembler ces deux nations, qui ont toutes deux un passé si glorieux…
J’ai consacré au moins autant d’efforts pour construire une entente anglo-allemande, et, mieux encore, une amitié anglo-allemande. À aucun moment et en aucun lieu, jamais, je n’ai agi à l’encontre des intérêts britanniques… Aujourd’hui encore, je crois qu’il ne peut y avoir de paix véritable en Europe et dans le monde que si l’Allemagne et l’Angleterre arrivent à s’entendre. (William Shirer. The Rise and Fall of the Third Reich , p. 576)
En lisant la transcription de l’allocution de Hitler, on pourrait penser qu’il s’agit des sentiments du plus grand Pacificateur de tous les temps et de toutes les nations, et non du discours du plus grand criminel de l’histoire de l’humanité. Au cours de sa carrière politique le Führer a parlé souvent et longuement de paix, tout en se préparant pour la guerre. Mais il y avait quelque chose de spécial au sujet de ce discours. C’était comme s’il parlait à d’invisibles associés à Londres et à Paris, essayant de les convaincre en expliquant une fois de plus sa position, pour tenter d’influencer leur décision, bien qu’il y a peu de doute qu’il la connaissait déjà.
Quel était le but de Hitler, en faisant ce discours ? Se défendre devant les générations futures ? Afficher son désir fictif de paix devant la nation allemande, afin que plus tard, il lui soit plus facile de lancer son peuple dans l’enfer de la plus terrible des guerres ? C’est possible. Mais il me semble que ceux auxquels était destiné ce discours ne représentaient que quelques dizaines de personnes qui tentaient d’évaluer la politique de la Grande-Bretagne et avec elle, les futurs événements de l’histoire.
Pourquoi cette guerre en Occident devrait-elle avoir lieu ? Pour la restauration de la Pologne ? La Pologne du traité de Versailles ne ressuscitera jamais… La question du rétablissement de l’Etat polonais est un problème qui ne sera pas résolu par une guerre en Occident, mais exclusivement par la Russie et l’Allemagne… Il serait insensé d’anéantir des millions d’hommes et détruire des biens valant des millions afin de reconstruire un État qui, dès sa naissance même, a été appelé à avorter par tous ceux qui ne sont pas d’origine polonaise.
Quelle autre raison existe-t-il?…
Si cette guerre doit vraiment être menée uniquement pour mettre en place un nouveau régime en Allemagne… alors des millions de vies humaines seront sacrifiées pour rien… Non, cette guerre en Occident ne peut pas régler tous les problèmes… (ibid., 641)
“ “ à aucun moment et en aucun lieu, jamais, je n’ai agi à l’encontre des intérêts britanniques, “ prétend Hitler. Quels mots étranges… Qu’essayait-il de rationaliser devant ceux qui avaient déclaré la guerre à son pays ? “Les intérêts allemands ne sont pas contraires aux intérêts britanniques”, c’est ce qu’il aurait dû dire. Avec un « mais » – seulement si Adolf Hitler avait lui-même pris le pouvoir dans son propre pays et que personne d’autre que les industriels allemands n’avaient mis la main dans sa carrière. Mais nous avons déjà montré comment l’Angleterre, la France et les Etats-Unis ont joué un rôle dans la mise en place du régime Nazi. Ainsi, Adolf Hitler était en train de justifier devant ses sponsors britanniques le fait qu’il était en train de s’affranchir de leur contrôle et qu’il allait couper la « laisse ». Et il essayait d’argumenter avec un point important : malgré ce qui est arrivé, il n’avait pas empiété sur leur empire et voulait seulement traiter avec eux comme un égal. C’est ce que voulaient dire ses observations sur le fait que l’Occident n’avait pas besoin d’une guerre.
Mais les discours d’Hitler n’étaient pas un appel pour la paix. C’était une tentative pour secouer les Britanniques et les Français et les sortir de leur réticence obstinée à faire de l’Allemagne un partenaire à part entière sur la scène politique internationale. Leurs différences se résumaient à quelque chose de très simple : Hitler voulait d’abord s’assurer qu’il recevrait un traitement d’égal à égal, et alors seulement il serait prêt à frapper la Russie, qu’il avait toujours haïe. Mais les dirigeants occidentaux refusaient d’accueillir les Allemands à leurs côtés à la même table, tant que Berlin ne s’était pas acquitté de son devoir d’écraser la Russie/l’USSR. Ils voulaient que Hitler retire les troupes allemandes du territoire polonais et restaure l’État polonais. Dans quel but ? Afin d’atteindre l’objectif de longue date de la politique occidentale, qui devait provoquer un conflit entre l’Allemagne et la Russie. Après tout, il était peu probable que Staline accepte de rendre tout simplement les terres qui avaient été cédées à l’Union Soviétique avec le Pacte de non-agression germano-soviétique. Les conditions de la « restauration de la Pologne » sonnaient bien, mais en fait, n’avaient rien à voir avec la paix sur le continent européen, mais étaient plutôt pour remplacer une guerre « étrange » par une autre, plus « correcte ».
Les pensées que Hitler a exprimées du haut de la tribune du Reichstag le 6 octobre 1939 avaient déjà été relayées aux dirigeants du Royaume-Uni et des États-Unis par l’entremise de canaux confidentiels. Le 26 septembre 1939, Hitler a personnellement chargé Hermann Göring de la nécessité de communiquer ces idées à Londres via un intermédiaire le suédois Birger Dahlerus. Dans le même temps, le Führer utilisait un magna du pétrole américain, William Rhodes Davis, pour transmettre ses propositions au Président Roosevelt. Ainsi, les propositions de paix d’Hitler étaient destinées à tomber sur un sol très « fertile ». Ce qui signifie qu’il y avait de bonnes chances pour que le chef allemand voit l’Occident changer de position et accepter de discuter les conditions préalables pour que l’Allemagne rejoigne l’ordre existant du monde Anglo-Saxon. C’est pourquoi le discours d’Adolf Hitler avait tant d’accents pacifiques, assez pour que l’on puisse l’attribuer à n’importe quel éminent “militant pour la paix mondiale. » Le lendemain, les gros titres ont fait la une de l’ensemble des journaux allemands: « Volonté de l’Allemagne pour la paix », « L’Allemagne ne veut la guerre ni contre la France, ni l’Angleterre – aucune autre réclamation, sauf pour les colonies » . « Réduction des armements » (ibid., 642)
Maintenant, les gouvernements de la Grande-Bretagne et de la France pourraient, du point de vue du Führer, prêter main-forte au troisième Reich sans perdre la face. Après tout, ce n’était pas eux qui avaient demandé la paix, mais l’Allemagne elle-même. Donc, les ouvertures de paix d’Hitler à l’Occident étaient très probablement tout à fait sérieuses. Mais avec l’intention, plus tard, de les transformer en une guerre avec l’Est. Mais les initiatives du Führer sont restées sans réponses. Ou plutôt, la réponse fut non. Le lendemain, le 7 octobre 1939, le premier ministre Français Édouard Daladier, dit à Hitler que la France ne déposeraient les armes que quand des garanties pour une “paix réelle et la sécurité générale” auraient été obtenues (ibid., 643). Le 12 octobre 1939, le premier ministre britannique Neville Chamberlain, qualifie les propositions d’Hitler de “vagues et incertaines”. Mais ce que l’anglais a ajouté ne devrait pas être incompris. Le dirigeant britannique a déclaré que si l’Allemagne voulait la paix, « des actes – pas seulement des mots – devraient suivre. » Hitler devait montrer à Londres des « preuves convaincantes » qu’il voulait vraiment la paix, c’est-à-dire, qu’il devait attaquer l’URSS.
Que pouvait faire Adolf Hitler ? Il a offert la paix et celle-ci avait été rejetée. Il ne lui restait plus qu’à se préparer à se battre. Donc, il a attendu trois jours, ensuite il a donné l’ordre d’élaborer un plan pour balayer l’ennemi qui était le plus proche, celui qu’il avait à portée de main – la France.
Nous ne saurons jamais ce que Adolf Hitler voulait vraiment ou à quel point ses intentions de décimer les Français étaient sérieuses. Mais en regardant certains faits, nous pouvons discerner que son idée principale était encore de négocier avec l’Occident. Quels sont les faits ? Par exemple, si Hitler avait vraiment voulu se battre contre Londres et Paris, il n’aurait pas empêché les marins allemands de mener à bien ce qui aurait dû être une mission sans ambiguïté, c’est-à-dire, couler les navires ennemis. Mais la marine allemande a commencé les combats avec un tel héroïsme que le Führer a dû rapidement intervenir afin de freiner ses capitaines trop zélés. Au cours de la première semaine de la guerre, les Allemands ont coulé 11 navires, pour un total de 64 595 tonnes. Si cela avait continué, il n’y aurait plus eu, bientôt, que des sous-marins allemands autour des îles britanniques. Après la première semaine, il y eut alors un véritable miracle : le tonnage des navires anglais qui furent coulés pendant la deuxième semaine de la guerre ne s’élevait plus qu’à seulement 51 561, puis 12 750 tonnes dans la troisième semaine et seulement 4 646 tonnes à la quatrième (ibid., 635).
Qu’est-ce qui a conduit à cette perte d’efficacité des sous-marins allemands ? Peut-être les Britanniques avaient-ils appris à les couler ? Ou les capitaines des navires britanniques étaient-ils devenus plus prudents et plus expérimentés ? Non, les marins britanniques eux-mêmes ont été surpris par ces chiffres. Mais ce n’est pas difficile de comprendre comment ce « miracle » s’est produit. Hitler a demandé à ses commandants de marine de ne pas couler les navires anglais et français ! L’Amiral allemand Erich Raeder note dans son journal que la politique générale a été pour l’essentiel « de faire preuve de retenue jusqu’à ce que la situation politique dans l’ouest soit devenue plus claire » (ibid., 636). Il y avait un incident bien connu, dans lequel un capitaine de sous-marin allemand a demandé la permission d’attaquer un navire de guerre français, le Dunkerque, qui était dans une position vulnérable, mais la permission lui a été refusée. [3] le Führer ayant personnellement interdit l’attaque !
L’histoire de l’attaque de Hitler contre la France semble tout aussi improbable. Hitler avait tout d’abord programmé l’offensive pour le 12 novembre 1939,[4] , mais elle n’a en fait eu lieu que le 10 mai 1940. Au cours de cette période, Hitler a reporté l’offensive 20 fois ! [5] (il est intéressant de noter que le premier retard dans l’offensive s’est produit après la tentative d’ “assassinat préventif” contre Hitler orchestré par des agents secrets britanniques le 8 novembre 1939 dans la salle de la bière Bürgerbräukeller à Munich).
Comment les Britanniques et les Français se sont-ils préparés à repousser son agression ? Parfois, il semblait que jusqu’à la fin ils ne pouvaient simplement pas croire que le Führer se déciderait à bouger. Alors même que les combats faisaient rage en Norvège entre les forces allemandes et britanniques, les Britanniques ont toujours gardé leurs avions au sol. Seuls quelques avions ont effectué quelques raids – dans un premier temps au cours de la journée et puis surtout pendant la nuit. Durant ces sorties, les avions britanniques ont continué à lâcher d’innombrables tracts de propagande destinés au public allemand. Et cette idylle dura jusqu’en mai 1940, c’est-à-dire jusqu’au début de l’offensive allemande.
NOTES :
[1] Charles de Gaulle, The Complete guerre mémoires de Charles de Gaulle (New York : Carroll & Graf Publishers, 1998) 557.
[2] ibid.., 59.
[3] Albert Speer. à l’intérieur du troisième Reich. Mémoires (New York : Simon & Schuster, 1997) 165.
[4] Franz Halder. Le journal de guerre de Halder, 1939-1942 (Novato, CA: Presidio Press, 1988) 672.
[5] Hans-Adolf Jacobsen, 1939-1945. Belaïa Mirovaïa Voina / / Vtoraya Mirovaïa Voina : Dva Vzglyada. 13.
Traduit par Avic – Réseau International
Photo: Chars allemands en France. Ni Paris, ni Londres ne s’attendaient à ce que Hitler ne se risque à une véritable attaque de l’Occident. Ce qui explique pourquoi ils sont tombés si rapidement.
Source : ORIENTAL REVIEW publie en exclusivité des chapitres provenant de la recherche documentaire de Nikolay Starikov “” qui a poussé Hitler à attaquer Staline”(Saint-Pétersbourg, 2008). M. Starikov est historien russe et activiste civil. Le texte original a été adapté pour la traduction en anglais par ORIENTAL REVIEW
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