Chaque race a sa tradition et celle-ci est d’origine sacrée. Cela signifie qu’elle représente un ensemble de principes et de normes qui s’appliquent hiérarchiquement sur tous les plans, procédant des plans les plus élevés aux plans inférieurs, de manière à embrasser tout le développement de l'activité humaine, dirigée toujours plus vers une seule vérité. Il n'y a pas de vie vraiment digne de ce nom en dehors de la Tradition, comprise au sens éminent du terme et non comme celui que l’Occident, depuis la fin du Moyen Âge, s'efforce d'affirmer en obéissant à une impulsion anarchique qui le pousse dans des cercles vicieux, dont chacun constitue un domaine séparé auquel on donne le nom de philosophie, art, science, norme politique et ainsi de suite.
La lutte contre la Tradition dérive de l’insuffisance des hommes face à la compréhension des principes qui y sont affirmés, et non de l’inadéquation de ceux-ci dans la réalisation de conquêtes propres à satisfaire des aspirations légitimes et des besoins naturels de l’esprit. Les vérités divines, qui constituent l’essence de la Tradition, sont simples, difficiles et profondes ; elles réclament une mentalité qui sache s’élever et une sensibilité adhérant à l’effort progressif de l’esprit, lequel se hisse à des sphères de plus en plus élevées de vie transfiguratrice ou développe intégralement les possibilités qu’il lui a été donne d’exprimer dans le cadre de son destin.
La Tradition offre toutes les possibilités, elle est comme le tracé immense où se développe, sans se limiter ni s’épuiser, la liberté de l’homme pour le perfectionnement de sa vraie nature, qui est absolument divine dès lors qu'elle est dirigée selon la justice et la vérité. Par conséquent, la Tradition ne contraint pas mais libère, ne lie pas mais délie, n'abaisse pas mais rédime, ne réduit pas les possibilités humaines mais les renforce, les multiplie par cent en les dirigeant selon un axe de développement qui comprend des degrés de plus en plus élevés et des conquêtes de plus en plus réelles, de sphère en sphère, de dépassement en dépassement. Tel est le dynamisme traditionnel, dans sa stricte acception étymologique, et non au sens que les modernes se complaisent à affirmer, en dénaturant, avec une volubilité superficielle, jusqu'à la valeur des termes dont ils se servent. L’agitation, le déroulement syncopé, l’arc brisé, l’action circonscrite — tout cela est stase, inertie, écroulement, non dynamisme, effort et dépassement, car l'effort s’épuise dans un seul domaine considéré comme un but en soi, donc fallacieux et illusoire.
La Tradition, elle, fait confluer chaque activité dans le sens du divin, rend à l’homme sa liberté, le naturalise pour ainsi dire face à Dieu, le rendant participant actif et non spectateur passif des vérités qui ne sont comprises que si elles sont vécues, intégrées, réalisées. Les modernes s’obstinent à croire que la Tradition est un tronc mort, un ensemble cristallisé, une monumentalité stérile qu’on contemple de l’extérieur avec le respect condescendant et souriant qu'on a pour le bon vieux temps, au-delà duquel commenceraient, pour eux, la vraie vie, la vraie liberté, la vraie conquête. Disons immédiatement que les choses sont ainsi dans la mesure où l’on veut qu'elles soient ainsi, et qu'un coffret plein de trésors restera une richesse stérile tant qu’on ne l’ouvrira pas pour en réaliser la valeur et la beauté ; une tradition est donc morte lorsque sont morts les hommes qui devraient la comprendre, la vivre et l’exalter, qu’ils en soient les représentants officiels ou les énonciateurs solitaires, qui sont ceux auxquels cette tâche est confiée. Il ne faut donc pas parler de la valeur d’une tradition, ce qui est absurde parce que chaque tradition est ce qu'elle doit être, destinée à une race dont elle exprime les besoins les plus profonds et à laquelle elle offre les possibilités les plus vastes ; on peut et l'on doit parler, au contraire, de l’infidélité d’une race à sa propre tradition, de son incompréhension, de sa dénaturation des principes et des normes, de son abâtardissement progressif et subséquent à la révolte contre l’orientation traditionnelle.
Ce n’est pas ici le lieu de déterminer quelles sont les traditions vraiment dignes de ce nom, c'est-à-dire les traditions originelles, où des principes sont contenus dans des enseignements et des symboles, ces derniers étant susceptibles de très nombreux développements et applications ; mais une certitude s’impose avec un caractère d’évidence immédiate : chaque race doit rester fidèle à sa tradition, non en y adhérant extérieurement, mais en la revivant et en la vivifiant de façon à en faire une source inépuisable d’expression et de conquête. Cependant, puisque la tradition est sacrée de par sa nature et de par sa destination, il n’est pas facile pour les modernes, attirés par la tromperie du gouffre profane et corrupteur, de retourner d'abord au noyau des vérités traditionnelles et, en les réalisant, d’en élargir la sphère et d’en enrichir les développements. Les modernes sont portés vers tout ce qui est extérieur, vers ce qu’ils nomment concret et qui est en réalité mort, car cela s’épuise dans la sphère humaine et ne va pas au-delà, en tant que cela est limité par l’espace et le temps. Le dynamisme traditionnel, en revanche, est intérieur, profond, sa sphère de développement est l’invisible, ce qui est humainement invisible. La tradition est donc l'esprit de la race, sacré et inaliénable ; ceux qui le comprennent, l’intègrent et le réalisent, constitueront vraiment la Race de l’Esprit et seront les premiers, même si le monde les destine à être humainement les derniers — ils seront les triomphateurs, les victorieux, les transfigurateurs, les puissants, les donneurs de vie ; non les stériles surhommes rêvés avec nostalgie par l’esthétisme nébuleux des modernes, mais les porteurs de lumière. Alors seulement pourra-t-on réaliser ce que Nietzsche, ignorant le caractère sacré de la Tradition, avait exprimé dans la dernière apostille de son Zarathoustra :« Aus Betenden müssen wir Segnenden werden ! » (Nous qui étions des orants, nous devons devenir des bénisseurs !), à savoir qu’aucune lumière n'est octroyée à celui qui ne la répand pas, accomplissant ainsi le cycle qui de l’homme monte vers Dieu et de Dieu redescend vers l'homme en tant qu'achèvement et exaltation.
L'Esprit de la Race culmine dans la Race de l’Esprit. On ne peut pas comprendre la vraie valeur de certains traits somatiques ou de certaines déterminations psychiques sans avoir compris l’essence de la Tradition qui sert de base à une race donnée ; il n’est d’ailleurs pas possible de se référer à d’autres traditions sans avoir approfondi la sienne propre, en la considérant en fonction de la vie et non comme le résidu d’un passé désormais lointain. Bien savoir qui nous sommes nous permet de mieux savoir qui sont ceux que nous ne sommes pas et de quelle manière est survenu le détachement de la tradition, à laquelle ils appartiennent, de ceux qui en sont en un certain sens les fils dégénérés. En d’autres termes, on ne peut pas être vraiment dans l’esprit de la race si l’on n’appartient pas à la Race de l'Esprit, pour laquelle la vie de la race s’enracine, sous sa plus haute expression, dans la tradition même, dans son intégralité ascendante et descendante qui comprend la totalité active de l’homme dans tous ses développements, selon la réalité et la vérité.
La race dégénère lorsqu’elle s’éloigne de la tradition qui lui correspond et qui l’a formée, lorsqu’elle la fausse, y renonce ou s’y oppose carrément en se laissant dévier par les pseudo-valeurs de l’Occident laïque et individualiste. On dira donc qu’une race est d’autant plus jeune, d’autant plus forte et puissante que plus vif est en elle l’esprit de la Tradition, puisque dans ce cas la race est menée à la victoire, même lorsqu’à certaines périodes déterminées par des circonstances spéciales, elle rencontre des conditions extérieures particulièrement hostiles.
Quant au noyau de la Tradition, répétons-le, il est formé par des vérités d’ordre métaphysique, qui ne peuvent jamais être exprimées de manière adéquate, mais qui peuvent être présentées, pour ainsi dire, au moyen de symboles, à l’intuition réalisatrice des hommes : cela est vraiment l’essentiel, auquel on ajoutera la forme de la société traditionnelle, c’est-à-dire l’ensemble des institutions à travers lesquelles se reflète toujours le même esprit sacré. Envisagées d’un point de vue purement extérieur et non en référence constante à un ordre plus élevé qui les détermine, ces institutions n’ont qu’une valeur relative, si des considérations et des points de vue profanes et utilitaires n’interviennent pas pour les soutenir. Lorsqu'on dit, par conséquent, qu’un peuple doit être fidèle à ses institutions, il faut entendre, et l’on ne peut entendre, que cela : il doit être fidèle à l’esprit de ses institutions, car cet esprit est précisément celui de la race dans l’ordre de la tradition, qui fait qu'elle se distingue d'autres races appartenant à des traditions différentes. Mais il y a plus : l’accord sur les principes traditionnels constitue la vraie Race de l’Esprit, incomparable en raison de l’élévation de la sphère où elle se maintient invariablement et de la difficulté d’accès à cette sphère même pour les profanes, qui tournent bruyamment autour d’elle comme un stérile essaim de faux-bourdons autour de l’alvéole dorée. Les caractéristiques somatiques, les réactions psychiques constituent la race en fonction de l’esprit traditionnel, sans lequel il n'existe ni communion d'esprits ni esprit de race, mais des hommes nés à peu près sous le même climat et dans la même région, quasiment comme des objets fabriqués dans le même bois mais totalement différents par la forme, la destination et l'usage. La prééminence d'une race sur une autre est due à son adhésion plus stricte à l’esprit traditionnel, au rajeunissement pérenne qu’il opère dans le cadre de ses vérités spirituelles, avec une application hiérarchiquement distribuée sur tous les plans, y compris le plan biologique et physique, de manière à réaliser l’unité véritable, l’unité intérieure, substantielle, incomparable et triomphant toujours sur toutes les contingences extérieures.
L’universalité romaine est l’indice de la puissance de l’esprit traditionnel qui a marqué d'un sceau commun des peuples différents, opérant une véritable rédemption par ses symboles, qui parleront aux multitudes ou aux solitaires, mais qui parleront toujours, tant qu’existeront Rome et sa fonction sacrée, dans le langage muet, dans l’idiome sacré qui n’est compris que de la Race de l’Esprit, de ceux qui, du haut du Septimontium, aperçoivent perpétuellement le vol circulaire des douze vautours sur le tracé idéal de la cité carrée, pour y allumer le feu de Vesta, d’où s’élève l’ombre immense de l’universalité rayonnante, la Croix. Et une lumière nouvelle peut soudainement resplendir sur les lamentables ruines du monde occidental, pourvu qu’après la dissipation de l’ignorance que tant de siècles de vie et de culture profanes ont accumulée sur la pureté originelle de notre tradition culminant au zénith dans l’Œnotria tellus, Rome retrouve sa fonction spirituelle, redevenant ainsi la ville sainte qui distribue aux peuples les trésors cachés de sa guerre et de sa paix.
Ardue est l’entreprise dans cette Europe agitée et bouleversée par des erreurs érigées en normes de vie et de pensée ; mais nous estimons que ceux qui connaissent le secret de la puissance de Rome doivent la tenter, en levant de nouveau, au-dessus des masses entraînées par des forces irrationnelles, les signes de la puissance, de la justice et de la gloire authentiques que seule Rome a proposés, pour la reconstruction de l’Occident, à la connaissance, à l’amour et à la hardiesse de la Race de l’Esprit.
Guido de Giorgio, « Spirito della razza e razza dello spirito » (Diorama filosofico, 17 mai 1939).
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