vendredi 24 novembre 2023

Une affaire rocambolesque : Quand François-Marie de Voltaire faisait embastiller son imprimeur

 

La Bastille où Voltaire envoya plusieurs de ses ennemis

La Bastille où Voltaire envoya plusieurs de ses ennemis

Quand Voltaire n'hésitait pas à faire accuser son imprimeur à sa place, à l'envoyer à la Bastille, et à lui faire perdre à vie son titre d'imprimeur et de libraire ! D'après le Mémoire pour Claude-François Jore contre le sieur François-Marie de Voltaire publié en 1735.

Cette affaire rocambolesque opposa Claude-François Jore, imprimeur à Rouen et Voltaire. Elle nous montre un Voltaire sans scrupule qui manie la manigance comme il respire. Dans cette affaire où il est bien le seul responsable de ses roublardises, il n'hésita pas à faire embastiller un de ses nombreux imprimeurs et de le priver à vie de tout ses moyens de subsistance.

On y découvre aussi ce trait de caractère de Voltaire qu'est la radinerie maladive (qui fit pour partie son immense fortune) et sa façon de vivre aux crochets de ses amis dès qu'il le pouvait... alors qu'il percevait une rente de la Nation très largement suffisante pour vivre bien (28 000 livres).

"J’ai payé bien chèrement la confiance aveugle que j’ai eu pour le Sieur de Voltaire. Ebloui par ses talents, je me suis livré à lui sans réserve. J’y ai perdu ma fortune, ma liberté, mon état.". Ainsi commence ce mémoire rédigé en 1738 par un homme désabusé par l'attitude malfaisante de Voltaire qui comptait profiter de la naïveté et la bonté de cet imprimeur de Rouen en lui faisant faire un acte illégal. Petite roublardise qui tournera très mal pour Voltaire.

Ne voyant aucun espoir de résolution à l'amiable du contentieux qui les oppose, Claude-François Jore porta l'affaire en justice ce qui déplut fortement à Voltaire qui craignait pour son image. "Pour défenses, il (Voltaire) m’oppose par écrit une fin de non-recevoir, et emploie sa voix à publier dans le monde qu’il m’a payé".

Ce mémoire est une réponse en retour aux écrits de Voltaire qui tente de discréditer son imprimeur dans le milieu qui forme son lectorat. il est daté de 1734; les faits datent de 1731.

La pingrerie habituelle de Voltaire

Claude-François Jore commence par relater sa rencontre avec le sieur de Voltaire et ne manque pas de décrire sa pingrerie et les dettes qu'il lui laissa, sans toutefois lui en tenir rigueur (ce n'est pas le fond de l'affaire).

"J’ai connu particulièrement le Sieur de Voltaire pour lui avoir donné un logement chez moi pendant un séjour de sept mois qu’il a fait à Rouen en 1731". Claude-François Jore raconte par le menu le séjour que Voltaire fit à Rouen et les dettes qu'il lui occasionna.

Victime de ses écrits assassins, Voltaire feint de passer en Angleterre en mars 1731... mais s’arrêta à Rouen où il se fit passer pour "un Seigneur Anglais, que des affaires d’Etat avaient obligé de se réfugier en France". Son hôte tout émoustillé "par la vanité de posséder un hôte, dont le nom faisant tant de bruit" en fut pour ses frais et garda le secret.

"Après un séjour de trois mois à la Ville, Milord Voltaire eut besoin pour sa santé de prendre l’air de la campagne." Il passa un mois à la campagne, à Canteleu, dans une jolie maison de campagne que lui trouva son hôte. "Avant de partir, le Sieur de Voltaire, par un trait d’économie, voulut congédier un valet que j’avais arrêté pour lui à 20 sols, par jours". Voltaire décida de ne le payer que pour 10 sols, coupant son salaire en deux. C'est ainsi qu'il laissa à Claude-François Jore une ardoise de 45 livres qui servirent à clore la contestation.

A titre de dédommagement, "Il est vrai que le Sieur de Voltaire parla galamment de les acquitter avec une pendule, qui manquait à la parure de la chambre où il couchait ; mais ni la pendule ni le paiement ne sont venus, et ce n’est pas la seule petite dette que j’ai à répéter contre lui".

"Le Sieur de Voltaire passa un mois à la campagneIl y vivait, comme dans l’âge d’or, d’herbes, d’œufs frais et de laitage. La jardinière qui lui fournissait ces aliments champêtres, lui rendait aussi d’autres services. Elle allait trois fois la semaine à la ville pour les épreuves de l’impression. Le Sieur de Voltaire ne fut pas ingrat de ses bons offices. Pour récompenser ses peines, et lui payer un mois de pension il lui donna noblement six livresCette femme m’en porta ses plaintes, me représenta que ses œufs n’étaient seulement pas payés, et par honneur je pris encore le soin d’apaiser ses murmures et de la satisfaire."

Voltaire s'en retourna à Paris, en août 1731, laissant ses dettes à Rouen!

Une simple affaire d'impression non autorisée d'un recueil de lettres

"A peine le Sieur de Voltaire fut-il de retour à Paris, qu’il me manda de le venir trouver pour une affaire importante qu’il voulait me communiquer".

C'est à ce moment que vont vraiment commencer les ennuis de l'imprimeur de Voltaire qui le conduiront à la Bastille et lui feront perdre son autorisation d'exercer son métier d'imprimeur et de libraire... à vie.

Voltaire avait élu domicile chez la dame de Fontaine-Martel... d'où la réflexion de Claude-François Jore : "quoique ce riche Partisan de la République des Lettres jouisse de 28000 livres de rente, cependant il n’a jamais cru qu’un grand poète comme lui dût se loger et vivre à ses dépens." Il est de notoriété publique que, sauf durant ses séjours forcés dans ses terres de Franche Comté, Voltaire vécu toujours sur le dos de ses amis.

Voici le fond de l'affaire qui opposa Voltaire et l'imprimeur Claude-François Jore. Tous les ingrédients d'un série à rebondissement y sont réunis!

"La grande affaire dont il s’agissait, était l’impression de 25 Lettres, qui pour mon malheur ne sont que trop connues, et pour lesquelles le Sieur de Voltaire m’assura avoir une permission verbale".

Il en profita pour régler une ancienne dette de 400 livres en nature... tout en escroquant au passage son imprimeur avec des exemplaires de son " Charle XII" périmés par une nouvelle édition complétée en cours d'édition chez un autre imprimeur (vraiment incorrigible!)

Se fiant au fait que Voltaire "avait souvent obtenu par son crédit des permissions et des tolérances", l'imprimeur fit une confiance aveugle à Voltaire et s'engagea d'autant plus volontiers que cette opération ne lui coûterai rien : "Le Sieur de Voltaire de son côté s’engagea à payer l’impression et le papier, et à faire tous les frais de l’édition."

Voltaire exigea que les épreuves des premières feuilles lui fussent envoyées par la poste, ce qui fut fait à son nouveau domicile.... chez le Sieur Desmoulins, marchand de bleds, et son associé dans ce commerce (des terres agricoles).

"L’édition ayant été achevée en assez peu de temps, le Sieur de Voltaire, dont l’ouvrage commençait à faire du bruit, me fit avertir de le mettre à l’écart et en sûreté, entre les mains d’un de ses amis, qui devait m’en payer le prix. Je connus alors le tort que j’avais eu de me fier à la parole du Sieur de Voltaire, sur la permission d’imprimer ce livre. Cependant, quoique l’édition fût considérable puisqu’elle avait été tirée à 2500 exemplaires, je pris le parti de ne point m’en dessaisir, à moins qu’on ne m’envoyât un certificat de la permission. J’en fis même changer le dépôt. Je me rendis en même temps à Paris chez le Sieur de Voltaire, et lui fis part de ma résolution. De son côté, il convint de faire quelques changements à l’ouvrage. Pour y travailler et en conférer, il me demanda des exemplaires, que je ne fis aucune difficulté de lui donner."

L'affaire devenait sulfureuse et Voltaire, sachant qu'il n'avait aucune autorisation de publier les lettres en question, craignait une confiscation judiciaire et des ennuis qui le conduiraient à nouveau à l'exil.

Il faut rappeler que l'article 78 de l'ordonnance de Moulins de février 1566 interdisait d'imprimer de nouveaux livres sans l'autorisation du Roi. Seules les réimpressions étaient libre d'autorisation. Donc, une fois qu'un livre avait été imprimé (avec autorisation) pour la première fois, il n'était plus nécessaire de faire une demande pour une réédition qui pouvait être faite par tous les imprimeurs de France. On verra que Voltaire tentera d'user (et d'abuser) de cette législation.

Le plan machiavélique de Voltaire pour se tirer d'un mauvais pas

"Ce fut alors que l’imagination vive et féconde du Sieur de Voltaire lui fit enfanter un projet admirable pour le tirer d’affaire. J’étais en procès avec le Sieur Ferrant, imprimeur de Rouen, qui avait contrefait un livre dont j’avais le privilège. Le Sieur de Voltaire me conseilla de lui faire donner sous main son ouvrage manuscrit. Il ne manquera pas, ajouta-t-il, de tomber dans le piège et de l’imprimer : l’édition sera saisie à propos : les supérieurs, instruits que je n’aurai eu aucune part à l’impression, jugeront que ce manuscrit m’aura été volé, et que par conséquent je ne puis être responsable des autres éditions qui en pourront paraître. Par ce moyen j’aurai la liberté de publier la mienne sans obstacle, et nous serons l’un et l’autre à l’abri."

Connaissant les libertés prises par le sieur Ferrant quant au respect du privilège (on dirait de nos jours de l'exclusivité) d'imprimer un ouvrage, Voltaire pensa qu'il renouvellera son méfait en lui faisant passer discrètement sa version manuscrite, qu'il suffira d'affirmer que cette dernière avait été volé chez l'imprimeur de Rouen.... et chose étonnante : que le fait qu'il y ait une impression illégale faite par le sieur Ferrant lèvera l'autorisation du Roi au prétexte que l'impression faite par Claude-François Jore sera considérée comme une réimpression (donc libre d'autorisation comme le prévoit la loi). Rien que ça! Voltaire croit-il à ses dires ou prépare-t-il un plan de secours?

"J’ai dit que j’avais remis au Sieur de Voltaire deux exemplaires pour revoir les endroits qui avaient besoin d’être retouchés ; quel est l’usage qu’il en fit ? C’est ce qu’il faut voir dans une lettre qu’il m’a écrite, et qui est imprimée à la suite de ce Mémoire. Il en confia un, dit-il, pour la faire relier ; à qui ? A un libraire, qui le fit copier à la hâte et imprimer."

Voltaire décide de faire porter le chapeau à Claude-François Jore

Claude-François Jore commence à comprendre (durant sa détention) le jeu trouble du sieur de Voltaire qui le désigne comme l'imprimeur des versions qui sont vendues... et surtout qu'il en est l'auteur, se libérant ainsi de toute responsabilité : "par qui ce libraire a-t-il pu être informé, que l’exemplaire qui lui était remis par le Sieur de Voltaire sortait de mon imprimerie ? (...) A l’instigation de qui les colporteurs, chargés de débiter dans Paris l’édition de ce libraire annonçaient-ils au public que j’en étais l’auteur ?"

L'édition réalisée par l'imprimeur de Paris est parue en 1734. Elle fut augmentée d'une vingt sixième lettre par Voltaire relatant des faits de 1733... alors que l'édition de Claude-François Jore (non diffusée) date du début de l'automne 1731!

Comme il n'y a pas de petit profit pour Voltaire, l'édition imprimée à Paris fut vendue en 1734 "chez Ledet, imprimeur du Sieur de Voltaire à Amsterdam, et qui a pour titre : LETTRES, etc, par M. de V*** A Rouen chez Jore MDCCXXXIV."

La réponse judiciaire fond sur Claude-François Jore

La réaction des autorités ne se fit pas attendre. "qu’est-ce que cette Lettre écrite contre moi au Ministre ? Car enfin, c’est trop balancer sur la perfidie du Sieur de Voltaire ; l’édition du libraire de Paris se répand dans le public, je suis arrêté et conduit à la Bastille, et quel est l’auteur de ma détention ? Sur la dénonciation de qui suis-je arrêté ? Sur celle du Sieur de Voltaire. Je suis surpris qu’on me présente une Lettre de lui, dans laquelle il m’accuse faussement d’avoir imprimé l’édition qui paraît, dit-il, malgré son consentement."

Cherchant à comprendre ce qui lui arrive, Claude-François Jore conclut: "le Sieur de Voltaire, avait-il résolu de me sacrifier ? Piqué de mes refus, désespérant également d’obtenir ma permission, et de me faire consentir à laisser paraître son ouvrage sans me la rapporter, ne me demanda-t-il les deux exemplaires que pour en faire une autre édition, et pour en rejeter sur moi l’iniquité ?"

Claude-François Jore prouva son innocence au bout de 14 jours de Bastille : "Cependant je parvins à prouver l’imposture du Sieur de Voltaire. Je fis voir que l’édition n’était pas de mon Imprimerie, et que je n’avais point de caractères semblables, de façon que j’obtins ma liberté au bout de 14 jours."

... mais une terrible nouvelle ne se fit pas attendre : "Mais mon bonheur ne fut pas de longue durée. Mon édition fut surprise et saisie, et j’éprouvai bientôt une nouvelle disgrâce plus cruelle que la première. Par arrêt du Conseil du mois de septembre 1734, j’ai été destitué de ma maîtrise, déclaré incapable d’être jamais imprimeur ni libraire."

Voltaire reste sourd à une réparation de ses fautes

"Dans l’abîme où je me suis vu plongé par mon arrêt, sans profession, sans ressource, je me suis adressé à l’auteur de tous mes maux, persuadé que je ne devais mes malheurs qu’au dérèglement de son imagination, et que le cœur n’y avait point de part."

Voltaire resta sourd aux demandes de réparations de son imprimeur, fit quelques promesses en l'air et finit par dire qu'il ne fallait rien attendre de lui. Claude-François Jore insistât pour au moins se faire rembourser les frais d'impression : "j’ai crû pouvoir au moins exiger de lui le paiement de l’impression de son livre. (...) il me proposa de couper la dette par la moitié. (...) Je lui répliquai ingénument que je consentirai volontiers au partage à condition qu’il serait égal ; que j’avais été prisonnier à la Bastille pendant 14 jours ; qu’il s’y fît mettre sept, que l’impression de son livre m’avait causé une perte de 22.000 livres, qu’il m’en payât 11, qu’il me resterait encore ma destitution de maîtrise pour mon compte."

Voltaire vexé commença une vaste entreprise de dénigrement de son imprimeur comme il en avait le grand art.

Claude-François Jore conclut son mémoire par ces mots qui en disent long sur la personnalité du sieur de Voltaire : "En effet, quelle fatale connaissance pour moi que celle du Sieur de Voltaire ? Et que penser de cet homme dont il est également dangereux d’être ami comme ennemi, dont l’amitié a causé ma ruine et ma perte, et qui ne veut rien moins que me perdre une seconde fois s’il est possible, depuis que, pour lui demander mon dû, je suis devenu son ennemi ?"

Voltaire répliqua par un mémoire signé Robert. Conseillé par Maurepas (alors ministre de la Marine de Louis XV), il finit par donner 500 livres à Jore, qui désavoua son propre mémoire (20 Décembre 1738), dont le véritable auteur était l’abbé Desfontaines (Critique littéraire qui n'était pas tendre avec Voltaire).

Jore fut encore en relations épistolaires avec Voltaire jusqu’en 1773. Dans une lettre de Milan, du 25 Septembre, il le remerciait de l’envoi de 8 louis... Il vaut mieux ménager un homme aussi fourbe qui a une réelle influence à Versailles.

Voici le texte intégral du mémoire de Claude-François Jore daté de 1735

Mémoire pour Claude-François Jore contre le sieur François-Marie de Voltaire

1735

J’ai payé bien chèrement la confiance aveugle que j’ai eu pour le Sieur de Voltaire. Ebloui par ses talents, je me suis livré à lui sans réserve. J’y ai perdu ma fortune, ma liberté, mon état. Dans ma triste situation, je me suis adressé à lui et l’ai prié de me payer 1400 livres 5 sols qu’il me doit. Toutes sortes de motifs devaient l’engager à ne pas balancer sur une demande aussi juste : l’équité, la commisération même pour un homme dont il a causé la ruine. Quelle est la réponse que j’en ai reçue ? Des injures et des menaces. Le Sieur de Voltaire s’est néanmoins radouci : il a fait l’effort de m’offrir par degré jusqu’à cent pistoles. Dans tout autre temps, je n’aurais pas hésité d’accepter son offre, je l’aurais certainement préférée à la douloureuse extrémité de traduire en Justice un homme dont j’ai été moi-même l’admirateur, et qui m’avait séduit par le brillant de son imagination ; mais les pertes que j’ai essuyées me mettent dans l’impossibilité d’en supporter de nouvelles. Ainsi, après avoir tenté toutes les voies de la politesse, après m’être adressé à des personnes respectables pour essayer de faire sentir au Sieur de Voltaire l’injustice et la bassesse de son procédé, je me suis vu dans la dure nécessité de le citer devant les Juges.

Pour défenses, il m’oppose par écrit une fin de non-recevoir, et emploie sa voix à publier dans le monde qu’il m’a payé.

C’est à cette alternative que je dois répondre. En même temps que j’attaque le Sieur de Voltaire pour le paiement d’une somme qu’il me doit, j’ai à me défendre de la lâcheté qu’il m’impute, de lui demander un paiement que j’ai reçu. Ma justification n’est pas ce qui m’inquiète. Un compte exact des faits qui se sont passés entre le Sieur de Voltaire et moi effacera bientôt toute idée de paiement. Si le contrecoup en est cruel pour le Sieur de Voltaire ; si le récit que je vais faire contient même des faits humiliants pour lui, qu’il se reproche de m’y avoir réduit, pour me laver d’une bassesse. La conduite que j’ai toujours tenue avec lui, fera bien voir que jamais je ne me serais porté moi-même à cette extrémité. A l’égard de la fin de non-recevoir qui m’est opposée, il ne me sera pas difficile de prouver qu’elle n’a pas plus de réalité que le paiement.

J’ai connu particulièrement le Sieur de Voltaire pour lui avoir donné un logement chez moi pendant un séjour de sept mois qu’il a fait à Rouen en 1731 (1). Il choisit ma maison pour y descendre et j’avoue que je fus doublement sensible à cette préférence, tant par les espérances flatteuses que je conçus pour mon commerce, que par la vanité de posséder un hôte, dont le nom faisant tant de bruit. Je ne pus cependant jouir de cet honneur aux yeux de la Ville, soit modestie, soit politique, le Sieur de Voltaire ne voulut y être regardé que comme un Seigneur Anglais, que des affaires d’Etat avaient obligé de se réfugier en France. Toute ma maison fut fidèle au secret. Ainsi le Seigneur Anglais content d’un respect vulgaire dû à son rang, échappa humblement aux honneurs, qu’une Ville composée de gens de condition et d’esprit, n’aurait sans doute pas manqué de rendre à l’illustre Voltaire, si elle avait sû que ce grand homme était renfermé dans l’enceinte de ses murs.

Le Sieur de Voltaire avait pour objet dans son voyage l’impression de son Charles XII. Dont il fit faire deux différentes éditions tout à la fois, et une nouvelle édition de la Henriade. Lorsque cet auteur dit qu’il ne vend point ses ouvrages, c’est-à-dire qu’il ne les vend point à forfait, et effectivement il y perdrait trop. Il est dans l’usage de les faire imprimer à ses frais, et après en avoir détaillé par lui-même une partie, il vend à un libraire le surplus de l’édition, qui tombe pour l’instant par une nouvelle qu’il fait succéder, à la faveur de quelques changements légers. C’est par ce petit savoir-faire que les faveurs des Muses ne sont point pour Voltaire des faveurs stériles ; et que devenu sage par l’exemple de tant de poètes, il sait s’en servir utilement pour se procurer aussi celles de Plutus.

Après un séjour de trois mois à la Ville, Milord Voltaire eut besoin pour sa santé de prendre l’air de la campagne. Toujours attentif à plaire à mon hôte, je sus lui procurer une jolie maison de campagne à une lieue de Rouen. Avant de partir, le Sieur de Voltaire, par un trait d’économie, voulut congédier un valet que j’avais arrêté pour lui à 20 sols, par jours ; mais pour un coup, Voltaire trahit le Seigneur Anglais ; il ne voulut payer le valet que sur le pied de dix sols, et coupa ainsi ses gages par moitié. Je tirai 45 livres de ma bourse et terminai la contestation.

Ces 45 livres ne m’ont jamais été rendues. Il est vrai que le Sieur de Voltaire parla galamment de les acquitter avec une pendule, qui manquait à la parure de la chambre où il couchait ; mais ni la pendule ni le paiement ne sont venus, et ce n’est pas la seule petite dette que j’ai à répéter contre lui.

Le Sieur de Voltaire passa un mois à la campagne (2). Il y vivait, comme dans l’âge d’or, d’herbes, d’œufs frais et de laitage. La jardinière qui lui fournissait ces aliments champêtres, lui rendait aussi d’autres services. Elle allait trois fois la semaine à la ville pour les épreuves de l’impression. Le Sieur de Voltaire ne fut pas ingrat de ses bons offices. Pour récompenser ses peines, et lui payer un mois de pension il lui donna noblement six livres. Cette femme m’en porta ses plaintes, me représenta que ses œufs n’étaient seulement pas payés, et par honneur je pris encore le soin d’apaiser ses murmures et de la satisfaire.

Je le perdis enfin cet hôte illustre. Il s’en retourna à Paris, après un séjour de sept mois, tant chez moi qu’à la maison de campagne d’un de mes amis, et le rôle de Seigneur Anglais finit glorieusement par une pièce de vingt-quatre sols dont sa générosité gratifia la servante d’une maison où rien ne lui avait manqué pendant un si long espace de temps, soit en santé, soit dans la maladie qu’il y avait essuyée.

Ce n’est qu’avec une peine extrême que j’ai pris sur moi d’entrer dans ce détail. Je serais au désespoir qu’il tombât dans l’esprit de quelqu’un, que j’ai dessein de reprocher au Sieur de Voltaire la dépense qu’il m’a occasionnée, ni de lui demander qu’il m’en tienne compte. En exposant sa conduite et la mienne, je n’ai pensé qu’à en montrer l’opposition. J’ai voulu faire voir, par l’empressement que j’ai toujours eu à obliger le Sieur de Voltaire, et par les procédés que j’ai toujours tenus avec lui, combien je serais éloigné d’une lâcheté pareille à celle de lui demander un paiement que j’aurais reçu ; qu’au contraire l’indignité avec laquelle il en use aujourd’hui à mon égard est précisément dans son caractère, que son penchant l’entraîne naturellement vers l’ingratitude, et le porte à frustrer généralement tous ceux envers qui il est redevable.

A peine le Sieur de Voltaire fut-il de retour à Paris, qu’il me manda de le venir trouver pour une affaire importante qu’il voulait me communiquer. Je partis sur-le-champ et me rendis à ses ordres chez la dame de Fontaine-Martel, où il avait établi son domicile ; car quoique ce riche Partisan de la République des Lettres jouisse de 28000 livres de rente, cependant il n’a jamais cru qu’un grand poète comme lui dût se loger et vivre à ses dépens.

La grande affaire dont il s’agissait, était l’impression de 25 Lettres, qui pour mon malheur ne sont que trop connues, et pour lesquelles le Sieur de Voltaire m’assura avoir une permission verbale. En même temps pour solde d’un vieux compte de 400 livres, il me donna en paiement quelques exemplaires de laHenriade, qu’il se disposait secrètement à faire réimprimer avec des additions, et un reste des éditions de son Charles XII, dont le lendemain il vendit un manuscrit plus ample au Sieur François Josse, Libraire de Paris.

J’avoue que les différents traits, dont j’avais été témoin auraient dû me dessiller les yeux sur le Sieur de Voltaire ; mais ils n’étaient ouverts que sur le mérite de l’auteur ; et sachant qu’effectivement il avait souvent obtenu par son crédit des permissions et des tolérances, je me fiai à sa parole, et j’eus la facilité d’accepter le Manuscrit pour l’exécuter. Le Sieur de Voltaire de son côté s’engagea à payer l’impression et le papier, et à faire tous les frais de l’édition. Il exigea, en même temps, que les épreuves des premières feuilles lui fussent envoyées par la poste ; elles l’ont été, en effet, à son nouveau domicile, chez le Sieur Desmoulins, marchand de bleds, et son associé dans ce commerce, où il avait été logé depuis la mort de la dame de Fontaine-Martel.

L’édition ayant été achevée en assez peu de temps, le Sieur de Voltaire, dont l’ouvrage commençait à faire du bruit, me fit avertir de le mettre à l’écart et en sûreté, entre les mains d’un de ses amis, qui devait m’en payer le prix. Je connus alors le tort que j’avais eu de me fier à la parole du Sieur de Voltaire, sur la permission d’imprimer ce livre. Cependant, quoique l’édition fût considérable puisqu’elle avait été tirée à 2500 exemplaires, je pris le parti de ne point m’en dessaisir, à moins qu’on ne m’envoyât un certificat de la permission. J’en fis même changer le dépôt. Je me rendis en même temps à Paris chez le Sieur de Voltaire, et lui fis part de ma résolution. De son côté, il convint de faire quelques changements à l’ouvrage. Pour y travailler et en conférer, il me demanda des exemplaires, que je ne fis aucune difficulté de lui donner.

Ce fut alors que l’imagination vive et féconde du Sieur de Voltaire lui fit enfanter un projet admirable pour le tirer d’affaire. J’étais en procès avec le Sieur Ferrant, imprimeur de Rouen, qui avait contrefait un livre dont j’avais le privilège. Le Sieur de Voltaire me conseilla de lui faire donner sous main son ouvrage manuscrit. Il ne manquera pas, ajouta-t-il, de tomber dans le piège et de l’imprimer : l’édition sera saisie à propos : les supérieurs, instruits que je n’aurai eu aucune part à l’impression, jugeront que ce manuscrit m’aura été volé, et que par conséquent je ne puis être responsable des autres éditions qui en pourront paraître. Par ce moyen j’aurai la liberté de publier la mienne sans obstacle, et nous serons l’un et l’autre à l’abri.

Le Sieur de Voltaire s’applaudit beaucoup de cette invention qui lui paraissait merveilleuse, et fut surpris d’apercevoir que je l’écoutais froidement. Je m’excusai sur la pesanteur de mon esprit, qui m’empêchait de goûter cet expédient. Ma simplicité lui fit pitié ; elle m’attira même une riche profusion d’épithètes, malgré lesquelles je persistai dans mon refus.

J’ai dit que j’avais remis au Sieur de Voltaire deux exemplaires pour revoir les endroits qui avaient besoin d’être retouchés ; quel est l’usage qu’il en fit ? C’est ce qu’il faut voir dans une lettre qu’il m’a écrite, et qui est imprimée à la suite de ce Mémoire. Il en confia un, dit-il, pour la faire relier ; à qui ? A un libraire, qui le fit copier à la hâte et imprimer.

Voltaire eut-il quelque part à cette édition ? Quand il pourrait s’en défendre, quand il n’irait pas plus loin que l’aveu qu’il fait dans sa Lettre ; quels reproches n’aurais-je pas à lui faire sur son infidélité et sur l’abus qu’il a fait de ma confiance ? Mais n’ai-je à lui reprocher que cette infidélité ? Est-il vraisemblable, que pour relier un livre, Voltaire se soit adressé, non à son relieur, mais à un libraire ? Qu’il ait livré un ouvrage qui pouvait causer ma ruine, qu’il devait regarder comme un dépôt sacré, et dont il craignait la contrefaction ; qu’il l’ait livré, dis-je, à un libraire, et à un libraire, non seulement, qui par sa profession même lui devenait suspect, mais qu’il connaissait si mal ; d’ailleurs, par qui ce libraire a-t-il pu être informé, que l’exemplaire qui lui était remis par le Sieur de Voltaire sortait de mon imprimerie ? Qui a pu en instruire celui qui, avant que l’édition de ce libraire parût, vint me prier de lui fournir 100 exemplaires du livre, et m’en offrir 100 louis d’or, que j’eus la constance de refuser (3). A l’instigation de qui les colporteurs, chargés de débiter dans Paris l’édition de ce libraire annonçaient-ils au public que j’en étais l’auteur ? C’est un fait que j’ai éprouvé moi-même. A qui attribuer cette édition étrangère qui parut en 1734 ? Précisément dans l’époque de mes malheurs : édition que Voltaire a augmentée d’une vingt-sixième Lettre, dans laquelle il répond à des faits qui ne sont arrivés qu’en 1733, édition qui se vendait chez Ledet, imprimeur du Sieur de Voltaire à Amsterdam, et qui a pour titre : LETTRES, etc, par M. de V*** A Rouen chez Jore MDCCXXXIV. Et pour tout dire, en un mot ; qu’est-ce que cette Lettre écrite contre moi au Ministre ? Car enfin, c’est trop balancer sur la perfidie du Sieur de Voltaire ; l’édition du libraire de Paris se répand dans le public, je suis arrêté et conduit à la Bastille, et quel est l’auteur de ma détention ? Sur la dénonciation de qui suis-je arrêté ? Sur celle du Sieur de Voltaire. Je suis surpris qu’on me présente une Lettre de lui, dans laquelle il m’accuse faussement d’avoir imprimé l’édition qui paraît, dit-il, malgré son consentement.

Que peut répondre le Sieur de Voltaire à tous ces faits qui me confondent moi-même ? N’était-il qu’infidèle ? Etait-il seulement coupable d’avoir trahi le secret d’un homme qu’il avait séduit par l’assurance d’une permission tacite, et d’avoir publié ce secret à qui avait voulu l’entendre ? Etais-je moi-même infidèle à ses yeux ? Le Sieur de Voltaire crut-il effectivement que l’édition qui paraissait était la mienne ? Pouvait-il le penser, lorsque j’avais refusé les mille écus qu’il m’avait fait offrir lui-même pour cette édition, et que j’avais déclaré que je ne consentirais jamais à la laisser répandre sans le certificat de la permission ? Etait-il même possible que, versé comme il est dans l’imprimerie, il méconnût les différences de ces deux éditions, le papier, les caractères, quelques termes même qu’il avait changés ? Où, au contraire, le Sieur de Voltaire, avait-il résolu de me sacrifier ? Piqué de mes refus, désespérant également d’obtenir ma permission, et de me faire consentir à laisser paraître son ouvrage sans me la rapporter, ne me demanda-t-il les deux exemplaires que pour en faire une autre édition, et pour en rejeter sur moi l’iniquité ? J’avoue que c’est un chaos dans lequel je n’ai jamais pu rien comprendre, parce qu’il est des noirceurs dont je ne saurais croire les hommes capables. Ce qui est certain, c’est que deux jours après avoir obtenu ma liberté, le magistrat à qui je la devais me montra une seconde lettre de Voltaire, dans laquelle en m’accusant de nouveau d’avoir fait paraître mon édition, il ajoutait que j’étais d’autant plus coupable qu’il m’avait mandé de la remettre à Monsieur Rouillé, et m’avais offert de m’en payer le prix ; et ce qui est encore certain, c’est que dans la lettre que l’on mettra sous les yeux des juges à la suite de ce mémoire, après avoir fait mention de cette autre lettre, par laquelle il me marquait, dit-il, de remettre toute mon édition à M. Rouillé, le Sieur de Voltaire reconnaît de bonne foi que j’étais à la Bastille lorsqu’il me l’écrivit, c’est-à-dire qu’il a commencé par m’accuser d’avoir rendu mon édition publique ; qu’ensuite lorsque, sur sa fausse dénonciation, j’étais à la Bastille, il m’a écrit de remettre à M. Rouillé cette même édition que je n’avais plus, et que par une double contradiction qui dévoile de plus le dessein qu’il avait formé de me perdre, il a voulu encore me charger de n’avoir répandu l’ouvrage dans le public, qu’après qu’il m’avait averti de le remettre aux magistrats.

Cependant je parvins à prouver l’imposture du Sieur de Voltaire. Je fis voir que l’édition n’était pas de mon Imprimerie, et que je n’avais point de caractères semblables, de façon que j’obtins ma liberté au bout de 14 jours.

Mais mon bonheur ne fut pas de longue durée. Mon édition fut surprise et saisie, et j’éprouvai bientôt une nouvelle disgrâce plus cruelle que la première. Par arrêt du Conseil du mois de septembre 1734, j’ai été destitué de ma maîtrise, déclaré incapable d’être jamais imprimeur ni libraire.

Tel est l’état où m’a réduit la malheureuse confiance que j’avais eue pour le Sieur de Voltaire ; état d’autant plus triste pour moi que je lui ai été fidèle, puisque, indépendamment des 100 louis que j’ai refusés pour 100 exemplaires d’une personne, dont l’honneur m’était trop connu pour me laisser rien appréhender de sa part, je ne voulus pas écouter la proposition du Sieur Châtelain libraire d’Amsterdam, qui pour un seul exemplaire m’offrit 2.000 livres avec une part dans le profit de l’édition qu’il en comptait faire, et que mon scrupule alla même jusqu’à ne vouloir pas permettre de prendre lecture de l’ouvrage en ma présence à un ami qui avait apparemment appris mon secret par la même voie qui en avait instruit tant d’autres.

Dans l’abîme où je me suis vu plongé par mon arrêt, sans profession, sans ressource, je me suis adressé à l’auteur de tous mes maux, persuadé que je ne devais mes malheurs qu’au dérèglement de son imagination, et que le cœur n’y avait point de part. J’ai été trouvé Voltaire ; j’ai imploré son crédit et celui de ses amis. Je l’ai supplié de l’employer pour me procurer quelque honnête moyen de subsister et de me rendre le pain qu’il m’avait arraché. Il m’a leurré d’abord de vaines promesses ; mais bientôt il s’est lassé de mes importunités, et m’a annoncé que je n’avais rien à espérer de lui. Ce fut alors que n’ayant plus de grâce à attendre du Sieur de Voltaire, si cependant ce que je lui demandais en était une, j’ai crû pouvoir au moins exiger de lui le paiement de l’impression de son livre. Pour réponse à la lettre que je lui écrivis à ce sujet, il me fit dire de passer chez lui. Je ne manquai pas de m’y rendre, et, suivant son usage, il me proposa de couper la dette par la moitié. Je lui répliquai ingénument que je consentirai volontiers au partage à condition qu’il serait égal ; que j’avais été prisonnier à la Bastille pendant 14 jours ; qu’il s’y fît mettre sept, que l’impression de son livre m’avait causé une perte de 22.000 livres, qu’il m’en payât 11, qu’il me resterait encore ma destitution de maîtrise pour mon compte. Ma franchise déplût au Sieur de Voltaire, qui cependant, par réflexion, poussa la générosité jusqu’à m’offrir cent pistoles pour solde de compte ; mais comme je ne crus pas devoir les accepter, mon refus l’irrita ; il se répandit en invectives, et alla même jusqu’à me menacer d’employer pour me perdre ce puissant crédit dont son malheureux imprimeur s’était vainement flatté, pour sortir de la triste affaire où il l’avait lui-même engagé.

Voilà les termes où j’en étais avec le Sieur de Voltaire, lorsque je l’ai fait assigner le 5 du mois dernier. Les défenses qu’il m’a fait signifier méritent bien de trouver ici leur place ; « Il y a lieu, dit-il, d’être surpris de mon procédé téméraire. Mon avidité me fait en même temps tomber dans le vice d’ingratitude contre lui, et lui intenter une action qui n’a aucun fondement, d’autant qu’il ne me doit aucune chose, et qu’au contraire il m’a fait connaître qu’il est trop généreux dans l’occasion pour ne pas satisfaire à ses engagements ; c’est pourquoi il me soutient purement et simplement non recevable en ma demande dont je dois être débouté avec dépens. »

C’est ainsi que le Sieur de Voltaire, non content de ravir le fruit de mon travail, non content de manquer à la reconnaissance et à la justice qu’il me doit, m’insulte et veut me noircir du vice même qui le caractérise. Ce trait ne suffit pas encore à sa malignité. Il ose publier dans le monde qu’il m’a payé, et que, dans l’appréhension que je sens qui devait peut-être se rallumer un feu caché sous la cendre, j’abuse de la triste conjoncture où il se trouve pour faire revivre une dette acquittée. Sous ce prétexte il se déchaîne contre moi, et sa fureur ne peut être assouvie, si ce faux délateur n’obtient une seconde fois de me voir gémir dans les fers. Assuré sur mon innocence, sur l’équité de ma cause, sur la renommée de Voltaire, je n’ai été alarmé ni de ses menaces, ni de ses vains discours ; et convaincu par ma propre expérience à quel point il sait se jouer de sa parole, je n’ai pu me persuader que son témoignage fût assez sacré pour me faire condamner sans m’entendre.

Je suis donc demeuré tranquille, et ne me suis occupé que de ma défense. Je me dois à moi-même ma propre justification. J’ai pensé que je ne pouvais mieux l’établir qu’en rendant un compte exact des faits. Les réflexions que je vais ajouter en prouveront la vérité : en même temps qu’elles feront cesser les clameurs du Sieur de Voltaire, elles rejetteront sur lui l’opprobre dont il cherchait à me couvrir, et engageront même à me plaindre sur ma malheureuse étoile qui m’a procuré une aussi étrange liaison. En effet, quelle fatale connaissance pour moi que celle du Sieur de Voltaire ? Et que penser de cet homme dont il est également dangereux d’être ami comme ennemi, dont l’amitié a causé ma ruine et ma perte, et qui ne veut rien moins que me perdre une seconde fois (4) s’il est possible, depuis que, pour lui demander mon dû, je suis devenu son ennemi ?

Maintenant il me reste à établir mes moyens et à répondre aux objections du sieur de Voltaire…

Notes :

1 – Voltaire, qui avait feint de passer en Angleterre, partit pour Rouen en mars 1731. Il était de retour à Paris au début d’août de la même année.

2 – A Canteleu, canton de Maromme, à 7 km de Rouen.

3 – Ils furent offerts sur l’un des deux exemplaires remis au Sieur de Voltaire ; cet exemplaire avait été vu par des personnes de la première qualité, et avait piqué leur curiosité.

4 – Bibliothèque nationale, Factum Fm 3767. Il en existe plusieurs éditions. A la suite est reproduite la lettre de Voltaire du 25 (24) Mars 1736 ; après, on lit la mention : « Le Conseil soussigné…. Délibéré à Paris ce 9 Juin 1736, Signé, Bayle. »

Voltaire répliqua par un mémoire signé Robert. Conseillé par Maurepas, il finit par donner 500 livres à Jore, qui désavoua son propre mémoire (20 Décembre 1738), dont le véritable auteur était l’abbé Desfontaines.

Jore fut encore en relations épistolaires avec Voltaire jusqu’en 1773. Dans une lettre de Milan, du 25 Septembre, il le remerciait de l’envoi de 8 louis.

http://histoirerevisitee.over-blog.com/2014/05/l-affaire-claude-francois-jore-quand-francois-marie-de-voltaire-fait-embastiller-son-imprimeur.html

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